Dossier thématique D ossier thématique Le point sur les recommandations actuelles dans le traitement de la schizophrénie •• N. Franck*, N. Giloux** Les acquis L a méconnaissance des causes et des mécanismes impliqués dans le développement des troubles schizo­phréniques a longtemps contribué à ce que l’on ne puisse traiter directement la maladie, mais seulement ses conséquences comportementales et sociales. L’isolement des personnes qui en souffraient tenait alors une place essentielle dans les prises en charge. L’enfermement asilaire dans des conditions très précaires a trop longtemps conduit à négliger des patients souffrant d’une authentique maladie. On a plus tard observé que ces symptômes répondaient plutôt bien à des traitements spécifiques. Mystérieuse, la schizophrénie a été traitée jusqu’à la moitié du xxe siècle par des méthodes parfois brutales et peu efficaces comme l’hydrothérapie, les cures de Sakel (comas hypoglycémiques provoqués par l’injection d’insuline), les lobotomies et les électrochocs. L’introduction des neuroleptiques dans les années 1950 a radicalement changé le traitement de la schizophrénie, car ces médicaments agissent efficacement sur le délire, les hallucinations, l’agitation et l’agressivité. L’institutionnalisation n’était plus nécessaire dès lors que la dangerosité (pour le patient ou pour les autres) était prise en * Université Claude-Bernard, Lyon 1, Centre hospitalier Le Vinatier et Centre de neurosciences cognitives, CNRS ; ** Centre hospitalier Le Vinatier, Bron. 170 PSY 6 nov.-déc. 08.indd 170 charge ; les mesures destinées à favoriser la réinsertion sociale de ces patients ont pu se développer à partir de ce moment-là. La schizophrénie est une maladie chronique, qui entraîne souvent une importante souffrance à la fois chez les patients et chez ceux qui les entourent. Sa complexité justifie un programme de soins susceptibles d’agir sur les différents niveaux altérés (tableau). Tableau. Différents niveaux de traitement de la schizophrénie. Cibles à traiter Principaux moyens thérapeutiques Trouble de la neurotransmission (hyperdopaminergie) Neuroleptiques Trouble de l’expérience vécue Psychothérapies Troubles du comportement (entraînant en particulier un risque auto- ou hétéroagressif) Hospitalisation Altération des compétences sociales Réhabilitation psychosociale Troubles du traitement de l’information (mémoire, attention, fonctions exécutives, etc.) Remédiation cognitive Le traitement de la schizophrénie ne peut se concevoir sans l’utilisation des neuroleptiques. À ces médicaments, la prise en charge associe généralement une psychothérapie (spécifique ou non) et un ensemble de mesures destinées à favoriser une réadaptation sociale et professionnelle. Le traitement de la schizophrénie a donc une triple dimension. Il faut y ajouter la prise en compte d’éventuelles comorbidités somatiques et psychiatriques (traitement des addictions, par exemple). Dans une majorité de cas, le début de la maladie est insidieux, ce qui rend le diagnostic complexe et interroge la pertinence d’un traitement précoce. La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008 17/12/08 11:34:05 Faits nouveaux Psychotropes L’utilisation des neuroleptiques s’impose non seulement pour contrôler les symptômes face à un épisode psychotique aigu, mais également pour prévenir les rechutes. La faible action des neuroleptiques de première génération sur les symptômes négatifs et sur les déficits cognitifs (troubles de la mémoire, de l’attention et des fonctions exécutives) ainsi que leurs effets secondaires neurologiques en font des traitements de seconde intention ou des traitements d’appoint de l’agitation délirante (les phénothiazines aliphatiques telles que la lévomépromazine ou la cyamémazine sont encore régulièrement utilisées dans cette indication). La priorité est laissée aux neuroleptiques de seconde génération. Ceux-ci ont l’intérêt d’avoir une action sur les symptômes positifs et négatifs et d’avoir des effets indésirables moindres, améliorant de ce fait l’observance. Les neuroleptiques de seconde génération sont disponibles en nombre limité sur le marché français : rispéridone, olanzapine, amisulpiride, aripiprazole et clozapine. Ce dernier ne peut être prescrit que chez des patients résistants à deux neuroleptiques pris à une posologie et pendant une