des légendes, et particulièrement celle qui concerne la tribu du Nadhor...2.
Kateb éprouve toujours le besoin de se retremper dans le milieu et de se
revivifier à ses sources.
A partir de là, nous nous rendons compte de l'immense et intéressant travail
qu'effectue «l'écrivain public» en voulant préserver une mémoire vive,
perturbée, déchirée, mais toujours chère, celle de tout un peuple.
Issu, donc d'une tribu très réputée dans tout l'Est algérien (groupe des
Kbeltiya), il est né dans une famille de lettrés.
Quelqu'un qui, même de loin, aurait pu m’observer au sein du petit
monde familial, dans mes premières années d'existence, aurait sans
doute prévu que je serais un écrivain, ou tout au moins un passionné de
lettres, mais s'il s'était hasardé à prévoir dans quelle langue j'écrirais, il
aurait dit sans hésiter : 'en langue arabe, comme son père, comme sa
mère, comme ses oncles, comme ses grands-parents'.»3
Kateb parle ainsi de la rencontre avec son père spirituel Cheikh
Mohammed Tahar Ben Lounissi dans un café maure à Constantine :
Il vient tout droit à ma table et me demande 'Est-ce que tu ne serais pas
de telle famille ?' et il me sort immédiatement tout un arbre généalogique.
Pas de doute il connaissait tous mes parents et il me dit : 'Naturellement,
tu dois écrire, toi, parce que ta famille vient de ces tribus de lettrés, au
sein desquelles on improvise la poésie. C'est ce qui montre que la poésie
n'est pas une chose qui appartient à tel ou à tel'.4
Kateb s'est vu depuis sa jeunesse en quête d'identité et de «nationalité»
algérienne. Dans sa tribu, renforcée depuis toujours par le mariage
consanguin, la tradition orale est plus vivante que jamais, et se transmet de
père en fils, de génération en génération, depuis le premier ancêtre5. Dès sa
tendre enfance, l'auteur nourrit son imagination de mythes et de légendes
issus de sa tribu, mais aussi d'autres en provenance de tout le Maghreb. S’il
est vrai que «tout l'homme est dans l'enfant»6, une fois adulte, Kateb n'a rien
voulu perdre de cette richesse orale. Il en a donc transformé, à l'aide de son
imagination fertile, une infime partie et a gardé une grande partie telle
qu'elle a été transmise par ses aïeux. L'auteur revient boire à la source, hanté
par ce que lui racontaient sa mère, son père et ses grands-parents. «[Son]
2 La tribu de l'auteur, éparpillée dans l'Est algérien : Constantine, Bône, Guelma et Souk-Ahras.
On la trouve même à Alger et de l'autre côté de la frontière algéro-tunisienne.
3 Le Polygone étoilé, Paris, Le Seuil, 1966.
4 Lakhdar Amina & Jean Duflot, «Kateb Yacine, les intellectuels, la révolution et le pouvoir»,
Jeune Afrique n° 234, Paris, 26 mars 1967.
5 Dans sa thèse, Madame Jacqueline Arnaud parle de la différence d'âge entre Kateb et Keblout
l'ancêtre. Il existe neuf générations d'écart entre les deux.
6 Lakhdar Amina & Jean Duflot…