Questions de saison • Familles : qui transmet quoi ?

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La Gazelle
le
journal
du
théâtre
Dunois
n°7 • Mars Avril 2007
Questions de saison
•
Familles : qui transmet quoi ?
La Gazelle poursuit son enquête sur les différentes formes de la transmission. La pièce de théâtre « Le jardinier » de Mike Kenny évoquant la mémoire
familiale, nous a donné envie d’interroger le rôle des parents. Mais comment éviter la nième complainte sur la perte des valeurs et la mort de la famille ? Maurice
Godelier,* anthropologue de réputation internationale, auteur de « Métamorphoses de la parenté » nous aide à prendre du recul. Le modèle familial qui prévaut
aujourd’hui en occident n’a rien d’universel et ne cesse d’évoluer. A force d’évoquer la crise, les analyses des psychologues et des sociologues n’ont-elles pas fini par masquer une
réalité vite oubliée? Ce n’est pas la famille qui fonde la société. Et si elle contribue à transmettre les valeurs, elle ne les invente pas.
En quoi le point de vue de l’anthropologue peut-il enrichir l’actuel débat sur la
crise de la famille ?
Il peut surtout aider à le relativiser. On oublie facilement que le système de parenté qui
prévaut en Occident n‘est pas un modèle universel et qu‘il s‘inscrit dans une histoire
longue qui ne cesse d‘évoluer. Dans la Rome antique, c’est le système des clans qui
dominait. Il était fondé sur un rapport de parenté plus large que celui de la famille
nucléaire imposé par le christianisme. Et c’est le christianisme qui nous a transmis
l’idée que la parenté est fondée sur le mariage qui lui-même repose sur le
sacrement… Actuellement, ce système de parenté est mis à mal avec la multiplication
des familles dites « recomposées », les unions libres, les familles mono- parentales…
est-ce la mort de la famille ? Non, mais cela signifie qu’il y a une extension de la
parenté sociale au détriment de la parenté biologique. Cette confusion entre parenté
sociale et parenté biologique prévaut largement dans nos sociétés occidentales.
Pourtant, si depuis des millénaires la famille humaine repose sur l’association
d’hommes et de femmes qui élèvent les enfants que mettent au monde les femmes, les
adultes qui élèvent les enfants n’ont pas toujours été les parents biologiques. Ces
hommes peuvent être des oncles ou des frères. Ce n’est donc pas la famille qui fonde
la société. L‘enfant est le vecteur de transmission de certaines réalités sociales
( propriété de la terre, fonctions politiques et religieuses, savoirs mythiques… ) qui
transcendent largement la famille.
L’étude des autres cultures et des sociétés primitives vous a conduit à revoir
notre représentation de l’enfant…
En Occident, il est posé comme une évidence que c’est l’union sexuelle d’un homme et
d’une femme qui engendre les enfants. En fait, dans aucune des sociétés que j’ai étudiées,
un homme et une femme ne suffisent à faire un enfant. Chez les Baruya, une tribu de
Nouvelle-Guinée avec qui j’ai vécu 7 ans, la femme est considérée comme un « sac », son
utérus est un contenant dans lequel se développe l’enfant, exclusivement engendré par le
sperme de l’homme. Ailleurs, seule la femme est génitrice de l’enfant. Mais partout, il est
fait appel à un tiers qui intervient pour transformer le fœtus en enfant : ici c’est le soleil, là
un dieu ou un ancêtre… Dans la tradition chrétienne, c’est Dieu qui confère au fœtus une
âme qui ne doit son existence ni à la mère ni au père. Et cela nous rappelle encore que ce
n’est pas l’origine biologique qui fonde la parenté, mais une autorité morale, religieuse ou
politique! Pour ce qui concerne notre société occidentale, nous assistons à un phénomène
nouveau : celui de la valorisation de l’enfant et de l’enfance. Cette valorisation va de pair
avec l’avènement de la société individualiste, car elle sert en fait la valorisation des adultes
qui mettent au monde les enfants. C’est cela qui structure le désir moderne d’enfant et qui
n’a plus grand-chose à voir avec le désir du paysan de l’ancien régime qui voyait en chaque
enfant le potentiel d’une force de travail…
Mais alors, quelle est aujourd‘hui la fonction des parents ?
