Ostéomyélite chronique non

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Formation continue
Vol. 26 No. 2 2015
Ostéomyélite chronique non-bactérienne
Clinique, diagnostic, traitement
Daniela Kaiser, Luzern
Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds
L’ostéomyélite/ostéite chronique non-bactérienne (CNO) ou ostéomyélite chronique récurrente multifocale (CRMO) est une maladie rare
mais diagnostiquée de plus en plus fréquemment pendant l’enfance. L’incidence se situe à
environ 4:100’000. L’ostéomyélite non-bactérienne est classée aujourd’hui maladie autoinflammatoire à caractère rhumatismal.
Le concept de maladie auto-inflammatoire a
été proposé pour la première fois à la fin des
années 1990, lorsqu’on identifia l’origine génétique des syndromes de fièvre périodique,
comme le syndrome TRAPS (fièvre périodique
associée au récepteur TNF), et le gène FMF.
Mac Dermott et coll. proposèrent le terme
d’auto-inflammation pour mettre en évidence
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6
5
4
3
2
1
0
2
4
6
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10 Age at onset (years)
12 14 16 Figure 1: Âge au début de la maladie dans notre cohorte de 41 patients.
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Number of patients
7
le fait que ces réactions inflammatoires apparemment spontanées n’étaient pas, en l’absence de cellules T auto-réactives et d’anticorps, des maladies auto-immunes. La
réponse immunitaire des maladies autoinflammatoires est déclenchée par des cellules et des molécules du système immunitaire
inné (innate) et non pas par le système immunitaire acquis (adaptative). Ainsi pour l’ostéomyélite non-bactérienne on décrit comme
pathogénèse possible un déséquilibre entre
cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNF-α) et
anti-inflammatoires (IL-10). Pour l’ostéomyélite chronique non-bactérienne aussi, plusieurs observations concluent à une origine
génétique. Pour les maladies osseuses autoinflammatoires plus rares, comme les syndromes de Majeed et DIRA (Deficiency of IL-1
Receptor Agonist), ont été identifiés des défauts moléculaires correspondants. Le signe
distinctif commun de ces différentes maladies
osseuses auto-inflammatoires est l’inflammation stérile, résultat d’une régulation perturbée du système immunitaire congénital. Il en
résulte une infiltration cellulaire inflammatoire
de l’os avec activation des ostéoclastes, des
ostéolyses et un remodelage accru de l’os. La
CNO sporadique est la forme la plus fréquente
de ce groupe de maladies.
On partait autrefois de l’idée que l’ostéomyélite
a toujours une origine bactérienne, même si
le germe ne pouvait être mis en évidence.
A. Giedion décrivit pour la première fois en
1972 l’ostéomyélite récurrente multifocale en
tant qu’entité pathologique non-infectieuse.
Aujourd’hui on connaît une grande variété de
présentations multi mais aussi unifocales ainsi
que des formes récidivantes et chroniquement
actives. C’est la raison pour laquelle a été proposé le nom d’ostéite non-bactérienne (NBO)
ou ostéite chronique non-bactérienne (CNO).
Clinique
La CNO touche plus fréquemment les filles
que les garçons. Le pic d’âge typique se situe
aux environs de 10 ans (fig. 1).
Contrairement à l’ostéomyélite bactérienne,
les patients avec une ostéomyélite stérile
sont en bon état général, afébriles ou subfébriles. Ils consultent en raison des fortes
douleurs locales, présentes souvent aussi la
nuit. Occasionnellement on constate une tuméfaction, rougeur et chaleur locales (fig. 2).
La plupart des fois le bon diagnostic n’est
posé qu’après plusieurs semaines, surtout
lorsque la maladie débute par un seul foyer.
L’éventail clinique de la CNO varie entre mani-
Figure 2
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festations unifocales, l’atteinte d’une région
corporelle ou des foyers multiples dans le
sens d’une CRMO, la forme la plus sévère.
Dans la littérature on trouve des descriptions
de patients avec jusqu’à 27 lésions localisées
dans tout le squelette. La durée moyenne de
la maladie est de deux ans.
Les localisations typiques sont la clavicule,
les métaphyses des os longs ainsi que les
vertèbres et le bassin. Mais l’ostéite peut se
manifester à n’importe quel endroit du squelette, exception faite du neurocrâne (fig. 3).
Les patients avec une CNO peuvent présenter
des lésions dermatologiques: le plus souvent
un psoriasis et une forme particulière du psoriasis, la pustulose palmo-plantaire. Il s’agit de
grappes de vésicules sur les paumes des
mains ou les plantes des pieds qui se troublent
rapidement pour devenir des pustules (fig. 4).
