Douleurs et tumeurs osseuses malignes de l`enfant et de l

Mise au point
Douleurs et tumeurs osseuses malignes de l’enfant et de l’adolescent
Cancer-related bone pain in children
P. Marec-Bérard
a,
*, C. Delafosse
b
, C. Foussat
b
a
Département d’oncologie pédiatrie, centre Léon-Bérard, Lyon, France
b
Département d’anesthésie pédiatrique, hôpital Édouard-Herriot, Lyon, France
Reçu le 31 mars 2004 ; accepté le 25 novembre 2004
Disponible sur internet le 19 janvier 2005
Résumé
La douleur est souvent le principal signe clinique des tumeurs osseuses malignes de l’enfant. La physiopathologie de la douleur osseuse
maligne est complexe et mal connue, et fait l’objet de travaux de recherche. La douleur osseuse maligne n’est pas corrélée au type de tumeur,
à la localisation, au nombre et à la taille des lésions. Si elle est souvent révélatrice de la lésion osseuse, la douleur peut aussi être présente à
toutes les étapes de la prise en charge. Les causes en sont multiples : douleurs postchirurgicales, effets secondaires des chimiothérapies ou
irradiations, évolution tumorale, séquelles de traitements curatifs, douleurs du membre fantôme. L’éradication de la tumeur osseuse par des
traitements carcinologiques curatifs est le principal traitement étiologique de la douleur. Son traitement symptomatique implique une prise en
charge pluridisciplinaire associant des médicaments agissant sur le processus de lyse osseuse, des médicaments antalgiques, des médicaments
à visée neuropathiques, des techniques non médicamenteuses, ainsi qu’une prise en charge psychique et sociale. Cette dernière devra être
adaptée à l’adolescent, particulièrement concerné par cette pathologie. L’évolution vers des douleurs chroniques séquellaires est possible et
doit être évitée grâce à une prise en charge précoce et adaptée. Une information claire doit être donnée à l’enfant et à sa famille sur les risques
et les options antalgiques disponibles.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Pain often discloses the existence of bone tumors in children. The complex physiopathology of pain in malignant bone tumors remains
largely unknown and is currently investigated. Cancer-related bone pain is independent from the type and the location of the tumor, and from
the number and size of the malignant lesions. It does not necessarily increase with tumor growth. Pain, which is the most common early
symptom of bone cancer, may also be present at every step of the disease. It may arise from postsurgery injury, side effects of chemo- or
radiotherapy, tumor evolution, secondary sequels of treatments, phantom pain. Tumor eradication using cancer therapeutic strategies is the
major etiological treatment option for bone cancer pain. Symptom control requires multidisciplinary medical management with drugs effec-
tive against bone lysis, analgesics, drugs with anti-neuropathic activity, as well as non-pharmacological techniques and psycho-social mana-
gement. This psycho-social management must be tailored to the specific needs of teenagers who are particularly prone to this pathological
manifestation. Measures to prevent the occurrence of residual chronic pain must be implemented, whereas children and their family should be
clearly informed of the risks and of analgesic options available.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Douleur ; Cancer ; Tumeurs osseuses malignes
Keywords: Pain; Neoplasms, bone tissu; Child
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (P. Marec-Bérard).
Archives de pédiatrie 12 (2005) 191–198
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0929-693X/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.arcped.2004.11.026
1. Introduction
Environ 2000 nouveaux cas de cancers et leucémies sont
diagnostiqués chaque année en France chez l’enfant, et 5 %
d’entre eux sont des tumeurs osseuses [1]. Il s’agit le plus
souvent de tumeurs osseuses primitives et en particulier
d’ostéosarcomes, ou de tumeur d’Ewing. La douleur est un
signe de révélation dans 85 % des cas pour l’ostéosarcome et
dans 65 % des cas pour la tumeur d’Ewing [2,3]. Les autres
tumeurs osseuses (chondrosarcomes, fibrosarcomes, lympho-
mes malins non hodgkiniens osseux (anciennement dénom-
més sarcomes de Parker et Jackson), et tumeur à cellules
géantes [4]) sont rares chez l’enfant mais sont en général révé-
lées par des tableaux douloureux. Dans un souci de clarté, les
localisations secondaires de tumeurs extra-osseuses (neuro-
blastomes, rhabdomyosarcomes, lymphomes malins), les
hémopathies bénignes ou malignes (hémoglobinopathies,
hémophilie, leucémies), ne sont pas abordées dans cet arti-
cle.
