gilgamesh - Théâtre des Marionnettes de Genève

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Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier pédagogique – saison 2010 - 2011
GILGAMESH
Création du Théâtre des Marionnettes de Genève
Du 15 janvier au 6 février 2011
Texte et mise en scène : Guy Jutard
Scénographie : René Delcourt et
Guy Jutard
Marionnettes: Pierre Monnerat
assisté de Laure-Isabelle Blanchet
et Jacques Douplat
Musique originale : Didier Capeille
Lumière : Jean-Michel Carrat
Interprétation : Laure-Isabelle
Blanchet, Clara Brancorsini,
Olivier Carrel, Fatna Djahra,
Jacques Douplat, et Daniel
Hernandez
Interprétation musicale :
Khaled Arman, Adel Degaichia,
Claude Jordan
Costumes : Ingrid Moberg
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, Rue Rodo 1205 Genève
www.marionnettes.ch
60 minutes
Dès 7 ans
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Le spectacle
1. L’histoire
Voici l’épopée de Gilgamesh,
mythique roi sumérien d’il y a
quelque cinq mille années. Le
plus ancien texte épique de
l’histoire de l’humanité nous
conte la rencontre de ce
souverain tyrannique avec
Enkidou. Un guerrier né pour
l’affronter et devenu son frère
d’armes.
Ensemble
ils
combattent le redoutable
dragon Humbaba surgit d’une
forêt en papier et le taureau
ailé envoyé par les dieux pour
l’affront que Gilgamesh leur a
fait a fait en refusant les
avances
d’une
déesse
Gilgamesh
immortelle.
Désireux
de
Photo du spectacle
connaître les mystères de la
vie et de la mort, Gilgamesh,
ce demi-dieu, va entreprendre
de rechercher l’éternité qui
n’est, chacun le sait, point destinée aux humains. Apparu parmi les animaux, Enkidou sera-t-il seconder le
souverain et lui faire découvrir sa vraie nature − bonne et humaine − derrière son masque de dictateur ?
Résistera-t-il aux charmes ondoyants d’une courtisane désignée pour lui faire rejoindre le monde des
hommes ?
Cette histoire légendaire notée sur des tablettes d’argile s’inscrit dans le papier d’un plateau
devenu scène sacrée et rituelle. Décors et protagonistes de cette odyssée sont ainsi entièrement
découpés, froissés, torsadés dans du papier. Un matériau dont la teinte évoque tant les tablettes
argileuses que les sidérants paysages désertiques mordorés d’Ourouk, la ville-Etat sur laquelle
règne sans partage Gilgamesh. Six manipulateurs masqués et habillés de noirs, selon des lignes
fluides et orientales, se font aussi conteurs à visage découvert. De leurs corps, ils donnent fluidité
et rythme aux scènes de lutte, entre Gilgamesh et Enkidou, puis au combat du duo devenu amis
contre des créatures impressionnantes toutes surgies de surfaces de papier. Claquements de
vent et froissements de papier kraft instaurent une atmosphère de songe à nulle autre pareille.
Interprétée sur le vif par un trio de haute tenue, la musique aux senteurs épicées et méditatives
de l’Orient insuffle une respiration tour à tour sensuelle, martiale, percussive, inquiète, apaisée
aux épisodes de cette belle et palpitante épopée. Un formidable foisonnement d’images qui a
inspiré « La Bible », « L’Odyssée » et les Travaux d’Hercule.
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2. Un roi à la recherche de l’immortalité
« Dans les sables du désert
Dans le pays où coulent deux fleuves frères
Des hommes ont retrouvé
Des paroles enfouies
Des paroles gravées sur des tables d'argile
Des mots qui racontent l'histoire de Gilgamesh. »
Extrait de Gilgamesh
Le grand roi Gilgamesh est
puissant et redouté. Pas
seulement par ses ennemis,
mais aussi par son peuple qui
se plaint d’être constamment
harcelé. Les dieux entendent
les doléances, Anou, dieu des
cieux décide alors d’envoyer
un rival dans la cité d’Ourouk,
sur laquelle règne Gilgamesh,
pour détourer son attention et
permettre aux habitants de
vivre tranquilles. Enkidou
entre en scène, les deux
adversaires s’affrontent et se
rendent à l’évidence : aucun
d’eux ne parviendra à vaincre
l’autre ; ils préfèrent dès lors
associer
leurs
forces,
deviennent amis et déjouent
le stratagème des dieux.
