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Synthèse de presse du
perspectives
chinoises
cefc
À qui faire confiance
quand on est malade ?
L’incident Wei Zexi, Internet en Chine et le système de soins chinois
A N THON Y H. F. LI
W
ei Zexi 魏则西, un étudiant sérieux de 21 ans de l’Université Xidian de Xi’an est au centre du débat public depuis son décès,
survenu en avril 2016. Lorsque son sarcome synovial en phase
terminale a été diagnostiqué en 2014, Wei et sa famille ont fait des recherches pour obtenir de plus amples informations sur les moyens de traiter
une maladie apparemment incurable. Baidu, le plus gros moteur de recherche chinois est naturellement devenu une précieuse source d’informations. La recherche effectuée par la famille sur Baidu les a dirigés vers le
Deuxième hôpital du corps de la police armée de Pékin, figurant dans la catégorie des « hôpitaux de niveau 3 de rang A » (sanji jiadeng 三级甲等), le
rang le plus élevé dans le système de classification des hôpitaux chinois. Un
docteur de l’hôpital a assuré à Wei et à sa famille qu’il avait de bonnes
chances de s’en sortir après plusieurs séances d’un traitement médical
connu sous le nom d’immunothérapie cellulaire. L’évocation par le médecin
d’une collaboration avec l’Université de Stanford aux États-Unis avait renforcé un peu plus les espoirs de la famille de Wei. Cependant, le traitement
avait également conduit la famille à s’endetter de manière considérable,
étant donné son coût astronomique. Lorsque l’état de santé de Wei s’était
détérioré, le médecin responsable était revenu sur ses précédentes déclarations concernant le taux de réussite du traitement et il s’avéra qu’il avait
menti au sujet de la collaboration avec la prestigieuse université. Wei et sa
famille s’étaient sentis trompés par l’hôpital aussi bien que par Baidu. Avant
sa mort, Wei avait publié en février 2016 un long article sur Internet, accusant Baidu d’avoir « causé le mal » avec son système de référencement
payant de l’information (jingjia paiming 竞价排名 ) et faisant état de ses
griefs envers l’hôpital et le médecin responsable sans divulguer leurs noms (1).
Lorsqu’il est décédé le 12 avril, son histoire tragique a donné lieu à un immense mouvement d’indignation publique sur les réseaux sociaux à partir
de la plateforme de questions-réponses Zhihu 知乎. L’intérêt suscité par le
décès de Wei Zexi a été immense avec, en date du 7 mai, 370 millions de
personnes qui avaient eu connaissance de l’affaire par l’intermédiaire du réseau social Weibo (2). Au départ, les critiques étaient dirigées en grande partie
contre Baidu. Les médias d’État comme le People’s Daily et le China Daily
ont critiqué Baidu pour être fondé sur un modèle économique dénué de
« responsabilité sociale » et ont réclamé des améliorations de la réglementation d’État (3). Les concurrents commerciaux de Baidu ont également participé à cette série d’attaques contre le moteur de recherche (4). Cependant,
No 2016/4 • perspectives chinoises
le Département de la Propagande du Parti communiste chinois (PCC) a rapidement fait en sorte d’étouffer l’affaire en demandant le 4 mai aux médias
concernés d’effacer les publications qui « profitent de l’occasion pour critiquer le Parti, le gouvernement, le système de soins et le système social ».
À partir de ce moment-là, il n’a plus été possible de lire certains articles de
presse rapportant le scandale impliquant l’hôpital militaire (5).
Dans le même temps, début mai, plusieurs ministères ont pris des mesures
afin de calmer le mécontentement de l’opinion. L’Administration du Cyberespace de Chine (ACC), la Commission nationale de la Santé et du Planning
familial (CNSPF) et l’Administration d’État de l’Industrie et du Commerce
(AEIC) ont lancé une enquête conjointe sur Baidu le 2 mai, suivie de directives d’État réclamant la réorganisation de la page d’accueil de Baidu et des
modifications de son système payant de référencement de l’information (6).
La CNSPF et la Commission militaire centrale (CMC) se sont également penchées sur le fonctionnement du Deuxième hôpital du corps
de la police armée de Pékin le 3 mai. Toute collaboration entre les hôpitaux gérés par l’armée et des entreprises médicales privées a alors
été suspendue. Plusieurs responsables de l’hôpital ont été sanctionnés
après la publication du rapport d’enquête (7). Des injonctions à mettre
1.
Wei Zexi, billet publié sous le titre « Ni renwei renxing zuida de e shi shenme? » (Quel est selon
vous le plus grand mal que peuvent causer les êtres humains ?), Zhihu, 26 février 2016,
https://www.zhihu.com/question/26792975 (consulté le 11 août 2016).
2.
Yuan Qing Zhi Ku, « We Zexi shijian yuqing fenxi » (Analyse de l’opinion publique au sujet de l’incident Wei Zexi), Economic Journal, juillet 2016, http://mp.weixin.qq.com/s?__biz=MzI5
NDAyODgxMw%3D%3D&mid=2651636247&idx=1&sn=44fb3fe82b7744933e7c4cae67d929c
d&open_source=weibo_search&open_source=wesibo_search (consulté le 11 août 2016).
3.
Wang Shichuan, « La mort d’un étudiant soulève des questions sur l’éthique de Baidu », People’s
Daily Online, 2 mai 2016, http://en.people.cn/n3/2016/0502/c90000-9052118.html (consulté le
2 septembre 2016) ; « Mettre fin au monopole de Baidu permettrait de limiter la vente de rangs
de référencement », China Daily, 3 mai 2016, http://usa.chinadaily.com.cn/epaper/201605/03/content_25034870.htm (consulté le 2 septembre 2016).
4.
Jing Cheng, « Le dernier exemple en date d’indignation publique en ligne : l’incident Wei Zexi »,
China Policy Institute, 12 mai 2016, https://cpianalysis.org/2016/05/12/latest-case-online-outrage-wei-zexi-incident (consulté le 23 octobre 2016).
