L’approche des difficultés éthiques Dr Samia Hurst Institut d’éthique biomédicale Faculté de médecine, UNIGE Quelles valeurs sont en jeu dans la pratique clinique ? On le voit vite, elles sont multiples Les synthèses pragmatiques de l’éthique clinique partent de ce constat Approche par principes Cette approche est basée sur le constat que notre vie éthique est trop complexe pour se résumer à un seul principe. Elle en retient donc quatre: Autonomie Bienfaisance Non-malfaisance Justice Ils ne sont pas absolus : ils doivent être respectés prima facie Ils peuvent être transgressés si: au moins l’un des autres principes pèse plus lourd dans ce cas il est impossible de trouver une solution qui n’en transgresse aucun Il faut donc une démarche active au cas par cas Beauchamp, T.L. and J.F. Childress, Principles of Biomedical Ethics. fifth ed. 2001, Identifier une difficulté éthique Une difficulté éthique c’est parfois difficile à identifier. Ça peut parfois ressembler à: Un inconfort, le sentiment inarticulé qu’on est mal dans une situation, que quelque chose «cloche ». Un désaccord, l’impression qu’une autre personne concernée par la même situation prend une décision à laquelle on n’adhère pas. Une opposition,…car parfois on n’identifie pas la difficulté éthique soi-même. Une approche d’un problème éthique (d’après Hébert 1996) Quels sont les faits? Quelle est la difficulté éthique? Quelles sont les options possibles? Bienfaisance Quel est le bien du patient? Non-malfaisance Quels sont les risques et les inconvénients pour le patient? Autonomie Quel est le choix du patient? Capacité décisionnelle? Justice Qu’est-ce qui est juste/équitable? (Pour ce patient, d’autres patients, les soignants, la société) Comment est-ce que le contexte de cette situation affecte la meilleure manière de respecter ces valeurs? Quel proposons-nous et pourquoi? Quelles valeurs ont la priorité? Lesquelles sont sacrifiées? Au nom de quoi? Quels sont les faits ? Éléments médicaux Éléments psycho-sociaux Anamnèse, diagnostic, pronostic, options thérapeutiques Quelles sont les personnes concernées et quelles sont leurs relations? Eléments de logistique Degré d’urgence ? Qui doit être inclus dans la délibération ? Valeurs Quelles sont les valeurs en présence ? Comment s’articulent-elles avec les principes? Comment respecter au mieux ces valeurs dans ce cas? Comment respecter au mieux les principes dans ce cas? Options Quelles sont les options possibles ? En avoir plus que deux pour éviter le risque de polarisation Essayer de penser à toutes les options possibles: si vous éliminez toutes les options imparfaites à ce stade, il ne vous en restera peut-être aucune! Comment chaque option s’articule-t-elle avec les principes et les valeurs en présence? Proposition Il faut terminer par une décision, ou au moins une proposition. Dans le meilleur des cas, aucune valeur n’est transgressée C’est un idéal qui n’est généralement pas atteignable La justification de la transgression doit être bonne Critique et relecture Critique de la proposition Quelle est la justification de la proposition? Quelles sont les valeurs sacrifiées? Quelle est la justification de la transgression? Le but de la méthode est de parvenir à une proposition et des justifications acceptables pour tous. Etre systématique Les faits Les valeurs Les acteurs C’est Elles « important de commencer par là. peuvent être difficiles à articuler. Pour être systématique, Il peut être difficile il faut souvent plus de d’admettre une faits que ceux que l’on transgression, quelle récolte pour un dossier qu’elle soit. médical «classique» Et pourtant, dans notre vie morale, nous visons souvent des buts contradictoires… Faire de bons actes Permettre de bonnes conséquences Qui doit être inclus?» est une questions importante et parfois compliquée. Si une valeur est importante, le fait que la personne qui l’exprime a peu de pouvoir ne doit pas en diminuer l’importance. Une aide extérieure est parfois utile pour une délibération commune. Points à retenir Les difficultés éthiques peuvent être difficiles à reconnaître Il existe des outils et des concepts: pour inclure systématiquement les éléments éthiques pertinents dans une