Éditorial
Histoire de la coqueluche
Nicole Guiso
Unité Prévention et thérapie moléculaires des maladies humaines, CNR coqueluche et autres
bordetelloses, FRE CNRS 2849 - Institut Pasteur, 25 rue du docteur Roux, 75015 Paris
<nguiso@pasteur.fr>
Histoire
de la coqueluche
L’époque exacte d’apparition de la
coqueluche est inconnue. D’après N.
Rosen de Rosenstein, il est probable
que cette maladie ait pris naissance en
Afrique ou dans les Indes orientales.
Elle serait apparue en Europe et no-
tamment en France en 1414 (Traité
des maladies des enfants. Nouvelle
édition, 1792) ! On doit la première
description de la coqueluche, alors
appelée Tussis quinta ou Tussis quin-
tana, à G. de Baillou, à la suite d’une
épidémie qui s’est déclarée à Paris en
1578 (Lapin J. Whooping cough.
Springfield, IL, Charles C. Thomas, ed.
1 1943). La coqueluche n’a jamais été
mentionnée chez les Romains ou les
Grecs bien que ces derniers aient
connu des toux épidémiques comme
le souligne N. Rosen de Rosenstein.
En effet, Hippocrate écrit dans son Li-
vre 7 : « Je remarque dans une pareille
toux de l’assoupissement jusqu’au 7
e
jour. À peine les malades sont-ils prêts
de s’endormir que les envies de tous-
ser les prennent. La matière de la toux
était d’abord visqueuse, blanche,
épaisse et ne s’est détachée que vers le
onzième jour (...) dès que la matière
fut cuite, elle ressemblait à du pus.
Après l’accès de toux, la matière était
aisément expectorée. Au treizième
jour le malade sentit de la douleur au
côté droit du bas-ventre...». Si ce n’est
pas là, la description d’une coquelu-
che, au moins est-ce celle d’une toux
qui lui ressemble !
G. de Baillou précise que cette
maladie touche principalement les
enfants. Ceci suggère que les adultes
étaient immuns et que la maladie de-
vait exister auparavant. Le fait que les
premières descriptions précises de la
maladie datent du XVI
e
siècle est peut-
être dû aux changements des prati-
ques médicales de l’époque. Mais
l’analyse historique de la maladie re-
late de nombreuses évocations
contemporaines de celle-ci en Perse,
Corée, et en Inde... (Simondon F,
Guiso N. Méd Mal Infect 2001 ; 31 :
5-11). Son caractère épidémique est
établi en 1682 par T. Willis qui, en
raison du caractère convulsif de la
toux, lui donne le nom de Tussis pue-
rorum convulsiva. (Hansen W. et Fre-
ney J. Des bactéries et des hommes.
Ed. Privat. 2002 ; 67-70).
La propagation de la maladie a
vraisemblablement été par la suite in-
terhumaine ; propagation liée à l’ac-
croissement des densités de popula-
tion et aux échanges par trains et
bateaux. Après les constats de Baillou
et Willis, des épidémies apparaissent
en Suède, où elles sont observées et
décrites par T. Sydenham en 1679. N.
Rosen de Rosenstein avance qu’entre
1749 et 1764 cette maladie aurait en-
traîné la mort de 43 393 enfants (Traité
des maladies des enfants. Nouvelle
édition, 1792). La maladie se déve-
loppe alors sur le continent américain,
puis en Australie et en Océanie, et
provoque une mortalité infantile éle-
vée. Au XIX
e
siècle, la coqueluche est,
avec la rougeole, la première cause de
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décès d’enfants par maladies infectieuses. On rapporte
alors la mort d’un enfant sur 1 000 !
La coqueluche se transmet par aérosols de personne à
personne. Elle comporte, chez un sujet atteint pour la
première fois, quatre phases cliniques : une phase asymp-
tomatique d’environ une semaine ; une phase avec des
symptômes non spécifiques tels la rhinorrée, un peu de
toux, des picotements de gorge, des maux de tête, géné-
ralement sans fièvre ; une phase d’état qui peut durer 30 à
40 jours, avec toux paroxystique et quintes, souvent noc-
turnes, et reprise inspiratoire très difficile, vomissements,
côtes cassées, incontinence et très grande fatigue chez
l’adulte, pouvant être dramatique chez le nourrisson et
provoquer la mort ; enfin une phase de convalescence qui
peut aussi durer une quarantaine de jours.
La baisse de la mortalité due à la coqueluche a été
observée avant l’arrivée de la vaccination. Mais la chute
de cette mortalité, dans la proportion de 95 %, est cepen-
dant liée à la mise en place de programmes de vaccination
généralisée.