5.
Han Xiao, « Wei Zexi shijian: yulun chang de bianjie » (L’incident Wei Zexi : les limites de l’opinion
publique), The Initium, 9 mai 2016, https://theinitium.com/article/20160509-opinion-hanxiaoweizexi (consulté le 11 août 2016).
6.
« Wei Zexi shijian diaochazu xuanbu dui baidu he wujing er yuan de chuli jueding » (L’Équipe enquêtant sur l’incident Wei Zexi annonce ses décisions concernant le traitement à réserver à Baidu
et au Deuxième hôpital du corps de la police armée de Pékin), The Initium, 9 mai 2016,
https://theinitium.com/article/20160509-dailynews-baidu-weizexi (consulté le 13 août 2016).
7.
Ibid.
85
Actua l i té s
fin aux services rémunérés fournis par l’armée ont également été
émises (8).
En effet, l’incident Wei Zexi a cristallisé un certain nombre de problèmes
anciens concernant Baidu et la réforme du système de soins en Chine. Il a
donné lieu à un débat houleux entre les experts et l’opinion publique, en
particulier autour des questions du manque de réglementation adéquate
sur la circulation des publicités d’ordre médical, du manque de transparence
sur l’externalisation de certains services médicaux des hôpitaux militaires
vers des entreprises privées de qualité souvent plus que douteuse, et des limites de la récente série de réformes du système de soins. Cet article donnera un aperçu de ces débats.
Baidu et le Clan Putian dans l’offre de soins
privée
Né en 1999, Baidu est petit à petit devenu le principal moteur de recherche chinois et s’est taillé la part du lion dans le marché de la recherche
sur Internet. En 2015, Baidu avait un taux de pénétration de marché de
92,1 % et dégageait plus de 80 % des bénéfices issus de la publicité sur le
marché du web chinois (9). Avec 98 % du total de ses bénéfices dégagés de
cette manière, son modèle économique est principalement fondé sur les
revenus de la publicité en ligne qui transitent par son service de référencement payant (10). Afin de satisfaire les exigences réglementaires fixées par le
gouvernement chinois, Baidu a également développé un service interne dont
la mission est de censurer les messages illégaux et politiques et joue un rôle
de surveillance pour le compte de l’État. Son travail de censure est si efficace
que Baidu a même reçu le « Prix de l’autodiscipline » pour sa contribution
« au développement d’un web sain et harmonieux » (11). Il va sans dire que
Baidu entretient une relation étroite avec le gouvernement. Si Baidu fait
tout son possible pour purger Internet des messages que le gouvernement
juge indésirables, il lui reste des efforts à faire pour éliminer les informations
trompeuses données aux internautes chinois. Quelques incidents passés
font également penser que Baidu a sciemment compromis l’accès des internautes à une information fiable en échange de bénéfices venant du secteur de la santé. En 2008 déjà, CCTV avait diffusé une enquête fouillée sur
des employés de Baidu qui apportaient leur aide à des entreprises médicales
non agréées dans le but de contourner les lois qui leur interdisaient de faire
de la publicité en ligne (12). Quelques mois avant l’incident Wei Zexi en janvier 2016, Baidu avait également été épinglé pour avoir vendu à des entreprises du secteur de la santé des droits de modération sur des forums
d’informations médicales en ligne (Baidu Tieba 百度贴吧 ), et ce sans que
l’opinion n’ait été informée de ces arrangements. Des rapports ont montré
que ces modérateurs de forums rémunérés avaient supprimé des commentaires défavorables à leur entreprise (13), mettant sérieusement en doute la
neutralité des modérateurs de ces plateformes en ligne et suscitant de nombreuses critiques, aussi bien de la part des réseaux sociaux que des médias
gouvernementaux (14).
De ce point de vue, la mort tragique de Wei Zexi révèle un mécontentement ancien de l’opinion publique chinoise envers les pratiques commerciales de Baidu et ses relations complexes avec les entreprises médicales
qui font de la publicité sur sa plateforme. Certains cybercitoyens sont frustrés que seule l’information payante apparaisse sur les pages de résultats
du fait du système de référencement payant et ils sont déçus de la réticence
de Baidu à vérifier la validité de l’information médicale publiée sur sa plateforme, critiquant l’entreprise pour sa propension à privilégier la recherche
86
du profit par rapport à la responsabilité sociale. Les internautes chinois ont
montré qu’ils avaient des attentes fortes envers Baidu pour que le moteur
de recherche assume un rôle de gardien de l’intérêt public en fournissant
une information objective et fiable sur sa plateforme. Dans une enquête
réalisée en ligne par Sina News, près de la moitié des cybercitoyens chinois
pensaient que Baidu ne devrait pas accepter de diffuser des publicités pour
des entreprises médicales et près de 40 % d’entre eux pensaient que Baidu
devrait s’intéresser de près à la qualité des hôpitaux faisant de la publicité
par ce biais (15).
Une raison explique la réticence de Baidu à satisfaire les cybercitoyens
chinois sur ce point : les bénéfices dégagés par Baidu grâce à la publicité
proviennent en grande partie des entreprises médicales privées. Après l’incident Wei Zexi, Baidu a suspendu sa coopération commerciale avec les entreprises médicales et s’est trouvé dans l’obligation de revoir ses
anticipations de bénéfices à la baisse au mois de juin (16).
Baidu a en particulier collaboré avec un groupement d’entreprises médicales et d’hôpitaux privés possédés par des habitants de la ville de Putian,
plus connus sous le nom de « Clan de Putian » (Putian ji 莆田系). Ils sont
extrêmement puissants dans l’industrie médicale : on a pu établir que
80 % des entreprises médicales privées chinoises sont affiliées au Clan de
Putian (17). Depuis 2014, les membres du Clan de Putian se sont également
organisés en une chambre de commerce appelée « l’Association de l’industrie de la santé (chinoise) de Putian » (Putian [Zhongguo] jiankang chanye
zong shanghui 莆田 [中国] 健康产业总商会). En avril 2015, ils se sont réunis
8.
