Prévention des bactériémies liées aux cathéters veineux centraux en hémodialyse: intérêt d’un soin du site d’insertion par un mélange de rifampicine et protamine R. Montagnac1, F. Schillinger1 et C. Eloy2 1 Service de néphrologie-hémodialyse ; Laboratoire de microbiologie, Centre hospitalier de Troyes 2 Au cours des 8,5 dernières années, nous n’avons observé que trois bactériémies sur 249 cathéters de sites différents correspondant à 10 063 jours de cathétérisme veineux central en hémodialyse, soit 0,30 pour 1000 jours-cathéter. Ces bons résultats nous paraissent pouvoir être en grande partie corrélés à l’application préventive, au niveau du site d’insertion des cathéters, d’un mélange de rifampicine et de sulfate de protamine. Ce protocole nous paraît digne d’être connu car, à l’heure actuelle, quels que soient les progrès technologiques, les taux d’infections rapportés dans la littérature sont généralement plus conséquents. During the last 8,5 years, authors observed only 3 bacteremias out of 249 catheters in place in different sites corresponding to a total of 10,063 days with central venous catheterization in hemodialysis (0,30 /1000 catheter days). This good result seems to be correlated mainly with the preventive application, on catheter insertion-site, of a rifampin and protamine sulphate mixture. This protocol appears worthy to be known because, at the present time, whatever the new preventive strategies, infection rates reported in the literature are generally more consequent and it is necessary to consider all the possibilities of decrasing them. Mots-clés : Hémodialyse – Cathéters veineux centraux – Infections liées au cathéter – Prévention des infections – Bactériémie – Rifampicine-protamine. Key words : Hemodialysis – Central venous catheters – Catheter-related infections – Prevention of infections – Rifampin-protamine ointment. ■ Introduction un net avantage de l’association rifampicine-protamine. Cette méthode s’inspirait des travaux de Gagnon et coll.12 qui avaient établi que la protamine offrait un notable effet synergique à l’action de la rifampicine en lui permettant l’accès à Staphylococcus epidermidis à travers le bio-film qui le protège. Une désinfection locale efficace préventivement ne peut bien entendu suffire à tout régler et, à chaque étape de l’implantation et de l’utilisation de ces cathéters veineux centraux, une rigueur draconienne s’impose à tous les acteurs : nous ne manquerons donc pas d’insister aussi sur les autres soins que nous y apportons et qui participent en grande partie à nos résultats. En dépit de son caractère rétrospectif, cette analyse des 8,5 dernières années (1er janvier 1994-30 juin 2002), permet de comparer nos propres données à celles d’autres méthodes préventives publiées (qu’elles soient testées avec ou sans groupes témoins), avec les avantages suivants : pertinence et fiabilité de nos chiffres grâce à l’informatisation de nos données ainsi que de celles de nos laboratoires de microbiologie et Comité de lutte contre les infections nosocomiales ; nombre et durée des cathétérismes colligés ; durée de l’étude qui a permis d’inclure des patients ayant bénéficié de ce protocole à plusieurs reprises. En hémodialyse, le recours aux cathéters veineux centraux, temporaires comme permanents, a pris une place considérable mais donne toujours lieu, et depuis longtemps,1,2,3 à des complications, notamment infectieuses. En dépit des progrès touchant à la connaissance des divers aspects pathogéniques, pratiques, technologiques et médicamenteux,3,4,4,6 aucune parade n’a encore été consensuellement reconnue comme idéale. Leur fréquence ne diminuant pas alors que croissent les résistances bactériennes, les infections systémiques gardent un impact hautement délétère sur la morbi-mortalité des patients7 et sur le coût du