Elles sont stériles et contiennent des granulocytes neutrophiles. Le stade chronique montre
des modifications kératosiques avec desquamation. La CNO est associée aussi à d’autres
dermatoses neutrophiles comme le syndrome
de Sweet ou le pyoderma gangrenosum. Au
Mandibule 2 %
Sternum 9 %
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décours de la maladie peut apparaître une
synovite, pas rarement une sacro-iléite. Le
syndrome SAPHO (synovite, acné, pustulose
palmo-plantaire, hyperostose, ostéite) se caractérise également, outre l’ostéite, par une
synovite et une dermatose neutrophile. Le
syndrome SAPHO est diagnostiqué plus fréquemment chez l’adulte. Il n’est pas clair à ce
jour s’il s’agit de la même maladie avec des
présentations différentes. Certains auteurs
ont émis l’hypothèse que la CNO représente
la forme pédiatrique du syndrome SAPHO.
Chez certains patients la maladie peut évoluer
vers une spondylarthropathie. Sont connues
aussi des associations avec d’autres maladies
auto-immunes comme p.ex. des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
Diagnostic
La CNO est un diagnostic d’exclusion, ni la
présentation clinique ni les examens de laboratoire étant spécifiques. Il n’existe aucun
marqueur biologique spécifique pour corroborer le diagnostic ou l’activité pathologique et
à ce jour aucune mutation génétique ni association HLA n’est décelable. La vitesse de
sédimentation et la CRP peuvent être modérément élevées. Le diagnostic doit donc être
différencié d’autres pathologies osseuses
cliniquement, radiologiquement et parfois par
l’histologie.
Le diagnostic différentiel comporte les infections (ostéomyélite septique ou tbc), des
néoplasies comme l’ostéosarcome, la leucémie ou le lymphome. L’histiocytose langerhansienne, l’ostéome ostéoïde ou une ostéonécrose peuvent se manifester de façon
similaire. D’autres maladies auto-inflammatoires associées à une ostéite et faisant partie
du diagnostic différentiel sont les syndromes
de Majeed, DIRA et PAPA (arthrite pyogène,
pyoderma gangrenosum, acné). L’histologie
est non-spécifique. L’infiltration cellulaire
dépend du stade de la maladie. Pendant la
phase précoce dominent les neutrophiles.
Monocytes, macrophages, lymphocytes et
surtout les cellules plasmatiques apparaissent dans les stades plus tardifs. Ce qui
signifie que la biopsie ne permet pas de diffé-
Clavicule 24 %
Humérus 3 %
Figure 4: Pustulose palmo-plantaire
Bassin 7 %
Articulations intercoccygiennes 3 %
Fémur 17 %
Genou 9 %
Tibia 9 %
Cheville 33 %
Péroné 5 %
Talon 19 %
Figure 3: Les régions du squelette les plus fréquemment touchées (réf. 5)
20
Figure 5: CT-scan du fémur distal avec ostéolyses et scléroses.
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rencier d’une ostéomyélite bactérienne. La
biopsie ouverte permet par contre l’exclusion
d’une néoplasie (ostéosarcome, sarcome de
Ewing) ou d’une histiocytose langerhansienne. La biopsie ouverte ne peut être remplacée par la biopsie à l’aiguille fine en raison
des fréquents résultats erronés.
Deux à trois semaines après les premiers
symptômes on voit les premières lésions radiologiques sous forme d’ostéolyses, de sclérose (fig. 5) et d’hyperostoses (fig. 6). La
scintigraphie osseuse, pratiquée autrefois
régulièrement, ne saisit que 75 % des foyers.
Par l’IRM sont diagnostiqués tous les foyers,
y compris ceux non visibles à la radiologie
conventionnelle, l’IRM étant sensible déjà
pendant les phases précoces de la maladie,
alors qu’il n’y a qu’un œdème de la moelle et
pas encore d’érosions osseuses. Les études
récentes étayent l’utilité de l’IRM corps entier.
Le diagnostic est accéléré par la mise en
évidence d’images typiques de lésions osseuses bilatérales et multifocales. L’IRM du
corps entier permet aussi une meilleure appréciation de l’activité de la maladie. Elle
permet la découverte de foyers asymptomatiques, ce qui est particulièrement important
pour les localisations spinales en raison des
complications possibles.
Traitement
D’après la littérature 50 % des patients sont
initialement traités par antibiotiques, bien que
l’antibiothérapie n’influence pas la maladie.
