cours_semaine2 Mythes du Proche

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ère
Cours SHS-EPFL 1
année – 2008-09
Mythes du Proche-Orient ancien
(Thomas Römer)
Le Proche-Orient ancien
A côté de la Grèce, l’autre grande aire culturelle de la Méditerranée antique est formée par le ProcheOrient, terme géographique assez vague qui désigne d’abord la Mésopotamie 1 et la Syrie-Palestine, et
auquel on rattache parfois l’Egypte et l’Asie mineure. Le centre du Proche-Orient est formé par une
demi-lune de terres fertiles allant de la Palestine au Golfe persique, aussi appelée “croissant fertile”. Les
pays du croissant fertile (Palestine, Syrie, Mésopotamie) sont également reliés entre eux dans
l’Antiquité par de nombreux phénomènes migratoires (déplacements de population) entraînant des
échanges commerciaux et culturels. Le Proche-Orient ancien constitue donc une unité à la fois
géographique et culturelle.
Avec l’Egypte, la Grèce et, dans une moindre mesure, le royaume hittite en Anatolie, la Mésopotamie
est l’une des principales civilisations de l’Antiquité. Elle nous a laissé de nombreuses réalisations
technologiques, dont une de première importance : l’invention de l’écriture au IVe millénaire. C’est une
écriture cunéiforme, syllabique dont l’apprentissage est réservé aux élites.
Les Mésopotamiens ont également beaucoup réfléchi au problème des origines de l’homme et du
monde, aux dieux, et au sens de la destinée de l’homme sur terre. Cette réflexion se retrouve, en
Mésopotamie et, plus largement, dans l’ensemble du Proche-Orient ancien (POA), sous la forme de
nombreux mythes, épopées et récits légendaires, dont certains, comme l’épopée de Gilgamesh,
appartiennent aux plus grandes œuvres de l’humanité.
L’épopée de Gilgamesh 2
Il s’agit de la plus ancienne épopée de l’humanité. Ses origines remontent au IIIe millénaire avant notre
ère. C’est certainement l’épopée la plus connue de tout le Proche-Orient, puisqu’on a trouvé des
fragments de cette œuvre jusqu’en Anatolie, et aussi en Palestine (Megiddo) sur une période couvrant
plus de deux millénaires.
La Mésopotamie de cette époque se caractérise sur le plan des populations par une cohabitation entre
Sumériens et Akkadiens. Ce sont apparemment les Sumériens dont l’origine reste mystérieuse qui ont
inventé au IVe millénaire le premier système d’écriture cunéiforme et syllabique. Les Akkadiens (des
peuplades sémites) ont repris cette écriture pour écrire leur propre langue (qui est à l’origine du
babylonien et de l’assyrien). On pense d’ailleurs que le nom de Gilgamesh est d’origine sumérienne.
Qui est Gilgamesh ?
Gilgamesh est d’abord une figure légendaire et mythique, mais qui a probablement un fondement
historique. Il existe une liste des rois sumériens, datée du IIe millénaire, qui énumère des rois d’avant le
Mésopotamie est un terme qui vient du grec et qui signifie : « pays entre les fleuves ». Il désigne le bassin alluvial où
coulent les cours inférieurs du Tigre et de l’Euphrate, et recouvre donc les territoires actuels de l’Irak et du sud ouest de
l’Iran.
1
Se référer aussi à la feuille « Gilgamesh, le grand homme qui ne voulait pas mourir », tirée du Livre des Sagesses et
distribuée pendant le cours. Pour une traduction française on peut consulter : Bottéro, J., L'Epopée de Gilgameß. Le
2
grand homme qui ne voulait pas mourir. (traduit de l'akkadien et présenté par) (L'aube des peuples; Paris: NRF
Gallimard, 1992) ; Tournay, R.J. et A. Shaffer, L'épopée de Gilgamesh (Littératures Anciennes du Proche-Orient
15; Paris: Cerf, 1998).
déluge (tous des personnages mythiques avec des durées de règne incroyables), et des rois d’après le
déluge (on retrouve le même type de répartition dans les listes généalogiques de la Bible dans le livre
de la Genèse). Dans cette liste, Gilgamesh apparaît comme le cinquième roi après le déluge, après
Lugalbanda, qui est également son père dans l’épopée ; son nom est indexé d’une étoile, signe qui
indique un personnage divin. Il est présenté comme roi d’Uruk, ce qu’il est également dans l’épopée. La
figure de Gilgamesh se situe ainsi entre le monde des humains et le monde des dieux. Roi
d’ascendance divine, figurant au nombre des fondateurs de la prestigieuse, mais humaine, dynastie
d’Uruk. En cela il fait parti du type du « héros » qui est souvent un être mi-divin, mi-humain.