Gilgamesh
Photo du spectacle
Ensemble, ils partent affronter le terrible Humbaba et le terrassent. De retour à Ourouk, Gilgamesh
revêt ses habits d’apparat et la déesse Ishtar s’éprend de ce jeune roi prodigieux. Celui-ci refuse
toutefois ses avances, lui reprochant son inconstance et ses nombreuses conquêtes masculines. En
colère, Ishtar veut le punir lui et son peuple et envoie le taureau céleste au cœur d’Ourouk… mais les
deux amis le tuent. Les dieux décident alors de faire disparaître Enkidou. Celui-ci tombe malade et
meurt. Assistant au tragique destin de son ami, le demi-dieu Gilgamesh est désormais renseigné sur
son propre sort, mais tente de conjurer la mort. Il entame une longue, très longue quête qui l’emmène
aux confins du monde, chez Outanapishtim, le vieillard rescapé du Déluge. Gilgamesh est devenu
vieux ! La vanité de la quête étonne Outanapishtim, qui lui révèle pourtant l’emplacement de la plante
de jouvence. Gilgamesh s’en empare, mais la laisse s’échapper sur le chemin du retour. Il restera un
simple mortel, jouet des dieux.
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3. Naissance d’un récit
La porte royale par laquelle il faut
entrer dans la littérature épique,
c'est, parmi les grands mythes,
L'Épopée de Gilgamesh. En elle se
résument vraiment l'histoire de la
littérature babylonienne dans ses
rapports
avec
la
pensée
sumérienne, les diverses étapes de
son évolution et son rayonnement à
l'extérieur.
Gilgamesh est le premier roman de
l’Histoire à valeur littéraire. Du
moins, c’est le plus ancien texte
jamais retrouvé, plus ancien que les
premiers écrits de la Bible, plus
ancien aussi que les travaux
Gilgamesh
d’Hercule. La version intégrale
Photo du spectacle
devait comprendre environ 3'000
vers. Deux tiers seulement ont été
retrouvés sur des tablettes d’argile,
le plus grand fragment portant sur
1'600 vers. Le reste était dispersé dans tout le Moyen-Orient, marquant par là l’importance de ce récit
au cours des deux millénaires précédant l’ère chrétienne.
Vers le Ve millénaire av. J.-C., la mer s’est retirée pour faire place à une nouvelle terre : la
Mésopotamie (golfe persique). Parmi une foule d’ethnies aujourd’hui disparues, on sait que deux
peuples principaux habitaient cette région : Les sémites, en provenance de l’actuelle Syrie, et les
sumériens, occupants de l’actuel Iran. Ces deux peuples sont à l’origine de la civilisation
mésopotamienne, de sa culture, de sa langue, de sa religion. Cette grande civilisation ne connaissait
toutefois pas un Etat unique, chaque cité était dirigée par son prince. Le développement de ces cités
a entraîné un besoin en matière première qu’on allait chercher ailleurs, chez le voisin… source de
conflits belliqueux, et cause probable de la construction des premières villes fortifiées.
P
P
4. Un mythe repris par les Grecs
Rayé de la mémoire par l’avènement du christianisme, ce n’est qu’au 19ème siècle que l’on redécouvre
Gilgamesh – comme on a alors redécouvert le Moyen-Âge, sous la poussée d’un courant
philosophique et dans le sillage des découvertes archéologiques. Dès lors, des passages entiers de
l’Iliade et de l’Odyssée révèlent leur filiation à un ouvrage plus ancien : L’Epopée de Gilgamesh.
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Ce récit a connu un immense succès dans l'Antiquité pendant près de deux mille ans. Des copies en
ont été retrouvées sur de très nombreux sites, jusqu'en Palestine et en Anatolie, et il a été traduit dans
diverses langues (hittite, hurrite). Les Grecs mêmes en ont eu certainement connaissance, car leurs
récits légendaires contiennent de nombreux traits qui supposent un emprunt : le batelier qui traverse
les Eaux de mort évoque clairement Charon et le Styx ; Thésée terrasse le taureau de Crète comme
Gilgamesh le Taureau céleste ; dans le mythe d'Œdipe, Héra privée de Chrysippos envoie le Sphinx
sur Thèbes comme Ishtar éconduite par Gilgamesh jette le Taureau céleste sur Orouk ; ou encore
Tirésias, transporté dans une île dans certaines versions ou doté de sept vies dans d'autres, reprend
les caractéristiques d'Outanapishtim.
