180 Revue des Sciences Sociales, 2010, n° 44, « La construction de l’oubli »
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origines obsédante et inquiétante pour les
personnages, nous tenterons de démon-
trer que ces mêmes images sont pour
le cinéaste des « gures de l’absence »
(Vernet 1988) : pour Gatlif, ce serait une
façon de dire comment ce retour en Algé-
rie est dicile, voire impossible, tant la
mémoire travaille encore sur ce souvenir
du passé.
DoMiNique Me r G -essaDi
Les fonctions réciproques
de l’oubli et de la mémoire.
L’exemple du travail d’acceptation
dans les cas de deuil périnatal
L’article rend compte d’une obser-
vation clinique du deuil périnatal : des
femmes et des hommes touchés par la
perte d’un enfant s’expriment au cours de
groupes de paroles formés pour les sou-
tenir. La médecine traditionnelle, pater-
naliste, tendait à ignorer cet événement.
Depuis les années 1990, un discours de
soin est au contraire porté à réier l’en-
fant mort-né. Il existe ainsi des tendances
contradictoires visant à favoriser l’oubli
ou, au contraire, la remémoration. Les
propos des participants à ces groupes de
parole permettent de mettre en lumière
les étapes psychiques du renoncement à
l’objet, et notamment la culpabilité asso-
ciée à l’oubli. En eet, l’oubli peut être
perçu comme un abandon, avant qu’il
ne soit considéré comme un moment
de l’acceptation de la perte. Le travail
de remémoration s’avère être une étape
favorisant l’intégration de la perte, et
donc la possibilité d’oublier au sens de
« ne plus y penser ».
taNia MuJica
Évocation du « passé » et mise en
scène de l’oubli dans le cinéma
allemand : Schonzeit für Füchse
(Chasse aux renards interdite, 1966)
Cet article analyse le lm Schonzeit
für Füchse (Chasse aux renards interdite,
1966) de Peter Schamoni. Il identie les
stratégies employées par le réalisateur
pour mettre en scène les reproches qu’il
adresse aux Allemands de l’époque, qui
cherchent à oublier la période nazie.
L’analyse souligne l’utilisation de méta-
phores visuelles évocatrices des attitudes
de déni. Les conclusions vont dans le sens
des thèses de Norbert Elias concernant
le caractère traumatique de la période
de la Deuxième Guerre Mondiale, et de
Sigmund Freud qui arme qu’un « évé-
nement traumatique » est oublié mais
qu’il laisse des traces.
elise Müller
Les tatouages à motifs ethniques :
motivations d’une pratique chez
les jeunes adultes
Depuis une dizaine d’années, l’inté-
rêt des jeunes Français pour le tatouage
semble aller grandissant. Et les motifs
les plus abondamment choisis sont sans
conteste les motifs ethniques. Cet article
se penche sur les principales motivations
poussant les jeunes à emprunter à des
cultures autres les signes qu’ils ache-
ront comme éléments importants de leur
identité. Mettant en avant cinq grands
types de motivations qui s’entrecroisent,
il donne la parole à des individus por-
teurs de ces marques ethniques et tente
de comprendre le rôle de la « poétique
du sauvage » dans la quête de soi. Malgré
les approximations que cette « poétique »
engendre, les jeunes Français, qu’ils aient
des origines étrangères ou non, parais-
sent trouver en elle d’autres points de vue
dans lesquels ils se reconnaissent et par le
biais desquels ils expriment à la fois leur
singularité et leur ouverture à la diversité
du monde.
al i rechaM
L’expérience de la maladie
et la désappropriation du corps
Dans les cas de gree d’organe, la
frontière tend à s’eacer ou à se déplacer
entre le dedans et le dehors, le familier
et l’étranger, le soi et le non-soi, l’iden-
tité et l’altérité. L’homme malade sent-il
son corps, l’organe atteint, le greon lui
appartenir ? La maladie désapproprie la
personne de l’essence de sa dignité : se
servir de son corps, jouir de sa liberté
et gérer librement son temps. Avec la
reprise de la fonction perdue, la gree
restitue au malade une partie de cette
propriété. Mais, en raison des contrain-
tes et des incertitudes, il n’a pas l’exclu-
sivité de jouissance, de possession, ni
la conance en son rétablissement car,
dépendant du greon, lui-même menacé
par le rejet, il ne peut pas user et abuser
de son corps. Le dysfonctionnement de
l’organe illustre la conception utilitariste
du corps dans la modernité. Il montre
au niveau individuel un processus qui
se joue au niveau de la société : autant le
malade rejette un organe, voire un corps
qui semble inutile, autant la société exclut
le malade perçu comme improductif. Un
organe n’est inutile qu’aux yeux d’une
personne malade : cette vision révèle une
grave sourance personnelle au même
titre que l’exclusion d’un malade signale
un malaise dans la société.
roMy sauvayre
Mémoires, oubli et émotions :
la question de la fiabilité
des témoignages dans
les enquêtes de sciences sociales
La mémoire étant sujette à des recons-
tructions, ou à des réinterprétations,
le témoignage a posteriori est souvent
considéré comme peu able. Or, cer-
taines recherches en neurobiologie ou
en neuropsychologie ont remis en cause
le manque de abilité des témoignages
rétrospectifs en montrant l’eet bénéque
de l’émotion sur la mémoire. Toutefois,
nombre d’études actuelles portant sur
l’inuence des émotions sur la mémoire
se contredisent car ces eets varient non
seulement en fonction des contextes,
mais également en fonction du type de
mémoire qu’elles aectent. Cet article
tentera de poser les termes du débat an
de questionner les conditions d’accès à la
mémoire autobiographique en situation
d’entretien, et de proposer le développe-
ment de techniques (la contextualisation
cognitive et émotionnelle) et d’indices de
abilité des données recueillies.
réGis schlaGDeNhauffeN
De l’oubli à la commémoration
des victimes homosexuelles
de la Déportation en France
Cet article s’intéresse aux usages stra-
tégiques de la mémoire. L’auteur y ana-
lyse les étapes de la construction d’une
mémoire homosexuelle de la Déportation
en France entre 1975 et 2005. Il exa-