La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 4 - août 1998 165
AU COURS DE LA PANCRÉATITE AIGUË ?
Les sécrétions pancréatiques sont stimulées par l’administration
de nutriments dans l’estomac ou le duodénum. Cependant, si,
chez le chien, l’administration d’un mélange élémentaire dans
l’estomac augmente nettement le volume des sécrétions pan-
créatiques et en modifie la composition, aucun effet n’est obser-
vé lorsque les nutriments sont administrés dans le jéjunum (14).
Chez l’homme, Vidon et coll. ont montré que l’administration
intrajéjunale d’un mélange polymérique entraînait, pour une
charge énergétique élevée, une diminution des sécrétions pan-
créatiques (15). Ainsi, la nutrition entérale en site jéjunal est
théoriquement possible chez les malades avec une pancréatite
aiguë grave. Elle a l’avantage potentiel par rapport à la nutrition
parentérale de diminuer le risque infectieux sur cathéter, surtout
elle pourrait diminuer le risque de translocation bactérienne. À
l’inverse, chez des malades qui présentent souvent un iléus
réflexe, elle peut être techniquement difficile. McClave et coll.
ont comparé la nutrition entérale par sonde naso-jéjunale à la
nutrition parentérale chez des patients hospitalisés pour une
pancréatite aiguë d’intensité modérée (16). Aucune différence
n’était notée entre les deux groupes en ce qui concerne l’évolu-
tion de la douleur et la normalisation de l’amylasémie. Le score
de Ranson, identique dans les deux groupes au début de l’étude,
était plus bas au sixième jour dans le groupe nutrition entérale
que dans le groupe nutrition parentérale. Bien que cette étude
démontre la faisabilité de la nutrition entérale intrajéjunale au
cours de la pancréatite aiguë, elle s’est intéressée à des pan-
créatites aiguës modérément sévères, où il n’est pas certain que
le support nutritionnel était toujours justifié. Par contre, un tra-
vail récent a comparé les deux techniques de nutrition au cours
des pancréatites aiguës sévères (17). Trente-huit malades ont été
randomisés en deux groupes. Le premier (n = 18) recevait une
alimentation entérale semi-élémentaire par sonde naso-jéjunale,
le second (n = 20) recevait une nutrition parentérale à l’aide
d’un cathéter central. L’alimentation entérale a été bien tolérée
et les malades traités de la sorte présentaient moins de compli-
cations (p < 0.05), notamment septiques (p < 0.01), que ceux qui
étaient traités par nutrition parentérale. Le coût du support nutri-
tif était trois fois moins élevé dans le groupe de malades en ali-
mentation entérale.
L’utilisation du tube digestif est, lorsque cela est possible, tou-
jours préférable à la nutrition parentérale. La nutrition entérale
est actuellement très peu employée au cours des pancréatites
aiguës et mériterait certainement de l’être plus systématique-
ment. Lorsqu’un patient doit être opéré, la mise en place d’une
jéjunostomie d’alimentation devrait être quasiment systéma-
tique. Chez les patients porteurs d’une pancréatite grave la mise
en place d’une sonde naso-jéjunale peut être envisagée car,
même si elle ne permet pas toujours de couvrir l’ensemble des
besoins énergétiques du malade, un apport nutritif intrajéjunal
même incomplet peut aider à maintenir l’intégrité de la barrière
muqueuse intestinale, et de ce fait diminuer les complications
infectieuses. Dans ces conditions l’apport énergétique supplé-
mentaire peut être apporté par voie parentérale. Ce dernier sera
diminué progressivement, parallèlement à l’augmentation des
apports entéraux, lorsque l’iléus se lève.
CONCLUSIONS
La nutrition artificielle, sans intérêt au cours des pancréatites
peu sévères, est essentielle au cours des pancréatites graves. En
nutrition parentérale, un apport azoté supplémentaire sous la
forme de glutamine est logique chez ces patients sévèrement
agressés, et pourrait participer à une amélioration du pronostic.
Même si les études sont encore peu nombreuses, il semble que
la nutrition entérale précoce intrajéjunale soit possible au cours
de la pancréatite aiguë sévère ; elle pourrait influencer favora-
blement le pronostic des malades en participant au maintien de
l’intégrité de la barrière muqueuse intestinale. ■
Mots clés. Pancréatite aiguë - Traitement médical - Nutrition -
Lipides - Jéjunostomie.
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