La même qu’hier! Ou plutôt, les parents ont plusieurs fonctions qu’on retrouve, en partie
ou totalement présentes, dans les familles de toutes les sociétés. J’ai déterminé sept
fonctions sociales qui recouvrent plusieurs faits : engendrer les enfants, les nourrir et les
protéger, les éduquer, assumer une responsabilité sociale vis-à-vis d’eux, les doter d’un
statut social et leur transmettre des biens, avoir un droit d’autorité, et respecter des
interdictions de rapports sexuels. Mais, il est intéressant de constater que dans nos
sociétés occidentales, compte tenu des évolutions de la famille, toutes ces fonctions
n’appartiennent plus exclusivement au couple des parents biologiques. Un des exemples
le plus révélateur est l’apparition des familles homo-parentales. Le XXe siècle s’est
accompagné d’une dé-pathologisation de l’homosexualité du point de vue de la
médecine comme de la psychologie. L’homosexualité a toujours existé avec des valeurs et
des statuts très différents selon les sociétés. Chez les Baruya, tous les jeunes garçons sont
homosexuels entre 10 et 20 ans. Cela appartient à la construction de leur virilité ( alors
que c’est présenté comme l’inverse chez nous). Aujourd’hui, les homosexuels, qui restent
tout de même très minoritaires, se battent pour obtenir les mêmes droits que les majorités
et il est devenu pensable que les homosexuels réalisent leur désir moderne d’enfant. Dans
une perspective historique et anthropologique, on peut comprendre qu’on n’arrêtera pas
cet élan vers la légalisation des familles homo-parentales, et qu’il est même nécessaire de
reconnaître et d’encadrer cette évolution juridiquement, car elle relève justement de
l’extension inéluctable de la parenté sociale.
Vous notez une autre évolution majeure dans la façon dont se transforme la
notion d’autorité…
À la notion « d’autorité paternelle » s’est substituée la notion « d’autorité parentale ».
C’est une mutation qui implique un partage égal des responsabilités entre les hommes et
les femmes. Elle est liée à la démocratisation de la société. Mais cette démocratisation
exige qu’on invente de nouvelles formes psychologiques d’autorité. Cela relève de la
sphère de l’intimité. Aucune transmission n’est possible sans autorité et un
renouvellement des formes d’autorité s’impose aujourd’hui.
L’idée que la famille n’est pas le fondement de la société minimise-t-elle la
gravité de la crise que tout le monde évoque ?
Il s’agit surtout de rendre à la parenté sa juste place et de dire que la famille peut évoluer
ou se transformer sans que les liens sociaux s’effondrent pour autant. Ce ne sont pas les
liens de parenté en soi qui permettent de créer des liens de dépendance entre les
membres d’une société. Cette capacité appartient fondamentalement aux rapports
politico-religieux qui englobent et dépassent les rapports de parenté et constituent la
charpente d’une société. Une société rassemble un certain nombre de groupes sociaux
organisés de telle sorte qu’ils puissent exercer en commun une souveraineté sur un
territoire déterminé et se représentent à eux-mêmes le tout qu’ils forment et agissent sur
lui. Nous mettons sans cesse en avant l’individu qui se sert de la société pour ses propres
fins alors que jusqu’ici l’individu servait la société. Mais face à cet individualisme forcené,
on voit aussi se développer des désirs d’action collective avec les mouvements de
défense de l’environnement par exemple ou, plus récemment, les Enfants de Don
Quichotte. Plus l’individualisme se renforcera, plus nous verrons s’exprimer la nécessité
de résoudre les problèmes que l’individu ne peut pas régler. Et ce n’est pas à proprement
parler l’affaire de la famille.
*Agrégé de philosophie, Maurice Godelier est directeur d’études honoraire à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Formé aux côtés de Fernand Braudel, et de Claude LéviStrauss, il a été profondément marqué par sa rencontre avec les Baruya, une société sans classes et sans état, découverte par les Australiens en 1951. Mais il a également consacré une part
importante de son activité à la politique scientifique. Il a été directeur scientifique au CNRS, et a notamment publié : « La production des Grands Hommes. Pouvoir et domination
masculine chez les Baruya de Nouvelle Guinée », Editions Fayard, 1982, Prix de l’Académie française - « L’énigme du don », Editions Fayard, 1996, « Les métamorphoses de la
parenté», Editions Fayard, 2004. Il prépare actuellement un ouvrage à paraître en septembre 2007 : « À quoi sert l’anthropologie ».