durée suffisantes, en raison du risque d’agranulocytose lié à son administration. Le choix du neuroleptique dépend avant tout de son profil d’effets indésirables (prise de poids, diabète et hyperlipidémies pour l’olanzapine et la clozapine, symptômes neurologiques et hyperprolactinémie pour la rispéridone), ainsi que des résultats obtenus lors d’éventuelles précédentes prescriptions. L’adaptation de la posologie doit prendre en compte ses effets sur les symptômes, ainsi que sa tolérance. Le choix de la forme galénique (formes orales : comprimés classiques ou orodispersibles, solutions orales ; formes parentérales par injection intramusculaire à effet rapide ou retard) dépend avant tout de la qualité de l’observance du patient. Les formes retard sont essentiellement destinées aux patients non observants. D’autres classes médicamenteuses sont régulièrement utilisées dans le traitement de la schizophrénie. Les correcteurs anticholinergiques sont destinés aux patients présentant des symptômes extrapyramidaux (dyskinésies aiguës et syndrome parkinsonien) consécutifs à l’utilisation de neuroleptiques (principalement de première génération, mais également parfois de seconde génération, en particulier lors de l’emploi de fortes doses). Leur utilisation systématique n’est pas recommandée et leur administration doit être limitée dans le temps, étant donné leurs effets délétères sur l’attention et la mémoire. Les thymorégulateurs (lithium, acide valproïque) sont associés aux neuroleptiques dans le traitement du trouble schizoaffectif. Enfin, l’adjonction de sédatifs est recommandée chez les patients angoissés ou agités. Les benzodiazépines peuvent être utilisées, de même que certains neuroleptiques La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008 PSY 6 nov.-déc. 08.indd 171 à action sédative comme les phénothiazines aliphatiques (en particulier la cyamémazine et la lévomépromazine). L’instauration d’un traitement par neuroleptique doit systématiquement être accompagnée d’un bilan initial comprenant la mesure de certains paramètres cliniques (poids, IMC, présence de signes extrapyramidaux, pression artérielle) et paracliniques (glycémie, bilan lipidique, ionogramme, électrocardiogramme avec mesure de l’intervalle QT). Ces mêmes paramètres doivent faire l’objet d’une surveillance ultérieure régulière pendant toute la durée du traitement. Psychothérapies Dossier thématique D ossier thématique Les psychothérapies se présentent sous diverses formes. La prise en charge d’un patient souffrant de schizophrénie requiert au minimum l’utilisation d’un soutien empathique destiné à le rassurer, lui expliquer sa maladie et soutenir sa réadaptation sociale et professionnelle si la maladie l’a progressivement exclu. D’autres formes de psychothérapie plus spécifiques sont particulièrement utiles dans la prise en charge de la schizophrénie : les thérapies cognitives du délire et des hallucinations ont en particulier fait la preuve de leur efficacité. En revanche, la pratique de la cure psychanalytique type est contre-indiquée. L’action des psychothérapies peut être complétée par l’utilisation des programmes de réhabilitation psychosociale, qui utilisent les principes du renforcement positif et les apports d’une pratique groupale et sont destinés à développer les compétences sociales des patients. Ils ne peuvent être utilisés que pendant les phases de rémission et dans les formes débutantes. Les familles ne doivent pas être exclues du champ thérapeutique et leurs difficultés dans la relation aux patients doivent être impérativement prises en compte. Une place de plus en plus importante leur est faite pour repérer et traiter des interactions qui peuvent avoir un effet aggravant sur la maladie. Par ailleurs, un soutien et une meilleure information sur la maladie doivent leur être proposés. Électroconvulsivothérapie (ECT) et stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) L’ECT conserve une place dans la prise en charge des épisodes catatoniques ne cédant pas sous traitement par benzodiazépines, ainsi que dans les formes schizoaffectives ou avec potentiel suicidaire très élevé résistant au traitement psychotrope. La rTMS est une méthode non invasive ne requérant pas d’anesthésie ni de curarisation (contrairement à l’ECT) et destinée à traiter certains symptômes tels que les hallucinations