68-89_HIT_RHF545_19+3_Dossier_RHF 19/04/12 18:29 Page72 Systèmes d’information en santé Spécial HIT 2012 Docteur Arnaud HANSSKE Conseiller national systèmes d’information, FHF Classification et niveau d’informatisation des structures de santé Partons du principe que l’on ne maîtrise que ce que l’on mesure. Dès lors, il devient primordial de concevoir des modèles de mesure de la maturité des organisations relatifs aux technologies d’information, aux dossiers médicaux informatisés et autres processus de gestion clinique. Objectif : articuler le niveau d’informatisation des structures de santé et une conception stratégique de leur utilisation. L a démarche existe depuis plusieurs années aux USA, à l’instar du Capability Maturity Model présenté par l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh, Pennsylvanie. Le modèle de développement applicatif en santé (Health Information Management Systems Society, dit HIMSS Analytic) est issu de l’étude de données rassemblées auprès de sociétés de services ayant travaillé pour le compte du département américain de la Défense. Aujourd’hui assez répandu, il constitue un modèle de mesure de niveau de maturité des niveaux d’informatisation applicable aux structures de santé, en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et ambulatoire. Une première version de ce modèle, limitée au MCO, est née vers 2005. Elle a été publiée pour la première fois aux ÉtatsUnis en 2006. Une version spécifique au contexte ambulatoire est prévue en 2012. Le modèle a déjà essaimé dans le monde entier. Adapté au Canada, il est en phase 72 N ° 5 4 5 - M a r s - Av r i l d’adaptation en Europe ainsi qu’en Asie. Sur ce continent plusieurs hôpitaux, comme l’hôpital Bundang de l’université nationale de Séoul, ont été classés au niveau 6 de l’échelle Electronic Medical Record Adoption Model, dite EMRAM (cf. schéma 1Classification EMRAM du Himms). Autre signe d’utilisation et d’appropriation: l’administration Obama a utilisé ce modèle afin d’estimer le montant des fonds nécessaires pour que les hôpitaux américains volontaires puissent être classés au niveau 4 de l’échelle EMRAM dans un délai assez rapide. Le bénéfice le plus direct pour le directeur des systèmes d’information et d’organisation est de disposer d’un référentiel d’implantation de technologies pertinentes pour la mise en œuvre d’un dossier clinique ou médical complet. Le référentiel contribue à l’amélioration des soins au moyen de règles de support à la décision clinique, de notifications et de protocoles disponibles. 2 0 1 2 L’échelle EMRAM >> Niveau 0 : le dossier papier existe encore et concerne le dossier patient. Des systèmes d’information départementaux (laboratoires, radiologie, explorations) peuvent exister, mais ils ne sont pas intégrés. >> Niveau 1 : les trois principaux systèmes de soutien diagnostique et thérapeutique (laboratoire, pharmacie et radiologie) sont entièrement implantés : • le dossier patient est encore largement disponible en version papier, • les principaux systèmes de soutien diagnostique et thérapeutique (laboratoire, pharmacie, radiologie) sont implantés, • les systèmes ne sont pas encore intégrés, ni centrés sur les patients, • les données ne sont pas encore emmagasinées dans un entrepôt de données. À ce stade, l’accès est réduit à des données de base paracliniques avec une granularité plus ou moins élaborée. >> Niveau 2 : les principaux systèmes d’information de soutien alimentent un référentiel clinique ou un entrepôt de données, notamment : • une base de données centralisée contient les données des principaux systèmes d’information diagnostique et thérapeutique, • des systèmes d’information dédiés laboratoire, radiologie et pharmacie sont intégrés et interfacés par le biais des documents cliniques, 68-89_HIT_RHF545_19+3_Dossier_RHF 19/04/12 18:29 Page73 t a l i è r e d >> Niveau 5 : il correspond au circuit complet du médicament : prescription médicale, dispensation et vérification des ordonnances au niveau de la pharmacie, administration des médicaments au sein du service. Les prescriptions de médicaments sont vérifiées par un pharmacien avant l’administration. Les soignants ont la possibilité d’utiliser les technologies de type code-barres sur le lieu d’administration des médicaments. Les cinq règles de l’administration des médicaments sont suivies et tracées : le bon médicament, la bonne dose, la bonne personne, la bonne voie d’administration et le bon moment. L’intérêt du niveau 5 (cf. encadré) est d’éliminer les erreurs de médicament, d’améliorer la sécurité iatrogénique, le niveau de