Quelques décennies après l’introduction de la vacci-
nation généralisée avec des vaccins efficaces, on observe,
parallèlement à sa baisse d’incidence, des modifications
épidémiologiques, en particulier une réémergence de la
maladie. L’âge de la maladie s’est modifié du fait de la
vaccination des jeunes enfants et de la baisse de l’immu-
nité au cours du temps. Cette baisse d’immunité vaccinale
est rendue plus manifeste par l’absence de rappels naturels
en raison de la forte diminution des contacts avec les
sujets malades. C’est ainsi que l’on a observé une augmen-
tation de l’incidence chez les adolescents et les adultes
jeunes. Les changements épidémiologiques ont mis une
quinzaine d’années à être acceptés ! Ils sont maintenant
bien documentés, et la mise sur le marché de nouveaux
vaccins coquelucheux permet enfin d’établir de nouvelles
stratégies vaccinales. Il est devenu évident qu’il est essen-
tiel d’organiser une surveillance de la maladie afin de
pouvoir la contrôler. Surveillance qui va nécessiter la
standardisation des techniques de diagnostics cliniques,
bactériologiques et biologiques.
Origine de la maladie
Comme les symptômes de cette maladie sont très
caractéristiques et uniques, il est difficile d’expliquer pour-
quoi il n’est pas fait mention de façon précise de cette
maladie avant le XVI
e
siècle. Cette maladie serait-elle
récente ? Une des hypothèses avancée depuis quelques
décennies est que son origine serait liée à l’adaptation à
l’homme d’une bactérie d’origine animale, en particulier
domestique, vers 1400. Depuis l’isolement de l’agent de la
maladie, la bactérie Bordetella pertussis, de nombreuses
études ont été réalisées sur cette bactérie et sur deux autres
espèces du genre Bordetella,parapertussis et bronchisep-
tica, en particulier le séquençage de leur génome. L’utili-
sation combinée de plusieurs techniques d’analyse des
génomes a récemment montré que B. pertussis (germe
spécifique de l’homme) dériverait d’une B. bronchiseptica
(bactérie pouvant infecter un grand nombre de mammifè-
res) qui se serait adaptée à l’homme (Diavatopoulos DA, et
al.Plos Pathogens 2005 ; 1(4):e45).
Les hypothèses actuelles sont :
soit que B. pertussis se serait adaptée à l’homme
depuis beaucoup plus longtemps que prévu, mais que
l’introduction de cette bactérie en Europe serait récente ;
soit qu’une bactérie B. bronchiseptica se serait adap-
tée à l’homme il y a un ou deux millions d’années, et
qu’ensuite B. pertussis se serait récemment individualisée
(Diavatopoulos DA et al.Plos Pathogens 2005 ; 1(4) :
e45).
Agent de la coqueluche
C’est dans la thèse de J.M. Goupil (Goupil JMA. Thèse,
Paris. 1818 n° 261) et dans les écrits d’A. Trousseau
(Trousseau A. Clinique de l’Hôtel-Dieu de Paris. 1868 ;
Tome 2 : 480-500) que l’on trouve les descriptions les plus
précises du comportement de l’enfant atteint de la mala-
die. Au XIX
e
siècle, la coqueluche était donc connue et
abondamment décrite, mais on n’en connaissait pas la
cause. Était-ce « un catarrhe ou une névrose » ? Une « sur-
charge stomacale par les crudités », une « sécheresse de
l’air » ou « des insectes introduits dans la respiration » ?
L’agent de la coqueluche fut isolé, après de nombreux
essais infructueux de différents bactériologistes européens
par deux immunologistes, J. Bordet et son beau-frère O.
Gengou. À cette époque, immunologie et bactériologie
étaient très imbriquées. J. Bordet, découvreur de la voie
classique de l’activation du complément, était convaincu
du rôle étiologique d’une bactérie dans la coqueluche.
C’est en 1900 qu’il identifia la bactérie dans l’expectora-
tion d’un nourrisson de cinq mois atteint de coqueluche,
mais n’arriva pas à l’isoler car il se heurta aux problèmes
de fragilité du germe, et à la mise au point d’un milieu
particulier. En 1906, J. Bordet parvient, cette fois, à isoler
le même germe que celui observé en 1900, dans l’expec-
toration d’un nourrisson de deux mois (qui aurait été son
propre fils, Paul) grâce à la mise au point d’un milieu
particulier avec O. Gengou (Bordet J., Gengou O. Le
microbe de la coqueluche. Les annales de l’Institut Pasteur
1906 ; Tome 20 : 731-741 et 1907 ; Tome 21 : 720-72). Ce
milieu, maintenant connu comme milieu de Bordet-
Gengou, contient de l’amidon et du sang défibriné de
lapin, cheval ou mouton. Le germe isolé est une bactérie.
Rapidement, J. Bordet observe et décrit la variabilité anti-
génique. En effet, la bactérie, qui ne peut être isolée qu’au
tout début de la période de toux, ne peut être cultivée, à
partir des expectorations, que sur du milieu Bordet-
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Gengou. Cependant, après plusieurs repiquages, la bacté-
rie peut être cultivée sur milieu ordinaire. Or, les immun-
sérums développés chez l’animal après vaccination avec
la bactérie isolée sur milieu de Bordet-Gengou, aggluti-
nent cette bactérie, mais pas celle cultivée sur milieu
ordinaire et vice-versa. Le phénomène décrit ensuite par
P.H. Leslie et A.D. Gardner (Leslie PH, Gardner AD. The
phases of haemophilus pertussis. Journal Hygien of Cam-
bridge 1931 ; 31 : 423-434) est le phénomène de variation
ou modulation de phase dont les caractéristiques molécu-
laires sont maintenant bien connues.