traitement.8 Comme à la plupart des auteurs,2,4,9 il nous paraît nécessaire d’envisager toutes les solutions possibles pour réduire ce risque. Ainsi souhaitons-nous rapporter notre expérience du protocole que nous utilisons depuis 1990 à la suite des résultats de notre comparaison des effets de deux désinfections locales différentes (povidone iodée, Bétadine® d’une part et mélange rifampicineprotamine d’autre part) de l’orifice d’insertion de ces cathéters vis-à-vis du risque de bactériémie.10,11 Toute autre différence dans les processus de soins étant exclue, notre étude concluait à Néphrologie Vol. 24 n° 4 2003, pp. 159-165 159 articles originaux Résumé • Summary ■ Matériel et méthodes ● Les patients étudiés Ce sont les dialysés chroniques de notre service qui ont bénéficié du cathétérisme d’une veine centrale pendant au moins cinq jours, soit trois séances de dialyse, pour les raisons suivantes : • Absence d’abord vasculaire fonctionnel lors de la première séance de dialyse. • Abord vasculaire transitoirement inutilisable du fait : – soit de sa thrombose ; – soit d’une infection ou d’un dysfonctionnement. • Prise en charge transitoire en hémodialyse au cours d’un programme de dialyse péritonéale (DP), soit dans l’attente de pouvoir utiliser le cathéter de DP, soit au décours d’un geste chirurgical la contre-indiquant temporairement ● Les cathéters utilisés (tableau I) Si nous privilégions les voies jugulaire interne et fémorale, la voie sous-clavière est encore employée dans certaines circonstances. Les cathéters que nous utilisons sont à lumière unique et ne sont imprégnés ni de sels d’argent ni d’antibiotiques. Comme ils n’ont pas vocation à être un accès permanent, nous ne les tunnellisons pas, même s’il s’agit de cathéters fémoraux.13 Ils sont exclusivement réservés aux seules séances de dialyse et ne servent à aucun apport inter-dialytique, quel qu’il soit. Nous ne les changeons qu’en cas de thrombose ou dysfonctionnement, et jamais systématiquement après une période donnée comme certains ont pu le prôner. Nous ne faisons jamais de verrou antibiotique générateur. En effet, la prise de précautions maximales lors de la pose d’un cathéter veineux central est le premier maillon essentiel pour s’opposer à toute contamination. Le patient est muni d’un bonnet et d’un masque et la zone prévue pour l’insertion du cathéter est largement lavée au savon liquide, rincée, tondue si besoin, puis désinfectée à la povidone iodée par l’IDE. Après nouvelle désinfection et anesthésie locale, l’opérateur met le cathéter en place et le relie à un raccord Y à usage unique auquel sont successivement connectées les tubulures du circuit sanguin dont les extrémités sont rincées préalablement à l’alcool. Le cathéter est ensuite fixé solidement à la peau pendant que la séance de dialyse est initiée. L’IDE s’habille alors chirurgicalement, enlève totalement la povidone iodée avec de l’alcool et réalise alors le premier soin local selon le protocole décrit au paragraphe « Les soins aux branchements et débranchements ». Lorsqu’ils sont nécessaires et que ceci est possible, les changements de cathéter se font sur site : après avoir soigneusement désinfecté l’orifice d’entrée du cathéter en place, l’opérateur introduit un guide métallique dans la lumière de celui-ci qui est ensuite enlevé. Le nouveau cathéter est alors introduit sur le guide, à travers l’orifice cutané d’insertion existant préalablement désinfecté par la povidone iodée. Le protocole de soins est par ailleurs parfaitement identique à celui des poses conventionnelles. Pour celles-ci comme pour les changements sur site, aucune antibioprophylaxie n’est réalisée. ● Le mélange protamine-rifampicine utilisé Il s’agit d’un mélange homogène de 5 ml de sulfate de protamine et de 600 mg de rifampicine injectable avec leurs 10 ml de