En sollicitant à peine l’histoire des termes,
on pourrait dire que ce mot est le résultat
d’une manipulation, non pas génétique,
mais lexicale. En créant le mot
Genom
en
allemand – c’était en 1920 –, le biologiste
Winckler combinait en effet le nom
Gen
, le
gène, tiré par le savant danois Johannsen
(1909) du grec
genos
, avec la finale de
« chromosome ». Johannsen est aussi
responsable du terme « génotype », bien
mieux formé que notre « génome ». Peu
importe, puisque ces notions sont toutes
essentielles à la compréhension de la vie, de
sa transmission spécifique (selon l’espèce)
et sans doute, s’agissant de l’être humain,
des caractères individuels. Dans l’usage des
mots de la génétique, cependant, des excès
se sont produits : on a voulu faire des gènes et
de leur organisation « génomique » la clé de
toute individualité humaine, oubliant qu’une
personnalité est le résultat des infinies
modulations que font subir au génome de
chacun de nous les comportements, les
circonstances, les habitudes, en un mot la
culture.
Lorsqu’on parle de morale, mot dont l’origine
est latine et concerne la manière de vivre en
société, mores « les mœurs», tout le monde pense
comprendre de quoi il s’agit. Si on veut faire
plus cultivé, on évoque l’éthique et ce terme, qui remonte
au grec ethos, dit apparemment à peu près la même chose.
Cependant, sous l’infl uence de l’anglais, « éthique » s’est
spécialisé par rapport à « morale »: ce dernier est à la fois
général et absolu. Depuis le grand philosophe allemand
Kant, les exigences, la loi de la morale sont considérées
comme des règles absolues, sans exception. L’humanisme,
qui requiert une défi nition unique de l’être humain, est le
domaine de la morale, qu’elle soit respectée ou violée – ce qui
est atrocement fréquent. En revanche, chaque civilisation,
chaque domaine de l’action humanitaire a des aspects
concrets ou, plus modestement, on cherche à retrouver
la loi morale sans jamais l’atteindre; on peut alors parler
d’éthique, et, par exemple, d’éthique de la vie (bioéthique).
Il existe une éthique pour chaque profession, même les
terroristes et les espions, qui est bien loin de la morale sans
concession. Contrairement aux apparences, « morale »
est un terme hautain, absolu et presque impossible à
réaliser comme liberté ou justice, alors qu’« éthique » est
plus pratique, concret, modeste et adapté. La bioéthique,
l’éthique médicale visent la morale; tentent de s’en
rapprocher avec pragmatisme. Hormis l’utopie, mieux vaut
commencer par l’éthique.
MÉDECINS
NUMÉRO SPÉCIAL BIOÉTHIQUE 5
Éthique
et morale
GénomeGénome
Ces chroniques d’Alain Rey sont parues dans
le
Bulletin de l’Ordre des médecins
entre
janvier 2000 et décembre 2009.
&
Ém
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