Après 1998, l’armée a été sommée d’arrêter de gérer des entreprises destinées à dégager des bénéfices et il lui a alors seulement été permis de gérer un certain nombre de services payants à
destination du public si ses ressources le lui permettaient. Cependant, les analystes ont en général
fait remarquer qu’une telle réforme ne faisait que produire du neuf avec de l’ancien. Si la fourniture
de services payants permet que les ressources gérées par l’armée soient utilisées au maximum,
cela détourne l’armée de son corps de métier, aboutit à des opérations illégales et fait le lit de la
corruption. Voir « Quanjun jiang qingli mo di duiwai youchang fuwu » (L’ensemble de l’armée va
mettre un point final à tous les services payants fournis à l’extérieur), The Beijing Times, 17 avril
2015, http://epaper.jinghua.cn/html/2015-04/17/content_190136.htm (consulté le 14 août
2016) et « Jundui tingzhi youchang fuwu shidian qidong jundui yiyuan huo zhuanyi difang » (Un
projet pilote a commencé à mettre un terme aux services payants fournis par l’armée, les hôpitaux
militaires pourraient être transférés aux autorités locales), Wenweipo, 8 mai 2016,
http://news.wenweipo.com/2016/05/08/IN1605080006.htm (consulté le 14 août 2016).
9.
« Airui Zixun: Baidu shichang fene xiajiang » (I-Research Inc. : les parts de marché de Baidu diminuent), Caijing, 10 mars 2009, www.caijing.com.cn/2009-03-10/110117165.html (consulté le 16
août 2016).
10. Li Yan, He Chunmei, Qu Yunxu, Zhaohan et Chen Jiahui, « Putian ji + Baidu: wei qian si guo, you
wei qian zai yiqi » (Le Clan Putian et Baidu: l’argent au cœur de leur rupture puis de leur réconciliation), Caixin, 3 mai 2016, http://datanews.caixin.com/2016-05-03/100939274.html (consulté
le 2 septembre 2016).
11. Rebecca Mackinnon, « China’s “Networked Authoritarianism” », Journal of Democracy, vol. 22, n°
2, 2011, p. 32-46.
12. « Bashing Baidu: State Television Fires on China’s Google », The Economist, 27 août 2011,
www.economist.com/node/21526943 (consulté le 22 octobre 2016) ; « How Baidu Won China»,
Bloomberg Businessweek, 12 novembre 2010, www.bloomberg.com/news/articles/2010-1111/how-baidu-won-china (consulté le 22 octobre 2016).
13. Shu Pengqian, « Baidu Criticized for Selling Hemophilia Support Group to Top Bidder », Beijing
Today, 5 février 2016, https://beijingtoday.com.cn/2016/02/baidu-criticized-for-selling-hemophilia-support-group-to-top-bidder (consulté le 2 septembre 2016).
14. « Baidu Tieba jiaoting shangye hezuo hou fengbo weiting » (La tempête n’est pas encore complètement passée après l’arrêt de la coopération commerciale par Tieba de Baidu), Xinhua, 14 janvier 2016, www.xinhuanet.com/fortune/caiyan/ksh/128.htm (consulté le 18 août 2016).
15. « Baidu Scandal Brings Business Ethics to the Forefront », What’s on Weibo, 3 mai 2016,
www.whatsonweibo.com/baidu-scandal (consulté le 23 octobre 2016).
16. « Chinese Search Engine Giant Baidu Cuts Revenue Forecast », Reuters, 13 juin 2016, www.reuters.com/article/baidu-forecast-idUSL4N1953X1 (consulté le 18 août 2016).
17. Voir, par exemple, Zhang Yue et Wang Leping, « Putian ji: youyi zhong cheng wangguo – Zhongguo
de minying yiyuan bacheng du shi tamen de » (Le Clan de Putian : les médecins itinérants deviennent un empire. 80 % des hôpitaux privés chinois leur appartiennent), Southern Weekly, 22
mai 2014, www.infzm.com/content/100863 (consulté le 12 août 2016).
perspectives chinoises • No 2016/4
Anthony H. F. LI – À qui faire confiance quand on est malade ?
afin de discuter du meilleur moyen de négocier avec Baidu du prix très élevé
du référencement de l’information (18). La suspension temporaire de la collaboration entre le Clan de Putian et Baidu après l’incident Wei Zexi a eu
des conséquences négatives sur leur activité. Dans une interview accordée
aux médias, un ancien actionnaire d’une entreprise médicale appartenant
au Clan de Putian, Chen Yuanfa 陈元发 , a révélé que les opérations commerciales des hôpitaux du Clan de Putian dépendent beaucoup des publicités outrancières diffusées sur Internet dans le but d’attirer des clients (19).
Ces hôpitaux ont bien conscience de l’importance de l’identité de la marque
associée et de leur discours de présentation. La plupart du temps, les médecins de ces hôpitaux présentent à l’opinion publique un CV impressionnant. Les apparitions des médecins dans divers médias de masse, y compris
CCTV, sont soulignées dans les publicités.
L’objectif ultime de la maximisation des profits pour ces entreprises médicales privées porte sérieusement atteinte au professionnalisme de leurs
médecins. Certains médecins employés par le passé par des hôpitaux du
Clan de Putian ont expliqué que le personnel de l’hôpital est soumis à une
telle pression pour atteindre des objectifs de bénéfices chiffrés fixés par
leurs supérieurs hiérarchiques qu’il peut être nécessaire de jouer sur les peurs
des patients ou d’employer des stratégies trompeuses (20). Comme les médecins sont employés directement par l’hôpital pour lequel ils travaillent, il
n’est pas rare de conseiller des traitements médicaux superflus aux patients
de ces hôpitaux.
