Phrasal verbs transitifs et déplacement de la particule : facteurs

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Phrasal verbs transitifs et déplacement de la particule :
facteurs linguistiques, acquisition et usage
Emilie Riguel
Université La Sorbonne Nouvelle Paris 3
ED 514 EDEAGE, EA 4398 (PRISMES)
Résumé
Dotés d’une structure mystérieuse et insaisissable, notamment pour les locuteurs non-
anglophones, les phrasal verbs représentent une catégorie fascinante de la langue anglaise.
L’objectif de cette étude est de rendre compte des facteurs linguistiques et de l’acquisition chez le
jeune enfant anglophone d’un exemple de variation grammaticale ou configurationnelle, à savoir
le déplacement de la particule adverbiale dans les constructions transitives directes. Des travaux
récents ont ainsi montré que, dans le langage adulte, de multiples facteurs linguistiques semblent
influencer le choix du locuteur en ce qui concerne l’ordre des constituants, et plus
particulièrement la position de la particule (Chomsky, 1961 ; Fraser, 1966, 1974, 1976 ; Bolinger,
1971 ; Bock, 1977 ; Dixon, 1982 ; Chen, 1986 ; Hawkins, 1994 ; Gries, 1999, 2003 ; Lyons,
1999 ; Peters, 1999 ; Dehé et al., 2002 ; Wasow, 2002). Deux alternatives sont donc possibles ; la
particule pouvant alors précéder ou suivre le complément d’objet direct. Cela soulève la question
de savoir ce qui motive l’ordre des constituants. La présente étude consiste à analyser et à
comparer des exemples tirés du British National Corpus (BNC) (Davies, 2004-) et du Corpus of
Contemporary American English (COCA) (Davies, 2008-) afin de faire état des différents
facteurs linguistiques qui conditionnent la position de la particule : syntaxiques, sémantiques,
pragmatico-discursifs et prosodiques. Ce travail se penche également sur la position de la
particule dans le discours du jeune enfant anglophone. A partir de deux corpus longitudinaux
d’oral spontané issus de la base de données CHILDES (MacWhinney, 2000), j’analyserai les
productions de deux jeunes enfants anglophones, Naima (Corpus Providence, Demuth et al.,
2006) et Ella (Corpus Forrester, Forrester, 2002), suivies respectivement entre 0;11 et 3;10 et
entre 1;00 et 3;06. J’examinerai et je comparerai l’usage et la distribution des deux configurations
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continue [Verbe - Particule - Objet] et discontinue [Verbe - Objet - Particule] chez l’adulte et
chez l’enfant afin de voir si l’enfant reproduit le même environnement linguistique que celui
auquel il est exposé. Par ailleurs, afin de déterminer si l’usage de la particule dans le langage de
l’enfant varie selon les mêmes caractéristiques linguistiques que chez l’adulte, j’adopterai la
même approche que Gries (2003) et Diessel & Tomasello (2005), et j’effectuerai ainsi une
analyse multifactorielle de plusieurs variables linguistiques.
Mots-clés : phrasal verbs, ordre des constituants, placement de la particule, facteurs
linguistiques, acquisition.
1. Introduction
La présente partie se propose de présenter les caractéristiques générales relatives aux phrasal
verbs, puis d’exposer leur comportement syntaxique.
1.1. Généralités sur les phrasal verbs
1.1.1. Les phrasal verbs en quelques chiffres
Les phrasal verbs représentent une catégorie fascinante de la langue anglaise et sont ainsi
considérés comme une spécificité de l’anglais (Fraser, 1976 ; Moon, 2005, cité dans Macmillan,
2005). Comme le souligne McArthur (1989 : 38), ils ont toujours représenté « une partie
dynamique de la langue anglaise ».
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Les phrasal verbs constituent en effet un tiers du vocabulaire verbal anglais (Li, Zhang, Niu,
Jiang, & Srihari, 2003). Ils sont davantage employés à l’oral qu’à l’écrit. Par ailleurs, il existe
environ 3000 phrasal verbs en anglais, dont 700 d’usage courant (Bywater, 1969 ; McArthur &
Atkins, 1974 ; Cornell, 1985). En plus du grand nombre de phrasal verbs existants, de nouveaux
sont constamment inventés. Comme le fait remarquer Bolinger (1971 : xi), ils constituent ainsi
une classe très productive et correspondent alors à « une explosion de créativité lexicale qui
surpasse toute autre chose dans notre langue ».
