Colloque : L`interculturalité dans tous ses états Le théâtre lieu de

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Colloque : L’interculturalité dans tous ses états
Le théâtre lieu de croisement des cultures
Lecture interculturelle de la dramaturgie d’Alloula Abdelkader et de
Kateb Yacine.
Benkhellaf Abdelmalek Doctorant Université 20 août 1955 Skikda
Indépendamment des définitions que l’on peut donner au théâtre, on ne peut
contester que ce soit le plus social des arts. A ce propos Jean Duvignaud écrit
dans son ouvrage : « sociologie du théâtre » : « c’est un art enraciné, le plus
engagé de tous les arts dans la trame vivante de l’expérience collective, le plus
sensible aux convulsions qui déchirent une vie sociale en permanent état de
révolution. »1Certes, il est maintenant un lieu commun que d’affirmer la
socialité de l’art théâtral, mais de nos jours il est bien plus.
Le monde contemporain se caractérise par une mondialisation de plus en plus
large et de plus en plus variée. Les peuples ne se contentent plus uniquement de
la mondialisation au niveau économique. Cette mondialisation est également
caractérisée par de grands flux migratoires que ce soit en tant que demandeurs
d’emplois, d’études ou en tant que touristes les peuples ne cessent de sillonner la
planète dans toutes les directions aidés en cela par le développement des moyens
de transports. Il y a plus : le développement des moyens de communication avec
l’avènement de l’internet a fait sauter toutes les frontières devant un échange de
plus en plus libre, diversifié mettant en relation des communautés différentes les
unes des autres et ne tenant compte d’aucune contrainte d’éloignement.
C’est dans ce contexte qu’est le concept d’interculturalité. Celui-ci doit se
comprendre dans sa dimension positive, c'est-à-dire en tant qu’activité visant à
mettre en rapport la culture des groupes d’individus vivant dans un même
espace. Clanet le définit en tant que : « ensemble des processus psychiques,
relationnels, groupaux, institutionnels…-générés par les interactions de cultures,
1Duvignaud, Jean, sociologie du théâtre, Paris,PUF 1965
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dans un rapport d’échanges réciproques et dans une perspective de sauvegarde
d’une relative identité culturelle des partenaires en relation. »
De nos jours la contribution des cultures n’est plus d’inventorier ce qu’elles ont
inventé ou inventent mais elles seront évoluées en fonction de leur capacité de
communication avec l’autre, avec les autres. Cette approche de
l’interculturalisme en tant qu’action le différencie à notre avis du
multiculturalisme et du pluriculturalisme qui consistent à juxtaposer les
différentes cultures les unes à côté des autres. L’interculturalisme est par
définition interaction. L’on peut se poser une question existe-il une culture
« pure » ou « épurée » de la culture de l’autre ? est-il possible aujourd’hui de
concevoir une culture vivant dans une parfaite autarcie, loin de toutes
influences ?
Pour revenir au théâtre on citera une excellente définition de Roland Barthes
même si elle se contredit. Dans son ouvrage Essais critiques le critique répond à
la question : qu’est ce que le théâtre ainsi : « Une espèce de machine
cybernétique [une machine à émettre des messages, à communiquer]. Au repos,
cette machine est cachée derrière un rideau. Mais dès qu'on la découvre, elle se
met à envoyer à votre adresse un certain nombre de messages. Ces messages ont
ceci de particulier, qu'ils sont simultanés et cependant de rythme différent; en tel
point du spectacle, vous recevez en même temps 6 ou 7 informations (venues du
décor, du costume, de l'éclairage, de la place des acteurs, de leurs gestes, de leur
mimique, de leur parole), mais certaines de ces informations tiennent (c'est le
cas du décor) pendant que d'autres tournent (la parole, les gestes); on a donc
affaire à une véritable polyphonie informationnelle, et c'est cela la théâtralité:
une épaisseur de signes. » On peut concevoir une augmentation des nombres
qu’il propose en fonction des moyens techniques utilisés. Mais ce qui attire
notre attention c’est justement la multiplicité des éléments qui ouvrent le théâtre
sur le monde et sur les autres pratiques.
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D’autre part, le théâtre c’est l’art de l’ici et maintenant. Conçu comme texte et
comme représentation le théâtre est surtout un art du présent et d’une présence :
présence des comédiens sur scène et présence des spectateurs dans la salle. Cette
réalité des spectateurs dans la salle (au cinéma il y des spectateurs mais
invisibles car la pellicule ne sent pas leur présence) contraint les metteurs en
scène à prendre en compte leur réalité sociales et culturelle. La pièce de théâtre
ne peut être reçue de la même manière par des publics différents. Le texte qui ne
constitue qu’un argument du spectacle ou comme le considère Otacar Zich « un
élément n’ayant aucune primauté » 2est abordé différemment par chaque
metteur en scène en fonction de sa culture, de son public, de sa vision du monde.