Dans un marché Internet concurrentiel étranger au favoritisme pro-gouvernemental, les internautes peuvent choisir les services d’autres entreprises en
ligne pour s’informer et, de ce fait, ces entreprises ont également un plus
grand intérêt à fournir une information aussi précise et fiable que possible
afin de gagner en crédibilité auprès des utilisateurs. Cependant, un tel environnement n’existe pas sur le marché de l’Internet chinois. Lorsque Google a
quitté la Chine en 2010, Baidu est devenu l’acteur dominant et incontesté du
marché de l’Internet chinois. Il se pourrait que le fait que Baidu ait un système
de censure politique très perfectionné mais qu’il soit réticent à mettre en
place un système de contrôle d’une information médicale mensongère soit à
l’origine du mécontentement des cybercitoyens à l’égard du moteur de recherche. S’il serait trop demander que d’exiger de Baidu qu’il vérifie l’authenticité de l’information médicale sur Internet, certains suggèrent de se tourner
vers l’État. Néanmoins, la partie suivante montrera que le gouvernement
échoue également depuis de nombreuses années à contrôler la diffusion d’informations médicales erronées. Une enquête journalistique a révélé que ceci
pouvait être attribué à des tractations politiciennes non officielles entre des
intérêts privés des acteurs du web chinois et le gouvernement (21).
医疗广告管理办法 ), il n’est pas clair que cette législation s’applique au
contenu de l’information médicale sur Internet dans le cas de Baidu. L’AEIC,
qui contrôle la publicité sur Internet en Chine, n’avait pas donné de réponse
claire quant à ce qu’elle considérait être de la publicité en ligne jusqu’à la
promulgation récente des « Mesures temporaires pour l’encadrement des
publicités en ligne » (Hulianwang guanggao guanli zanxing banfa 互联网广
告管理暂行办法) peu après le décès de Wei Zexi en août 2016 (22). Avec les
Mesures temporaires, l’information fournie par Baidu à travers son système
de référencement payant est enfin considéré comme de la « publicité » et
son contenu est par conséquent soumis à un contrôle de l’État. Song Yahui
宋亚辉, de la faculté de droit de l’Université de Nankin, a estimé que 90 %
des publicités médicales actuellement en ligne n’auraient pas été autorisées
par le gouvernement si les « Mesures pour l’encadrement de la publicité
médicale » avaient été en vigueur au moment de leur diffusion (23). Il s’est
également inquiété de la définition juridique d’« annonceur », qui, d’après
la loi, implique que celui-ci soit capable de vérifier le contenu des publicités.
S’il est pratiquement impossible pour un service Internet de vérifier l’authenticité des contenus publiés par des clients qui paient pour les diffuser,
cela crée potentiellement un vide dans lequel les entreprises Internet peuvent s’engouffrer pour échapper à leurs responsabilités pénales (24).
L’inaction du gouvernement et des géants de l’Internet a poussé les citoyens à demander l’élimination des informations médicales mensongères
publiées sur la toile. Depuis janvier 2016, 36 groupes d’intérêt public dans
le secteur de la santé se sont réunis et ont dénoncé Baidu à l’AEIC pour
avoir massivement diffusé sur Internet des informations médicales mensongères. Ils ont également fondé l’« Alliance d’intérêt public pour la lutte
contre les fausses publicités médicales sur Internet » (Hulianwang yiliao
guanggao dajia gongyi lianmeng 互联网医疗广告打假公益联盟) et ont attiré l’attention de l’opinion sur cette question grâce à une campagne de pétitions, des dépôts de plaintes à l’AEIC et la recherche d’appuis de
représentants à l’Assemblée nationale populaire et à la Conférence consutative politique du peuple chinois (25).
Une zone aux contours flous : législation sur
la publicité et information médicale sur la
toile chinoise
21. Zhou Dongxu, « Chule Baidu hulianwang guanggao xingui huan hui yingxiang naxie jutou » (Mis
à part Baidu, quels autres géants seront touchés par la nouvelle législation sur la publicité sur Internet), Caixin, 9 juillet 2016, http://opinion.caixin.com/2016-07-09/100964707.html (consulté
le 18 août 2016).
La polémique commence lorsqu’il s’agit de s’accorder sur une définition
de la « publicité » dans les résultats des moteurs de recherche sur Internet.
Baidu affirme que l’information donnée par son service de référencement
payant ne peut être assimilé à de la publicité. Si les résultats des recherches
effectuées sur Baidu apparaissent avec la mention « Diffusion » (tuiguang
推广), cette formulation est critiquée pour être peu claire, ou bien la page
entière donne des résultats de cette nature. Malgré l’adoption récente de
la « Loi sur la publicité » en 2015 (Guanggao fa 广告法) et des « Mesures
pour l’encadrement de la publicité médicale » (Yiliao guanggao guanli banfa
No 2016/4 • perspectives chinoises
18. Li Yan, He Chunmei, Qu Yunxu, Zhaohan, Chen Jiahui, « Putian ji + Baidu: wei qian si guo, you wei
qian zai yiqi » (Le Clan Putian et Baidu : l’argent au cœur de leur rupture puis de leur réconciliation), art. cit.
19. « Putian ji gongsi bei pu he 80 yu jundui yiyuan hezuo shouru shiduoyi » (Les entreprises du Clan
de Putian collaboreraient avec plus de 80 hôpitaux militaires et feraient plus d’un milliard de
yuans de bénéfices), IFeng, 4 mai 2016, http://news.ifeng.com/a/20160504/48672362_0.shtml
(consulté le 14 août 2016).
20. Chai Huiqun, « Tamen shi zai biliangweichang pu ji yisheng zi jie yiyuan xi jin shu » (Ils nous poussent à l’immoralité : des médecins du Clan de Putian révèlent comment les hôpitaux engrangent
des profits), Southern Weekly, 12 mai 2016, www.infzm.com/content/117026 (consulté le 12
août 2016).
22. Wen Rujun et Shi Aihua, « Zhiyuanzhe cengdi shenqing pan zhongzhi wangluo jia guanggao »
(Des bénévoles signent une pétition dans l’espoir d’éliminer les publicités mensongères en ligne),
Fazhi Wanbao, 3 mai 2016, http://dzb.fawan.com/html/2016-05/03/content_600583.htm
(consulté le 19 août 2016).