solvant. Ce mélange est réalisé dans le flacon de rifampicine à la Pharmacie du Centre hospitalier pour un coût d’environ 12 euros. Il est utilisé pour douze à quatorze branchements (soit un coût de moins d’un euro pour chacun), même de patients différents, puisqu’il peut se conserver deux semaines au réfrigérateur. articles originaux ● Leur pose Elle est très rarement faite par l’anesthésiste présent au bloc opératoire lors d’un geste sur l’abord vasculaire mais, dans l’extrême majorité des cas, réalisée par l’un des trois néphrologues seniors du service, en percutané au lit du patient. Dans toute la mesure du possible, cette pose est faite dans une salle de 20 m2 équipée pour ce geste et dans laquelle il n’y a généralement pas d’autre patient concomitamment dialysé. Pendant le geste, la salle est fermée avec en tout, en plus du dialysé, trois personnes : l’opérateur qui, après lavage antiseptique des mains, est habillé chirurgicalement, une infirmière (IDE) porteuse d’un masque et, si besoin, de gants stériles, qui le sert et l’aide, et une aide soignante (AS) qui porte un masque et s’occupe des tubulures et du ● Les soins aux branchements et débranchements Chargés de prévenir réactions cutanées, infections et altération du cathéter, ils sont réalisés selon un protocole strict parfaitement rôdé et scrupuleusement suivi. La remarquable stabilité dans le temps de l’équipe paramédicale permet d’avoir du personnel parfaitement rompu à ce protocole. Ces soins sont réalisés au début de chaque séance d’hémodialyse et, comme nous l’avons vu, dès la première séance au cours de laquelle est implanté le cathéter veineux central. Ceci permet également de contrôler l’aspect de l’orifice et la position du cathéter. Tableau I : Différents cathéters utilisés. Voie recommandée Matériaux Descriptif Référence Fabricant Sous-clavière Polyuréthane 20 cm x 2,7 mm (8 Fr) Hémoclav 254.09 Vygon Jugulaire Polyuréthane 13,5 cm x 2,7 mm (8 Fr) Hémoclav 256.09 Vygon Sous-clavière/jugulaire Polyuréthane 15 cm x 2,7 mm (8 Fr) Flexi-Smooth KS 15 Medcomp, USA Silicone 20 cm x 3,9 mm (12 Fr) Hémocath SSL 1220 M Medcomp, USA Fémorale 160 Néphrologie Vol. 24 n° 4 2003 ● Les prélèvements bactériologiques Nos résultats ne nous ont jamais amenés à envisager, au cours de la période de cathétérisme, de prélèvement régulier systématique de l’orifice d’émergence ou du verrou hépariné des cathéters, dont l’intérêt diverge d’ailleurs selon les auteurs.14,15,16 Par contre, lors de l’ablation du cathéter quelle qu’en soit la raison (abord vasculaire ou cathéter de DP utilisables, thrombose, dysfonctionnement), nous réalisons une double analyse bactériologique : prélèvement stérile des cinq à six centimètres distaux du cathéter et écouvillonnage de l’orifice cutané d’émergence et de son pourtour immédiat. Généralement, cette ablation du cathéter est programmée et le soin antiseptique local n’est pas effectué au début de la séance afin de limiter la possibilité de faux négatifs liés à la présence de rifampicine. L’examen bactériologique de l’extrémité du cathéter est réalisé selon la technique quantitative de Brun-Buisson.17,18 Cette extrémité distale est placée dans un tube contenant 1 ml de sérum physiologique et elle est « vortexée » durant une minute. Dix microlitres prélevés à l’oese calibrée sont ensemencés sur une gélose Columbia avec 5% de sang de mouton. L’incubation est de 48 heures à 35°C. Le cathéter est considéré colonisé si le nombre d’unités formant colonies (UFC) est supérieur ou égal à 1000/ml. L’écouvillonnage de l’orifice est ensemencé sur une gélose Columbia avec 5% de sang de mouton, incubée 48 heures à 35°C. Le seuil de significativité est un nombre de colonies mono- Néphrologie Vol. 24 n° 4 2003 microbiennes supérieur à 50, faisant réaliser l’identification du germe et un antibiogramme. ● Sensibilité