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En outre, les phrasal verbs sont d’autant plus productifs qu’ils évoluent et s’adaptent à l’air
du temps ; les phrasal verbs nouvellement créés s’imprégnant ainsi des évolutions de la société
(par exemple, Google up dérive de look up).
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Traduction de la citation originale anglaise : “a vigorous part of English”.
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Traduction de la citation originale anglaise : “an explosion of lexical creativeness that surpasses anything else in
our language”.
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1.1.2. Définition et caractéristiques du phrasal verb
Il n’existe pas de définition universelle du phrasal verb. En effet, comme le soulignent
Gardner & Davies (2007 : 341), « les linguistes et les grammairiens luttent avec les nuances des
définitions du phrasal verb ».
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Une des raisons justifiant ce manque de consensus (Darwin & Gray, 1999 ; Sawyer, 2000)
repose sur le fait que certains linguistes définissent le phrasal verb comme l’association d’un
verbe et d’une préposition ou d’une particule adverbiale, tandis que d’autres considèrent le
phrasal verb comme étant un verbe suivi d’une particule adverbiale exclusivement.
Il faut toutefois souligner que les phrasal verbs ont traditionnellement toujours été compris
comme se composant d’un verbe support et d’une particule adverbiale ; la structure « verbe-
particule » formant alors une seule unité lexicale. Le phrasal verb est donc envisagé comme un
lexème puisqu’il s’agit d’un groupe de mots graphiques constituant une seule et même unité de
sens une unité signifiante (Cowie & Mackin, 1993 ; Crystal, 1995 ; Thornbury, 2002).
Le verbe support constituant le phrasal verb est monosyllabique, d’origine germanique et
exprime un mouvement concret ou abstrait. Il s’agit essentiellement de verbes dits « légers » car
possédant un sémantisme très large et dont la fréquence d’emploi est très importante dans le
langage courant. Les principaux candidats aux verbes supports au sein des phrasal verbs sont
ainsi bring, come, get, give, go, make, put, set, take, etc.
Quant aux caractéristiques de la particule adverbiale, celle-ci est morphologiquement
invariable, véhicule un sémantisme plutôt vague et décrit un mouvement ou un résultat. Il existe
un « noyau » de particules qui se sont révélées plutôt stables au fil du temps et qui figurent
comme étant les plus fréquentes dans le langage courant : up, down, in, out, on, off, back, away et
over (Akimoto, 1999 ; Claridge, 2000).
En ce qui concerne les significations des phrasal verbs, elles peuvent s’étendre des valeurs
directionnelles, ou spatiales, ou littérales, ou transparentes (e.g., stand up, take away) à des
valeurs aspectuelles, ou complétives (par exemple, burn down, eat up), jusqu’à des valeurs non-
compositionnelles, ou idiomatiques, ou figurées, ou opaques (par exemple, face off, figure out)
(Live, 1965 ; Fraser, 1965, 1966 ; Bolinger, 1971 ; Makkai, 1972 ; König, 1973 ; Moon, 1997 ;
Celce-Murcia & Larsen-Freeman, 1999). Les classes sémantiques des phrasal verbs peuvent être
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Traduction de la citation originale anglaise : “linguists and grammarians struggle with nuances of phrasal verb
definitions”.
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ainsi représentées sur un vaste continuum s’étalant des significations les plus compositionnelles
(directionnelles, puis aspectuelles) aux sens non-compositionnels (idiomatiques) (Bolinger, 1971
; Moon, 1998) (voir Figure 1).