Quelle nature en héritage ?
Aviez-vous remarqué leur présence ? Les choux et les carottes font germer des questions de plus en plus abondantes
sur les plateaux de théâtre. La nature serait-elle en train de jouer un nouveau rôle ? Enquête.
« Le Jardinier »
Rencontre avec Mike Kenny, auteur
Comment trouver sa place dans la ronde des existences successives ?
L’auteur britannique Mike Kenny poursuit sa balade à travers les cycles des saisons et de la vie.
La transmission au sein de la famille est un thème récurrent de votre œuvre. Faut-il y
voir un lien avec votre désir d’écrire pour le jeune public ?
Je crois qu’enfant mon éducation m’a beaucoup frustré. Il y avait un gouffre entre ce qui se passait
à l’école et ce que je vivais en dehors. La musique que j’écoutais, les livres que je lisais, les gens que
je rencontrais, tout me paraissait plus vivant que les sèches leçons que je recevais.Aussi j’ai eu envie
de devenir enseignant pour développer des idées qui soient plus en phase avec l’expérience que
j’avais de la vie. Mais le vrai bouleversement pour moi s’est produit dans les années 70 quand j’ai
découvert comment on pouvait utiliser le théâtre dans un cadre éducatif. À partir de là, j’ai été
pendant dix ans acteur /professeur au sein d’une compagnie à Leeds et c’est là que j’ai commencé à
imaginer des spectacles pour les enfants.Très vite l’écriture a pris le dessus, et étant moi-même père
de trois enfants, la famille est devenue une source d’inspiration importante. J’étais aussi influencé
par ma propre histoire et par son interprétation plus consciente et plus politique. J’ai grandi dans
une famille ouvrière. Ce milieu n’était pas reconnu dans l’éducation que je recevais. Mon travail en
a tenu compte en s’adressant à des enfants qui ressemblaient à l’enfant que j’avais été.
Le personnage principal de votre pièce est un jardinier qui perd la mémoire. Qu’est-ce
qui l’a inspiré ?
Harry, le jardinier m’a été inspiré par deux personnes de ma famille. L’une est ma tante, une
personnalité très forte qui a énormément compté pour moi. Vers l’âge de 80 ans, elle a commencé
à perdre la mémoire, surtout la mémoire des choses récentes, et ce phénomène me fascine. L’autre
personnage, Harry, était le père de ma femme, mort récemment. Il était le jardinier de la famille et
tous mes enfants ont passé de longues heures à travailler avec lui. Je pense que le savoir d’Harry
ne constitue pas une valeur dans notre société car nous estimons tous que c’est l’affaire des autres
de produire notre nourriture. Il y a pourtant là un savoir qui se perd et qui est précieux.
Votre pièce traite aussi du temps. Mais compte tenu des rythmes imposés par la
société contemporaine, les enfants perçoivent-ils le temps comme les anciennes
générations ?
D’une certaine façon, je crois que les enfants n’ont pas changé et que si on les laissait être euxmêmes, ils seraient ce qu’ils ont toujours été. C’est la société occidentale capitaliste qui en a fait des
consommateurs, collés devant les téléviseurs, avec la tête farcie d’informations dont je me demande
combien sont véritablement utiles. Nos enfants sont aliénés jusque dans leur propre corps. Dans ma
pièce « L’Enfant perdue », je fais du feu l’élément central de l’histoire. C’est une métaphore de la
colère, mais aussi un élément réel qui participe à l’intrigue. Beaucoup d’enfants n’ont aucune
expérience directe du feu. Ils le perçoivent comme un élément destructeur et en ont peur alors que
l’usage et le contrôle du feu ont été le point de départ de la civilisation humaine. Le feu est
extraordinairement créatif. Cela me navre que les enfants soient coupés des processus d’évolution
de notre humanité, et l’un des effets les plus pervers est la distorsion du temps. Beaucoup de choses
prennent du temps. Concevoir des objets, les fabriquer est beaucoup plus long que de les acheter.
Mes parents savaient coudre, cuisiner, jardiner, ils marchaient, roulaient en vélo… parce qu’ils ne
pouvaient pas faire autrement. On a vendu à la classe ouvrière une certaine vision des loisirs mais
elle gâche son existence à s’user dans des jobs mal payés et passe à côté de la vie.