des staphylocoques La sensibilité des staphylocoques isolés dans les hémocultures, sur les cathéters ou les orifices, comme celle des Staphylococcus aureus en portage nasal est testée vis-à-vis de la méticilline et de la rifampicine selon les recommandations de la Commission des antibiotiques de la Société française de microbiologie (CA-SFM). ● Recherche d’anticorps anti-rifampicine Nous n’avons pas effectué de nouvelles recherches d’anticorps anti-rifampicine puisque nous avions précédemment établi19 ne pas en avoir observé, la dose de rifampicine utilisée et son mode d’application étant en deçà du risque immunologique ■ Résultats ● Nombre de cathéters Pendant la période de 8,5 ans analysée, 249 cathéters ont été posés en des sites différents chez 173 patients différents (91 hommes et 82 femmes): 121 en veine jugulaire interne, 71 en veine fémorale, 57 en veine sous-clavière, pour les raisons suivantes: • Attente d’un premier abord vasculaire fonctionnel : 92 fois. • Thrombose de l’abord vasculaire utilisé : 102 fois. • Dysfonctionnement ou infection : 30 fois. • En vue ou en cours d’un traitement par dialyse péritonéale : 15 fois. Certains patients ont pu avoir plusieurs périodes de cathétérisme (tableau II). Tableau II : Nombre de patients ayant bénéficié de plusieurs cathétérismes au cours de l’étude. Nombre d’épisodes différents Nombre de patients 2 3 4 5 6 8 11 10 4 4 2 1 Dans ces 239 indications, 249 cathéters ont été implantés du fait qu’il a été nécessaire dix fois, au cours d’une même période de cathétérisme, de changer de site veineux en raison de dysfonctionnements voire de thromboses du cathéter : fémoral en jugulaire (4 fois) ou en sous-clavier (2 fois) ; jugulaire en sous-clavier (3 fois) ou l’inverse (1 fois). La durée totale d’implantation des cathéters est de 10 063 jours (soit 27,6 années-cathéter) ainsi répartis (tableau III) : 5110 jours en veine jugulaire, 2858 en veine fémorale et 2095 en veine sous-clavière. La pose de 96% de ces cathéters (et la totalité des changements) a été faite par un néphrologue du Service dans la pièce réservée à cet effet, et dans 73% des cas, en l’absence d’autre patient. 161 articles originaux Un masque et un bonnet sont mis au patient. Le pansement en place est enlevé. La zone cutanée concernée est alors savonnée, en évitant le pourtour immédiat de l’orifice du cathéter, puis rincée avec du sérum physiologique. Après avoir mis un bonnet, enlevé bagues, bijoux et montre, et s’être lavé les mains de façon aseptique, l’IDE s’habille chirurgicalement avec casaque, masque et gants stériles. L’AS qui se charge, pendant les soins, de lui passer le matériel, assurera ensuite le fonctionnement du générateur. Des champs stériles sont disposés autour de l’orifice du cathéter pour recevoir le matériel nécessaire. Le branchement du raccord Y puis des tubulures se fait de la même manière que lors de la pose du cathéter et la séance peut débuter. La zone péri-orificielle est ensuite désinfectée avec de l’alcool à 70°. Le flacon contenant la rifampicine et la protamine est agité par l’AS jusqu’à ce que le mélange soit homogène. Avec une seringue à calciparine, l’IDE prélève 1 ml de la préparation à travers le bouchon du flacon de mélange, préalablement désinfecté par de la povidone iodée. La moitié est instillée doucement sur l’orifice d’émergence du cathéter. Une compresse stérile est ensuite fendue, glissée autour de l’émergence du cathéter et imbibée du demi-millilitre de mélange restant. Le tout est recouvert de quelques compresses stériles puis d’un pansement stérile transparent qui laisse libre l’extrémité du cathéter, avec son clamp, fixée aux tubulures. Ce pansement restera en place jusqu’à la séance suivante. A la fin de la séance, l’IDE et l’AS font le débranchement dans les mêmes conditions d’asepsie