D’après vous, protéger la nature suppose qu‘on invente d‘autres liens avec elle.
Oui, parce que la relation avec la nature n’a plus l’évidence qu’elle avait à l’époque où jardiner
n’était pas un loisir mais une activité vivrière. Il faut souvent remonter à trois ou quatre
générations pour trouver un paysan dans la famille. Regardez les parents qui veulent initier leurs
enfants au jardinage : ils découvrent souvent cette pratique en même temps que leur progéniture.
En quoi est-ce différent de ce que j’ai moi-même expérimenté quand j’ai voulu apprendre à me
servir de l’informatique ? J’ai suivi des cours en même temps que mon fils ! Nous voilà face à la
nature comme devant les nouvelles technologies! Qu’est-ce qui est visé ici sinon la transmission
des savoirs au sein de la famille ? Pendant longtemps on se tournait vers les anciens. Par exemple,
les vieux pouvaient prévoir le temps en regardant les nuages. Quelle utilité, aujourd’hui ? Il y a
donc une vraie rupture et il faut en prendre acte. Combien de gens savent encore regarder un
paysage en comprenant à quelle logique répond l’organisation des éléments naturels ? Sauriez-
vous dire pourquoi des arbres fruitiers sont plantés à tel endroit, et pas à tel autre ? Les parents
eux-mêmes se promènent en aveugles. Qu’est-ce qu’ils pourraient transmettre ?
Votre approche de la nature est avant tout hédoniste…
Oui, à la manière des artistes. Prenez les peintres impressionnistes. Ils nous ont appris à
apprécier des espaces naturels comme la forêt ou la montagne qui ont longtemps été vécus
comme des milieux hostiles. Leur vision a bousculé les mentalités. Ce que je revendique, c’est la
culture d’un autre regard sur la nature. « Sortir » doit avant tout devenir source de plaisir. Si
nous savons observer notre environnement, nous déployons toute une palette de sensations qui
en retour nous donne envie de mieux connaître et de protéger la nature. C’est une position
hédoniste… et politique! Plus nos sensations sont intenses, plus nous nous sentons comblés, et
moins nous sommes assujettis à la fausse nécessité d’acquérir toujours plus de biens matériels.
C’est dans cet esprit que vous organisez vos balades ?
Oui, je mêle l‘art et la botanique. La balade prévue entre le Théâtre Dunois et le square Héloïse et
Abélard sera organisée dans cet esprit.Avec l’association le Graine,nos balades ne se limitent pas
aux espaces naturels. L’idée est de donner envie de sortir et d’apprivoiser autrement notre
environnement. En ville, je fais feu de tout bois. C’est un mélange de promenade naturaliste et de
performance artistique. Je croise une coulure de peinture sur un mur… et voilà l’ombre de
Pollock ; une mauvaise herbe entre les pavés va m’inspirer une petite histoire ; et pourquoi ne pas
faire écouter du Messiaen aux oiseaux ? Si je m’inspire beaucoup de l’art contemporain c’est
parce qu’il nous a transmis cette ouverture du regard. L’idée est d’apprendre la beauté, la
fragilité, la richesse du vivant, et de trouver notre juste place. Prenez la façon dont on surinvestit
les jardins (comme les enfants d’ailleurs, si je peux me permettre la comparaison ! ). On gave les
rosiers d’engrais, on multiplie les conseils sur la taille etc… alors qu’en même temps on prive les
plantes de l’essentiel! Elles ont d’abord besoin d’eau, d’espace et d’air pur. Donnez tous les soins
que vous voulez à une plante, si elle n’est pas plantée à la bonne place, elle ne produira rien!
Promenez-vous avec Robert Baeli!
« De cour en jardin », samedi 10 mars 2007 à 15h30
départ du Théâtre Dunois
Robert Baeli donne la réplique à Claude Eveno,
urbaniste, auteur de « Regarder le paysage », Gallimard Jeunesse
dimanche 18 mars 2007 à 14h au Théâtre Dunois
Aviez-vous remarqué leur présence ? Les choux et les carottes font germer des questions de plus en plus abondantes
sur les plateaux de théâtre. La nature serait-elle en train de jouer un nouveau rôle ? Enquête.
La transmission au sein de la famille est un thème récurrent de votre œuvre. Faut-il y
voir un lien avec votre désir d’écrire pour le jeune public ?
Je crois qu’enfant mon éducation m’a beaucoup frustré. Il y avait un gouffre entre ce qui se passait
à l’école et ce que je vivais en dehors. La musique que j’écoutais, les livres que je lisais, les gens que
je rencontrais, tout me paraissait plus vivant que les sèches leçons que je recevais.Aussi j’ai eu envie
de devenir enseignant pour développer des idées qui soient plus en phase avec l’expérience que
j’avais de la vie. Mais le vrai bouleversement pour moi s’est produit dans les années 70 quand j’ai
découvert comment on pouvait utiliser le théâtre dans un cadre éducatif. À partir de là, j’ai été
pendant dix ans acteur/professeur au sein d’une compagnie à Leeds et c’est là que j’ai commencé à
imaginer des spectacles pour les enfants.Très vite l’écriture a pris le dessus, et étant moi-même père
de trois enfants, la famille est devenue une source d’inspiration importante. J’étais aussi influencé
par ma propre histoire et par son interprétation plus consciente et plus politique. J’ai grandi dans
une famille ouvrière. Ce milieu n’était pas reconnu dans l’éducation que je recevais. Mon travail en
a tenu compte en s’adressant à des enfants qui ressemblaient à l’enfant que j’avais été.
