Info infectiologie Le pied diabétique : plus qu’une simple infection Dr Jean-François Roussy (avec la collaboration de Dr Alain Martel, M.D., FRCPC) PRÉSENTATION CLINIQUE DU PATIENT J’ai récemment vu un homme de 59 ans ayant une infection de plaie au talon gauche et au pied. Ce patient est connu pour un diabète de type 2 très mal contrôlé avec une hémoglobine glyquée (HbA1C) à 11,9 et une maladie coronarienne athérosclérotique (il a subi quatre pontages), traitée en 2004. Il aurait déjà eu des ulcères aux membres inférieurs ayant nécessité des soins de plaies durant de longues semaines. Le patient avait été admis à l’hôpital une semaine auparavant pour un diabète débalancé et sa plaie au talon gauche progressait depuis près d’un mois. Il avait tout d’abord noté une petite phlyctène qui avait lentement progressé en ulcère avec apparition de rougeur, œdème et douleurs au pied et à la jambe. Il ne se souvient pas d’avoir subi un trauma et confirme ne pas sentir beaucoup ses pieds. Sa peau est toujours très sèche et il a perdu sa pilosité il y a plusieurs années. À ma visite, il avait reçu de la ciprofloxacine pendant près de 10 jours. A L e pied diabétique est une infection communément appelée « infection du pied diabétique ». Ce diagnostic est toutefois large et imprécis. En effet, il s’agit plutôt d’un terme englobant diverses pathologies faisant partie d’un continuum qui, chez le patient diabétique, culmine à l’amputation d’une partie plus ou moins grande du membre inférieur infecté. Ainsi, pour le pronost tic et le traitement adéquat de ce type d’infection, il faut impérativement uven nel e p ées person classifier l’infection chez chaque patient. t o ri s insi, pour le pronostic et le es t i © d r t te n h traitement i g e i l r ia y c r p e adéquat de ce o C n commpersonneosuaruleur usage type d’infection, Quelsusont p deesrisque de développement d’infection du ioles ofacteurs t ée. L e coupie b i b h i n r trpiedisédiabétique? il faut s est p primer u i e d m incluent la neuropathie, la maladie vasculaire t iimportants et non autoLesr alfacteurs e ser e et l’hyperglycémie. t i impérativement n u périphérique VeL’utilisatioanfficher, vis classifier er, harg c é l té Plusieurs facteurs de risque ont contribué à l’infection chez l’infection de notre patient, soit : l’hyperglycémie, chaque patient. le diabète très mal contrôlé avec une HbA1c à 12 (signifiant des glycémies capillaires souvent au-dessus de 15 et même 20) et la probable neuropathie sensitive autonome (peau sèche, perte de la pilosité, diminution subjective de la sensation des pieds et onychomycose). le clinicien mai 2011 11 Info infectiologie D e plus, il est important de valider le statut neurovasculaire du patient, car le degré d’ischémie influence la gravité de l’infection. De quelle manière puis-je classifier une infection du pied diabétique? Il existe une classification simple en quatre catégories permettant d’évaluer le risque d’amputation chez un patient avec pied diabétique. Elle permet également de cibler les germes en cause les plus probables, facilitant ainsi la sélection d’une antibiothérapie empirique adéquate (Tableau 1). L’infection de notre patient est modérée. En effet, on note de la gangrène sèche, il y avait initialement une zone cellulitique de plus de 2 cm et le patient n’a pas de symptômes systémiques. Toutefois, il faut effectuer un bilan sanguin pour vérifier la présence d’anomalies métaboliques (ex. : élévation de la créatinine ou leucocytose) qui changeraient la classification de modérée à grave. De plus, il est important de valider le statut neurovasculaire du patient, car le degré d’ischémie influence la gravité de l’infection. Quelques signes cliniques présents sur la photo (page 1) nous font suspecter ce genre d’atteinte (peau sèche, perte de la pilosité, onychomycose importante, etc.). Quelles manœuvres considérer pour évaluer la gravité de l’atteinte, incluant le statut vasculaire et le risque d’ostéomyélite? Dr Roussy est résident IV en microbiologieinfectiologie. Il pratique présentement au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Dr Martel est microbiologisteinfectiologue, interniste. Il pratique présentement au Centre hospitalier de l’université Laval. 