que pour le branchement. Le raccord Y est enlevé, un verrou hépariné réalisé et l’embout du cathéter désinfecté à l’alcool avant d’être obturé par un nouveau bouchon. La portion libre de cathéter est placée entre quelques compresses sous un deuxième pansement jouxtant le précédent et restant comme lui en place jusqu’à la séance suivante. Tableau III : Durée d’implantation des cathéters selon leur voie d’insertion (en jours). Site du cathéterisme Jugulaire interne Fémoral Sous-clavier Durée totale par site 5110 2858 2095 42 ± 38 40 ± 29 42 ± 40 6-265 6-279 5-177 Durée moyenne par cathéter Extrêmes Par contre, seulement 37% des branchements pour les séances ont été réalisés dans cette pièce et en l’absence d’autre dialysé. Les autres branchements ont été soit assurés dans cette salle, mais avec un voisin en cours de dialyse, soit dans d’autres salles. articles originaux ● Les infections générales observées Pendant cette période, trois bactériémies (fièvre avec ou sans frissons, hyperleucocytose, hémocultures périphériques positives) ont été diagnostiquées et rapportées au cathéter veineux central en place (pas d’autre cause d’infection ; mise en évidence du même germe aux hémocultures et aux prélèvements locaux). Ceci correspond à un épisode pour 3354 jours, soit une incidence de 0,11 par année-cathéter, de 0,30 pour 1000 jourspatients de cathétérisme ou encore de 1/83 cathéters. Le premier patient est âgé de 41 ans lorsqu’il est pris en charge en hémodialyse le 29 juillet 1995 pour une insuffisance rénale terminale sur néphropathie glomérulaire chronique non étiquetée. En l’absence d’abord vasculaire, un cathéter est implanté en veine fémorale droite. Le 14 août, devant l’apparition d’une fièvre à 38°8, bien tolérée, mais d’une suppuration à l’orifice de sortie du cathéter, ce dernier est enlevé et le patient mis sous antibiotiques. Les prélèvements locaux et les hémocultures confirment la bactériémie à S. aureus, résistant à la méticilline et à la rifampicine. L’évolution est favorable sous antibiothérapie adaptée. Il ne présente ni surcharge martiale ni dénutrition mais une hygiène corporelle douteuse, ce qui ne l’empêchera pas de bénéficier encore, jusqu’à sa transplantation rénale le 23 juin 1996, de deux nouvelles périodes de cathétérisme (une en jugulaire pendant 19 jours et une en fémorale pendant 33 jours) pour thrombose de son abord, sans récidive infectieuse. Le deuxième patient, âgé de 76 ans, présente une néphropathie vasculaire dans un contexte de diabète insulino-requérant, avec artérite diffuse sévère. Il doit être traité en urgence par hémodialyse en raison d’une défaillance cardiaque globale s’accompagnant d’une décompensation brutale et terminale de son insuffisance rénale. L’absence d’abord vasculaire fait mettre en place un cathéter en veine jugulaire interne droite le 2 février 1996. Le 15 mars, il présente une hyperthermie à 39°5 avec frissons et une thrombose du cathéter. Celui-ci est enlevé avant mise sous antibiotiques, et les hémocultures comme les prélèvements locaux retrouvent un S. aureus résistant à la méticilline et à la rifampicine. Il n’y a aucun problème évolutif et jusqu’à son décès en janvier 2001 pour dénutrition et dépression sévère à la suite d’une amputation de membre inférieur, ce patient ne présentera aucune récidive infectieuse. La troisième patiente est âgée de 58 ans lorsqu’elle débute, le 30 juin 1999, l’hémodialyse itérative pour une insuffisance rénale terminale sur diabète de type 2 insulino-requérant. Rapidement elle présente un eczéma généralisé faisant évoquer un syndrome de Sézary du fait de la sévérité de l’atteinte de l’état général, des troubles hémato-immunologiques et de l’aspect histologique. Parallèlement, le diabète se décompense à la faveur des fortes doses de corticoïdes locaux et un dysfonctionnement