1er Cas clinique pour le Conseil de l’Ordre Bécima Fazaa, Aida Khaled, Nadia Ezzine et Mohamed Ridha Kamoun Observation Homme, âgé de 75 ans, amené en consultation pour une éruption cutanée bulleuse évoluant depuis 1 mois. Le début a été marqué par un prurit intense et diffus, non calmé par un traitement antihistaminique, suivi de l’apparition de placards urticariens étendus puis de bulles assez profuses. A l’entrée le malade est asthénique, amaigri et fébrile à 38°C. L’examen cutané révèle au niveau de l’abdomen, du dos et des cuisses, de grands placards érythémateux et oedémateux, avec de nombreuses bulles, de grande taille (2-4 cm), tendues, à contenu clair. Certaines bulles sont rompues laissant place à des érosions de grande taille arrondies ou polycycliques. Les muqueuses et les phanères sont indemnes. L’examen cardio-vasculaire, pulmonaire, abdominal et neurologique est sans particularité. Le bilan biologique note une hyperéosinophilie à 2000 éléments/mm3 et une CRP élevée. La biopsie cutanée montre une bulle sous-épidermique et un derme inflammatoire riche en polynucléaires éosinophiles. L’immunofluorescence directe révèle un dépôt linéaire de la jonction dermo-épidermique fait d’immunoglobuline G et de C3. Quel est votre diagnostic ? Le tableau clinique avec un âge avancé, l’aspect lésionnel polymorphe associant des placards oedémateux et des bulles, le prurit, le retentissement général ainsi que l’hyperéosinophilie sont très évocateurs d’une dermatose bulleuse auto-immune de type pemphigoide bulleuse (PB). Ce diagnostic est confirmé par la découverte d’une bulle sous épidermique à l’histologie et surtout par l’IFD qui révèle le dépôt d’auto-Ac de type IgG et de C3 à la jonction dermo-«épidermique. Quelle est votre conduite ? L’étendue des lésions et leur évolutivité nécessitent une corticothérapie, parallèlement à une antibiothérapie générale et des soins antiseptiques. Le patient est mis sous 1mg/kg/jour de prednisone associée aux adjuvants habituels à une telle thérapeutique et à une surveillance stricte clinique et biologique. Ce traitement d’attaque a été maintenu 2 mois avec une évolution assez favorable de son atteinte cutanée mais au prix de complications sévères : septicémie à staphylocoque doré, septicémie à candida albicans, diabète induit et tassement des vertèbres lombaires. Quatre mois d’hospitalisation auront été nécessaires pour traiter sa pathologie dermatologique et prendre en charge les différentes complications iatrogènes de la corticothérapie générale à forte dose prolongée. Commentaires Les dermatoses bulleuses auto-immunes sous-épidermiques sont caractérisées par un dépôt d’immunoglobulines le long de la jonction dermo-épidermique provoquant un décollement entre l’épiderme et le derme. La pemphigoïde bulleuse est la plus fréquente de ce groupe de dermatoses. Elle a la particularité d’atteindre les sujets âgés avec un pic de fréquence entre 75 et 80 ans. Les corticoïdes permettent de bloquer la production d’autoanticorps et d’inhiber la libération de médiateurs de l’inflammation s’opposant ainsi au mécanisme de formation des bulles. La PB nécessite ainsi un traitement de fond par les corticoides pour faire cicatriser les lésions cutanées et éviter les complications inhérentes au décollement bulleux : infection, déperditions hydro-électrolytiques et dénutrition. Le traitement reposait classiquement sur une corticothérapie générale avec une forte dose d’attaque puis une dégression lente. Mais le pronostic vital de la PB était médiocre, avec une mortalité à 1 an entre 10 et 40 %. Il faut souligner que la plupart des décès surviennent dans les trois premiers mois de traitement liés essentiellement aux effets secondaires de la corticothérapie générale, fréquents et graves chez ces malades âgés. La corticothérapie locale par des dermocorticoïdes puissants, de niveau 1, ont amélioré le pronostic en réduisant mortalité et morbidité. Ainsi, le traitement de première intention des PB est actuellement une corticothérapie locale. Le meilleur choix thérapeutique pour ce patient âgé aurait été une corticothérapie locale utilisant 40g par jour d’un dermocorticoide puissant, de niveau I, à poursuivre 15 jours après la cicatrisation des lésions cutanées, puis à dégresser progressivement. Il s’agit d’un traitement qui permet de faire cicatriser les lésions cutanées en évitant les inconvénients d’une corticothérapie générale. Les dermocorticoïdes de niveau I n’étant pas disponibles à l’hôpital et les conditions matérielles du patient ne lui permettant pas de se procurer ce traitement en officine, nous étions contraints de recourir à une corticothérapie générale à forte dose et d’exposer ainsi le patient à des effets indésirables sévères qui auraient pu l’emporter. Cette observation illustre les difficultés que peuvent rencontrer les médecins devant la non accessibilité, pour diverses raisons, à certaines thérapeutiques.