Le parcours d’un enfant atteint d’une tumeur osseuse mali-
gne est caractérisé par une succession de phases pénibles,
ayant chacune sa dimension douloureuse, altérant sa qualité
de vie, et pour lesquelles la cohérence et la continuité des
soins vis-à-vis de la douleur représente un défi [3,5,6].
2. Particularités de la douleur osseuse d’origine
cancéreuse
2.1. Physiopathologie
La physiopathologie de la douleur osseuse maligne en
l’absence de fracture est imparfaitement comprise. L’os est
une structure innervée à la fois au niveau du périoste et des
pédicules vasculonerveux nourriciers. L’étirement du périoste
par l’expansion tumorale, les contraintes mécaniques de l’os
fragilisé, l’envahissement nerveux par la tumeur, et la des-
truction osseuse directe sont les mécanismes probablement
en cause dans la douleur osseuse maligne [7]. Cependant cette
hypothèse purement mécanique est prise à défaut par cer-
tains types de tumeurs (kystes anévrismaux), entraînant une
volumineuse distension du périoste totalement indolore.
Des facteurs biochimiques interviennent aussi. La résorp-
tion osseuse due à l’augmentation de l’activité ostéoclastique
diminue la densité osseuse et modifie l’architecture de l’os.
L’œdème périvasculaire, l’activation des cellules endothélia-
les des vaisseaux sanguins et des cellules immunocompéten-
tes telles que les mastocytes, sont les premiers éléments du
cercle vicieux douleur–inflammation. Des facteurs locaux pro-
nociceptifs participent à une cascade inflammatoire dans
laquelle interviennent aussi des compressions nerveuses et
des phénomènes de sensibilisation. Le processus de sensibi-
lisation des nocicepteurs, bien connu dans les douleurs neu-
ropathiques et inflammatoires, semble aussi exister dans les
douleurs osseuses malignes entraînant des phénomènes
d’hyperalgésie et d’allodynie. Il est lié à des événements bio-
logiques qui surviennent dans les neurones sensitifs (sensibi-
lisation périphérique) et dans les cordons spinaux (sensibili-
sation centrale) [8].
La douleur liée à une tumeur osseuse maligne n’est donc
pas corrélée au type de tumeur, à la localisation, au nombre
et à la taille des lésions et est souvent disproportionnée par
rapport au degré d’envahissement [9].
2.2. Douleur nociceptive ou douleur neuropathique ?
Les premières théories étiopathogéniques de la douleur
osseuse maligne plaident en faveur d’une composante mixte
neuropathique et inflammatoire. Pourtant, les travaux de Clo-
hisy et Mantyh publiés en 2003 ont permis de mettre en évi-
dence des différences neurochimiques entre la douleur osseuse
liée à un cancer et les deux autres types de douleurs [8].La
douleur osseuse liée au cancer ne serait donc pas une asso-
ciation de douleur inflammatoire et neuropathique, mais une
entité à part dans laquelle intervient à la fois l’activité ostéo-
clastique et la maladie cancéreuse elle-même. Elle est en
revanche souvent combinée à une douleur neurogène par
atteinte des nerfs périphériques ou des espaces périmédullai-
res, et à une douleur somatique par envahissement des parties
molles. Peuvent s’ajouter de véritables douleurs de désaffé-
rentation ou des douleurs médiées par le système nerveux
sympathique.
Une meilleure connaissance de ces entités permettra de
mieux adapter les traitements symptomatiques et peut-être la
mise au point de nouvelles thérapeutiques spécifiques.
