Urgences vasculaires
Les surdosages en antivitamine K
Bernard Boneu, Jean-Pierre Cambus, Felipe Guerrero
Laboratoire d’hématologie, hôpital de Rangueil, avenue Jean Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9
Les antivitamines K (AVK) sont largement prescrites (1 % de la
population) et le seront probablement encore pour longtemps. La
variabilité interindividuelle de la dose nécessaire, les nombreuses
interactions médicamenteuses et alimentaires expliquent les difficul-
tés d’équilibration rencontrées chez de nombreux patients. Une enquête com-
manditée par l’Afssaps en 2001 auprès de 436 laboratoires d’analyse médicale
donne une mesure de ces difficultés : lorsque la fourchette d’INR est comprise
entre 2 et 3, seulement 43 % des INR mesurés sont corrects, 25 % sont
insuffisants et 33 % sont trop élevés ; lorsque la fourchette d’INR est comprise
entre 3 et 4,5, seuls 36 % des INR sont corrects, 48 % sont insuffisants et 16 %
sont trop élevés. Le surdosage enAVK est donc un problème quotidien. On peut
schématiquement distinguer deux situations : il s’agit d’un surdosage biologi-
que sans expression hémorragique ou il s’agit d’un épisode hémorragique
d’importance et de gravité variable qui s’accompagne ou non d’un surdosage
biologique. En pratique, les situations cliniques sont multiples et souvent
complexes et on doit tenir compte du risque hémorragique lié au terrain et du
risque thrombotique encouru si le traitement devient inefficace pendant quel-
ques jours. Le tableau 1 résume les propositions de conduite à tenir, recomman-
dées par l’Afssaps en cas de surdosage [1]. Ces propositions ne sont pas très
différentes de celles de la 7
e
conférence sur les traitements antithrombotiques de
l’ACCP qui sont pour la plupart qualifiées de grade 2C, c’est-à-dire résultant
d’études observationnelles et non d’essais cliniques randomisés qui apportent
une réponse indiscutable [2]. Les moyens de corriger un surdosage enAVK sont
du nombre de 4 : réduire la dose administrée, suspendre transitoirement le
traitement, administrer de la vitamine K, corriger le surdosage immédiatement
en apportant directement les facteurs de coagulation déprimés (PPSB ou Kaska-
dil
®
).
Réduction de la dose administrée
Cette option thérapeutique sera choisie en cas de léger surdosage (INR < 5) et
en l’absence de manifestation hémorragique. Si un INR hors fourchette théra-
peutique est observé alors que le patient était équilibré depuis plusieurs semai-
nes ou mois il est prudent de vérifier l’INR sur un deuxième prélèvement réalisé
2 ou 3 jours après afin de s’assurer de la réalité et de la permanence du
surdosage. Si le surdosage est confirmé, la dose doit alors être réduite de 10 % à
20 % en considérant la dose hebdomadaire [2]. Avec les AVK à longue durée de
vie (Previscan
®
, Coumadine
®
) il est possible d’administrer des doses différen-
tes selon le jour de la semaine. C’est plus aléatoire avec le Sintrom
®
dont la
Tirés à part :
B. Boneu
Sang Thrombose Vaisseaux 2005 ;
17, n° 3 : 175-8
STV, vol. 17, n° 3, mars 2005 175
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durée de vie est plus courte. Si la dose d’AVK est modifiée,
il faut attendre3à5jours avant de vérifier l’INR pour tenir
compte du délai d’action retardé du médicament.
Suspension transitoire du traitement
Cette option thérapeutique peut être choisie en cas de
surdosage léger (INR < 5) ou plus important (INR < 9), en
l’absence de manifestation hémorragique ou de risque hé-
morragique important. Il faut attendre la réversibilité de
l’effet anticoagulant de l’AVK et reprendre le traitement à
une dose réduite dès que l’INR quotidien est revenu dans la
zone haute de fourchette désirée. Le temps de réversibilité
est variable selon les patients et il dépend de plusieurs
facteurs. Sintrom
®
a une réversibilité plus rapide que Pre-
viscan
®
, laquelle est plus rapide que celle de Coumadine
®
.
Pour unAVK donné, le temps de réversibilité dépend égale-
ment de la dose administrée, de l’INR au moment de la
suspension, de l’âge du patient [3]. À titre indicatif, pour un
INR entre 5 et 9, le temps de réversibilité peut être de
l’ordre de1à2jours pour Sintrom
®
,2à3jours pour
Previscan
®
,de3à4jours pour Coumadine
®
.Ilyades
variations autour de ces ordres de grandeur et la seule
solution pratique est de mesurer l’INR tous les jours après
la suspension.
