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(III, XXIV, 5). Les notions mathématiques sont des notions empiriques, (« deux dénote toutes les
paires de choses ») et les propositions mathématiques sont des propositions empiriques, même si
elles sont très générales et très abstraites. À partir de là, on pourrait donner une réponse millienne
au problème rencontré par Leibniz, en disant que le principe d’associativité est un principe
empirique, très général certes, mais empirique tout de même. Le contenu du principe d’associativité
consisterait en ce que, lorsqu’on peut diviser un agrégat en deux agrégats – appelons le premier a –
et que le second de ces agrégats peut à nouveau être divisé en deux agrégats b et c, on peut toujours
aussi diviser l’agrégat initial en deux agrégats, dont le premier se divise en deux agrégats a et b, et
dont le second est l’agrégat c. L’empirisme radical, qui est prêt à fonder les vérités mathématiques
sur l’expérience, ne rencontre pas le problème du rationaliste qui doit expliquer pour tout axiome
mathématique ce qui fait de cet axiome une vérité de raison accessible indépendamment de toute
expérience. Cependant, l’empirisme radical rencontre d’autres problèmes. En réduisant les vérités
mathématiques à des vérités empiriques, il ne rend pas compte des propriétés modales et
épistémiques apparentes des vérités mathématiques. Les vérités mathématiques nous semblent être
nécessaires et être connaissables indépendamment de l’expérience, au contraire des vérités
empiriques contingentes. Peut-être cette apparence est-elle illusoire, mais encore faudrait-il
expliquer l’illusion. En outre, la distance entre les notions mathématiques et l’expérience rend
difficile la réduction empiriste : comme l’objectera Frege, si l’on peut attribuer une dénotation
empirique à deux, en parlant des agrégats composés de deux choses, quelle dénotation attribuer à
zéro ?
1.2 Une intuition sensible purifiée au fondement des jugements mathématiques ?
Naïvement, il peut être tentant de considérer qu’une bonne philosophie des mathématiques doit se
situer quelque part entre les positions extrêmes incarnées ici, pour les besoins de notre cause, par
Leibniz et Mill. D’un côté, il semble bien y avoir quelque chose comme une expérience
mathématique, qui est au cœur de l’activité du mathématicien, et qui devrait pouvoir fonder la
validité de principes proprement mathématiques comme la loi d’associativité. D’un autre côté, cette
expérience ne saurait être exactement la même chose que l’expérience qui sous-tend habituellement
nos généralisations empiriques ; « 2+2=4 » n’est pas à mettre sur le même plan que « les arbres
perdent leur feuille en automne ».
Qu’il soit tentant de chercher une voie intermédiaire ne signifie pas que cela soit facile, ni
même qu’une telle voie mène quelque part. La philosophie des mathématiques de Kant cherche à
explorer cette voie : voyons où elle nous mène. Kant a cherché à reconnaître un rôle à l’intuition en
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