de son abord vasculaire amène à la pose d’un cathéter en veine fémorale droite. En peu de temps se développe un tableau septique pour lequel prélèvements locaux et hémocultures mettent en évidence un S. aureus résistant à la méticilline et à la rifampicine. L’évolution est progressivement satisfaisante malgré un état général précaire. Trois ans et demi après, aucune complication septique n’a été décelée. ● Les prélèvements locaux Deux cent douze double prélèvements (extrémité et orifice de sortie du cathéter), correspondant à 85% des cathéters insérés, ont pu être réalisés et analysés dans de bonnes conditions. Les résultats manquants sont liés à des transferts ou à des décès (sans lien avec le cathéter) n’ayant pas permis de prélèvement. Cent trente et un (soit 61,8%) de ces double prélèvements étaient stériles pour 67 cathéters jugulaires, 31 cathéters fémoraux et 33 sous-claviers. Pour dix-sept cathéters, les prélèvements de dix-sept extrémités (soit 8%) et de seize orifices d’insertion (7,5%) se sont avérés positifs de façon significative selon les critères établis : six fois à S. aureus et vingt-sept fois à S. epidermidis (tableau IV). L’analyse de la totalité des organismes isolés, même à un taux non significatif, indique que du S. aureus a été isolé cinq fois en même temps à l’extrémité et à l’orifice de sortie du cathéter (2 jugulaires, 2 fémoraux et 1 sous-clavier) et quatre fois à l’orifice seulement (pour 3 cathéters fémoraux et 1 sous-clavier), soit au total quatorze souches, toutes résistantes à la méticilline et à la rifampicine. Un autre organisme que S. aureus a été isolé quarante fois en même temps à l’extrémité et à l’orifice de sortie du cathéter (23 jugulaires, 14 fémoraux et 3 sous-claviers), vingt- Tableau I V : Positivité des prélévements bactériologiques selon le site d’insertion. Site du cathétérisme Staphylococcus aureus à l’orifice et à l’extrémité Jugulaire Fémoral Sous-clavier Total 1 fois 1 fois 1 fois 6 souches 9 fois 2 fois 2 fois 26 souches Staphylococcus aureus à l’orifice seulement Staphylococcus epidermidis à l’orifice et à l’extrémité Staphylococcus epidermidis à l’orifice seulement Staphylococcus epidermidis à l’extrémité seulement 162 1 fois 1 souche Néphrologie Vol. 24 n° 4 2003 qui nous a paru correct est maintenu en permanence. D’autre part, la stabilité de notre personnel médical et paramédical est le garant d’une formation, d’un entraînement, d’une attention et d’une application stricte des protocoles établis, permettant de parler de « spécialisation ». Cette qualification nous paraît, comme à d’autres, un point essentiel4-6,8,23-25 mais il faut en permanence veiller à ne pas céder aux effets pervers de la routine. Ces critères (formation, moyens, ratio soignants/patient) devraient apparaître dans les publications pour en étayer au mieux la comparaison des résultats. Par ailleurs, nous essayons, dans toute la mesure du possible, de ne pas garder les patients hospitalisés car les résultats sont considérés comme meilleurs en ambulatoire.25 De plus, chez les hospitalisés, nous réservons l’utilisation des cathéters à la seule dialyse. Très tôt, l’élaboration d’un protocole de soins locaux préventifs, comme préconisé par certains,6,21,26-29 nous a paru primordiale. Après une période d’utilisation de la povidone iodée, nous avons opté, dès 1990, pour le mélange rifampicine-protamine à la suite de notre étude préliminaire ; celle-ci, comparant ce mélange à la povidone iodée (les conditions de pose, de pansements et de branchements-débranchements étant par ailleurs identiques), indiquait des résultats supérieurs.10,11 Contrairement à notre travail initial, la présente étude ne comporte plus de groupe témoin mais, portant sur une période beaucoup plus longue, confirme l’efficacité de ce soin et l’absence d’inconvénients chez