23. Zhou Dongxu, « Chule Baidu hulianwang guanggao xingui huan hui yingxiang naxie jutou » (Mis
à part Baidu, quels autres géants seront touchés par la nouvelle législation sur la publicité sur Internet), art. cit.
24. Ibid.
25. « Hanjian bing zuzhi xiang guojia gongshang zongju jubao xujia yiliao guanggao » (L’association
des maladies rares signale des publicités mensongères à l’AEIC), Southern Daily, 15 mars 2016,
http://kb.southcn.com/content/2016-03/15/content_144115526.htm (consulté le 22 août 2016);
« Gongshang zongju shouli Baidu tuiguang she guanggao » (L’AEIC accepte des plaintes dénonçant
les pratiques de diffusion de Baidu comme de la publicité), New Beijing Times, 4 mai 2016,
http://epaper.bjnews.com.cn/html/2016-05/04/content_633765.htm (consulté le 22 août 2016).
87
Actua l i té s
Le système de soins chinois et l’Armée
populaire de libération
En plus de Baidu, les hôpitaux militaires sont un autre acteur impliqué
dans l’incident Wei Zexi. Si l’accès public aux hôpitaux militaires peut servir
à compléter une offre publique limitée, le cœur du problème réside dans le
manque de transparence au sujet de la collaboration entre l’Armée populaire
de libération (APL) et des entreprises médicales privées, qui utilisent la
marque de l’armée pour faire des affaires sans le faire savoir à l’opinion.
Depuis quelques années, être malade en Chine s’accompagne souvent de
deux problèmes majeurs : le coût élevé des soins (kanbing gui 看病贵) et la
difficulté de consulter des médecins (qualifiés) (kanbing nan 看病难). D’un
point de vue structurel, le phénomène peut s’expliquer par l’apport insuffisant d’argent public injecté dans le système de soins en général et par les
disparités entre différents niveaux de gouvernement et différentes régions (26). Depuis 1985, le système de soins a été réformé dans le sens d’une
plus grande marchandisation. Les subventions gouvernementales du système de soins ne cessent de diminuer et une proportion croissante du coût
de la santé est à la charge des gouvernements locaux (27). Dans ce contexte,
les gouvernements locaux subissent la pression financière de devoir fournir
des soins de qualité avec des ressources limitées. Les hôpitaux publics se
voient ainsi dans l’obligation de trouver des sources de financement alternatives aux subventions gouvernementales, ce qui conduit à transformer
les hôpitaux publics en institutions à but partiellement lucratif et contribue
à l’augmentation des frais médicaux pour les patients. Dans le même temps,
l’attribution de ressources limitées en matière de santé se concentre à l’extrême sur un petit nombre d’hôpitaux d’élite situés dans des villes riches
comme Pékin et Shanghai. Les patients de diverses régions de Chine ont, de
manière générale, l’impression que les cliniques locales sont moins bien
équipées et emploient des médecins moins qualifiés, tandis que les hôpitaux
provinciaux disposent d’infrastructures médicales mieux équipées et emploient des médecins considérés comme plus dignes de confiance en termes
de qualité des soins et de normes médicales. La conséquence de cette impression est que, devant ces hôpitaux, se massent de longues queues de patients venant des quatre coins de la Chine, rendant difficile l’obtention d’un
rendez-vous avec un médecin.
L’ouverture au marché du système de soins chinois était censée en partie
débloquer la situation décrite plus haut grâce à l’introduction de capitaux
privés dans le système, de sorte qu’une plus grande gamme de traitements
médicaux d’une part, et de prix d’autre part, soit proposée aux patients. Cependant, cet objectif n’a pas encore été atteint.
Depuis les années 1990, des entreprises médicales privées détenues par
le Clan de Putian ont fait fortune en se spécialisant dans les maladies de
peau et dans les maladies non couvertes par l’assurance maladie, un marché
de niche que le secteur public ne peut satisfaire. Elles sont également parvenues à collaborer avec des hôpitaux publics en louant des services médicaux dans certains d’entre eux à des fins lucratives. Néanmoins, en 2000, le
Conseil des affaires d’État avait publié les « Opinions concernant la mise
en œuvre d’une gestion indépendante des instituts médicaux urbains »
(Guanyu chengzhen yiliao jigou fenlei guanli de shishi yijian 关于城镇医疗
机构分类管理的实施意见) dans le but de décourager la collaboration entre
public et privé sous la forme d’une externalisation des services médicaux.
Le ministère de la Santé de l’époque avait également pris un certain nombre
d’autres mesures destinées à lutter contre ce type de collaborations publicprivé en 2004 (28).
88
Dans le but de renflouer les hôpitaux militaires et d’y former des médecins,
la Commission militaire centrale (CMC) autorise les hôpitaux qu’elle administre à participer au marché de la santé et à fournir des services payants à
la population civile depuis les années 1990. Du fait du statut spécial de l’armée dans le système politique chinois, ces hôpitaux administrés par l’armée
échappaient à la supervision civile du ministère de la Santé. Par conséquent,
l’armée a continué à collaborer avec des entreprises du Clan de Putian en
externalisant des services médicaux jusqu’aux révélations concernant l’incident Wei Zexi. Si la collaboration entre public et privé ne nuit pas forcément aux patients, les accords entre l’armée et le privé étaient la plupart
du temps conclus de manière non transparente et grâce à des guanxi (relations personnelles) entre des responsables de l’armée et le Clan de Putian (29).