5. Les choix scénographiques et de mise en scène
Au
foisonnement
d’images
évoqué par le plus ancien des
textes mythologiques répond
Ces marionnettes de papier dans leur apparente fragilité
une mise en scène épurée
laissant la part belle aux mots et
permettent une grande puissance de mouvements.
à la musique. Les marionnettes
sont faites d’une unique matière,
du papier kraft noué, collé,
ficelé, comme créé sur l’instant
et dont la couleur évoque les sables du désert où les fragments écrits de cette antique histoire furent
retrouvés. Ces marionnettes de papier dans leur apparente fragilité permettent une grande puissance
de mouvements. On les caresse, les manipule avec une extrême délicatesse, mais aussi on les étire,
les déchire. On joue sur leur taille ; les personnages sont tantôt minuscules, tantôt leur corps envahit
le plateau, mais leur présence est constamment légère. En écho à cette épopée qui mêle les humains
et les dieux, ils semblent suspendus entre ciel et terre.
Les six comédiens sont à la fois conteurs, chanteurs, manipulateurs. Trois musiciens, qui font bruisser
cette épopée de sonorités orientales, se mêlent au jeu des marionnettes. La lumière, créatrice des
lieux et des instants, met en valeur le matériau de ce spectacle : le papier froissé devient ainsi, au gré
des scènes, de l’or, l’eau de la rivière, ou le feuillage de la Forêt des Cèdres.
Un œuvre épique, dont le traitement esthétique laisse une large part à notre imaginaire et en renforce
ainsi la puissance : des images fortes et des sonorités riches pour nous faire redécouvrir un texte
ancien qui nous parle de notre destin d’humain.
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6. Un récit de matières
Entretien avec Guy Jutard, metteur en scène
Qu’avez-vous retenu de cette épopée en vers ?
Guy Jutard : Ce récit quasi
mythologique comporte un large
volet initiatique qui mêle les dieux et
C’est un jeu de métamorphoses
les humains, un poème épique qui
évoque le final de toute destinée
qui rythme le spectacle.
humaine : la mort. Gilgamesh, à la
fois homme et divinité, va être initié
et apprendre ce qui fait la nature de
l’homme : le fait d’être mortel. Toute
la seconde partie de cette histoire
suit la mort d’Enkidou, un homme lié à la vie sauvage, d’abord ennemi de Gilgamesh, puis ami et uni
à lui dans le combat contre le Taureau céleste ou le monstre de la Forêt des Cèdres. La non
acceptation de la disparition d’Enkidou, suite à une malédiction prononcée par les dieux, fait que le
souverain Gilgamesh se rend dans le désert pour retrouver le vieux sage Outanapishtim. Ce dernier
l’initie aux mystères de la vie et de la mort. Si les paroles de la légende accompagnent la plupart des
images, certaines scènes sont uniquement musicales, accompagnées par la partition interprétée par
un trio de musiciens présents sur le plateau. Tel ce tableau montrant un immense oiseau squelettique
de papier qui vient prendre la dépouille d’Enkidou, mort d’une maladie provoquée par la colère des
dieux. Cette image de la mort correspond d’ailleurs à certains rites funéraires de l’ancienne
Mésopotamie.
Le récit s’ouvre et se clôt dans le sable…
G. J. : C’est un clin d’œil à l’histoire archéologique qui accompagne L’Epopée de Gilgamesh. Les
tablettes d’argile contenant le texte ayant été découvertes, les archéologues et savants ont réalisé
des assemblages. Il a fallu d’abord imaginer une traduction de cette écriture cunéiforme inconnue
alors. Diverses versions se sont ainsi succédées, et il existe quelques variantes à cette histoire.
