3. La douleur aux différentes étapes de la maladie
Il n’y a pas une mais plusieurs douleurs cancéreuses rele-
vant de stratégies thérapeutiques différentes. Tout au long de
sa prise en charge, l’enfant souffrant d’une tumeur osseuse
sera confronté à des situations douloureuses. Il est essentiel
que le diagnostic puisse établir si la douleur est liée à la tumeur
elle-même (70 % des cas environ), aux thérapeutiques du can-
cer (20 % des cas) ou bien sans lien de causalité directe avec
le cancer (10 % des cas). La souffrance globale ressentie tout
au long de la maladie ne doit pas être sous-estimée et doit
elle aussi être prise en charge.
3.1. Douleur avant le diagnostic
La douleur est de loin le premier motif de découverte d’une
tumeur osseuse [10,11] et représente le motif de première
consultation dans 70 % des cas [3]. Lors de la prise en charge
d’un cancer pédiatrique, 60 % des enfants ont déjà connu une
douleur et 50 % d’entre eux ont été alités à cause de cette
douleur [12].
Les tumeurs osseuses malignes sont toutes potentielle-
ment douloureuses. Classiquement la douleur est continue,
plus marquée la nuit et pendant les périodes de repos. Ceci
est considéré par certains comme un trait spécifique de la mali-
gnité mais ce critère est loin d’être constant [10,13]. Elle peut
être discrète et se traduire simplement par une boiterie. Elle
peut également être projetée à distance de la zone affectée.
Ces douleurs sont parfois révélées après un traumatisme,
en particulier sportif [3]. Leur ancienneté est variable et elles
peuvent évoluer par poussées entrecoupées d’une résolution
totale, à l’origine d’une sous-évaluation de la gravité et de
retards diagnostiques. Elles peuvent être transitoirement cal-
mées par les antalgiques.
Des phénomènes de compressions et infiltrations des struc-
tures nerveuses périphériques ou centrales avec atteinte
motrice ou sensitive peuvent compliquer le tableau.
La plupart des douleurs osseuses ou articulaires malignes
sont dues à des infiltrations néoplasiques qui entraînent des
modifications de structure de l’os et se traduisent par des
signes radiologiques : ostéolyse, bandes claires métaphysai-
res, réactions périostées, ostéoporose diffuse sur les os longs.
Ces signes traduisent le caractère agressif d’une lésion. Ils
doivent être soigneusement recherchés sur des clichés osseux
simples en cas de persistance d’une douleur osseuse inexpli-
quée afin d’éviter les retards diagnostiques. L’imagerie par
résonance magnétique nucléaire (IRM) est l’examen de
deuxième intention recommandé par l’American college of
radiology pour les tumeurs osseuses agressives en particulier
des extrémités [14].
Le problème principal est celui du diagnostic différentiel
de ces douleurs osseuses dans une population pédiatrique où
les douleurs musculosquelettiques sont une des principales
causes de consultation (traumatisme, sports, adolescence)
[15].
Cabral et al. ont rapporté l’expérience de deux centres de
rhumatologie pédiatrique qui voient 600 enfants par an pour
des symptômes musculosquelettiques (avec ou sans arthri-
tes). Sur 15 ans, un diagnostic de malignité a été porté chez
29 d’entre eux avec une symptomatologie douloureuse dans
80 % des cas [16]. Des résultats similaires ont été rapportés
par Trapani et al. [17]. Dans la série de Whide, le diagnostic
initial de « tendinite » est porté dans 31 % des cas de sarcome
d’Ewing et dans 21 % des cas d’ostéosarcomes [3]. L’ostéo-
myélite est aussi souvent un diagnostic différentiel difficile,
en particulier quand l’enfant est fébrile, ce qui représente 30 %
des cas de sarcome d’Ewing. Certaines tumeurs bénignes sont
parfois douloureuses, la plus caractéristique étant l’ostéome
ostéoïde dont la présentation clinique est heureusement carac-
téristique mais qui pose parfois des problèmes de diagnostic
différentiel avec une lésion maligne. Enfin, les localisations
osseuses secondaires uniques ou multiples de neuroblas-
tome, de rhabdomyosarcome, de lymphomes ou de sarcomes
osseux primitifs sont toujours très douloureuses mais rares
chez l’enfant et s’intègrent en général dans un tableau clini-
que évocateur.
3.2. Douleur liée à la biopsie
Le plus souvent réalisée chirurgicalement, la biopsie
osseuse est parfois responsable de douleurs postopératoires
ou d’exacerbation d’une douleur antérieure qui peuvent jus-
tifier la prescription d’antalgiques [18].
De plus, des lésions nerveuses périphériques consécutives
à l’intervention peuvent donner des douleurs neuropathiques
iatrogènes chroniques, en particulier dans le territoire du nerf
ilio-inguinal ou du saphène qui sont les plus exposés.
La prise en charge antalgique des gestes biopsiques, qu’il
s’agisse de biopsie chirurgicale ou de microbiopsies radio-
guidées, est nécessaire et doit être préventive (anesthésies
locorégionales lors des abords chirurgicaux, prémédications
antalgiques lors des microbiopsies, augmentation des traite-
ments antalgiques généraux).
3.3. Douleur liée au traitement
Les chimiothérapies et la chirurgie sont la base du traite-
ment des tumeurs osseuses malignes de l’enfant. La radiothé-
rapie peut, dans certaines situations, avoir des indications.
Ces traitements sont responsables d’effets secondaires et en
particulier de douleur, qu’il s’agisse des douleurs de mucites
induites par les chimiothérapies, des douleurs postopératoi-
res ou encore des douleurs de brûlures radio-induites (radio-
dermites).
Dans les travaux de Ljungman et al., à la question « À
quoi correspond la pire des douleurs pendant ta maladie ? »
49 % des enfants traités pour un cancer répondaient : « la
douleur liée aux traitements » [12]. Toujours selon Ljung-
man et al., les douleurs iatrogènes et les douleurs liées aux
gestes invasifs pendant le traitement d’un cancer sont la cause
de plus de 80 % des douleurs alors que le cancer lui-même
n’est incriminé que dans 13 % des cas. Si ces chiffres parais-
sent disproportionnés, on peut imaginer que la souffrance psy-
193P. Marec-Bérard et al. / Archives de pédiatrie 12 (2005) 191–198