Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, © Masson, Paris, 1987 nO MISE AU POINT 6, pp. 261-266 L'espace mort dosable en physiothérapie respiratoire P. ALTHAUS Physiothérapeute-enseignant, École Cantonale Vaudoise de Physiothérapeutes, 2, avenue de la Sallaz, CH 1005 Lausanne, Suisse. L'auteur définit l'espace mort et le décrit en mettant en évidence son principe d'action. La revue de la littérature des principaux articles sur l'espace mort ou le rebreathing permet de donner les effets connus, les modalités d'application, les limites de la méthode et ses contre-indications. L'auteur insiste sur la surveillance systémique qui doit s'effectuer durant la séance et propose l'emploi de l'espace mort dosable dans le milieu de la gériatrie pour la prévention des complications pulmonaires liées à l'alitement prolongé. Nous nous proposons de présenter une technique de kinésithérapie respiratoire dont l'usage est des moins répandus et qui pourtant peut devenir ou redevenir d'usage courant dans les services de médecine interne et de chirurgie. En 1928, Scott et Culter proposent la méthode de rebreathing pour la prévention et le traitement des atélectasies postopératoires «21) cité par Bartlett). Vers 1960, Giebel (11) propose en Allemagne le « Totraumvergrosserung » ou la «respiration d'un volume mort» pour la gymnastique pré et postopératoire. Cette technique peut être étendue à d'autres services que ceux de chirurgie. Nous allons en décrire les principes, les modalités d'application, les effets connus, les limites, les contre-indications et les indications de choix. Tirés à part: P. ALTHAUS, à l'adresse ci-dessus. Description de l'appareil L'espace mort dosable se comp'ose d'une série de cylindres emboîtables l'un dans l'autre de façon hermétique dont la partie proximale constitue l'embout buccal, adaptable à l'enfant, à l'adulte (fig. 1) et au tube de trachéotomie ou d'intubation nasotrachéale. FIG. 1. - L'espace mort dosable et le pince-nez. Chaque cylindre correspond à un volume de 100 ml, le diamètre interne est de 3 cm (fig. 2). Ce diamètre offre une résistance à l'écoulement de l'air qui est négligeable. Il est construit avec un matériau résistant et non toxique, les cylindres sont stérilisables (vapeur - pression), par contre les embouts buccaux sont à usage unique. Le set pour adulte est livré avec 6 segments, un embout buccal et 10 pinces-nez. Tout ou partie du set est commandable séparément ainsi 262 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 6 ventilatoire et la PCOz alvéolaire (P ACOz) et par conséquent la PCOz artérielle (PaCOz). Si un homme respire pendant plusieurs minutes un mélange gazeux enrichi en COz, son débit ventilatoire augmente progressivement vers une valeur stable dont le niveau est fonction du pourcentage de COz inspiré et de la PaCOz qui en résulte. La relation n'est pas linéaire. L'hyperpnée débute pour 1 % de COz dans l'air inspiré, correspondant à environ 7 mmHg. La ventilation augmente modestement encore pour une variation de COz dans l'air inspiré entre 2 et 4 %, puis très rapidement entre 5 et 15 % de COz pour atteindre alors une valeur maximale normale à environ 80 1 mn-l. L'hyperventilation atteint son niveau maximal même si le pourcentage de COz inspiré croît encore. Cependant, elle devient de plus en plus FIG. 2. - Non, ce n'est pas un kaléidoscope l, mais un tube de 3 cm de diamètre. pénible et s'accompagne alors de troubles de la conscience pouvant conduire au stade ultime à une perte de conscience (carbonarcose). que la connection cylindrique pour la trachéotoFenner et coll. (8) comparent la ventilation au mie (28, 29). repos de 10 sujets sains respirant à travers un Espace mort anatomique: c'est le volume des espace mort de 1 400 ml ou respirant un mélange voies aériennes conductrices (26), qui inclut la de 4 à 6 % de COz à travers un circuit ouvert. trachée, les bronches, jusqu'à leurs subdivisions Avec l'espace mort, la PCOz mesurée dans les extrêmes, et qui exclut les bronchioles alvéo- voies aériennes oscille avec chaque cycle respiralaires. Il est appelé aussi espace mort série (17). toire et atteint le niveau zéro à la fin de chaque Sa valeur