L’idée des sables désertiques s’est ajoutée à la fréquentation des collections archéologiques du
Louvre portant sur la civilisation babylonienne : elle trouve sa correspondance dans la couleur blonde
du papier kraft évoquant le sable, ce qui s’y cache, y est enfoui et s’y métamorphose. Sur scène, une
feuille de papier froissé peut devenir personnage, puis, se redéployant, évoquer un chemin ou se
transformer en paysage. C’est ce jeu de métamorphoses qui rythme le spectacle.
Le dessin des personnages et créatures mythiques a le caractère d’esquisses graphiques. Le
spectateur découvre des corps faits de papier noué, ficelé, assemblé et formant ainsi très librement
tête, bras et jambes des protagonistes du récit : une expression qui laisse une large place à
l’imaginaire. On retrouve cette dynamique de l’esquisse dans les possibilités de mouvements très
libres qui sont impulsés par les manipulateurs. Cette place importante laissée à l’imaginaire, on la
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retrouve dans l’approche même des historiens, où elle se glisse dans les éléments épars, les traces et
les faits plus ou moins précis, fruits de leur recherche.
Et pour la technique de manipulation des marionnettes par les comédiens…
G. J. : Comme dans le bunraku japonais, les marionnettes de papier sont actionnées par deux ou trois
comédiens manipulateurs. On n’est cependant pas dans ce spectacle dans ce que l’on appelle
traditionnellement le « théâtre de papier » : des figurines plates actionnées latéralement et ayant peu
de possibilités de mouvement (théâtres de papier du 18ème et 19ème siècles). Ici le papier est traité en
volume dans un espace résolument contemporain, épuré. Quelques fils souples tendus évoquent la
rivière et les personnages semblent flotter sur le plateau sans qu’il soit besoin de figurer une barque.
Ou si barque il y a, elle s’inscrit dans un petit bas-relief défilant au lointain. On a ainsi plusieurs plans
visuels simultanés qui suivent le déroulement de la fable.
Les bâtons que portent certains manipulateurs définissent des cadres mobiles pour l’action, ils créent
des lieux pour le récit. Fidèle à ce que décrit le mythe, un bâton très mobile va renforcer le caractère
d’ « homme singe » d’Enkidou, lui permettant équilibres et acrobaties. Le bâton peut aussi être une
arme de guerrier ou le symbole du pouvoir royal. Ainsi, dans la scène d’introduction du spectacle,
Gilgamesh se promène autour d’un monticule de papier géométrique évoquant la cité d’Ourouk, il se
saisit du bâton et frappe violemment ce carré de papier, symbolisant par là sa nature de tyran
n’épargnant rien à son peuple. Parmi les techniques marionnettiques convoquées, le théâtre d’ombres
permet de figurer les dieux sous forme de rouleaux déployés et éclairés à la lueur d’une flamme
dévoilant des visages aux traits stylisés et à l’expression changeante, grâce au jeu de la lumière.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
7. Les mystères de la musique
Le compositeur Didier Capeille a traduit sa perception du texte en musique. Celle-ci est interprétée
par trois musiciens connus pour leur parcours qui mêle formation classique et recherche sur les
musiques ethniques. Ils pratiquent tous trois des instruments assez peu conventionnels si on se réfère
aux matières enseignées au conservatoire : barbuka, (percussions), bendir (sorte de tambourin, un
instrument ancestral qui résonne depuis la nuit des temps dans les régions de l'Atlas et des Aurès),
mandole (semblable au luth), rubab (instrument à cordes à double caisse de résonance), saranghi
(viole). La provenance géographique de ces instruments − souvent anciens − s’étend du Maghreb
jusqu’à l’Asie mineure et colore ce spectacle de sonorités orientales.
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8. Le théâtre de papier
Le théâtre de papier est une forme
théâtrale qui s’affirme au 19ème siècle.
Il proposait alors des pièces épiques
racontées généralement sur une table
Les personnages doivent donner l’impression d’être
à un auditoire restreint : les figurines
ne mesuraient que 8 à 12 centimètres.
créés sur le moment.
Mais le genre a évolué, les
personnages issus de divers types de
papier ne sont plus limités en taille et
nécessitent
parfois
plusieurs
manipulateurs. Ils sont préparés à l’avance (figurines découpées), mais peuvent aussi prendre corps
sur l’instant (papier froissé, plié, découpé, noué, collé, déchiré…).