les patients en ayant bénéficié pendant de longues durées et/ou à plusieurs reprises. Aucun phénomène d’irritation locale n’a nécessité l’arrêt de ce soin et aucun cathéter n’a posé de problème de dessication, fissuration voire rupture comme ceci a pu être décrit31,32 pour des cathéters de dialyse péritonéale en polyuréthane avec l’utilisation locale de mupirocine, amenant certains5 à la contre-indiquer au niveau des sites d’insertion des cathéters d’hémodialyse. La spécificité essentielle de notre protocole nous paraît résider dans l’application de ce mélange dès la première séance, c’est-à-dire après préparation aseptique de la peau et avant toute infection. Elle est ensuite renouvelée à chaque dialyse tout au long de la période de cathétérisme, ce qui équivaut à la fréquence des trois pansements par semaine qui paraît nécessaire à de bons résultats.23 Ainsi, cette combinaison assure pleinement son rôle préventif vis-à-vis de la cascade d’événements pouvant mener de la colonisation staphylococcique, par voie extraluminale, du site d’émergence ou de son pourtour (points d’amarrage du cathéter par exemple) à celle du cathéter, avec génération d’un biofilm, puis à la complication infectieuse systémique. Ces résultats favorables plaident en faveur du rôle important de porte d’entrée que représente l’orifice cutané d’insertion du ■ Discussion Ce chiffre d’une bactériémie pour 3354 jours de cathétérisme veineux central, sans tunnellisation quel qu’en soit le site d’implantation, est inférieur à nombre de taux rapportés dans la littérature.1,3,4,7,9,20,21 Il sous-estime de plus la qualité de nos résultats puisqu’il ne porte que sur les 8,5 dernières années, fiablement informatisées, alors que notre protocole est utilisé depuis onze ans et que nous n’avons pas retrouvé, ni dans nos archives ni dans celles du CLIN et du Département d’information médicale de notre centre hospitalier, d’autres bactériémies liées à un cathéter veineux central entre le début d’utilisation de ce protocole et la date de début de la présente étude. Nos deux études préliminaires, dont les chiffres ne sont pas inclus dans celles-ci, indiquaient déjà l’absence de bactériémie10,11 pendant les périodes analysées. Dans une démarche assurance qualité, il nous paraît tout à fait opportun de présenter tous les aspects qui nous paraissent essentiels dans notre gestion des cathéters veineux centraux. Tout d’abord, il faut insister sur nos conditions rigoureuses d’implantation et d’utilisation des cathéters.4,22 Il faut en effet se donner les moyens en temps, personnel et matériel, même si cela représente un coût non négligeable.22 D’une part, pour la réalisation de ces gestes dans notre service, le ratio soignants/patient Tableau V : Pourcentage de staphylocoques résistants à la méticilline et à la rifampicine. Staphylococcus aureus Total KT et orifices Staphylococcus epidermidis Nez Total KT et orifices Centre hospitalier • Nombre de souches 2552 222 424 563 198 • Résistance à la méticilline 38,60% 64,70% 34,90% 70,60% 77,50% • Résistance à la rifampicine 6,90% 30,20% 6,10% 27,30% 37,40% • méticilline 0 à 86 0 à 100 0 à 94 0 à 100 0 à 100 • rifampicine 0 à 50 0 à 94 0 à 24 0 à 83 0 à 100 Extrêmes selon les services Etude sur trois ans au sein de Centre hospitalier de Troyes. Néphrologie Vol. 24 n° 4 2003 163 articles originaux quatre fois à l’orifice seulement (pour 13 cathéters jugulaires, 9 fémoraux et 2 sous-claviers) et huit fois à l’extrémité seulement du cathéter (3 jugulaires et 5 fémoraux), soit cent douze souches au total. Il s’agissait de S. epidermidis dans 91% des cas, résistant à la méticilline pour 55% et à la rifampicine pour 92,6%. Un seul des trois patients ayant fait une bactériémie était aussi porteur nasal d’un Staphylococcus aureus, résistant aux deux antibiotiques. Ces données