confiance des patients et la qualité de prise en charge. >> Niveau 6 : il implique une documentation clinique complète, des protocoles et des données implantées dans le système, un système d’aide à la décision, un accès complet au PACS, une documentation clinique et disponible dans au moins un service. L’intérêt de ce niveau est multiple. Il réside dans la mise en place de recueils de données structurées e F r a n c e (partage d’information), l’accès à un système d’aide à la décision clinique incluant conseils cliniques et analyses sophistiquées, à un système d’imagerie PACS (meilleurs diagnostics) et à des données de plus en plus dématérialisées. Les retours d’expérience montrent que l’atteinte du niveau 6 améliore le consensus et le partage d’une documentation clinique. On note une meilleure qualité des données recueillies, une meilleure Exemples de création de valeur ajoutée liée à l’atteinte du niveau 4 Valeur ajoutée pour le groupe Sentara Health System (six hôpitaux aux États-Unis) • réduction de 5,5% des examens de laboratoire (élimination de requête en double), • réduction de 17% des délais entre la prescription de médicaments et l’administration grâce à la prescription électronique, • réduction et optimisation de la durée de séjour (16000 jours inutiles): environ 7 millions de dollars d’économies. Actualités i << Valeur ajoutée pour l’hôpital NorthShore University Health System • réduction de 70 % du délai d’administration des médicaments, • 33% des cas ou alertes pour allergie sont détectés: les médecins modifient et adaptent leurs prescriptions en direct. >> Classification EMRAM du Himms - Schéma 1 Exemples de création de valeur ajoutée liée à l’atteinte du niveau 5 Source Himss Pour le Sentara Health System qui compte six hôpitaux aux États-Unis • environ 88 000 erreurs potentielles de prescription évitées grâce aux alertes levées par l’utilisation des dispositifs code-barres, • mais augmentation de 22 % du temps infirmier au chevet du patient (augmentation attribuable au déploiement du système de prescription) N ° Pour le NorthShore University Health System • réduction de 20% des omissions dans l’administration des médicaments. 5 4 5 - M a r s - Av r i l 2 0 1 2 Parcours de soins • l’information clinique, administrative ou autre, est numérisée et consultable par voie électronique, une plateforme permet l’accès aux données cliniques de base via une seule interface pour l’usager, Le niveau 2 met en place les fondations d’un dossier clinique informatisé centré sur le patient. >> Niveau 3: la prescription électronique et la documentation clinique sont disponibles et installées. Ce niveau permet de décrire un soutien à la décision clinique : détections d’erreur de prescriptions médicamenteuses, doublons, conflit médicamenteux et examens de laboratoire… >> Niveau 4: outre l’outil de prescription, des protocoles cliniques fondés sur les données existantes et probantes sont mis en place et intégrés aux outils d’aide à la décision. Des aides aux prescriptions ou aux décisions sont disponibles. L’intérêt de ce niveau (cf. encadré) réside dans le travail de standardisation et d’amélioration de la prestation de soins, ainsi que dans la robustesse de l’environnement des prescriptions. Des outils d’aide à la décision clinique de niveau intermédiaire sont en outre disponibles, réduisant le potentiel d’erreur médicale. p Sur le web s Tarification et convergence o Ressources humaines et médico-social h Droit et jurisprudence e Système d’information en santé u Librairie v Offres d’emploi e Classification et niveau d’informatisation des structures de santé R 73 68-89_HIT_RHF545_19+3_Dossier_RHF 19/04/12 18:30 Page74 Systèmes d’information en santé Spécial HIT 2012 accessibilité et une augmentation du turnover des patients. Deux grands axes se profilent en matière de retour sur investissement (ROI). Le premier axe de ROI concerne les dépenses mesurables : • réduction des duplications de prescriptions médicales, • réduction/optimisation des durées de séjour, • réduction des effets indésirables des médicaments, • réduction des coûts liés au traitement des documents papier (transcriptions, numérisation, archivage, manutentions…). Le second axe de ROI concerne des dépenses moins visibles mais présente des bénéfices qualitatifs : • réduction des erreurs et des pertes potentielles, notamment des frais d’assurance en responsabilité, par exemple, • augmentation de la satisfaction soignante et du présentéisme, • augmentation de la satisfaction du personnel médical et meilleur suivi des patients, • augmentation de la