2.3. Douleur chronique ou aiguë ?
La douleur est définie par l’Association internationale pour
l’étude de la douleur (IASP) comme une « expérience senso-
rielle et émotionnelle désagréable, en rapport avec une lésion
tissulaire réelle ou potentielle ». Elle peut être aiguë lorsqu’il
s’agit d’une « sensation vive et cuisante, intense et brutale,
qui s’inscrit dans un tableau clinique d’évolution rapide », ou
chronique, lorsqu’elle « évolue depuis plus de trois à six mois,
et est susceptible d’avoir un effet néfaste sur le comporte-
ment ou le bien-être du patient ».
La douleur liée aux cancers, et en particulier aux tumeurs
osseuses, n’est ni aiguë ni chronique. C’est une « douleur
aiguë qui dure ». Initialement la douleur peut être intermit-
tente, mais devient rapidement continue et parfois aggravée
par des épisodes d’accès douloureux ou « douleurs inciden-
tes ». Le tableau peut se compléter d’allodynie mécanique,
c’est-à-dire d’épisodes douloureux intenses déclenchés par
des circonstances qui ne sont pas douloureuses en temps nor-
mal (pression, effleurement, toucher) et qui résultent de pro-
cessus de sensibilisation périphérique et centrale.
Cette douleur « potentiellement durable », si elle n’est pas
prise en charge du point de vue symptomatique et étiologi-
que, est susceptible de s’auto-entretenir et de devenir une dou-
leur chronique.
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3. La douleur aux différentes étapes de la maladie
Il n’y a pas une mais plusieurs douleurs cancéreuses rele-
vant de stratégies thérapeutiques différentes. Tout au long de
sa prise en charge, l’enfant souffrant d’une tumeur osseuse
sera confronté à des situations douloureuses. Il est essentiel
que le diagnostic puisse établir si la douleur est liée à la tumeur
elle-même (70 % des cas environ), aux thérapeutiques du can-
cer (20 % des cas) ou bien sans lien de causalité directe avec
le cancer (10 % des cas). La souffrance globale ressentie tout
au long de la maladie ne doit pas être sous-estimée et doit
elle aussi être prise en charge.
3.1. Douleur avant le diagnostic
La douleur est de loin le premier motif de découverte d’une
tumeur osseuse [10,11] et représente le motif de première
consultation dans 70 % des cas [3]. Lors de la prise en charge
d’un cancer pédiatrique, 60 % des enfants ont déjà connu une
douleur et 50 % d’entre eux ont été alités à cause de cette
douleur [12].
Les tumeurs osseuses malignes sont toutes potentielle-
ment douloureuses. Classiquement la douleur est continue,
plus marquée la nuit et pendant les périodes de repos. Ceci
est considéré par certains comme un trait spécifique de la mali-
gnité mais ce critère est loin d’être constant [10,13]. Elle peut
être discrète et se traduire simplement par une boiterie. Elle
peut également être projetée à distance de la zone affectée.
Ces douleurs sont parfois révélées après un traumatisme,
en particulier sportif [3]. Leur ancienneté est variable et elles
peuvent évoluer par poussées entrecoupées d’une résolution
totale, à l’origine d’une sous-évaluation de la gravité et de
retards diagnostiques. Elles peuvent être transitoirement cal-
mées par les antalgiques.
Des phénomènes de compressions et infiltrations des struc-
tures nerveuses périphériques ou centrales avec atteinte
motrice ou sensitive peuvent compliquer le tableau.
La plupart des douleurs osseuses ou articulaires malignes
sont dues à des infiltrations néoplasiques qui entraînent des
modifications de structure de l’os et se traduisent par des
signes radiologiques : ostéolyse, bandes claires métaphysai-
res, réactions périostées, ostéoporose diffuse sur les os longs.