Non seulement les accords de cette nature sont susceptibles de faire le lit
de la corruption, mais le fait qu’ils soient inconnus du grand public induit la
population en erreur quant à la nature et à la qualité du traitement médical
qu’ils sont en droit d’attendre. Wei Zexi est une des victimes de cette
confiance indue dans ce type particulier d’hôpital public. En réalité, parmi
les nombreuses mesures visant à réformer l’armée, Xi Jinping avait annoncé
en mars 2016, avant l’incident Wei Zexi, la fin programmée de la pratique
consistant pour l’armée à proposer des services rémunérés (30). Cependant,
les progrès dans ce domaine sont lents à se matérialiser et c’est seulement
après l’incident que l’armée a annoncé la mise en œuvre de dispositifs pilotes visant à mettre un terme aux services rémunérés (31).
Les limites de la marchandisation dans le
cadre de la réforme du système de soins
En 2009, la « Nouvelle réforme du système de soins » a été amorcée par
le Conseil des affaires d’État avec la promulgation des « Opinions concernant la poursuite de la réforme institutionnelle du système de soins » (Guanyu shenhua yiyao weisheng tizhi gaige de yijian 关于深化医药卫生体制改
革的意见). Dans les « Opinions », l’accent était mis sur l’importance dans
le système de soins des institutions médicales à but lucratif comme force
complémentaire par rapport aux institutions médicales publiques à but non
lucratif (32). Si la Nouvelle réforme du système de soins confirme la mar26. Kai Hong Phua et Alex Jingwei He, « Healthcare Reform: Where Is China Heading? », in Litao Zhao
(éd.), China’s Social Development and Policy: Into The Next Stage?, New York, Routledge, 2013.
27. Ibid.
28. Zhang Yue et Wang Leping, « Putian ji: youyi zhong cheng wangguo – Zhongguo de minying
yiyuan bacheng du shi tamen de » (Le Clan de Putian : les médecins itinérants deviennent un empire : 80 % des hôpitaux privés chinois leur appartiennent), art. cit.
29. Juan Zong, « Yige sizai Baidu he budui yiyuan zhi shou de nianqingren » (Un jeune homme meurt
aux mains de Baidu et d’un hôpital administré par l’armée), Weibo, 1er mai 2016,
http://tech.qq.com/a/20160501/012212.htm (consulté le 22 août 2016).
30. « Bushu jundui he wujingbudui quanmian tingzhi youchang fuwu gongzuo » (La CMC prépare
l’armée et les forces de police armées à complètement cesser de fournir des services payants),
Xinhua, 27 mars 2016, http://news.xinhuanet.com/politics/2016-03/27/c_1118454667.htm
(consulté le 22 août 2016).
31. Mak Yin-ting, « Wei Zexi siwang hou 24 ge jiefanghun ji wujing danwei daitou tingzhi youchang
fuwu » (24 unités de l’Armée populaire de libération et de la police armée mènent le mouvement
pour mettre fin à tous les services facturés après l’incident Wei Zexi), RFI, 8 mai 2015,
http:// trad.cn.rfi.fr/%E4%B8%AD%E5%9C%8B/20160508%E9%AD%8F%E5%89%87%E8%A5%BF%E6%AD%BB%E4%BA%A1%E5%BE%8C24%E5%80
%8B%E8%A7%A3%E6%94%BE%E8%BB%8D%E5%8F%8A%E6%AD%A6%E8%AD%A6%E5%
96%AE%E4%BD%8D%E5%B8%B6%E9%A0%AD%E5%81%9C%E6%AD%A2%E6%9C%89%E
5%84%9F%E6%9C%8D%E5%8B%99 (consulté le 14 août 2016).
32. « Zhonggong Zhongyang Guowuyuan guanyu shenhua yiyao weisheng tizhi gaige de yijian »
(Opinions concernant la poursuite de la réforme institutionnelle du système de soins par le Conseil
des affaires d’État et le Comité central du PCC), Xinhua, 6 avril 2016,
http://news.xinhuanet.com/newscenter/2009-04/06/content_11138803.htm (consulté le 22 août
2016).
perspectives chinoises • No 2016/4
Anthony H. F. LI – À qui faire confiance quand on est malade ?
chandisation croissante du secteur de la santé, les spécialistes ont débattu
des limites des précédentes stratégies de marchandisation à la lumière de
l’incident Wei Zexi. Leurs débats révèlent en partie les raisons qui expliquent
sans doute pourquoi l’opinion publique ne fait que très peu confiance aux
entreprises médicales privées et pourquoi les problèmes dans le secteur de
la santé persistent.
Nie Riming 聂日明 de l’Institut de droit et finances de Shanghai a fait remarquer que les problèmes liés à la réforme de la santé résultent aussi bien
de l’excès que du manque de réglementation du secteur (33). En ce qui
concerne l’excès de réglementation, Zhu Hengpeng 朱恒鹏 de l’Académie
chinoise des sciences sociales affirmait que le problème central avec la réforme du système de soins chinois réside dans l’incapacité de l’État à marquer clairement la séparation entre son rôle dans l’établissement des règles
concernant le secteur de la santé et celui consistant à administrer des hôpitaux publics à but partiellement lucratif (guanban bu fen 管办不分 ). Le
double objectif de l’État lui permet d’empêcher que des hôpitaux publics
peu performants ne soient écartés du marché tout en maintenant un niveau
élevé d’exigences pour l’entrée sur le marché des concurrents issus du secteur privé (34). Zhu va plus loin en affirmant que le « monopole administratif » du secteur public contribue à préserver la concentration de ressources
médicales limitées entre ses mains (par exemple la couverture maladie universelle), ce qui rend le secteur privé sous-développé en terme de qualité.
De plus, Nie avance que, dans la majorité des cas, le nombre limité d’autorisations délivrées aux entreprises médicales privées dans le cadre de ce
« monopole administratif » ne dépendent pas de leur bonne réputation
mais plutôt des guanxi entre les dirigeants de l’entreprise et les responsables
gouvernementaux (35). Le fait que le Clan de Putian cherche très activement
à tisser des guanxi avec les responsables politiques et que plus de 80 % des
entreprises médicales privées aient un lien avec le Clan de Putian (36) vient
largement étayer son propos. Dans un processus de marchandisation si
faussé, il est peu probable que les patients aient la même confiance dans la
qualité des entreprises médicales privées que dans celle des hôpitaux publics. Si 47 % des hôpitaux étaient privés en Chine en 2013, ils ne représentaient que 14 % des lits hospitaliers et ne soignaient que 10 % de la totalité
des patients chinois (37).