peuvent être rapprochées d’une étude réalisée au sein de notre centre hospitalier (680 lits de médecine-chirurgie-obstétrique et 240 lits de moyen et long séjours), comparant les souches et les résistances des staphylocoques isolés, tous sites de prélèvements confondus, pendant trois ans (1999 à 2001) (tableau V). Au sein des souches identifiées ont été individualisées celles qui provenaient des extrémités de tous les cathéters, de leurs orifices d’insertion, et des narines. La résistance à la méticilline concernait 64,7% des S. aureus et 77,5% des S. nonaureus isolés au niveau des cathéters (de tous types) et de leurs orifices d’insertion ; celle à la rifampicine en concernait respectivement 30,2 et 37,4%. cathéter4,7.20,27,29,30 par rapport à une colonisation à partir d’un foyer infectieux à distance ou par contamination intraluminale liée aux manipulations. C’est pour lutter contre cette dernière qu’il nous paraît indispensable de garder les exigences d’hygiène et d’asepsie pour les poses, les pansements et les branchements que nous avons antérieurement décrites et qu’aucun progrès médicamenteux ou technologique ne peut remplacer ni supplanter.5,9 Même si ce travail n’a pour vocation que l’étude des infections systémiques, nous rapportons les résultats des prélèvements bactériologiques faits localement lors de l’ablation des cathéters (tableau IV). La forte prévalence des résultats négatifs ne nous paraît pas s’expliquer par une interférence du mélange rifampicine-protamine sur les prélèvements car le soin local n’est pas fait lors de la séance à la fin de laquelle sont réalisés l’ablation du cathéter et ces prélèvements. Le développement d’une résistance à la rifampicine peut être envisagé comme un inconvénient de l’utilisation de ce mélange rifampicine-protamine. Nous pensons néanmoins qu’il est largement contrebalancé par la très faible incidence des bactériémies que nous avons observées et pu traiter sans problème majeur et sans suite préjudiciable. Par ailleurs, les patients qui, au cours de la période analysée, ont eu, avec ce protocole, des durées de cathétérisme très longues, voire plusieurs épisodes différents (tableau II), n’ont pas, pour autant, présenté de complications infectieuses. ■ Conclusion articles originaux La maîtrise des complications infectieuses liées aux cathéters veineux centraux en hémodialyse est soumise à plusieurs conditions : qualification du personnel médical et paramédical ; moyens en personnel et en matériel ; respect de protocoles fiables pour les différentes étapes d’utilisation et de soins. Au sein de ces derniers, nous avons inclus l’application préventive, à chaque séance de dialyse dès la première, d’un mélange de rifampicine et de sulfate de protamine sur l’orifice d’insertion des cathéters. Cette mesure simple, tout à fait bien tolérée et d’un faible coût, nous donne d’excellents résultats. Ceux-ci méritent d’être confirmés par d’autres équipes, éventuellement avec des protocoles comparant ce soin à d’autres moyens de prévention, afin de mieux en préciser l’intérêt et la place dans l’arsenal thérapeutique actuellement à notre disposition. Remerciements Nos remerciements vont à toute notre équipe soignante sans laquelle ces résultats ne pourraient pas être obtenus. Références 1. Dahlberg PJ, Yutuc WR, Newcomer KL. Subclavian hemodialysis catheter infections. Am J Kidney Dis 1986 ; 7 : 421-7. 2. Jean G. Incidence et facteurs de risque des infections des cathéters pour l’hémodialyse. Néphrologie 2001 ; 22 : 443-8. 3. Nassar GM, Ayus JC. Infectious complications of the hemodialysis access. Kidney Int 2001 ; 60 : 1-13. 4. Bach A. Prevention of infections caused by central venous catheters-established and novel measures. Infection 1999 ; 27 (Suppl. 1) : S11-5. 5. Mermel LA. 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