Dans vos pièces les éléments naturels ne servent pas le décor. Ils participent
activement à l’émancipation des personnages…
J’essaie de faire entrer le plus que je peux le monde réel dans le théâtre. C’est devenu
particulièrement vrai avec « Pierres de gué ». J’ai écrit cette pièce pour une compagnie qui jouait
pour de jeunes handicapés. Il leur fallait utiliser tous les sens dans leur travail, le toucher, l’odorat,
l’ouïe… J’ai donc imaginé une pièce qui utilisait des atmosphères physiques très intenses. Mais la
nature est déjà présente de manière active chez Shakespeare, et je me souviens que lorsque j’ai
joué « Les Trois Sœurs » de Tchékhov, j’ai été frappé par le fait que chacun des quatre actes
évoque des saisons différentes, des heures du jour différentes… C’est vrai que j’attache une
grande importance au monde naturel. Je suis toujours en train d’inciter mes enfants à sortir, et
même à sortir sous la pluie ! Qu’est-ce que c’est que ce concept de « mauvais temps » alors que
nous avons tellement besoin de la pluie ! Voilà une notion qui m’a été transmise par Harry…
« Le Jardinier », du 7 mars au 1er avril 2007
par la compagnie« De commerce et d’industrie »,
mise en scène de Jean-Claude Giraudon
Samedi 31 mars à 19h30, au Théâtre Dunois
Rencontre avec Mike Kenny
À l’air...libres!
Entretien avec Robert Baeli
« Allez ouste, dehors ! C’est bon pour la santé ! ». L‘injonction a l’accent d’une vérité de grand-mère. Pour combien de génération encore ?
Cultivés par des professionnels, les jardins, mués en « espaces verts » ont-ils encore besoin de nous ? Et nous d’eux ?
Quelques éléments de réponse avec Robert Baeli, jardinier, membre de l’association Le Graine.
D’après vous, protéger la nature suppose qu‘on invente d‘autres liens avec elle.
Oui, parce que la relation avec la nature n’a plus l’évidence qu’elle avait à l’époque où jardiner
n’était pas un loisir mais une activité vivrière. Il faut souvent remonter à trois ou quatre
générations pour trouver un paysan dans la famille. Regardez les parents qui veulent initier leurs
enfants au jardinage : ils découvrent souvent cette pratique en même temps que leur progéniture.
En quoi est-ce différent de ce que j’ai moi-même expérimenté quand j’ai voulu apprendre à me
servir de l’informatique ? J’ai suivi des cours en même temps que mon fils ! Nous voilà face à la
nature comme devant les nouvelles technologies ! Qu’est-ce qui est visé ici sinon la transmission
des savoirs au sein de la famille ? Pendant longtemps on se tournait vers les anciens. Par exemple,
les vieux pouvaient prévoir le temps en regardant les nuages. Quelle utilité, aujourd’hui ? Il y a
donc une vraie rupture et il faut en prendre acte. Combien de gens savent encore regarder un
paysage en comprenant à quelle logique répond l’organisation des éléments naturels ? Sauriezvous dire pourquoi des arbres fruitiers sont plantés à tel endroit, et pas à tel autre ? Les parents
eux-mêmes se promènent en aveugles. Qu’est-ce qu’ils pourraient transmettre ?
C’est dans cet esprit que vous organisez vos balades ?
Oui, je mêle l‘art et la botanique. La balade prévue entre le Théâtre Dunois et le square Héloïse et
Abélard sera organisée dans cet esprit.Avec l’association le Graine, nos balades ne se limitent pas
aux espaces naturels. L’idée est de donner envie de sortir et d’apprivoiser autrement notre
environnement. En ville, je fais feu de tout bois. C’est un mélange de promenade naturaliste et de
performance artistique. Je croise une coulure de peinture sur un mur… et voilà l’ombre de
Pollock ; une mauvaise herbe entre les pavés va m’inspirer une petite histoire ; et pourquoi ne pas
faire écouter du Messiaen aux oiseaux ? Si je m’inspire beaucoup de l’art contemporain c’est
parce qu’il nous a transmis cette ouverture du regard. L’idée est d’apprendre la beauté, la
fragilité, la richesse du vivant, et de trouver notre juste place. Prenez la façon dont on surinvestit
les jardins ( comme les enfants d’ailleurs, si je peux me permettre la comparaison ! ). On gave les
rosiers d’engrais, on multiplie les conseils sur la taille etc… alors qu’en même temps on prive les
plantes de l’essentiel ! Elles ont d’abord besoin d’eau, d’espace et d’air pur. Donnez tous les soins
que vous voulez à une plante, si elle n’est pas plantée à la bonne place, elle ne produira rien!