En plus du problème de l’excès de réglementation visant à protéger des intérêts particuliers, le traitement médical à base d’immunothérapie cellulaire
administré à Wei Zexi n’était pas correctement réglementé bien que l’État
ait reconnu sa dangerosité potentielle pour les patients. Les produits utilisés
pour l’immunothérapie cellulaire étaient au départ contrôlés par l’Administration chinoise des produits alimentaires et pharmaceutiques (ACPAP)
jusqu’au moment où en 2005, les dirigeants de l’ACPAP ont été démis de
leurs fonctions pour faits de corruption (38). La fonction régulatrice a par la
suite été transférée au ministère de la Santé, mais quasiment aucune réglementation n’a été appliquée avant 2009, moment où le ministère a promulgué les « Mesures sur la gestion de l’application clinique de la technologie
médicale » (Yiliao jishu linchuang yingyong guanli banfa 医疗技术临床应用
管理办法 ). L’immunothérapie cellulaire a par la suite été classée dans la
« Troisième catégorie de technologie médicale », révélant son potentiel danger moral et alertant sur les grands risques associés (39). Cependant, de nombreuses preuves montrent que le ministère de la Santé n’a pas joué son rôle
de contrôleur (40) et l’usage clinique de l’immunothérapie cellulaire s’est développé en Chine pendant des années sans contrôle adéquat de l’État.
En 2015, une nouvelle mesure visant à réglementer des technologies médicales potentiellement dangereuses a fait peser de nouvelles interrogations
No 2016/4 • perspectives chinoises
sur le contrôle de l’immunothérapie cellulaire. Avec cette nouvelle mesure,
les institutions médicales n’ont plus besoin de demander une autorisation
lorsqu’elles utilisent des technologies médicales de troisième catégorie figurant sur la « Liste restreinte des technologies médicales ayant une application clinique (version 2015) » (Xianzhi lichuang yingyong de yiliao jishu
2015 ban 限制临床应用的医疗技术2015版). Ces institutions médicales sont
simplement tenues de déclarer le recours à ces technologies à la CNSPF et
seront tenues pour responsables en cas de problème. La conséquence de ce
changement est double. Premièrement, la question de savoir si l’utilisation
de l’immunothérapie cellulaire est cliniquement acceptable depuis 2015
reste floue. Deuxièmement, comme l’a fait remarquer Li Qing du Centre de
développement de la science et de la technologie médicales de la CNSPF,
ce changement indique un transfert de la responsabilité de contrôle de la
CNSPF aux institutions médicales qui continuent à utiliser des technologies
médicales de troisième catégorie à des fins cliniques (41). Le problème d’un
contrôle inadapté de l’État n’avait pas inquiété l’opinion avant le décès de
Wei Zexi, après lequel la CNSPF a clarifié le statut de l’immunothérapie cellulaire la qualifiant de « recherche clinique » et a ordonné une suspension
totale de son utilisation (42).
Si la technologie de l’immunothérapie cellulaire n’est peut-être pas nécessairement dangereuse pour les patients, l’apparente absence de contrôle
adéquat de l’État ne permet pas de garantir des normes de sécurité qui protègent la vie des patients qui recherchent ce type de traitement en Chine
et entame la crédibilité des hôpitaux aussi bien publics que privés, étant
donné que, de plus en plus, leurs sources de financement proviennent de la
facturation des mêmes services payants.
33. Nie Riming, « Wei Zexi shijian zhishi yiliao luanxiang de bingshan yijiao » (L’incident Wei Zexi
n’est que la partie immergée de l’iceberg d’un système de soins dysfonctionnel), Financial Times
(Édition chinoise), www.ftchinese.com/story/001067373 (consulté le 23 août 2016).
34. Zhu Hengpeng, « Guan ban bu fenkai yigai nan chenggong » (La réforme du système de soins ne
pourra pas se faire si les pouvoirs publics ne font pas la distinction entre régulation et administration), Huaxia Shijie Wan, 4 juin 2010, http://zl.hxyjw.com/arc_8555 (consulté le 24 août 2016).
35. Nie Riming, « Wei Zexi shijian zhishi yiliao luanxiang de bingshan yijiao » (L’incident Wei Zexi
n’est que la partie immergée de l’iceberg d’un système de soins dysfonctionnel), art. cit.
36. Zhang Yue et Wang Leping, « Putian ji: youyi zhong cheng wangguo – Zhongguo de minying
yiyuan bacheng du shi tamen de » (Le Clan de Putian : les médecins itinérants deviennent un empire. 80 % des hôpitaux privés chinois leur appartiennent), art. cit.
37. Huang Chen, « Zhongguo minying yiyuan: xiao, san, luan tupo nan » (Les hôpitaux privés en Chine :
petits, divers et mal tenus, ils ont du mal à décoller), Caixin, 13 janvier 2014, http://m.datanews.
caixin.com/m/2014-01-13/100628301.html (consulté le 28 octobre 2016).
38. Yuan Duanduan et Li Yajuan, « Aizheng mianyi liaofa, jianguan tingzhi yewu fengkuan guowai jinshen guonei shengxing » (L’immunothérapie cellulaire contre le cancer : une réglementation dépassée et un business juteux à manipuler avec soins à l’étranger mais consommé sans modération
à l’intérieur de nos frontières), Southern Weekly, 4 septembre 2014, www.infzm.com/content/
103914 (consulté le 24 août 2016).
39. Ibid. Le texte intégral des « Mesures sur la gestion de l’application clinique de la technologie médicale » peut être consulté sur www.moh.gov.cn/mohyzs/s3585/200903/39511.shtml (consulté
le 28 octobre 2016).
