d’appropriation et de partage implicite, des clergés qui organisèrent la célébration de la paix.
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La paix de Westphalie suscita une très grande jubilation.[3]
Des »fêtes de la paix« (Friedensfeste) furent organisées dès la ratification des traités officialisant l’indépendance des
Provinces-Unies, à Münster les 15 et 17 mai 1648, et jusqu’à la fin de 1660 à Schweinfurt; si, par la suite, il n’y eut plus de
nouvelles fêtes de la paix, certaines furent institutionnalisées, organisées chaque année à la même date. La joie fut
essentiellement allemande. On ne célébra la paix aux Provinces-Unies qu’en mai et juin 1648, en Suède en décembre
1649, et en France de janvier à mars 1660. Et à la différence de ces fêtes, organisées par les autorités locales ou royales
et honorées une seule fois, les fêtes de la paix, dans le Saint-Empire (en particulier dans sa partie méridionale), furent en
très grande partie investies par les clergés. La chronologie des fêtes de la paix révèle les tensions issues de la perception
d’une transition difficile vers un état de paix. Leur géographie souligne la dimension religieuse de la perception de la paix.
Pour les clergés qui, en inventant une forme inédite de célébration de la paix, il s’agissait de reprendre place dans
l’espace public. Quatre grandes vagues de célébration marquèrent la fin de la guerre. Dans le Nord-Ouest du Saint-
Empire, on honora d’abord la paix entre les Provinces-Unies et l’France, acquise le 30 janvier 1648 et ratifiée à Münster le
15 mai 1648. En 1648 et 1649, tout l’espace allemand célébra l’accord général, publié le 24 octobre 1648 et ratifié le 18
février 1649. La série de fêtes la plus dense toutefois, entre juin et novembre 1650, salua la conclusion du recès de
Nuremberg (Nürnberger Exekutionstag) le 26 juin 1650 qui fit des traités de Westphalie une loi d’Empire et fixa les
procédures de démobilisation des troupes occupantes: la joie naquit de la paix tangible, vécue. Le dernier groupe de fêtes
fut motivé par le traité des Pyrénées de novembre 1659 entre la France et l’France, et la paix d’Oliva de mai 1660 entre la
Suède, la Pologne et le Brandebourg, célébrés dans l’Empire comme la fin définitive des hostilités.
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La carte des premières fêtes de la paix allemandes ne refléta ni la diffusion de la nouvelle, ni la hiérarchie urbaine.
Francfort sur le Main, avisée dès le 28 octobre 1648, ne la célébra que le 14 août 1650, et Vienne, informée dès le 3
novembre 1648, attendit le 7 septembre 1650 pour la solenniser. Le 7 novembre, la nouvelle parvint à Ulm, qui ordonna sa
première fête de la paix, religieuse, pour le 23 novembre 1648. Elle fut devancée par la petite ville de Blaubeuren à
quelque distance, où dès le 8 novembre 1648 les luthériens célébrèrent le rétablissement de leur culte; dans la ville libre
d’Ulm qui comptait une minorité catholique, les autorités retinrent la célébration pour ne pas mettre en danger les
équilibres locaux, religieux et militaires. La situation générale était des plus tendue. Lorsque la paix fut proclamée en
Westphalie, il restait quelque 150000 soldats dans l’Empire, sans compter les trousseaux. Avec 60 000 hommes (dont
seulement 7000 Suédois et Finnois d’origine), les troupes sous commandement suédois étaient les plus nombreuses;
18000 soldats devaient être rapatriés en Suède. Dès le 28 octobre 1648, des courriers furent envoyés proclamer le traité,
mais les Suédois renâclèrent à cesser les hostilités avant d’avoir obtenu gain de cause sur les »satisfactions« territoriales
et surtout monétaires; en Bohême et en Moravie, ils tentèrent même de retarder la proclamation de la paix au début 1649
pour continuer à lever des contributions de guerre pendant les mois d’hiver.[4]
L’application du traité fut confiée aux Cercles d’Empire qui durent prendre en charge les armées en place. La nouvelle de
l’accord parvint donc en même temps que celle d’une nouvelle contribution, dite »de paix«.[5] Dans les villes où les
armées stationnaient, les premiers organisateurs des fêtes de la paix avouèrent leur hésitation entre le soulagement et la
joie d’une part, l’amertume d’autre part envers une paix si chèrement acquise. En guise de sermon de grâce, le pasteur
d’Isny, le 6 décembre 1648, épancha ses sarcasmes perplexes sur cette paix d’or et d’argent:
»Cette paix d’Empire est bien une paix dorée, car elle coûte plusieurs tonnes de florins d’or rouge, plusieurs tonnes d’or,
de grosses sommes d’or, plusieurs millions de thalers d’Empire. Mais […] on doit bien aussi construire aux soldats en
partance un pont d’argent, et d’après le proverbe commun, une paix hôte d’une nuit vaut de l’or!«.[6]
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