Votre approche de la nature est avant tout hédoniste…
Oui, à la manière des artistes. Prenez les peintres impressionnistes. Ils nous ont appris à
apprécier des espaces naturels comme la forêt ou la montagne qui ont longtemps été vécus
comme des milieux hostiles. Leur vision a bousculé les mentalités. Ce que je revendique, c’est la
culture d’un autre regard sur la nature. « Sortir » doit avant tout devenir source de plaisir. Si
nous savons observer notre environnement, nous déployons toute une palette de sensations qui
en retour nous donne envie de mieux connaître et de protéger la nature. C’est une position
hédoniste… et politique ! Plus nos sensations sont intenses, plus nous nous sentons comblés, et
moins nous sommes assujettis à la fausse nécessité d’acquérir toujours plus de biens matériels.
Promenez-vous avec Robert Baeli !
« De cour en jardin », samedi 10 mars 2007 à 15h30
départ du Théâtre Dunois
Robert Baeli donne la réplique à Claude Eveno,
urbaniste, auteur de « Regarder le paysage », Gallimard Jeunesse
dimanche 18 mars 2007 à 14h au Théâtre Dunois
Et aussi !
La Nature en héritage
Ou comment notre environnement est au cœur de la transmission entre les générations.
Toute une série d’événements organisés par le Théâtre Dunois.
Voir le détail du programme sur notre site Internet :
http://www.theatredunois.org/autour_jardinier.html
À bon entendeur…
Ouïe peut-être
Paysages sonores
Quelle attention prête-t-on à la multitude des sons qui nous environnent ?
Ils ne cessent de bercer / agresser notre corps… et qui peut s‘y soustraire ?
Cette partition de vie a inspiré la dernière chorégraphie d’Anne-Laure Rouxel. Rencontre.
Votre spectacle est né d’une traque qui a duré dix ans : celle des sons du
quotidien.
Oui, j’enregistre des sons depuis 1997. J’ai travaillé un peu comme un
photographe qui apprend de ses clichés la valeur d’une photographie au
moment du tirage. J’étais sans cesse à l’affût, et je me laissais guider par
mon intuition. Puis, il y a eu tout un travail d’écoute. Je disposais de
kilomètres de bandes sonores et je suis allée de surprises en surprises.
Par exemple, l’affiche du spectacle me montre l’oreille collée au sol, les
pieds en l’air, ce qui est une position empruntée au Hip-Hop. A ce
moment du spectacle, on entend la voix d’un enfant tzigane qui chante
dans le métro. Quand j’ai enregistré ce son, je n’ai pas fait attention
aux paroles qui, du fait de son accent, ne sont pas évidentes à
comprendre. En réécoutant la bande, j’ai compris que ce n’était pas un
chant tzigane. Il disait: « donnez-moi de l’argent s’il vous plaît, de
l’argent pour manger… »
En quoi ces sons ont pu inspirer la danseuse que vous êtes?
Nos corps ne peuvent se soustraire à tout ce qu’ils entendent. C’est un peu
matière contre matière. Mon corps se ferme ou se détend… il est sensible
aussi à des rythmes. Chaque son a sa propre structure rythmique et pour
cette chorégraphie, j’ai beaucoup travaillé avec un maître de danse
indienne qui a une connaissance très élaborée de ces questions
rythmiques. Les sons du quotidien déclenchent aussi des images très
concrètes qui nous ramènent au corps fait de muscles, de nerfs, d’eau et
de chair. Cela m’a conduit vers un important travail de théâtralisation.
J’ai pu m’amuser à incarner tour à tour une commère dans le métro,
une poule pondeuse… Je suis sur la scène à la fois celle qui joue et
celle qui écoute.
Vous apparentez volontiers cette récolte de sons à une
partition de vie…
J’ai retenu des sons extrêmement variés qui vont du chant d’oiseaux aux
caisses de supermarché, et chaque séquence sonore me raconte une
histoire, déclenche une image et une émotion. Je n’ai pas recomposé les
sons que j‘ai enregistrés. Il y a une séquence prise au bord de la mer : on se
laisse bercer par les vagues et soudain on entend pétarader une mobylette !