Dans Gilgamesh, les personnages combinent plusieurs techniques : ils ont été construits à l’avance,
en tenant compte des impératifs liés à leur mobilité, à leur capacité à être manipulés pour produire un
effet de vie. Dans le même temps, ils doivent donner l’impression d’être créés sur le moment. C’est
tout particulièrement le cas d’Enkidou, « fabriqué à partir d’une poignée de terre », dit le texte, et que
l’on voit apparaître sur scène, comme sorti de la terre.
9. Enkidou, le guerrier né de la terre
Le peuple d'Ourouk craint Gilgamesh le puissant
Gilgamesh est proche des dieux
Les habitants du désert le savent bien
Alors les hommes et les femmes de la cité d'Ourouk ont peur
La peur du peuple devient lamentation
La plainte du peuple devient cri.
Les dieux entendent le peuple soumis
Les dieux disent :
Gilgamesh fait souffrir son peuple
Créons pour lui un homme qui deviendra son rival.
Les dieux prennent de la terre
Ils la pétrissent comme une boule de pain
Et alors ils font naître Enkidou.
Extrait de Gilgamesh
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10. Le genre du récit de Gilgamesh : l’épopée
L'épopée est un long poème qui rapporte les exploits historiques ou mythiques d‘un héros ou d‘un
peuple. L’épopée prend généralement ses sources dans la tradition orale de récits transmis de
générations en générations, avant que ceux-ci ne soient retranscrits. La transmission des légendes
passait jadis par des conteurs, chacun tentant de « bien raconter » une trame connue de tous. Ainsi,
les détails et la cohérence du récit reposaient en grande partie sur le génie du troubadour, du barde
ou aujourd’hui encore, du griot africain. Une fois couché sur le papier, le récit se fige, mais cela
n’empêche pas de multiples versions de voir le jour.
L’épopée racontant une longue histoire, elle peut prendre elle-même une ampleur démesurée. Ainsi,
pour que l’auditeur - ou le lecteur - ne s’y perde pas, Aristote avait arrêté dans ses théories sur les
genres littéraires la contrainte de « l’action unique et complète ». L’histoire est appelée à s’échafauder
autour d’une sorte de colonne vertébrale. Le contenu ainsi balisé, les faits rapportés sont
vraisemblables, mais pas nécessairement réels. S’il existe un lien avec la réalité historique, ce lien se
perd bien souvent dans les mythes et les légendes, le but premier étant de faire l’éloge d’une figure
emblématique d’une nation, voire d’un peuple.
•
Les cultures grecque et latine ont fourni quantité d’épopées. Plus proche de nous, il y en a
bien sûr aussi, vous en connaissez certainement − lesquelles ?
L’histoire de Jésus (La Bible) ; celle d’Ulysse, (L’Odyssée), d’Achille (L’Iliade), plus proche de
nous, Le Seigneur des Anneaux peut aussi être compris dans le genre. A ne pas confondre
avec les romans picaresques en vogue au 19ème siècle, mettant en scène des personnages de
moindre envergure à qui il arrive quantité d’événements à rebondissements au cours de leurs
aventures. C’est ce qu’on désignerait aujourd’hui du terme de Saga, notamment quand on
parle de séries télévisées.
11. Quelques thèmes de Gilgamesh
Les chiffres
Le 7
Mort d’Enkidou (7ème tablette – après 12 jours d’agonie) Le chiffre 7 peut aussi bien symboliser la
perfection que la malédiction. La culture chrétienne a repris la trinité à laquelle on ajoute un élément :
l’homme (3 est d’ordre divin, 3+1 est l’incarnation de cet ordre, généralement représenté par l’homme)
; 3 + 4 donnent cette acception de la perfection humaine sous protection divine. Mais le 7 peut aussi
bien représenter la mort, le retour de l’homme vers son créateur.
Le 9
Ce chiffre est un symbole divin lui aussi : il faut lire 3 x 3, trois fois la trinité… c’est le début de la quête
de Gilgamesh (9ème tablette).