décision, pour aider à la résolution de désaccords autour d’enjeux éthiques. Et maintenant, quelques exemples… Guillaume Stagiaire aux urgences de pédiatrie, vous voyez en consultation le petit Guillaume, 5 ans, qui est accompagné de ses parents. Victime d’une crise de paludisme, Guillaume est très anémique et nécessite une transfusion sanguine en urgence. La transfusion coûte 10'000 CFA. Les parents n’ont pas l’argent mais vous proposent d’aller au village pour l’emprunter. Ils reviendront demain avec de quoi payer la transfusion. Guillaume vous inquiète. Vous craignez qu’il ne survive pas ce délai. Cela vous déprime d’autant plus que vous voyez plusieurs cas de ce type chaque jour. Que faites-vous ? Salomé Vous êtes stagiaire au service des urgences de gynécologieobstétrique. A deux heures du matin, une jeune femme de 16 ans arrive en se plaignant de maux de ventre. En l’examinant, vous constatez tout de suite qu’elle fait une fausse couche tardive. Elle vous dit alors qu’elle a avorté, et qu’elle est venue parce que « ça ne sortait pas », et qu’elle avait mal. L’infirmière refuse de la soigner : ce qu’elle a fait est interdit par la loi et par la morale, lui dit-elle. Elle n’a que ce qu’elle mérite. La jeune fille lui dit alors que c’est quelqu’un de l’hôpital qui l’a avortée, et qu’elle exige d’être prise en charge. L’équipe présente lui demande assez vivement de dénoncer la personne en question, faute de quoi elle ne sera pas traitée. De toute manière, elle n’a d’argent pour payer ni la prise en charge ni le matériel nécessaire. Que faites-vous ? Christine Durant votre stage aux urgences, on vous amène sur un brancard Christine, une jeune femme de 25 ans qui présente un coma hautement fébrile avec une raideur de nuque. Sa famille vous explique qu’elle est épileptique et qu’elle fait des crises fréquentes. Peut-être, précisent-ils, qu’elle en ferait moins s’ils avaient les moyens d’acheter les anti-épileptiques prescrits, mais les temps sont durs. Elle a déjà été traitée pour une méningite il y a une semaine, mais l’argent a manqué et ils ont arrêté le traitement. « A ce moment, elle allait mieux ! » vous disent-ils. Ils vous disent aussi qu’elle n’a pas toute sa tête et nécessite une surveillance constante. Ils vous demandent de la laisser mourir, car elle souffre. Que faites-vous ? François Un patient de 50 ans, enseignant de français au lycée, veuf, est victime d’un accident de circulation. Il souffre d’un grave traumatisme au membre inférieur gauche avec une fracture ouverte au niveau du tibia. Il a en outre perdu beaucoup de sang parce qu’il a fallu beaucoup de temps aux secouristes pour arriver sur place. Vous travaillez dans un grand hôpital urbain. Lorsque ce patient arrive dans votre salle d’urgence, accompagné de son fils également enseignant, il a une tension de 60/30 et présente un état confusionnel. Les premiers soins lui sont appliqués, avec restauration volémique, transfusion, désinfection et pansement stérile. L’état de conscience du patient s’améliore ; mais il apparaît aux chirurgiens qui l’ont examiné qu’une amputation de sa jambe gauche sera nécessaire dans un bref délai. François Le médecin explique donc au patient la nécessité d’une amputation rapide. Le patient dit comprendre les explications, mais souhaite pouvoir en parler avec sa fille, qui est médecin. Comme elle est en service dans une région reculée il faudra quelques temps, probablement 24-48h, pour la joindre. Une discussion s’engage entre le chirurgien et le responsable des urgences. Le chirurgien estime que les risques de septicémie n’autorisent pas un aussi long délai de réflexion, à quoi son collègue répond que l’on peut comprendre le souhait du patient devant une intervention aussi mutilante, et qu’il faut respecter son désir. A vous de discuter! Vous avez 1h Vous devez rester dans le sujet En clinique, on n’a pas assez de temps non plus… Donc commencez par choisir quelqu’un qui modérera votre discussion Vous devrez nous expliquer votre décision, et pourquoi vous pensez que c’est la bonne (ou la moins pire) Donc n’oubliez pas d’expliquer au nom de quelles valeurs vous faites votre choix …et désignez quelqu’un pour prendre des notes!