satisfaction des patients et de leurs familles. >> Niveau 7 : il comporte un dossier clinique médical complet totalement dématérialisé, un niveau de partage intégral assurant le continuum des soins et services. >> Synthèse de la répartition des coefficients de classification - schéma 2 10 Circuit 30 du médicament complet 5 20 5 10 PACS Interfaçage, intégration Laboratoires Anapath Examens paracliniques 10 10 10 Tableaux de bord reporting 10 Gestion des ressources, agendas 5 Dossier patient, échanges avec l’extérieur (TLM, DMP, réseaux…) Dictée numérique Dématérialisation, numérisation, signature électronique 5 Mobilité (wifi) SOCLE incontournable : selon les modalités d’Hôpital numérique 74 N ° 5 4 5 - M a r s - Av r i l Les informations cliniques sont échangées via les transactions normalisées de type IHE (International Health Exchange). L’établissement n’a plus recours au papier pour prodiguer et gérer les soins aux patients. L’interopérabilité des flux d’information entre unités de soins, urgences et hôpitaux de jour contribue à la constitution progressive d’un véritable dossier patient informatisé, et à un soutien du processus de soins. Programme Hôpital numérique À l’échelon français, l’heure est au programme Hôpital numérique. L’objectif est de décliner un programme le plus pratique et cohérent possible agissant sur plusieurs leviers, notamment la détermination de priorités à partir de trois prérequis : • la maîtrise de « l’identité mouvement » (gestion administrative du patient), • la fiabilité/disponibilité de l’information, • la maîtrise continue de la confidentialité. Ces trois prérequis forment un socle. Ce dernier sera a priori incontournable pour l’obtention de financements dans le cadre du programme Hôpital numérique. Cinq domaines prioritaires et fonctionnels sont identifiés à partir de ce socle : • les résultats d’imagerie, de biologie et d’anatomopathologie, • le dossier patient informatisé et interopérable, • la prescription électronique alimentant le plan de soins, • la programmation des ressources et l’agenda patient, • le pilotage médico-économique. Le programme Hôpital numérique concerne l’ensemble des établissements publics, privés et ESPIC, quel que soit leur champ d’activité (MCO, services de soins de suite et de réadaptation, psychiatrie, hospitalisation à domicile). Des indicateurs ont été conçus afin de mesurer de façon équilibrée chaque prérequis et domaine fonctionnel. Ces indicateurs sont de deux types : les indicateurs d’usage correspondent à l’utilisation du système d’information dans les domaines fonctionnels ou prérequis ; les indicateurs d’organisation se rapportent à l’allocation de moyens humains ou financiers 1. 2 0 1 2 Une combinaison EMRAM/ programme Hôpital numérique? Notre propos consiste à tenter une combinaison de l’expérience EMRAM et de la démarche structurante du programme Hôpital numérique, et de représenter cette combinaison par un schéma progressif, clarifiant certaines priorités (cf. schéma 2 - Synthèse de la répartition des coefficients de classification). Cette combinaison s’appuie sur le socle Hôpital numérique comme base de structuration du modèle. Il intègre les cinq « blocs » rattachés aux cinq domaines, présentés dans le schéma de synthèse. Une gradation est réalisée suivant les préconisations de la classification EMRAM, notamment au niveau du circuit du médicament. Cette combinaison permet d’envisager la mise sous coefficient des secteurs d’informatisation de la structure de santé concernée, de façon à mesurer la maturité et/ou l’avancement de son système d’information. À partir de 80 % de couverture de lits, on peut estimer le niveau atteint. Les coefficients de chaque secteur, fondés sur l’expérience, sont susceptibles d’être affinés. Au total, on peut obtenir un score sur 100 et s’en servir soit pour classer le degré de maturité du système d’information des établissements, soit pour mesurer, dans un territoire ou une région, la progression de l’informatisation de différentes structures. L e type de démarche visant à mesurer la progression de l’informatisation de structures de santé, voire à les comparer, est à encourager, en complément ou parallèlement aux travaux conduits par l’Observatoire des systèmes d’information de santé (DGOS). Les réformes actuelles et à venir impliquent une adaptation profonde des organisations. Il ne fait aucun doute que les structures bien informatisées bénéficieront d’une capacité de réaction et d’adaptation supérieure aux défis qui s’annoncent. ■ 1. Détails sur http://www.sante.gouv.fr/ programme-hopital-numerique.html.