Administration de la vitamine K
(phytoménadione)
La seule préparation disponible en France est la vitamine
K1 Roche
®
qui est présentée en solution buvable ou injecta-
ble de 0,2 ml (2 mg) et de 1 ml (10 mg). Pour chacune des
deux présentations les ampoules sont livrées avec des pipet-
tes en plastique permettant de mesurer respectivement
0,1 ml (1 mg) ou 0,5 ml (5 mg), ce qui est important pour
l’administration orale.
Plusieurs études observationnelles et un essai prospectif
randomisé [4-8] ont montré que l’administration orale de
1 mg de vitamine K chez des patients traités par la warfa-
rine (Coumadine
®
) en état de surdosage biologique (INR 5
à 9) réduit significativement le temps de réversibilité de
l’AVK. En pratique, la plupart des patients récupèrent un
INR dans la fourchette thérapeutique souhaitée en 24 heu-
res et peuvent reprendre leur traitement à dose réduite
24 heures ou 48 heures après l’administration de l’antidote,
sans résistance thérapeutique. L’administration d’une dose
supérieure de vitamine K expose à une résistance pendant
quelques jours ce qui peut être dangereux pour un patient à
risque thrombotique élevé. Des doses supérieures (2 à
5 mg) sont cependant nécessaires en cas de surdosage im-
portant. Une étude réalisée avec l’acénocoumarol (Sin-
trom
®
) a montré que 1 mg de vitamine K corrige de façon
excessive l’INR chez 37 % des patients, ce qui suggère
qu’avec cette molécule, mieux vaut probablement suspen-
dre le traitement en cas de surdosage modéré [9]. On
manque de données pour Previscan
®
. Sa durée de vie est
proche de celle de Coumadine
®
. On adoptera donc les
mêmes règles que celles de Coumadine
®
.
La vitamine K peut également s’administrer par voie intra-
veineuse, intramusculaire et sous-cutanée. La voie IM est
ici contre-indiquée en raison du risque d’hématome. La
voie sous-cutanée a été testée dans quelques études [10, 11]
mais elle apparaît moins rapidement efficace que la voie IV.
Par voie IV, la vitamine K doit être administrée lentement
dans une perfusion en raison d’un risque de choc anaphy-
Tableau 1.Conduite à tenir en cas de surdosage en AVK.
Recommandations de l'Afssaps
Circonstances Conduite à tenir
INR suprathérapeutique mais < 5, pas d’hémorragie - Ajuster la dose ou supprimer une prise et reprendre le traitement à
une dose inférieure
INR entre 5 et 9, pas d’hémorragie
- risque hémorragique faible - Supprimer une ou deux prises et reprendre le traitement à dose
inférieure dès que l’INR le permet
- risque hémorragique présent - Vitamine K par voie orale (1 mg) ou par voie IV (0,5 mg) et
supprimer une prise
INR > 9, pas d’hémorragie - Supprimer une prise et vitamine K par voie orale (3 à 5 mg) ou par
voie IV (1 à 1,5 mg)
INR > 20, pas d’hémorragie
Correction rapide de l’effet anticoagulant en raison d’une
hémorragie grave, quel que soit l’INR.
- Supprimer une ou plusieurs prises puis vitamine K par voie IV
(10 mg)
1
associé à une perfusion de Kaskadil
®
ou à défaut de
plasma frais congelé. La dose de Kaskadil
®
dépend du taux de
prothrombine.
1
Si l’INR n’est que modérément élevé, on doit s’attendre à une résistance relative aux AVK dans les jours qui suivent, problème secondaire vu l’urgence de
la situation.
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176
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lactique. Pour les surdosages modérés, (INR 5 à 9) la dose
est de 0,5 mg. L’utilisation de la voie IV réduit de quelques
heures le délai de réversibilité. Son effet est mesurable
moins de 8 heures après l’administration. Pour les surdosa-
ges plus importants, s’ils s’accompagnent d’un saignement
la dose est augmentée à 1 mg, 5 mg ou 10 mg selon l’impor-
tance du surdosage [12], ce qui expose sans doute à une
résistance ultérieure nécessitant transitoirement une autre
solution thérapeutique (héparine).