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Le 11
Là aussi on peut composer à plaisir… Avec les chiffres, (presque) tout est permis, il suffit de les faire
parler ! Si le nombre 4 symbolise l’homme, ce dernier doit se méfier du 7 pour la possible malédiction
qu’il peut présenter. Lorsque le récit parvient à la 11e tablette (4 + 7 ou homme + malédiction), le
problème doit survenir…La 11ème tablette marque l’échec de la quête de Gilgamesh, sans en marquer
la fin. Il poursuit sur la 12ème – le nombre 12 renoue avec la divinité (3 x 4).
L’équilibre
L'Épopée n'est pas une réflexion désabusée sur la condition humaine et la quête impossible de
l'immortalité. En nous montrant comment un pouvoir tyrannique finit par être remplacé par un pouvoir
tempéré et serein, au terme d'une longue démarche initiatique, le récit se fait l'écho d'un idéal de
mesure et rejette vigoureusement l'excès. Il fait plus exactement l'apologie de l'équilibre qui doit
toujours exister, comme il existe au ciel, entre ces deux tendances, à la fois contradictoires et
complémentaires, que sont la force et la sagesse. D'ailleurs, des allusions, incessantes mais
discrètes, à la mécanique céleste, expression la plus évidente de l'ordre divin, rappellent quel est le
modèle à suivre et cautionnent la morale avancée. C'est spécialement le rythme du Soleil dans sa
course annuelle qui structure le récit et l'on observe toute une série de correspondances : entre le
solstice d'hiver et la faute initiale, l'équinoxe de printemps et la victoire sur Humbaba, le solstice d'été
et les déboires d'Enkidou, l'équinoxe d'automne et l'entrée dans le monde souterrain. En fait,
l'ensemble du récit s'organise en une suite d'épisodes évoquant chacun en filigrane une des douze
phases du cycle zodiacal.
L’orgueil
Ce qui anime les êtres humains, une fois les exigences vitales remplies, c’est le complexe tissu de
sentiments qui unit ou désunit les membres d’une communauté. Gilgamesh est un roi puissant, deux
tiers dieu, un tiers homme. Il cherche à réaliser des exploits pour devenir une légende de son vivant,
adulée par ses semblables, afin d’accéder à la postérité. D’emblée, la quête de l’immortalité du héros
se tisse en filigrane, avant même la mort de son double Enkidou et du voyage qui s’ensuit aux confins
du monde. Celui-ci l’emmènera vers la connaissance et la révélation de la plante de jouvence. La
Bible, présentée par certains comme « une branche de l’histoire dont le tronc a disparu », puise ici la
notion d’orgueil.
L’amour, la colère, l’amitié
Plus constante et plus profonde que l’amour, l’amitié nouée entre Gilgamesh et Enkidou supplante
tous les autres sentiments du récit. L’amour n’est du reste évoqué qu’à titre de ruse pour affaiblir
Enkidou – ce qui l’éloigne de sa harde d’animaux sauvages – ou de tentative avortée lorsqu’Ishtar,
déesse de l’amour et du désir tente de séduire le héros qui l’éconduit. La colère de celle-ci est
également balayée avec la défaite du taureau céleste (tablette 6). L’amitié, elle, tisse sa trame dès les
premières lignes du récit et relie les deux personnages principaux tout au long de leurs aventures. Si
l’amitié entre deux mortels ne résiste pas à la volonté des dieux (Enkidou devait faire la guerre à
Gilgamesh pour le détourner de l’exercice du pouvoir trop pesant sur ses sujets), c’est davantage dû à
- 10 -
la condition de mortel qu’à la solidité du sentiment, qui reste intact. Les liens d’amitiés vont contre la
volonté des dieux, ceux-ci les condamnent et les délient en supprimant un protagoniste, mais pas le
sentiment lui-même. Après la mort d’Enkidou, l’amitié perdurera, là où l’amour n’est pas parvenu à se
frayer un chemin.
12. Les personnages de l’Epopée de Gilgamesh
•
Gilgamesh
Il est le fils du roi-prêtre Lillou et
de la déesse-vache Ninsoun,
elle-même
épouse
de
Loungalbanda, roi divinisé par la
suite. Deux tiers dieu et un tiers
homme,
le
caractère
de
Gilgamesh affiche ses origines
par la violence de ses colères, de
sa profonde sagesse, de son
courage sans bornes et de sa
fragilité. Il hérite de ses géniteurs
l’inconstance et l’amour de
l’aventure,
mais
aussi
la
connaissance. Dans la légende, il
a construit le mur d’enceinte de la
ville d’Ourouk.