Figure 1 Continuum représentant les classes sémantiques des phrasal verbs
Les verbes à particule dont le sémantisme a un faible degré de compositionnalité autrement
dit, les phrasal verbs idiomatiques ne peuvent être déduits directement à partir de la somme des
significations de leurs constituants. C’est pourquoi les phrasal verbs sont bien souvent difficiles à
acquérir et à maîtriser pour les apprenants non-anglophones puisqu’ils représentent une difficulté
notable pour les locuteurs non-natifs, d’où leur réputation de « fléau de l’apprenant ». Ainsi, dans
l’énoncé suivant, extrait du British National Corpus (BNC) (Davies, 2004-), le verbe à particule
run out ne signifie aucunement ‘sortir en courant’ mais plutôt ‘s’épuiser, (venir à) manquer’,
voire ‘tomber en panne d’essence’ dans l’exemple ci-dessous :
(1) Matt and I ran out of gas, for the simple reason that the dear old
boy had forgotten to fill up while I was with the wholesaler.HHB_202
(BNC)
Par conséquent, lorsque l’on a affaire à des phrasal verbs figurés sémantiquement, et donc
quelque peu déroutants et imprévisibles, le recours au contexte est indispensable afin de lever les
ambiguïtés et de déterminer correctement la signification de ces verbes à particule.
Enfin, tout comme les diverses définitions associées aux phrasal verbs, il existe une
multitude d’appellations au regard de leur terminologie ; celles-ci ne renvoyant pas
nécessairement à une définition identique, précise et figée du verbe à particule mais plutôt à une
définition plus ou moins large qui varie à travers le temps (selon la diachronie), selon l’école
linguistique, etc. On trouve ainsi les dénominations suivantes : verb-adverb combination
(Kennedy, 1920), wordset (Ralph, 1964), discontinuous verb (Live, 1965), verb-particle
construction (Lipka, 1972 ; Pelli, 1976 ; Lindner, 1983), verb-particle combination (Fraser,
1974), two-word verb (Meyer, 1975), etc. Le terme phrasal verb demeure cependant, et de loin,
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le plus employé pour désigner le verbe complexe en anglais.
Intéressons-nous ensuite au comportement syntaxique des verbes à particule.
1.2. Comportement syntaxique des phrasal verbs
1.2.1. Les phrasal verbs intransitifs versus transitifs
Les verbes à particule intransitifs ne reçoivent pas de complément d’objet, comme
l’illustrent les énoncés (2), (3) et (4) ci-après :
(2) Things were definitely looking up.AEB_1460 (BNC)
(3) “We can’t give up now,” Anne said.ALJ_1601 (BNC)
(4) The plane took off.GW5_43 (BNC)
En revanche, les phrasal verbs transitifs acceptent un complément d’objet. Celui-ci peut être
direct il suit immédiatement la particule adverbiale ou indirect il ne suit pas immédiatement
la particule mais est introduit par une préposition.
L’objet de mon étude est cependant restreint aux constructions « verbe-particule » transitives
directes, comme suit :
(5) I simply remove myself, calmly, and with a dignity that must be
noticed even by those who would have to look the word up in a
dictionary to get some faint glimmer of an idea of what the concept
actually means.ADA_675 (BNC)
(6) He paused to let the devout look up the passage in their
Bibles.A0N_310 (BNC)
(7) Rufus had called her a waif and Adam had immediately ridiculed
this word, said it was a romantic novelist’s word, so they had
looked it up in Hilbert’s Shorter Oxford Dictionary and found
illuminating things.CDB_1764 (BNC)
Le complément d’objet direct peut être un groupe nominal (cf. exemples (5) et (6)) ou un
pronom (cf. exemple (7)). Lorsqu’il s’agit d’un groupe nominal, il peut précéder
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(cf. exemple
(5)) ou suivre (cf. exemple (6)) la particule adverbiale. Il existe cependant une restriction
syntaxique lorsque le complément d’objet direct est un pronom ; celui-ci étant obligatoirement
placé entre le verbe support et la particule adverbiale (cf. exemple (7)). Tout ceci sera
précisément expliqué plus loin dans cet article (voir section 5.1.).
Mon étude se penche exclusivement sur les verbes à particule transitifs directs. Cet article
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Il peut précéder la particule adverbiale à condition qu’il n’excède pas deux mots voire trois mots.
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