Par ailleurs, J. Bordet et O. Gengou mettent en évi-
dence la production d’une endotoxine par cette bactérie
et mettent au point les conditions de production d’un
vaccin coquelucheux composé de bactéries entières (Bor-
det J. Gengou O. L’endotoxine coquelucheuse. Les anna-
les de l’Institut Pasteur 1909 : 415). La bactérie fut appelée
Hæmophilus pertussis puis Bordetella pertussis en l’hon-
neur de J. Bordet.
Étymologie du mot coqueluche
La coqueluche, que l’on classe souvent comme « ma-
ladie de la petite enfance », ce qui est faux, ne cesse de
nous poser des énigmes, même au niveau de son étymo-
logie.
L’étymologie du mot coqueluche serait celle de cucul-
lum mot latin désignant le « capuchon ». Pourquoi cucul-
lum ? Soit parce que, comme disait J. Sirois en 1586, « la
maladie affligeant principalement la tête semble l’investir
et élever à la similitude du capeluche ou coqueluche »
soit parce que les personnes atteintes de coqueluche se
garantissaient du froid par le port d’un capuchon.
Parmi les autres étymologies ilyalanotion de chant
du coq (le terme français qui s’applique au chant du coq
est : coqueliner). En Europe cette maladie a ensuite été
appelée mal du mouton ou toux de l’âne (Italie) ou mal des
poules (Allemagne) ou chant du coq (France), ce qui
montre que la comparaison avec les symptômes des mala-
dies animales est manifeste à l’époque (Goupil JM. Thèse
de Doctorat en médecine, 1976, Caen).
On dit aussi que le mot coqueluche pourrait trouver
son origine dans le coquelicot car, aux XVI-XVII
e
siècles,
on employait le sirop de cette plante comme anti-tussif.
Mais Goupil infirme cette étymologie car le pavot em-
ployé alors était le papaver sommiferum et non le papaver
rhoeas ou coquelicot ! (Goupil J.M.A. Thèse Paris 1818 n°
261)
L’étymologie du mot « quinte » vient du latin quinta
qui veut dire cinq. D’après de Baillou, on aurait cru
remarquer que les accès de toux surviennent toutes les
cinq heures. On a parlé aussi d’un terme emprunté aux
musiciens, le malade émettant un son bitonal réalisant un
accord de quinte. Enfin, L. Schenk, à propos d’une épidé-
mie parisienne en 1695 écrit « car de même que pour
saisir la quintessence, il est très difficile de soigner cette
toux », ce qui veut dire que ne pouvant en saisir ni la
nature ni la soigner, cette toux s’était vu attribuer le terme
de « quinteuse » dans le sens qu’on lui connaît encore
actuellement lorsque l’on parle d’un caractère « quin-
teux », caractère difficile à analyser (Goupil J.M.A. Thèse
Paris 1818 n° 261).
Nous ne saurons sans doute jamais les étymologies des
mots coqueluche et quinte. Mais autant le mot quinte est
utilisé par G. de Baillou pour la première fois, autant le
mot coqueluche n’a pas été utilisé par les médecins, ce qui
tend à prouver qu’il est d’origine populaire.
Après la première description de la maladie, par G. de
Baillou qui n’emploie que l’expression Tussis quinta et
Tussis quintana, ce furent celles de Sydenham qui l’ap-
pelle Pertussis (de Baillou G. Traité de médecine en 4
tomes, Genève, 1762, chez les frères de Tournes. “Tussis
Quinta” Tome 1, p.178). Les noms médicaux aux XVII
e
et
XVIII
e
siècles furent tussis ferina, tussis suffocativa, tussis
convulsiva, tussis clangosa, tussis ferina seu furibonda...
Ce n’est qu’à partir du XIX
e
siècle que la coqueluche
fut décrite cliniquement en France, en Allemagne et en
Angleterre, comme une maladie comprenant trois pério-
des : l’invasion (stadium catarrhale) comparé à un rhume
ordinaire avec une toux sèche ; la période convulsive
(stadium convulsivum) et enfin la période d’expectora-
tions (stadium miasmaticum).
Mais nous laisserons à Marcel Pagnol le soin de
conclure :
Marius
Oh, vous savez, la coqueluche, ce n’est pas si terrible !
César
Malheureux ! Ça s’attrape rien qu’en regardant ! C’est
une espèce de microbe voltigeant, cent millions de fois
plus petit qu’un moustique ! Et c’est un monstre qui a des
crochets terribles... Et dès qu’il voit un petit enfant, cette
saloperie lui saute dessus, et essaye de lui manger le
gosier, et lui fait des misères à n’en plus finir !
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