verbales. Elle est encore expérimentale, mais prometteuse au vu des résultats dont nous disposons à ce jour. Hospitalisation L’hospitalisation doit être proposée au patient lorsque ses symptômes ne sont pas compatibles avec une prise en charge ambulatoire. Les motifs d’hospitalisation les plus fréquents sont l’établissement d’un diagnostic en début de maladie, la présence d’un délire ou d’une désorganisation marqués, une angoisse majeure, ou encore un risque suicidaire ou hétéro-agressif caractérisé. Lorsque le patient n’est pas conscient de ses troubles et ▶▶▶ 171 17/12/08 11:34:06 Dossier thématique D ossier thématique ▶▶▶ refuse des soins indispensables, l’hospitalisation doit être instaurée sans son consentement, en hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) ou en hospitalisation d’office (HO), selon la loi du 27 juin 1990. Elle est suivie d’un relais ambulatoire en consultation médicale, complété si nécessaire par une prise en charge en hôpital de jour ou en centre thérapeutique à temps partiel. Remédiation cognitive La remédiation cognitive est une nouvelle méthode de prise en charge venant compléter l’action des médicaments et des psychothérapies. Elle est destinée à améliorer les performances des patients en termes de mémoire, d’attention, de concentration et d’organisation de leurs actions. La remédiation cognitive est souvent dispensée sous forme de programmes destinés à des groupes de patients, tels que l’IPT (Integrated Psychological Treatment) développé par l’équipe de H.D. Brenner à Berne, ou de programmes comprenant des exercices réalisés lors de séances individuelles, tels que RECOS (Remédiation Cognitive pour patients présentant une Schizophrénie), conçu par P. Vianin à Lausanne, ou CRT (Cognitive Remediation Therapy), créé par A. Delahunty en Australie. Mesures destinées à favoriser la réinsertion sociale et professionnelle Lorsque la désorganisation et les dysfonctions cognitives vont de pair avec une exclusion socioprofessionnelle, des mesures de réinsertion s’imposent pour inscrire de nouveau les patients dans la vie sociale. Elles peuvent être débutées en foyer de postcure et comprennent des mesures actives et coûteuses, sur les plans à la fois médical, éducatif et social. Quand le handicap psychique lié à la maladie se confirme, il y a lieu de le faire reconnaître par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), ancienne Cotorep. Cette structure départementale pourra, au vu du dossier présenté et de la rencontre avec la personne, attester 174 PSY 6 nov.-déc. 08.indd 174 du statut de handicapé en allouant éventuellement une pension allocation pour adulte handicapé (AAH), mais aussi proposer des pistes pour l’insertion professionnelle et, si besoin, l’hébergement protégé. Enfin, il est parfois nécessaire, du fait d’une perte d’autonomie et d’une grande vulnérabilité, de solliciter auprès du juge des tutelles une mesure de protection des biens (tutelle et curatelle). Celle-ci n’est instruite qu’après l’avis d’un expert psychiatre. Conclusion Tous les moyens thérapeutiques dont il a été question plus haut doivent s’appuyer sur une alliance thérapeutique avec le patient et sa famille. Même si des mesures d’hospitalisation sans le consentement des patients s’imposent parfois, on tente au maximum d’éviter les confrontations violentes, les mesures de contention et les injections sous contrainte. Enfin, la déstigmatisation de la maladie mentale et de son traitement passe par une meilleure information de tous ainsi que par des lieux de soins accueillants et une prise en compte respectueuse et engagée des pathologies mentales. ■ Pour en savoir plus ▶▶ Franck N, Thibaut F. Pharmacologie et mode d’action des neuroleptiques. EMC-Psychiatrie 2005;2:282-99. ▶▶ Franck N, Thibaut F. Modalités d’utilisation des neuroleptiques. EMC-Psychiatrie 2005;2: 300-39. ▶▶ Olié JP, Daléry J, Azorin JM. Médicaments antipsychotiques : évolution ou révolution ? Paris: Acanthe, 2002. ▶▶ Franck N, Chambon O, Marie-Cardine M. Thérapies cognitives et comportementales dans la schizophrénie. EMC-Psychiatrie 2008;37-D50. ▶▶ Demily C, Franck N. Remédiation cognitive dans la schizophrénie. EMC-Psychiatrie 2008;37-820-A55. ▶▶ Franck N. La schizophrénie. Paris: Odile Jacob, 2006. La Lettre du Psychiatre - Vol. IV - n° 6 - novembre-décembre 2008 17/12/08 17:17:43