12 le clinicien mai 2011 La détermination de la présence d’ostéomyélite est importante dans la prise en charge du cas. En effet, la durée de l’antibiothérapie est plus longue et nécessite souvent une intervention chirurgicale précoce. Quelques facteurs augmentent le risque d’ostéomyélite chez un patient avec une infection du pied diabétique : • os visible ou atteinte de l’os en utilisant un écouvillon (« probing »); • ulcère de plus de 2 x 2 cm; • durée de l’ulcération de plus de une à deux semaines; • vitesse de sédimentation de plus de 70 minutes. Une radiographie de base doit être faite chez tout patient. S’il n’y a pas d’atteinte osseuse visible, il faut alors effectuer une imagerie supplémentaire, comme la scintigraphie osseuse au gallium ou l’imagerie par résonance magnétique, pour confirmer ou non l’ostéomyélite. Notre patient a un risque accru d’être atteint d’une ostéomyélite, car son ulcère est de plus de 2 cm. De plus, son ulcère est présent depuis un mois et la protéine C réactive effectuée est à 144 mg/L (N = plus petit que 3). Info infectiologie Tableau 1 Manifestations cliniques de l’infection du pied diabétique Gravité de l’infection Manifestations cliniques de l’infection Non infecté Plaie sans purulence ou sans manifestations inflammatoires Légère • Présence de deux manifestations inflammatoires ou plus (pus, érythème, douleurs, chaleur, induration), mais zone d’érythème ou cellulite de 2 cm ou moins autour de l’ulcère; • Infection limitée à la peau ou aux tissus sous-cutanés superficiels; • Absence de complication locale ou de symptômes systémiques. Germes : Cocci à Gram + aéro-anaérobies (Staphylococcus aureus, streptocoques du groupe A et B et staphylocoques à coagulase négative). Exemples d’ATB efficaces : clindamycine, céfazoline, amoxicilline et clavulanate, ciprofloxacine ou lévofloxacine ou moxifloxacine. Modérée Infection telle que légère, chez un patient sans atteinte systémique et métaboliquement stable, mais ayant une ou plusieurs des caractéristiques suivantes : • • • • • • cellulite de plus de 2 cm; traînée de lymphangite; atteinte sous le fascia superficiel; abcès des tissus profonds; gangrène; atteinte du muscle, tendon, articulation ou os. Germes : polymicrobiens (idem à l’infection légère, puis entérocoques, entérobactéries, Pseudomonas æruginosa et anaérobies) Exemples d’ATB efficaces : clindamycine, céfazoline, amoxicilline et clavulanate, ciprofloxacine, ou lévofloxacine, ou moxifloxacine ou bêta-lactamine + inhibiteurs des bêta-lactamases (meilleurs choix en gras). Grave Infection chez un patient, ayant une toxicité systémique ou une instabilité métabolique : • • • • • • • • fièvre; tachycardie; confusion; hypotension; leucocytose; acidose; insuffisance rénale aiguë; hyperglycémie grave. Germes : idem à l’infection modérée et présence de nombreuses bactéries anaérobies (streptocoques, bactéroïdes spp et Clostridium spp). Exemples d’ATB efficaces (voie IV préférable) : bêta-lactamine + inhibiteurs des bêta-lactamases, carbapénèmes (si échec du traitement, germe résistant cultivé). Ajout de vancomycine, si SARM prouvé ou très suspecté. N.B. L’ischémie du pied augmente la gravité de toute infection et la présence d’ischémie critique aggrave souvent l’infection. Tiré de : Lipsky, BA, Berendt,AR, Deery, HG, et coll. Diagnosis and Treatment of Diabetic Foot Infections. Clin Infect Dis 2004; 39:885. CONCLUSION DU CAS DU PATIENT Notre patient ayant une atteinte modérée à grave (flore polymicrobienne), il faut débuter un traitement parentéral avec une bêta-lactamine et des inhibiteurs des bêta-lactamases (comme pipéracilline + tazobactam ou ticarcilline + clavulanate). L’imagerie nous permettra ensuite de statuer sur la présence ou non d’ostéomyélite. Les cultures doivent être faites rapidement (optimalement au cours de la chirurgie de débridement nécessaire pour ce patient, étant donné la nécrose, la gangrène et l’atteinte osseuse). Dans le présent cas, la culture superficielle est inadéquate, étant donné l’atteinte plus profonde. Le traitement sera par la suite ajusté selon les cultures. Une consultation en chirurgie vasculaire devra être demandée pour évaluer le potentiel de revascularisation du patient et l'intensité de l'intervention chirurgicale. C le clinicien mai 2011 13