J’ai tout gardé tel quel. C’est la vie qui est comme ça. De même, j’ai intégré des
bruits nouveaux : avez-vous prêté attention au vacarme causé par le recyclage des
bouteilles en verre ? C’est terriblement violent pour l’ouïe, et en même temps, c’est
cocasse. Au final, cette partition du quotidien donne une atmosphère très festive !
Votre désir est aussi de sensibiliser le spectateur à la richesse
de notre univers sonore…
Je suis fascinée par tout ce que les plus jeunes retiennent du
spectacle. Ils entendent le moindre détail et c’est un bonheur de
constater comment à leur tour ils s’imprègnent de toutes les émotions
que je cherche à délivrer. Si le spectacle peut les aider à prendre
conscience de la variété de notre univers sonore, c’est gagné ! J’ai
travaillé autour du spectacle avec des enfants et des enseignants qui
ont réalisé à quel point leur école était bruyante. En prendre conscience,
c’est déjà ne plus le subir. Mais l’idée surtout est de transmettre la
curiosité pour tous ces sons qui nous environnent, car c’est une approche
du monde aussi intense que celle offerte par le regard.
« Ouïe peut-être », du 3 au 13 avril 2007
par la compagnie Cincle Plongeur
Un thème…
« Théâtre : l’indiscipline aux dernières loges ? »
...Une rencontre :
le mercredi 4 avril, à 18h,
au salon de thé l’Arobase, 101 rue du Chevaleret, 75013 Paris
avec Diane Scott, compagnie « Les corps secrets »,
Cécile Fraysse, compagnie « AMK »
et Marc Baylet, compagnie «Anabase »
L’indiscipline est à la mode… pourvu qu’elle nous bouscule sans vraiment déranger.
À condition aussi qu’elle entre dans « le cadre », qu’elle trouve « son public ».
N’est-ce pas devenu la priorité,
pour tout directeur de salle comme pour l’institution ?
« Désolé, je prendrais bien ce spectacle, mais je n’ai pas le public pour ça ! »…
Pour « ça » ? Et si le « ça » visait l’élan d’indiscipline qui peut encore déranger ?
...et des spectacles
« Les iconoclastes »: du 24 avril au 13 mai 2007
Difficile de classer le travail des trois compagnies que le théâtre Dunois a choisi de
réunir en ce début de printemps. Leur point commun ? Elles se sont emparées
d’œuvres connues du répertoire pour les revisiter sans prétendre les adapter, et
encore moins les servir. Ces artistes écrivent avec la scène, c’est-à-dire autant avec les
corps, l’espace, les sons, les images que le texte. Leur désir n’est pas de nous
instruire, mais de nous ravir pour mieux questionner sans tabou les vieilles histoires
connues de tous. L’expérience se veut plutôt radicale, et résolument indisciplinée.
Indiscipline, est-ce que tu nous tiens… encore ?
Quel désir / besoin de subversion nous démange ?
Est-ce que l’indiscipline a toujours sa place dans le monde tel qu’il va ?
Dans le cadre de l’évènement intitulé « Les iconoclastes », les trois compagnies invitées vous
accueillent pour une soirée-débat sur le sens de l’indiscipline au théâtre. Difficile d’évoquer la question
sans analyser la manière dont le politique tente actuellement de phagocyter la culture. Que signifie la
double injonction adressée au théâtre d’être à la fois transgression tout en tissant du lien social ?
S’agit-il d’accroître la fréquentation des salles pour développer les relations entre les gens et l’art ou
pour maintenir un lien entre les gens et le pouvoir ?
L’art est du côté de ce qui ne se sait pas…
C’est l’autre piste du débat pour cerner l’indiscipline comme le courage d’une énergie solitaire. Molière,
en son temps, a su répondre aux commandes officielles pour produire une œuvre désobéissante. Si elle
nous parle, c’est bien parce que dès l’origine, il y a quelque chose qui résiste en elle, quelque chose qui
ne se laisse réduire à aucune idée pré mâchée. Est-ce que les artistes qui osent cette posture pourront
encore se faire entendre demain ? La mutation actuelle du spectacle vivant risque de sonner le glas de
tout un rapport au théâtre. Est-ce aussi le rôle de l’artiste d’inventer les ressources, d’imaginer les
nouvelles conditions de production qui lui permettront de ne pas se soumettre?