•
Gilgamesh
Photo du spectacle
Enkidou
Son nom signifie « créé par le dieu Enki ». Il n’est pas né d’une union, mais à été « fabriqué » par la
déesse Arrourou à l’image du dieu Anou à partir d’une poignée d’argile. Homme-bête, il vit avec les
gazelles, broute l'herbe et court la steppe. Il détruit les pièges posés par les chasseurs. Gilgamesh,
ainsi averti de son existence, propose un stratagème pour s'emparer de lui : le faire tenter par une
courtisane. Enkidou découvre avec elle son humanité et la civilisation. Les animaux le fuient. Il
accepte d'aller rivaliser à Orouk avec le roi, dont la tyrannie le bouleverse. Après une lutte épique, les
deux adversaires deviennent inséparables. La Forêt des Cèdres conquise et le Taureau céleste
abattu, les dieux décident de punir les deux amis, mais en la personne seule d'Enkidou. Frappé de
délire, celui-ci maudit ceux qui l'ont enlevé à sa vie sauvage ; il agonise longtemps, puis meurt.
Gilgamesh lui élève une statue et, épouvanté par la lente et irrésistible désagrégation du cadavre, part
à la recherche de l'immortalité, recherche à laquelle est consacré le reste de l'épopée.
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•
Ishtar
Elle est l’une des plus importantes divinités du panthéon mésopotamien. Sœur de Shamash, le dieu
du soleil, elle incarne fertilité et fécondité, mais, sur son char tiré par sept lions, elle participe aussi
aux combats en bandant son arc. Elle fait oublier aux amis leurs amitiés au profit des étreintes
amoureuses et descend sur terre en compagnie de courtisanes et de prostituées saintes. Elle-même
se prête aux désirs qu’elle inspire aux mortels. Nombreux sont les rois qui doivent leur trône à son
amour, mais certains de ses amants payent fort cher ses faveurs.
•
Anou
Il demeure dans les cieux qu’il ne quitte jamais et décide les grandes catastrophes : déluge, disette ou
épidémie. Il règne sur les autres dieux et préside son propre tribunal. Il dispose de force et de justice,
possède couronne et sceptre, les attributs de la royauté. L’armée des étoiles obéit à ses ordres. Il
exerce son pouvoir sur la destinée de l’univers, mais s’occupe peu des affaires humaines. Tous ces
pouvoirs masquent certaines de ses faiblesses : lui aussi doit parfois chercher de l’aide pour faire plier
d’autres dieux à sa volonté.
•
Enlil
Il est réputé pour être un dieu violent et vengeur. Il règne sur le destin des hommes. Selon la légende,
il a incité les membres du panthéon mésopotamien à provoquer le déluge, détruit l’empire akkadien
parce qu’un roi avait profané son temple et provoqué la chute de la IIIème dynastie d’Our (soit, en
quelque sorte, les descendants de Gilgamesh, 5 siècles plus tard).
•
Humbaba
Le souverain de la Forêt des Cèdres, Humbaba en babylonien. Ce géant devenu dans la version du
Théâtre des Marionnettes de Genève, un dragon soufflant le feu d’origine en partie divine. Le dieu
Enlil l’a doté de « sept épouvantes » pour foudroyer ses ennemis. Le domaine de Houmbaba s’étend
de du Liban à l’Amanus, au nord de la Syrie. Enkidou insiste sur le caractère terrible du monstre,
d'autant − ce qui est nouveau − qu'il paraît le connaître. Plus de trois tablettes sur les onze que
comportait primitivement l'épopée sont consacrées à l'expédition et au combat : le gardien semble
être devenu un être malfaisant ; ainsi s'explique l'appui donné à ses ennemis par Shamash, le dieu de
la justice. Humbaba, avant de succomber, malgré ses sept éclats, peut maudire ses agresseurs qui se
mettent alors à abattre ses arbres. Victime de son péché, Enkidou, de retour à Orouk, mourra.
•
Outanapishtim
Dernier roi rescapé d’avant le déluge, sa demeure se situe « derrière les eaux de la mort ». Il est le
seul mortel passé à l’immortalité. Son nom en sumérien se traduit par « jour de vie prolongé » ou
encore « celui qui a trouvé la vie éternelle ».