Ces signes traduisent le caractère agressif d’une lésion. Ils
doivent être soigneusement recherchés sur des clichés osseux
simples en cas de persistance d’une douleur osseuse inexpli-
quée afin d’éviter les retards diagnostiques. L’imagerie par
résonance magnétique nucléaire (IRM) est l’examen de
deuxième intention recommandé par l’American college of
radiology pour les tumeurs osseuses agressives en particulier
des extrémités [14].
Le problème principal est celui du diagnostic différentiel
de ces douleurs osseuses dans une population pédiatrique où
les douleurs musculosquelettiques sont une des principales
causes de consultation (traumatisme, sports, adolescence)
[15].
Cabral et al. ont rapporté l’expérience de deux centres de
rhumatologie pédiatrique qui voient 600 enfants par an pour
des symptômes musculosquelettiques (avec ou sans arthri-
tes). Sur 15 ans, un diagnostic de malignité a été porté chez
29 d’entre eux avec une symptomatologie douloureuse dans
80 % des cas [16]. Des résultats similaires ont été rapportés
par Trapani et al. [17]. Dans la série de Whide, le diagnostic
initial de « tendinite » est porté dans 31 % des cas de sarcome
d’Ewing et dans 21 % des cas d’ostéosarcomes [3]. L’ostéo-
myélite est aussi souvent un diagnostic différentiel difficile,
en particulier quand l’enfant est fébrile, ce qui représente 30 %
des cas de sarcome d’Ewing. Certaines tumeurs bénignes sont
parfois douloureuses, la plus caractéristique étant l’ostéome
ostéoïde dont la présentation clinique est heureusement carac-
téristique mais qui pose parfois des problèmes de diagnostic
différentiel avec une lésion maligne. Enfin, les localisations
osseuses secondaires uniques ou multiples de neuroblas-
tome, de rhabdomyosarcome, de lymphomes ou de sarcomes
osseux primitifs sont toujours très douloureuses mais rares
chez l’enfant et s’intègrent en général dans un tableau clini-
que évocateur.
3.2. Douleur liée à la biopsie
Le plus souvent réalisée chirurgicalement, la biopsie
osseuse est parfois responsable de douleurs postopératoires
ou d’exacerbation d’une douleur antérieure qui peuvent jus-
tifier la prescription d’antalgiques [18].
De plus, des lésions nerveuses périphériques consécutives
à l’intervention peuvent donner des douleurs neuropathiques
iatrogènes chroniques, en particulier dans le territoire du nerf
ilio-inguinal ou du saphène qui sont les plus exposés.
La prise en charge antalgique des gestes biopsiques, qu’il
s’agisse de biopsie chirurgicale ou de microbiopsies radio-
guidées, est nécessaire et doit être préventive (anesthésies
locorégionales lors des abords chirurgicaux, prémédications
antalgiques lors des microbiopsies, augmentation des traite-
ments antalgiques généraux).
3.3. Douleur liée au traitement
Les chimiothérapies et la chirurgie sont la base du traite-
ment des tumeurs osseuses malignes de l’enfant. La radiothé-
rapie peut, dans certaines situations, avoir des indications.
Ces traitements sont responsables d’effets secondaires et en
particulier de douleur, qu’il s’agisse des douleurs de mucites
induites par les chimiothérapies, des douleurs postopératoi-
res ou encore des douleurs de brûlures radio-induites (radio-
dermites).
Dans les travaux de Ljungman et al., à la question « À
quoi correspond la pire des douleurs pendant ta maladie ? »
49 % des enfants traités pour un cancer répondaient : « la
douleur liée aux traitements » [12]. Toujours selon Ljung-
man et al., les douleurs iatrogènes et les douleurs liées aux
gestes invasifs pendant le traitement d’un cancer sont la cause
de plus de 80 % des douleurs alors que le cancer lui-même
n’est incriminé que dans 13 % des cas. Si ces chiffres parais-
sent disproportionnés, on peut imaginer que la souffrance psy-
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chologique globale dans laquelle est un enfant traité pour
cancer participe à cette surestimation. Cette souffrance doit
être prise en compte dans la prise en charge de la douleur
d’un enfant atteint de cancer et ceci justifie l’intervention
d’équipes pluridisciplinaires en vue d’une prise en charge glo-
bale.