normale, à l'état basal, atteint volume courant, tandis que le mélange enrichi environ 150 ml. Elle augmente au cours des de COz ne permet pas cette grande oscillation fortes inspirations par suite de la traction exercée de la PCOz alvéolaire qui peut être un stimulus sur les bronches par le parenchyme pulmonaire supplémentaire au niveau des chémorécepteurs voisin (26). artériels. L'espace mort dépend aussi de la morpholoLe délai des réponses (environ 5 secondes) gie, puisqu'il représente plus exactement correspondent au temps de circulation poumon2,22 ml/kg de poids corporel pour Rathford cité . chémorécepteurs (9) est en faveur d'un mécapar Olivier (17). nisme chémoréflexe pour 20 % au niveau des C'est cet espace mort série que nous augmenchémorécepteurs aortiques et carotidiens et pour tons instrumentalement. 80 % au niveau ventrolatéral de la moelle (6). Mais c'est aussi dans les chémorécepteurs intrapulmonaires sensibles au COz que la réponse ventilatoire pourrait être modulée (16). Principe d'action LE STIMULUS COz Effets systémiques Le dioxyde de carbone est un facteur de régulation de la ventilation. Haldane et Priestley cités par Flandrois (9) donnent la première description de la relation existant entre le débit SYSTÈME RESPIRATOIRE L'augmentation de la ventilation/minute porte essentiellement sur le volume courant Ann. Kin ésithér., 1987, t. 14, nO 6 (8,18,19,20). Cette forme de réponse est propice à une meilleure ventilation alvéolaire et, en conséquence, à une meilleure épuration en COz. Le volume courant augmente avec l'augmentation de la fraction inspirée de COz (FiCOz) ou l'augmentation de l'espace mort additionnel cependant que la fréquence respiratoire ne change presque pas. Ce fait n'est valable que pour une respiration de repos (18). Sackner et coll. (18) rapportent les valeurs de ventilation additionnelle pour six sujets respirant à travers différents espaces morts dont le diamètre interne est de 5,2 cm et dont les valeurs sont respectivement de 150, 250 et 350 ml (mesuré par déplacement d'eau). Elles sont de 67 %, 85 % et 89 % au repos. Pour ces auteurs, le fait de respirer avec un embout buccal, le nez pincé, ajoute 18 % de ventilation à la respiration naturelle. Ce phénomène est confirmé par d'autres auteurs: Gilbert (12) et Askanazi (1). Les effets sur le mode respiratoire. Sackner et coll. ne montrent pas d'augmentation significative de la fréquence respiratoire. A noter cependant la faible valeur de l'espace mort utilisé lors de l'expérimentation. Fenner et coll. (8) étudient chez deux sujets sains les valeurs de la ventilation/minute, du volume courant et de la fréquence respiratoire respirant à travers un tube de 1 400 ml et de 14 mm de diamètre. Ils obtiennent au repos : une ventilation de repos de 8,06 et 8,26 1/mn, un volume courant de 537 et 486 ml et une fréquence respiratoire de 15 à 17/mn. Ces deux sujets passent après 10 minutes de rebreathing à respectivement 27,31 et 21,39 1/mn de ventilation, 1517 et 1 258 ml de volume courant, enfin 18 et 17 de fréquence respiratoire. Il semble donc que c'est principalement le volume courant et non la fréquence qui augmente lors de cette ventilation. Les effets sur les gaz du sang Ils sont bien connus; ils sont décrits par Schwartz et coll. (20) chez 15 sujets normaux respirant pendant 10 minutes à travers un tube de 3,2 cm de diamètre interne et 1 000 ml d'espace mort. Il décrit une chute rapide de là PAOz survenant durant les deux premières 263 minutes, celle-ci pouvant chuter d'une valeur de 100 mmHg jusqu'à 75-80 mmHg; la PAOz remonte dans les huit minutes suivantes pour se situer aux alentours de 90 mmHg. L'on pourrait penser que c'est le stimulus oxygène qui est à l'origine de l'augmentation de la ventilation lors de cette respiration, mais il n'en est rien, car Schwartz rapporte les mêmes effets sur le volume courant si l'on respire à travers le même espace mort muni à son extrémité distale d'un apport de 3-4 litres d'oxygène en continu. Quant à la PACOz, durant les trois premières minutes, elle augmente depuis sa valeur de base (40-44 mmHg) pour se situer aux alentours de 47 mmHg jusqu'à la fin de l'exercice d'hyperventilation. Fenner