Nous voici donc en plein processus d’un interculturalisme conscient ou
inconscient mais qui laisse quand même des traces sur le produit final qui est le
spectacle à voir. C’est un dialogue perpétuel entre les différent acteurs de la
production d’une pièce de théâtre : nous visons par acteurs les agents de la
production : les techniciens, les artistes et le texte.
Tout le monde l’atteste, en Algérie dès son origine, le théâtre est l’art de l’autre,
de l’ennemi. C’est une pratique importée par des français pour des français. Les
algériens avaient adopté cette pratique qu’ils ne maîtrisaient pas encore. A ce
propos Sid Ali Sellali écrit dans son ouvrage L’aurore du théâtre
algérien : « nous sommes redevables à l’art dramatique français dont nous
avons adopté la technologie pour créer un théâtre national algérien au sens vrai
du terme. »3Les hommes de théâtre à l’époque ne connaissaient que Molière
qu’ils avaient largement traduit simplement ou dans certains adapté. Dans le cas
de Sellali dit Allalou, il a monté la pièce qui signa la véritable naissance du
théâtre algérien : Djéha. Cependant il s’est toujours servi du moule européen,
c'est-à-dire la salle à l’italienne en U. nous sommes ici en présence d’une
technologie, d’un art importé mais ayant un contenu algérien car utilisant un
2L’esthétique de l’art et du drame
3Sid Ali Sellali, L’aurore du théâtre algérien, Oran, cahiers du C.D.H.S N° 9 1982, p 58
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personnage populaire et connu à travers tout le monde arabe. Ahmed Chéniki
parle ici de "syncrétisme culturel" nous pensons pour notre part qu’il y a ici une
situation d’interculturalisme.
Pour sa part Abdelkader Alloula qui était en quête d’un nouveau théâtre
authentiquement algérien a tenté dans ses trois pièces Legoual (les dires)
Lejouad (les généreux) et Litham (le voile) de faire une jonction entre d’une part
la halqua et la salle à l’italienne. D’une part un lieu populaire dans lequel évolue
un personnage populaire : le goual, et de l’autre un espace européen. Le premier
est ouvert ce sont les souks et les places des villages, le deuxième est fermé et
hiérarchisé : la salle pour les spectateurs et le scène et les coulisses pour les
comédiens. Cette contrainte, disons ce dialogue entre deux cultures à conduit le
dramaturge à changer le dispositif scénique de ses pièces et jouer sur des scènes
plus ou moins ouvertes.
Toujours au niveau de la scène, ce metteur en scène qui revendique la paternité
de Bertold Brecht, a été très influencé par le théâtre épique. Poursuivant le but
de la désaliénation du spectateur les trois pièces citées jouent à pleins feux, c'est-
à-dire sans artifice lumineux visant à embellir la situation et par ramollir
l’esprit critique du spectateur. Nous croyons déceler donc dans son théâtre la
présence du théâtre européen à travers l’espace et une présence allemande plus
exactement brechtienne dans sa mise en scène.
Au niveau du texte les deux pièces Legoual et Lejouad nous rappellent un genre
connu en littérature arabe : les séances – el maquamates-
Jugeons en : ces deux pièces sont constituées de micro récits racontant chacun
l’histoire d’un personnage. Ils sont entrecoupés par des songs (des chansons),
c’est un autre procédé utilisé par le théâtre épique et par le théâtre grec. Avant
de personnifier les personnages, les comédiens qui jouent le rôle de gouals
racontent d’abord l’histoire du héros. Ces micros récits n’ont pas de liaison
causale entre eux, il est donc possible de commencer par n’importe lequel
d’entre eux sans que le sens général de la pièce ne soit altéré. Notons en passant
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qu’un metteur en scène marocain a monté dans les années soixante dix les
maquamates de Badie ezzaman el Hamadani.
Toujours au niveau du texte dans la pièce Litham Alloula met en scène un
syndicaliste auquel on coupé le nez pour le punir. L’allusion ici à Gogol est
claire dans sa nouvelle intitulée Le nez. L’auteur russe raconte l’histoire d’un
fonctionnaire qui perd son nez puis le retrouve se déambulant. Il lui court après
mais ne réussit pas à le rattraper. Les traducteurs de la nouvelle notent que le
mot russe nez peut se prononcer à l’envers mais dans ce cas il a un sens
complètement différent de l’organe et qui a un rapport avec l’honneur. Cette
signification qui existe aussi chez nous « le nif » est exploitée par Alloula dans
pièce.
Le spectateur est donc convié à un véritable dialogue des civilisations. Il est mis
dans une situation d’interculturalité pour revenir au propos de notre colloque.
En ce qui concerne Kateb Yacine je ne citerai qu’un seul exemple : celui de la
tragédie grecque.
En effet Kateb Yacine utilise dans ses pièces réunies sous le titre Le cercle des
représailles le chœur. Cependant sa fonction est quelque peu différente des
tragédiens grecs. En effet chez Kateb le chœur représente tantôt le peuple, tantôt
les révolutionnaires. Dans la tragédie Les ancêtres redoublent de férocité il se
scinde en deux un chœur féminin qui décide de monter au maquis avec les
hommes et un autre masculin.
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