3.4. Douleurs séquellaires
Les traitements anticancéreux sont aussi responsables de
douleurs à distance des traitements. Ces douleurs séquellai-
res peuvent être de nature neuropathique, secondaires à la
chimiothérapie (alcaloïdes de la pervenche, dérivés du pla-
tine). Il s’agit alors de polyneuropathies périphériques dista-
les et symétriques qui surviennent de façon retardée et sont
liées aux doses cumulées.
La radiothérapie peut aussi entraîner des séquelles algo-
gènes telles que des ostéoradionécroses, des plexites radi-
ques ou des douleurs neuropathiques secondaires aux radio-
dermites.
La chirurgie est elle aussi en cause. Les douleurs chroni-
ques postopératoires sont définies par une survenue à dis-
tance de l’intervention, une persistance supérieure à deux
mois, l’absence d’autre cause, et l’absence de douleur préexis-
tante. Une douleur sévère présente pendant la période préo-
pératoire est un facteur prédictif de douleur postopératoire
intense et d’échec de la prise en charge thérapeutique. La
durée prolongée de cette douleur est un facteur aggravant [19].
La prise au long cours d’antalgiques en période préopéra-
toire peut parasiter la douleur postopératoire en augmentant
son seuil de perception. Un sevrage intempestif en analgési-
ques va initier une hyperalgésie difficilement contrôlable [20].
Ces constats mettent l’accent sur l’importance de la pour-
suite d’un traitement antalgique avant la chirurgie et sur le
rôle amplificateur psychoaffectif de cette douleur présente en
arrière-plan.
Par ailleurs, la chirurgie de dissection tumorale peut pro-
voquer des lésions nerveuses périphériques des membres
(compression, écrasement) responsables de syndromes dou-
loureux régionaux complexes (SDRC), anciennement appe-
lés « algodystrophies ». La section de troncs nerveux pourra,
elle, entraîner des douleurs du membre fantôme.
Plusieurs facteurs prédictifs de chronicité des douleurs pos-
topératoires ont été identifiés : la préexistence d’une douleur,
l’intensité de la douleur postopératoire aiguë, le type de chi-
rurgie, la présence de drains, l’association à une radiothéra-
pie.
Des mesures préventives doivent être mises en œuvre, à
commencer par le traitement efficace des douleurs préopéra-
toires et des douleurs aiguës postopératoires. Cette prise en
charge doit être assurée par des équipes spécialisées et entraî-
nées à l’anesthésie et à l’algologie pédiatriques.
La qualité de l’information donnée au patient et aux
familles est essentielle afin que tout signe neurologique anor-
mal survenant à distance (ou pendant) des traitements soit
signalé précocement et qu’un traitement soit mis en place.
L’apparition secondaire de ces douleurs pose le problème
du diagnostic différentiel avec une éventuelle rechute locale
ou métastatique de la maladie et peut être source d’angoisses
majeures pour les familles et les équipes soignantes.
Les douleurs séquellaires de l’amputation doivent aussi
être évoquées. Si l’amputation ne représente plus que 5 %
des gestes chirurgicaux curateurs des tumeurs osseuses mali-
gnes, elle reste pourvoyeuse de séquelles douloureuses majeu-
res qui posent souvent un problème de prise en charge. Deux
types de douleurs post-amputation sont décrits. Les douleurs
de moignons peuvent être liées à un moignon pathologique, à
une lésion cutanée, à un trouble vasculaire artériel ou vei-
neux, ou à la formation de névromes. Elles sont le plus sou-
vent d’origine périphérique. Le membre fantôme est défini
comme la perception du membre amputé dans une certaine
posture. Trois composantes sont décrites : la perception de la
présence du membre (tactile ou proprioceptive), la percep-
tion d’une motricité du membre et la perception doulou-
reuse. Son évolution temporelle est hétérogène. Il pourrait
être plus fréquent chez l’enfant que chez l’adulte [20]. Les
sensations et les douleurs du membre fantôme sont propres à
l’amputation et justifient une prise en charge par des équipes
spécialisées. Elles doivent toutefois être connues et identi-
fiées afin de ne pas retarder leur prise en charge et de rassurer
l’enfant et la famille sur leur nature, leur réalité et les possi-
bilités thérapeutiques.