rapporte les valeurs de la PACOz et de la PaCOz chez deux sujets sains respirant à travers un espace mort de 1 400 cc ; il note que les valeurs sont très proches l'une de l'autre, la PACOz reflète la PaCOz moyenne de façon simultanée. La PaCOz de ces deux sujets sont dans les limites de la norme durant l'hyperventilation mais l'auteur ne donne pas à quel moment les prises de sang artériel sont effectuées. Mahoney et Colgan (15) mesurent les PAOz et PaOz de 10 patients sans complications pulmonaires après chirurgie abdominale susombilicale; ils notent une chute de 23 % de la PaOz à 2 minutes de rebreathing et une augmentation de Il % de la PaCOz au même moment. Dans un groupe de 8 patients souffrant d'atélectasies, ils mettent en évidence une chute de 6,4 % de la PaOz (qui est déjà basse au repos) à la deuxième minute et une augmentation de la PaOz à la fin de l'exercice de 5 minutes qui ramène celle-ci à la valeur de départ. Mais 10 minutes après l'arrêt de l'exercice, les pressions partielles d'Oz et de COz sont à nouveau à leurs valeurs de départ. Les effets sur la mécanique respiratoire Mahoney et Colgan ne peuvent que déplorer le fait que la Capacité Résiduelle Fonctionnelle (CRF) de leurs deux groupes de patients reste inchangée après 5 minutes de respiration à 264 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, nO6 travers un espace mort standard dont la valeur n'est pas donnée. Les auteurs concluent en admettant la possibilité d'utiliser l'espace mort dans un but prophylactique et signalent qu'une seule séance de rebreathing n'est pas suffisante pour lever une atélectasie comme en témoignent la constance des volumes pulmonaires de repos et la valeur du shunt pulmonaire. Il faut noter que la durée de la ·séance est de cinq minutes et qu'aucun autre artifice thérapeutique n'est employé. Ils remettent en question son usage de routine en pensant surtout à l'hypoxie sévère créée par la méthode à la deuxième minute d'exercice. Ils proposent l'utilisation d'un débit d'oxygène à l'extrémité distale du tube comme l'ont déjà fait Schwartz (20) et Darin (7). + SYSTÈME CARDIa-VASCULAIRE Les effets sur la pression artérielle systémique Les conséquences hémodynamiques de l'hyperventilation volontaire sont : l'augmentation du débit cardiaque, la constance de la tension artérielle qui découle de cette augmentation du débit cardiaque (27). Mais aucun auteur précédemment cité n'a observé la dynamique de ces valeurs au cours de l'hyperventilation induite par l'augmentation de l'espace mort. Modalités - pendant : la tension artérielle, la fréquence respiratoire et cardiaque, être à l'affût de signes cliniques de l'hypoxémie (25) et de l'hypercapnie (somnolence, céphalées, tremor...); - après: idem avant, environ deux minutes après l'arrêt. Tous ces contrôles sont à faire au moins à la première séance pour évaluer la capacité du patient à compenser l'espace mort et surtout pour obtenir le meilleur réglage de l'espace mort. Éventuellement, ces contrôles permettent de déceler une contre-indication qui ne serait pas apparue lors du bilan initial du patient. Ils sont des motifs d'arrêt de l'exercice et de réévaluation du volume de l'espace mort si leurs valeurs dépassent les limites de «la norme», par exemple la fréquence respiratoire maximale acceptable lors de l'exercice est de 24/mn selon 2,8 Giebel, alors qu'elle est au repos de 16,6 pour une population âgée (22). Pour le reste, seul le bon sens et la connaissance de son patient permet de diminuer le risque d'« accident» lors de l'application de cette technique. Dosage de l'espace mort L'avantage du matériel présenté ici est que le dosage est individuel. Il se fait par la méthode essai-erreur, débutant avec un volume de 200300 ml pour l'adulte (fig. 3), la valeur atteint généralement 500 ml en fin de dosage pour d'application POUR LE PATIENT Il suffit de mettre l'embout buccal en bouche et le pince-nez de façon à éviter les fuites, puis la séance commence. Rien de plus simple! POUR LE KINÉSITHÉRAPEUTE Surveillance systémique Il est conseillé de faire quelques contrôles avant, pendant et après la séance. Il s'agit de":' mesurer : . / . - avant : la tenslOn artenelle, respiratoire et cardiaque; / la frequence . FIG. 3. - L'espace mort dosable. le pince-nez et le patient. Notez la manchette du sphygmomanomètre en place durant le dosage de première séance. le réveil indique la durée de l'exercice au patient. Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 6 265 l'adulte jeune,200 ml pour un enfant et la moitié de ces valeurs pour un patient opéré en début de traitement. En fonction de l'observation, l'espace mort sera diminué ou augmenté dès la première séance. Durée de la séance La réponse ventilatoire au nouvel espace mort est rapide mais l'adaptation demande de 3 à 5 minutes pour atteindre le plateau auquel le volume courant reste constant. Il faut donc que la respiration soit tenue pendant au moins 5 minutes de façon à obtenir le plus grand volume courant. Dans le contexte de la prévention des complications respiratoires, ce n'est pas le type d'appareil utilisé ni le nombre de respirations amples qui compte mais la fréquence de leur exécution (3). Les différents auteurs proposent une application horaire ou bi-horaire à raison de 5 à 10 minutes d'exercice, ce qui va dans le sens de Bartlett (4) et bien d'autres auteurs cités par lui (2) ou par d'autres (5). Absolues : - insuffisance respiratoire globale ou partielle, - une PaOz inférieure à 60 mmHg, - insuffisance cardiaque non compensée, - bronchopneumopathie chronique obstructive sévère (14,19,24), - asthme bronchique sévère (13), - insuffisance rénale chronique après hémodialyse (10), - syndrome restrictif avec dyspnée de repos (23), - status après traumatisme crânio-cérébral, - maladie neuromusculaire avec atteinte phrénique. Relatives : - hypertension artérielle systémique, tachycardie, tachypnée, douleur thoracique et/ou abdominale. Limites de la méthode Le fait de court-circuiter le nez par une respiration buccale dessèche les voies aériennes supérieures (comme le fait la spirométrie incitative). Pour pallier à ce défaut le patient peut boire du thé chaud avant l'exercice par exemple (restons simples). Le constructeur propose d'utiliser l'espace mort avec un humidificateur ou un aérosol à l'extrémité distale du tube. L'utilisateur peut ajouter au tube un circuit d'humidification, un circuit d'oxygénation mais d'une méthode qui se veut des plus simples à l'origine, nous créons un environnement qui ne permet plus au patient de se prendre en charge seul. Contre-indications En fonction des effets connus, de la sensibilité au stimulus COz, les contre-indications suivantes sont: FIG. 4. - L'espace mort dosé, la séance est répétée durant la journée sous contrôle du kinésithérapeute au début du traitement. 266 Ann. Kinésithér., 1987, t. 14, n° 6 Indications Nous proposons d'utiliser l'espace mort dosable dans la prévention des complications respiratoires liées à l'alitement prolongé chez le vieillard. L'enfant peut aussi l'employer, surtout en coloriant les différentes pièces de l'appareil à titre de jeu. Toute gymnastique respiratoire pré-opératoire pourrait employer l'espace mort au même titre que la spirométrie incitative si le but est de rompre la monotonie de la respiration courante. Par sa double action, mobilisation de volume pulmonaire et mobilisation de volume sanguin, l'espace mort dosable trouve son entière justification dans ce qui nous paraît son indication de choix: l'hygiène respiratoire du vieillard alité (fig. 4) ou la prévention des pneumonies de type hypostatique. L'espace mort dosable est un adjuvant à la physiothérapie respiratoire dont le principal avantage est sa simplicité d'utilisation et de maintenance au lit du malade. Références 1. ASKANAZI J. et al. - Effects of respiratory apparatus on breathing pattern. J. Appl. Physiol., 1980, 48, 577-580. 2. BARTLETT R. et al. - Respiratory maneuvers to prevent postoperative pu1monary complications. J.A.MA., 224, 1973, 7, 1017-1021. 3. BARTLETT R. et al. - Studies on the pathogenesis and prevention of postoperative pu1monary complications. Surg. Gynecol. Obstet., 1973, 137, 925-933. 4. BARTLETT R. - Postoperative pu1monary prophylaxis: Breathe deeply and read carefully. Chest., 81, 1982, 1. 1-3. 5. 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