- 12 -
•
La ville d’Orouk
Le royaume de Gilgamesh, la ville d’Ourouk a bel et bien existé, à 20 km au sud-est de Bagdad. Son
mur d’enceinte montre encore par endroit un talus de 12 mètres de haut. Son nom se décline
différemment selon les divers idiomes, et ainsi « Ourouk » pourrait être à l’origine d’ « Irak ».
13. La Mésopotamie
La Mésopotamie, cette terre antique, comprend l’Assyrie au nord et la Babylonie au sud. Une région
peu familière pour beaucoup d’entre nous, mais dont les connexions avec la Bible nous ont fait
découvrir certains aspects : la magnificence de Nivine et de Babylone, la rudesse sanguinaire des
guerriers assyriens, les pouvoir magiques de devins babyloniens, la richesse et l’influence des
marchands, le luxe et la sensualité de leur vie…
Dans le mythe le plus long, L’Epopée de Gilgamesh, le héros Gilgamesh est un personnage semidivin ; il part à la recherche de la vie éternelle et sa quête le mène jusqu’à Outanapisthim, le survivant
d’un grand déluge. Un déluge envoyé pour punir l’humanité est aussi l’un des thèmes du mythe
d’Atrahasis. L’Epopée de la création raconte le commencement du monde et la construction de la
grande cité de Babylone sous la protection de son dieu, Mardouk…
Tous les mythes content les dieu et les héros de la Mésopotamie, dont la plupart avaient un
comportement – bon ou mauvais – familier et donc rassurant pour leur auditoire. Dans ces mythes,
les passages les plus passionnants et les plus imprévisibles se déroulent souvent en des lieux qui
furent sans doute à la fois extraordinaires mais assez réels pour captiver l’attention : dans des
lointaines forêts, des montagnes, sur les rivages de la mer.
Henrietta Mc Call
14. Devenir immortel
Et Outanapishtim raconte :
Un jour les dieux
Las du monde et des humains
Lâchèrent le déluge sur la terre
Mais ils voulurent laisser une chance
À tout ce qui vivait
Ils décidèrent d’épargner un couple de chaque espèce
Il m’a fallu détruire ma maison de planches
Pour en faire un bateau
J'y ai fait monter mes proches et les animaux avec
Le ciel est devenu sombre
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Et la pluie est tombée pendant six jours et sept nuits
Le dernier jour
Le bateau s'est posé sur une montagne
J'ai lâché l'hirondelle
Et elle est revenue
Plus tard j'ai lâché le corbeau
Et il n'est pas revenu
Il avait trouvé une terre où s’arrêter
Alors tout ce que le bateau contenait de vivant
Je l'ai laissé s'en aller aux quatre vents
Et sur la terre la vie a recommencé
Extrait de Gilgamesh
15. Bibliographie
L’Épopée de Gilgamesh
•
Azrié Abed (traduction et adaptation) L’Épopée de Gilgamesh, illustration de Claire Forgeot,
Paris, Berg International Editeurs, 1979
•
Bottéro Jean, L'Épopée de Gilgamesh, le grand homme qui ne voulait pas mourir, Paris,
Gallimard,1992
•
Cassabois Jacques, Le Roman de Gilgamesh, Paris, Albin Michel, 1998
•
Tournay Raymond Jacques et Shaffer Aaron, L'Épopée de Gilgamesh, Les Éditions du Cerf,
1998
•
Scheer Léo, Gilgamesh, Éditions Léo Scheer, 2006
La Mésopotamie
•
Ascalone Enrico, La Mésopotamie, Paris, Hazan, 2006
•
Bottéro Jean et Stève Marie-Joseph, Il était une fois la Mésopotamie, Paris, Gallimard, 1993
•
Bottéro Jean, Mésopotamie. L’écriture, la raison et les dieux, Paris, Gallimard, 1987
•
Jannès Francis (direction), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Laffont, 2001
- 14 -
•
Mc Call Henrietta, Mythes de la Mésopotamie, Paris, Editions du Seuil, 1994
► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été soigneusement lus et choisis pour vous.
Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève.
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Bertrand Tappolet
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4
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