3.5. Douleurs et rechutes
Les rechutes intraosseuses représentent 10 à 15 % des
rechutes d’ostéosarcome et 25 % des rechutes de tumeur
d’Ewing [21,22]. Il peut s’agir d’une rechute locale ou d’une
rechute métastatique osseuse, le squelette étant le deuxième
site métastatique des tumeurs osseuses après le poumon. La
douleur en est un mode fréquent de révélation. La réappari-
tion d’une douleur ou la modification d’une douleur séquel-
laire doit attirer l’attention. Quand une douleur séquellaire
change d’intensité, d’allure ou de topographie, elle est sus-
pecte et doit motiver des investigations.
Si certaines rechutes sont encore curables, beaucoup vont
malheureusement évoluer, et l’extension tumorale osseuse et
extraosseuse est responsable de douleurs en fin de vie dont la
prise en charge est un défi thérapeutique. L’augmentation du
nombre d’antalgiques disponibles, en particulier d’antalgi-
ques majeurs (palier 3) et l’allègement de la réglementation
ont heureusement permis une amélioration de ces prises en
charge.
4. Prise en charge thérapeutique de la douleur
La prise en charge thérapeutique des douleurs de l’enfant
atteint de tumeur osseuse est avant tout étiologique, le traite-
ment de la tumeur permettant en général une disparition des
douleurs en quelques semaines. Dans la période d’attente
d’efficacité de ces traitements carcinologiques, le traitement
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est symptomatique et fait appel aux antalgiques classiques et
à d’éventuelles techniques non médicamenteuses. Il est essen-
tiel de parvenir au soulagement avant d’obtenir l’efficacité
des traitements antitumoraux et ceci est actuellement rendu
possible par les progrès faits dans ce domaine.
En cas de maladie évolutive ou de métastases osseuses, le
soulagement est souvent plus difficile à obtenir et met parfois
les équipes soignantes et les familles en situation d’échec et
d’incompréhension. Ceci d’autant plus qu’il existe parfois une
réaction de déni de la douleur de la part des parents et même
des soignants face à ces douleurs, qu’elles soient le symp-
tôme d’un diagnostic, d’une rechute ou d’une « évolution
défavorable ». La lutte contre la douleur doit être associée à
la lutte globale contre les symptômes somatiques et psycho-
logiques du cancer. Elle nécessite une prise en charge spécia-
lisée et une organisation pluridisciplinaire [23].
4.1. Traitements carcinologiques antalgiques
4.1.1. Chimiothérapie
L’éradication de la tumeur osseuse est le principal traite-
ment étiologique de la douleur. La mise en œuvre de proto-
coles de polychimiothérapie dès la confirmation histologi-
que du diagnostic de tumeur osseuse maligne permet une
diminution rapide de la symptomatologie douloureuse.
L’utilité des chimiothérapies palliatives à visée antalgique
est reconnue depuis peu dans certaines situations de cancer
évolutif.Alors que des études sont publiées dans le cancer du
sein et de la prostate métastatique, aucune donnée n’est dis-
ponible dans les tumeurs osseuses évolutives de l’enfant, où
leur utilisation reste empirique.
4.1.2. Radiothérapie
La radiothérapie à visée curative est inefficace dans l’ostéo-
sarcome, sauf à très forte dose, et n’est presque jamais utili-
sée. En revanche elle est utile dans certaines tumeurs d’Ewing
non accessibles à la chirurgie ou répondant mal à la chimio-
thérapie.