Réversion immédiate du traitement AVK
(Kaskadil
®
)
Certaines situations cliniques ou biologiques peuvent né-
cessiter une correction immédiate, totale ou partielle de
l’hypocoagulabilité induite par les AVK. Il faut utiliser
alors Kaskadil
®
, un concentré de Prothrombine (facteur II),
Proconvertine (facteur VII), Facteur Stuart (facteur X), et
facteur antihémophilique B (PPSB). Ce médicament déri
du sang contient respectivement 40 U/ml, 37 U/ml, 25 U/ml
et 25 U/ml de facteur X, II,VII et IX [13]. Il se présente sous
la forme de poudre lyophilisée dans des flacons de 10 ml ou
de 20 ml. Kaskadil
®
contient également une petite quantité
d’héparine ce qui le contre-indique en cas de thrombopénie
induite par l’héparine. En pratique, les calculs de dose sont
faits sur la base des unités facteur IX, ce qui fait que les
flacons contiennent 250 ou 500 unités.
La dose de Kaskadil
®
à administrer repose sur la règle
suivante : 1 U (facteur IX/kg) augmente approximative-
ment le taux de prothrombine (temps de Quick) de 1,5 %
1
.
Ceci pose le problème de l’expression du temps de Quick
en taux de prothrombine en plus de l’INR puisqu’un arrêté
du 11 juin 2003 exige que le résultat de la surveillance du
traitement par AVK soit exprimé exclusivement en INR,
sans mentionner le taux de prothrombine. En cas de surdo-
sage, le clinicien doit donc demander au laboratoire un taux
de prothrombine (jusqu’à < à 10 %) et l’INR véritable
(jusqu’à INR > 20).
Kaskadil
®
s’administre par voie IV lente (2,5 min pour
10 ml et 5 minutes pour 20 ml). L’effet est immédiat, il faut
le contrôler par un TP-INR par exemple 30 min après
l’administration et refaire une nouvelle administration si le
résultat est insuffisant. La durée de l’effet correcteur du
Kaskadil
®
dépend de la demi-vie des facteurs de coagula-
tion transfusés qui varie de 6 heures pour le facteur VII à
plus de 48 heures pour le facteur II.
En pratique, en cas de surdosage, Kaskadil
®
s’administre
avec de la vitamine K dont l’effet correcteur, perceptible en
moins de 24 heures, prend le relais du Kaskadil
®
. Kaska-
dil
®
est un médicament dérivé du sang et son administra-
tion est soumise aux règles d’information et de traçabilité
de cette catégorie de produits.
En l’absence de Kaskadil
®
, le plasma frais congelé peut
être utilisé. Le volume à perfuser est de 10 à 15 ml/kg, ce
qui est important. Une étude [14] a montré que la qualité de
la correction était de moins bonne qualité que celle obtenue
avec un concentré de facteur de coagulation, notamment sur
le taux de facteur IX.
Le cas particulier de l’intoxication
par les raticides
Les AVK rentrent dans la composition de la plupart des
raticides. La demi-vie de ces AVK est très longue afin
d’exposer l’animal à une hypocoagulabilité de longue du-
rée pour augmenter les chances d’hémorragie mortelle et de
faire en sorte que les congénères de l’animal ne fassent pas
de lien de causalité entre l’absorption du poison et la mort.
Les intoxications volontaires ou accidentelles peuvent exis-
ter. Le diagnostic est porté devant un syndrome hémorragi-
que avec un bilan d’hémostase caractéristique : effondre-
ment du taux de prothrombine et des facteurs vitamine K
dépendants tandis que le taux de facteur V est conservé.
Outre Kaskadil
®
perfusé en urgence, l’administration de
doses élevées (50 mg) de vitamine K est nécessaire et
pendant longtemps, jusqu’à4à12semaines. L’arrêt de
l’apport en vitamine K sera dicté par l’observation d’un
INR/taux de prothrombine normal et stable 3 jours après la
dernière dose de vitamine K [15].
Conclusion
Une enquête française de pharmacovigilance en 1999 a
estimé que lesAVK représentaient la première cause d’acci-
dents iatrogènes (17 000 hospitalisations par an) et étaient
responsables d’au moins 1 500 hémorragies par an du sys-
tème nerveux central hospitalisées en service de neurochi-
rurgie. Le surdosage en AVK constitue donc un problème
de santé publique majeur. La réduction de ces accidents
passe par une véritable éducation thérapeutique du patient
[16] et une meilleure formation des médecins.
Références
1. RCP des antivitamines K ; Dictionnaire Vidal.
1
Chez un patient de 60 kg, pour augmenter le taux de prothrombine de
10 % à 50 % (différence 40 %), il faut administrer un peu moins de 30 u/kg
de Kaskadil
®
soit 60 x 30 = 1 800 unités (facteur IX).
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