24 au 29 avril 2007
« Rose », par la compagnie AMK
d’après des passages choisis par Cécile Fraysse
et tirés du texte « Le monde est rond » de Gertrude Stein
2 au 6 mai 2007
« Schneewittchen », par la compagnie Les corps secrets
d’après «Blanche-Neige » de Robert Walser
9 au 13 mai 2007
« Avis de tempête », par la compagnie Anabase
librement inspiré de « La tempête » de Shakespeare
ça
Ah
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a
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ça
ça
ira
a
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!
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Toute référence aux arts est absente de la plupart des discours politiques, leur approche reléguée au bon vouloir
des enseignants dans l’éducation, faudrait-il en conclure que la fréquentation de l’art est naturellement du domaine
de l’intime, de la sphère privée ?
Les artistes vont-ils être sommés de trouver des mécènes ?
Va-t-on voire éclore de nouveaux profils : les passeurs d’art pour public fortuné ?
La culture pour le « peuple » sera-t-elle abandonnée aux télévisions ?
Mises en regard de la dette publique de la France, ces questions sont sans doute négligeables, mais il en va de la
construction de la pensée des femmes et des hommes de demain : nos enfants.
Nelly Le Grévellec
L
u n d i ,
c ’ e s t
t o u t
r é f l é c h i !
Le Théâtre Dunois en partenariat avec Scène( s ) d’Enfance et d’Ailleurs, fait salle ouverte
un lundi chaque mois de 17h à 19h
Les séances animées de nos lundis consacrées aux questions qui laissent enfin parler tous ceux qui ont des choses à dire se poursuivent !
Parents, pédagogues, artistes, programmateurs, philosophes, journalistes...
Vous êtes de ceux qui ne réduisent pas le Théâtre à un objet consommable,
qui questionnent le devenir de l’art dans notre monde et qui s’interrogent sur la manière de susciter du désir chez le spectateur ?
Prenez date :
Lundi 12 Mars 2007 de 17h à 19h
Lundi 30 Avril 2007 de 17h à 19h
« Écrire du théâtre aux enfants : libertés et contraintes ? »
La place de l’artiste dans le politique
en collaboration avec Mireille Davidovici, directrice d’ANETH
en collaboration avec Vincent Vergone • Praxinoscope Théâtre
et Catherine Vallon • Cie Le Dithyrambe
A
v o s
a g e n d a s
7 mars au 1er avril, « Le Jardinier »
Théâtre, de 7 à 12 ans
Par ici les
sorties
3 au 13 avril, « Ouïe peut-être »
Danse, de 3 à 7 ans
Théâtre Dunois
Accueil du public
Les iconoclastes
24 au 29 avril, « Rose »
Théâtre, marionnettes, pour tous dès 9 ans
2 au 6 mai, « Schneewittchen »
Théâtre, pour tous dès 9 ans
9 au 13 mai, « Avis de tempête »
Théâtre, pour tous dès 9 ans
7, rue Louise Weiss
75013 Paris
Tel : 01 45 84 72 00 Fax : 01 45 86 39 24
e-mail : [email protected]
site : www.theatredunois.org
Adresse administrative et renseignements
T
108, rue du Chevaleret
75013 Paris
Direction Nelly Le Grevellec
a r i f s
Adultes
Tarif plein : 16 €
Tarif réduit : 11 €
(habitants du 13e, carte vermeil)
Tarif - 26 ans
et adultes accompagnant des enfants
(2 adultes maximum pour 1 enfant) : 10 €
Tarif enfant ( -15 ans )
et adultes les accompagnant habitant le 13e
(2 adultes maximum pour 1 enfant) : 6,50 €
Cartes « Famille »
(5 places maximum
par représentation,
valables une saison)
15 places : 70 €
10 places : 55 €
6 places : 35 €
Scolaires
Maternelles et primaires : 4,60 €
Collèges du 13ème arrt : 4,60 €
Collèges hors 13 arrt : 6,50 €
Centres de loisirs : 4,60 €
La Gazelle
A
s
è
cc
M°6 • Chevaleret
M°14 • Bibliothèque François Mitterrand
Bus 27 • Clisson
RER C • Bibliothèque François Mitterrand
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Direction de la publication : Nelly Le Grévellec
Conception, rédaction : Céline Viel
Conception graphique : S.Pipo
Impression : L. Imprime
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