Les antirhumatismaux non-stéroïdiens
sont les médicaments de premier choix et
apportent une résolution des symptômes
chez la moitié des patients. Lorsque la mala-
die évolue par poussées, des traitements de
courte durée par corticoïdes sont possibles.
En deuxième ligne on utilise la salazopyrine
ou le méthotrexate. Une amélioration des
symptômes ne s’obtient pourtant que chez
une minorité de patients et plutôt chez ceux
souffrant simultanément d’arthrite.
Ces dernières années plusieurs publications
mentionnent l’emploi de bisphosphonates
(BP). En pédiatrie les BP sont utilisés pour les
enfants avec un risque élevé de fractures
dans le cadre d’une ostéogénèse imparfaite
ou en cas d’ostéoporose primaire ou secondaire. Les BP, dont fait partie le pamidronate
utilisé fréquemment, sont des inhibiteurs efficaces des ostéoclastes, tout en ayant un effet
anti-inflammatoire. Entre 50 et 75 % des patients avec CNO montrent, d’après les données publiées jusqu’ici avec de petites séries,
une bonne réponse à ce traitement.
Il est intéressant de constater que, d’après
ces travaux, l’IRM de contrôle montre souvent
la persistance d’une ostéite subclinique
même en présence d’une bonne réponse clinique dans le sens d’une suppression de la
douleur. Cette constatation corrobore l’observation selon laquelle les images radiologiques
ne corrèlent pas avec la clinique.
Les BP occasionnent de nombreux et importants effets indésirables, comme des fractures
atypiques ou ostéonécroses de la mâchoire.
Bien que ces effets secondaires n’aient pas été
décrits chez l’enfant, il faut se rappeler que la
demi-vie des BP est de 10 ans. L’indication au
traitement devrait donc se poser avec prudence
tout particulièrement pour le sexe féminin. C’est
le cas aussi pour les inhibiteurs du TNF-α, qui
montrent parfois une réponse favorable mais
s’accompagnent d’une immunosuppression.
Conclusion
Une ostéomyélite n’est pas toujours d’origine
infectieuse! La présentation clinique de l’ostéomyélite non-bactérienne en tant que processus inflammatoire de l’os est très variable.
L’évolution de l’ostéomyélite non-bactérienne
est bénigne dans 80 % des cas et régresse
spontanément au courant de quelques mois
dans la plupart des cas. Les décours chroniques durant plusieurs années sont pourtant
grevés d’une morbidité significative. L’atteinte
vertébrale peut entraîner des complications
avec des fractures de vertèbres, vertebra
plana et formation de scoliose. Des fractures
pathologiques et guérisons avec séquelles
sont possibles aussi en d’autres localisations.
Il n’existe actuellement pas d’études contrôlées par placebo et randomisées, le traitement de la CNO est donc empirique. Les
douleurs osseuses et l’atteinte vertébrale
représentent le plus grand défi thérapeutique.
L’inclusion des patients dans un large registre
européen (www.printo.it/eurofever) permettra à l’avenir d’effectuer des études prospectives avec des cohortes plus importantes, afin
de concevoir des traitements plus efficaces.
Références
1) Jansson AF, Grote V. ESPED Study Group. Nonbacterial osteitis in children: data of a German Incidence Surveillance study. Acta Paediatrica 2011;
100: 1150–57.
2) Roderick M, Shah R, Finn A, Ramanan AV. Efficacy
of pamidronate therapy in children with chronic
non-bacterial osteitis: disease activity assessment
by whole body magnetic resonance imaging. Rheumatology 2014; 53: 1973–6.
3) Miettunen PM, Wie X, Kaura D et al. Dramatic pain
relief and resolution of bone inflammation following
pamidronate in 9 pediatric patients with persistent
chronic recurrent multifocal osteomyelitis (CRMO).
Pediatr Rheumatol Online J 2009; 7: 2.
4) Hedrich et al. Autoinflammatory bone disorders
with special focus on chronic recurrent multifocal
osteomyelitis (CRMO). Pediatric Rheumatology
2013; 11: 47.
5) Girschick et al. Chronic non-bacterial osteomyelitis
in children. Ann Rheum Dis 2005; 64: 279–85.
Correspondance
Dr. med. D. Kaiser
Leitende Aerztin
Pädiatrie & Kinderrheumatologie
Kinderspital Luzern
6000 Luzern 16
[email protected]
Les auteurs certifient qu’aucun soutien financier ou autre conflit d’intérêt n’est lié à cet
article.
Figure 6: Radiographie de la clavicule gauche avec image d’hyperostose
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