En revanche, la radiothérapie externe peut être utilisée à
titre antalgique sur des localisations osseuses primitives ou
secondaires de tumeurs malignes, dans des contextes pallia-
tifs le plus souvent. Elle est alors partiellement efficace dans
90 % des cas et totalement efficace dans 50 %. Malheureuse-
ment, le soulagement est souvent transitoire [24].
L’efficacité de la radiothérapie sur les tumeurs osseuses
(primitives ou secondaires) douloureuses est incontestable,
mais les mécanismes d’action sont encore incomplètement
élucidés. La rapidité de l’antalgie obtenue après les premiè-
res doses de radiothérapie et l’absence de corrélation avec la
réponse tumorale suggèrent un effet sur les médiateurs chi-
miques de l’inflammation.
Dans certaines situations de tumeurs osseuses multiples,
l’irradiation métabolique antalgique est une alternative
sérieuse à l’irradiation corporelle externe. Ce type d’indica-
tion doit être connu et discuté dans certains cas d’ostéosarco-
matoses (ostéosarcomes de localisations multiples) ou d’évo-
lution multimétastatique osseuse, parfois même sous couvert
d’une réinjection de cellules souches hématopoïétiques afin
d’en limiter la toxicité hématologique [25].
4.1.3. Chirurgie d’amputation antalgique
La chirurgie conservatrice représente actuellement 95 %
des gestes chirurgicaux dans le traitement des tumeurs osseu-
ses malignes. Toutefois, l’amputation reste, dans certaines
situations évolutives malgré les traitements, un acte antalgi-
que palliatif permettant un contrôle des douleurs, une reprise
des activités et, contrairement aux idées reçues, une amélio-
ration de la qualité de vie [26].
Ceci sous-entend une prise en charge préventive et cura-
tive adéquate des sensations et des douleurs du membre fan-
tôme. Des tentatives de prévention préopératoire ou peropé-
ratoire par anesthésie épidurale pourraient avoir un intérêt
[27–29]. Une fois installées, il s’agit de douleurs souvent résis-
tantes aux antalgiques médicamenteux classiques. Des asso-
ciations antidépresseurs et antiépileptiques sont nécessaires
mais pas toujours suffisantes. Les blocs antalgiques n’ont
qu’un effet transitoire. La rééducation sensitive tient une place
importante avec des techniques de désensibilisation du moi-
gnon, d’amplification des représentations sensitives du moi-
gnon. La rééducation motrice (amélioration des capacités
motrices du membre) et la relaxation (diminution des cram-
pes, spasmes) ont aussi leur place.
4.2. Réduction des processus de lyse osseuse
Les biphosphonates sont des puissants inhibiteurs de la
résorption osseuse ayant une forte affinité pour l’os où ils se
lient fortement à l’hydroxyapatite et diminuent l’activité
et la durée de vie des ostéoclastes. De plus il se pourrait que
les biphosphonates aient une action directe sur les
cellules tumorales en inhibant les mécanismes impliqués
dans la formation de métastases et en stimulant leur apoptose
[30].
Le mécanisme antalgique des biphosphonates est mal
connu. Ils interviennent tant au niveau cellulaire que
moléculaire et font l’objet de nombreux travaux de recher-
che, en particulier dans les douleurs liées à des métastases
osseuses.
Chez l’adulte, les biphosphonates sont considérés comme
des coantalgiques particulièrement intéressants, de façon cer-
taine dans le myélome et les métastases osseuses du cancer
du sein ; et de façon probable dans les autres atteintes osseu-
ses en l’absence d’études contrôlées. Après un traitement par
biphosphonates, 50 % des patients souffrant de douleurs liées
à une tumeur osseuse rapportent un soulagement [31].
L’expérience des biphosphonates en pédiatrie est plus limi-
tée [32]. Utilisés dans les hypercalcémies malignes, les cal-
cifications ectopiques de la myosite ossifiante, l’ostéogenèse
imparfaite et depuis peu dans l’ostéoporose infantile, ils font
l’objet de peu de publications. Leur utilisation comme coan-
talgique dans les douleurs osseuses malignes de l’enfant est
empirique mais semble licite.
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