Le personnage principal de votre pièce est un jardinier qui perd la mémoire. Qu’est-ce
qui l’a inspiré ?
Harry, le jardinier m’a été inspiré par deux personnes de ma famille. L’une est ma tante, une
personnalité très forte qui a énormément compté pour moi.Vers l’âge de 80 ans, elle a commencé
à perdre la mémoire, surtout la mémoire des choses récentes, et ce phénomène me fascine. L’autre
personnage, Harry, était le père de ma femme, mort récemment. Il était le jardinier de la famille et
tous mes enfants ont passé de longues heures à travailler avec lui. Je pense que le savoir d’Harry
ne constitue pas une valeur dans notre société car nous estimons tous que c’est l’affaire des autres
de produire notre nourriture. Il y a pourtant là un savoir qui se perd et qui est précieux.
Votre pièce traite aussi du temps. Mais compte tenu des rythmes imposés par la
société contemporaine, les enfants perçoivent-ils le temps comme les anciennes
générations ?
D’une certaine façon, je crois que les enfants n’ont pas changé et que si on les laissait être eux-
mêmes, ils seraient ce qu’ils ont toujours été. C’est la société occidentale capitaliste qui en a fait des
consommateurs, collés devant les téléviseurs, avec la tête farcie d’informations dont je me demande
combien sont véritablement utiles. Nos enfants sont aliénés jusque dans leur propre corps. Dans ma
pièce « L’Enfant perdue », je fais du feu l’élément central de l’histoire. C’est une métaphore de la
colère, mais aussi un élément réel qui participe à l’intrigue. Beaucoup d’enfants n’ont aucune
expérience directe du feu. Ils le perçoivent comme un élément destructeur et en ont peur alors que
l’usage et le contrôle du feu ont été le point de départ de la civilisation humaine. Le feu est
extraordinairement créatif. Cela me navre que les enfants soient coupés des processus d’évolution
de notre humanité, et l’un des effets les plus pervers est la distorsion du temps. Beaucoup de choses
prennent du temps. Concevoir des objets, les fabriquer est beaucoup plus long que de les acheter.
Mes parents savaient coudre, cuisiner, jardiner, ils marchaient, roulaient en vélo… parce qu’ils ne
pouvaient pas faire autrement. On a vendu à la classe ouvrière une certaine vision des loisirs mais
elle gâche son existence à s’user dans des jobs mal payés et passe à côté de la vie.
Dans vos pièces les éléments naturels ne servent pas le décor. Ils participent
activement à l’émancipation des personnages…
J’essaie de faire entrer le plus que je peux le monde réel dans le théâtre. C’est devenu
particulièrement vrai avec « Pierres de gué ». J’ai écrit cette pièce pour une compagnie qui jouait
pour de jeunes handicapés. Il leur fallait utiliser tous les sens dans leur travail, le toucher, l’odorat,
l’ouïe… J’ai donc imaginé une pièce qui utilisait des atmosphères physiques très intenses. Mais la
nature est déjà présente de manière active chez Shakespeare, et je me souviens que lorsque j’ai
joué « Les Trois Sœurs » de Tchékhov, j’ai été frappé par le fait que chacun des quatre actes
évoque des saisons différentes, des heures du jour différentes… C’est vrai que j’attache une
grande importance au monde naturel. Je suis toujours en train d’inciter mes enfants à sortir, et
même à sortir sous la pluie! Qu’est-ce que c’est que ce concept de « mauvais temps » alors que
nous avons tellement besoin de la pluie! Voilà une notion qui m’a été transmise par Harry…
« Le Jardinier », du 7 mars au 1er avril 2007
par la compagnie« De commerce et d’industrie »,
mise en scène de Jean-Claude Giraudon
Samedi 31 mars à 19h30, au Théâtre Dunois
Rencontre avec Mike Kenny
Quelle nature en héritage ?
« Le Jardinier »
Rencontre avec Mike Kenny, auteur
Comment trouver sa place dans la ronde des existences successives ?
L’auteur britannique Mike Kenny poursuit sa balade à travers les cycles des saisons et de la vie.
À l’air...libres!
Entretien avec Robert Baeli
« Allez ouste, dehors ! C’est bon pour la santé ! ». L‘injonction a l’accent d’une vérité de grand-mère. Pour combien de génération encore ?
Cultivés par des professionnels, les jardins, mués en « espaces verts » ont-ils encore besoin de nous ? Et nous d’eux ?
Quelques éléments de réponse avec Robert Baeli, jardinier, membre de l’association Le Graine.
Et aussi !
La Nature en héritage
Ou comment notre environnement est au cœur de la transmission entre les générations.
Toute une série d’événements organisés par le Théâtre Dunois.
Voir le détail du programme sur notre site Internet :
http://www.theatredunois.org/autour_jardinier.html