40. Tandis que l’immunothérapie cellulaire figurait depuis 2009 sur la liste des technologies médicales
de troisième catégorie autorisées, on apprait en 2014 que la CNSPF (qui avait succédé au ministère
de la Santé) n’avait jamais fait de tests sur l’immunothérapie cellulaire et n’avait jamais non plus
autorisé aucune institution médicale à utiliser une telle technologie médicale. Les institutions
professionnelles désignées pour procéder à un examen professionnel rigoureux n’ont jamais abouti
à une seule autorisation malgré le grand nombre de demandes en attente de traitement. Yuan
Duanduan et Li Yajuan, « Aizheng mianyi liaofa », (L’immunothérapie cellulaire contre le cancer :
une réglementation dépassée et un business juteux à manipuler avec soins à l’étranger mais
consommé sans modération à l’intérieur de nos frontières), art. cit.
41. « Weijiwei Li Qing: quxiao disanlei yiliao jishu linchuang yingyong zhunru shenpi yiweizhe
shenme » (Li Qing de la CNSPF : ce que signifie l’invalidation du système d’autorisation de la
technologie médicale de troisième catégorie), Jinri toutiao, 15 septembre 2015,
http://toutiao.com/i6194563719646151170 (consulté le 24 août 2016).
42. « Weijiwei: mianyi xibao zhiliao jishu shu linchuang yanjiu » (Selon la CNSPF, l’immunothérapie cellulaire n’a pas d’autre statut que celui de la recherche clinique), New Beijing News, 6 mai 2016, http://epaper.bjnews.com.cn/html/2016-05/06/content_633976.htm?div=-1 (consulté le 24 août 2016).
89
Actua l i té s
Conclusion
L’incident Wei Zexi a révélé un certain nombre d’enjeux critiques concernant Internet en Chine et une réforme du système de soins allant dans le
sens d’une plus grande marchandisation. Par le passé, le conglomérat médical du Clan de Putian bénéficiait d’un certain flou du droit de la publicité
lorsqu’il diffusait des informations médicales douteuses sur Internet avec
l’aide de Baidu. Le manque de mécanisme fiable de vérification de l’information médicale en ligne a rendu les internautes vulnérables aux tromperies. Jusqu’à l’incident Wei Zexi, sous prétexte de soulager la charge des
hôpitaux publics et du fait du statut particulier de l’armée dans le système
politique, l’Armée populaire de libération a également externalisé les services médicaux des hôpitaux qu’elle administrait vers des entreprises médicales privées situées en dehors de tout contrôle de la société civile. Le
manque de transparence au sujet de collaborations de cette nature entre
public et privé introduit également de la confusion dans l’opinion au sujet
de la nature lucrative et de la piètre qualité des traitements médicaux, ce à
quoi elle ne s’attend pas pour un hôpital public. De plus, la permanence de
l’insuffisance d’argent public pour le financement de l’offre de services de
soins a encouragé le gouvernement à sur-réglementer le marché médical
en fixant un niveau élevé d’exigences pour l’entrée sur le marché afin de limiter la concurrence venant du secteur privé. Le fait que les lois relatives à
la santé manquent de clarté et ne soient pas ou peu appliquées compromettent également la sécurité publique du fait du manque de réglementation sur des technologies médicales dangereuses.
A posteriori, l’incident Wei Zexi a été décisif en ce qu’il a servi de catalyseur qui a poussé le gouvernement à clarifier un certain flou autour de l’information médicale sur Internet et de la réglementation de la technologie
médicale et en ce qu’il a, dans une certaine mesure, accéléré l’abandon progressif des services payants fournis par l’armée. Cette fois-ci, les réponses
du gouvernement ont été plus fermes et plus visibles, avec des actions menées pour éviter la circulation d’informations médicales mensongères et
pour venir au secours de l’image de l’hôpital public à l’aide d’enquêtes.
De plus, il est utile de garder quelques éléments à l’esprit au sujet de l’incident Wei Zexi. Premièrement, en l’absence d’information médicale fiable
en ligne, les cybercitoyens chinois attendent du géant de l’Internet Baidu
qu’il aille au-delà de son activité principale et assume certaines fonctions
de l’État comme la vérification de l’authenticité de l’information médicale
figurant sur sa plateforme, en particulier du fait de sa proximité avec le gouvernement chinois et de son puissant système de censure, qui filtre les messages politiquement sensibles (43). La persistance de l’absence d’agents
officiels aptes à vérifier l’information médicale sur Internet ne conduit pas
à donner aux citoyens chinois des connaissances médicales fiables à partir
de leurs recherches sur Internet et n’apaise en aucun cas les tensions croissantes entre patients et médecins dans la société chinoise contemporaine.
Deuxièmement, la réforme actuelle du système de soins n’encourage pas
les entreprises médicales privées de qualité à rejoindre le marché de la santé
pour soulager la trop grande demande à laquelle doivent faire face les hôpitaux publics dans les plus grandes villes. Actuellement, avec le « monopole
administratif » du secteur public de la santé à but partiellement lucratif et
le fonctionnement opaque des hôpitaux militaires, ce sont les guanxi entre
les dirigeants d’entreprises médicales privées et les responsables gouvernementauxs et non la bonne réputation des institutions de soins qu’elles représentent, qui leur vallent une place sur le marché de la santé. Non
seulement cette situation contribue à la monopolisation du secteur de soins
privé par le Clan de Putian, mais elle décourage également le développement
de services médicaux de qualité fournis par des entreprises médicales privées. L’un dans l’autre, l’état actuel de la réforme du système de soins ne
conduit pas à la construction d’une relation de confiance entre patients et
médecins, car les patients ont tendance à douter du professionnalisme des
médecins du fait de pratiques orientées vers la recherche du profit, tant
dans les hôpitaux publics que privés.
z Traduit par Céline Letemplé.
z Anthony H. F. Li est assistant de recherche au CEFC
([email protected]).
43. Je remercie Séverine Arsène de m’avoir fait remarquer ce point.
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