458 Passages et ancrages. Dictionnaire
et écrire L’homme aux sandales de
caoutchouc (1970), qui provoqua un
beau scandale lors de sa représen-
tation par M. Maréchal au Théâtre
du 8e à Lyon en 1971. Errance de
metteur en scène itinérant des pièces
en arabe dialectal qu’il créa dans les
pires conditions en Algérie à partir
de 1971. Errance enfi n entre la litté-
rature et le militantisme, mais aussi
et surtout entre les genres littéraires;
cette même quatrième de couverture
ne dit-elle pas pour fi nir : « [l]e lec-
teur, de longue date, était averti que
Nedjma, Le cercle des représailles,
Le polygone étoilé, les poèmes à pa-
raître en un prochain volume, sont une
seule œuvre de longue haleine, tou-
jours en gestation » (Le polygone étoi-
lé, quatrième de couverture). Il est dès
lors impossible de décrire l’œuvre de
K. comme autant d’unités closes sur
elles-mêmes et leur propre logique.
Toujours en gestation, son œuvre
comme sa vie sont passage et muta-
tion, mais aussi répétition sans cesse
modifi ée de la même geste obsession-
nelle des mêmes personnages fi ctifs
ou légendaires, des mêmes unités
narratives en écho les unes aux autres
et en transformation les unes par les
autres. Au commencement cepen-
dant il y eut cette « gueule du loup »
(Le polygone étoilé 1997, 181) de la
langue française dans laquelle son
père, lettré arabisant, le jeta enfant, et
qui marqua cette rupture, cette perte
de la mère et du lieu à partir de la-
quelle se construisit toute cette œuvre-
errance. Rupture, premier arrache-
ment, première migration pour et par
le premier texte publié, rupture que
furent également le premier départ
pour Paris d’abord, puis les années de
nomadisme en France qu’il raconte
dans Le polygone étoilé, au cours des-
quelles il exerça toutes sortes de pe-
tits métiers, et où sa stature d’écrivain
se constitua véritablement.
Œuvre-errance, l’œuvre entière de
K. est d’abord rencontre visionnaire
de genres apparemment hétérogènes,
entre eux et avec la réalité, tant bio-
graphique que nationale. Le genre
romanesque comme celui de la tragé-
die, qui s’inspire à travers B. Brecht
de la tragédie grecque, sont ici fécon-
dés par celui dont ils sont censés re-
présenter la mort (si l’on en croit des
théoriciens comme M. Bakhtine) : le
récit épique et mythique. C’est de la
rencontre entre différents types de
récits, migration générique parallèle
à l’errance biographique, que surgit
en quelque sorte la dynamique inspi-
rée de l’œuvre. On a beaucoup écrit,
non sans raison, sur la signifi cation
politique, dans l’Algérie colonisée,
de la subversion par Nedjma de ce
genre européen qu’est le roman. Or,
K. a fort peu théorisé cette rupture,
et cette dimension politique. Il a plu-
tôt confi é dans une interview que la
lecture de W. Faulkner et de J. Joyce,
entre autres, lui avait conféré la liber-
té d’écrire ce qu’il ressentait, hors de
toute norme d’écriture reconnue, fi xe.
Cette liberté essentielle de l’écriture
de K. fait qu’il passe en permanence
le plus naturellement du monde d’un