La mention de son nom dans la liste des rois conduit à dater le Gilgamesh historique aux alentours de
2650 av. J.-C. Son nom peut se traduire par « l’ancêtre est un héros/un jeune homme » ou selon
Bottéro « l’Ancien est encore dans la force de l’âge ». Il a dû régner sur Uruk et ses alentours, sans
doute est-il l’auteur d’exploits qui ont conduit à faire de lui une figure de héros légendaire.
La formation de l’épopée
La manière dont l’épopée de Gilgamesh s’est constituée est assez caractéristique de la formation des
grands textes du Proche-Orient ancien (y compris certains textes de la Bible hébraïque). Contrairement
à ce qui se passe en Grèce, on a très vite fixé par écrit les traditions orales.
A l’origine de l’épopée (IIIe millénaire), se trouvent des brefs récits indépendants. Dès le deuxième
millénaire, un auteur a regroupé ces récits en les augmentant par d’autres épisodes pour en faire une
épopée. Malheureusement nous ne connaissons cette version que de manière très lacunaire. Au
deuxième millénaire déjà cette épopée est répandue, et même traduite, jusqu’en Asie mineure et en
Palestine.
Durant le Ier millénaire se développe un texte standard de l’épopée, appelée version ninivite. Elle
comporte onze tablettes, chacune de ces tablettes correspondant à une unité thématique. Une
douzième tablette est ajoutée à l’épopée quelques siècles plus tard, elle raconte la rencontre entre
Gilgamesh et le fantôme d’Enkidu, revenu un bref instant du royaume des morts. La version dite
“ninivite” est la plus complète en notre possession, bien qu’il nous manque toujours des passages, et
c’est généralement à partir d’elle que l’on présente l’épopée.
Thèmes et enjeux de l’épopée
Les deux thèmes centraux de l’épopée sont l’amitié exclusive qui unit Gilgamesh et Enkidu et la mort.
Les deux thèmes sont d’ailleurs étroitement liés, puisque c’est la mort de son ami Enkidu qui fait
prendre conscience à Gilgamesh du caractère scandaleux et inéluctable de la mort qui l’attend lui aussi.
L’amitié exceptionnelle entre Gilgamesh et Enkidu est typique d’un certain idéal aristocratique des
classes dominantes dans le monde mésopotamien. On a un parallèle en Grèce avec l’histoire d’Achille
et de Patrocle, et dans la Bible hébraïque avec David et Jonathan (premier livre de Samuel).
La sexualité est aussi un élément important de l’épopée : l’amitié de Gilgamesh et d’Enkidu (comme
celle d’Achille/Patrocle et David/Jonathan) implique clairement une dimension sexuelle ; l’arrivée
d’Enkidu, en particulier, est préparée pour Gilgamesh par des songes qui ont une teneur clairement
érotique et Enkidu accède à la parole et à la civilisation via l’expérience sexuelle avec la prostituée (ce
rôle de la sexualité peut être mis en parallèle avec le rôle qu’elle joue en Genèse 3).
Mais la sexualité n’est qu’un aspect de l’amitié entre les deux hommes, et cette amitié apparaît surtout
comme l’aboutissement d’un processus de civilisation, qui est aussi un processus d’humanisation, et qui
différencie profondément l’homme de l’animal. De même, le parcours d’Enkidu, qui vit d’abord comme
une bête sauvage, puis découvre la sexualité dans les bras de la prostituée, puis enfin l’amitié avec
Gilgamesh, correspond à un parcours progressif qui l’éloigne toujours plus de l’animal et qui le
2
rapproche toujours plus de l’homme. Après la sexualité, l’amitié est le second facteur de différenciation
entre l’homme et l’animal.
Il y a donc, au coeur de l’épopée de Gilgamesh, une réflexion profonde sur ce que sont la civilisation, la
culture, et sur ce qui différencie l’homme de l’animal. Il y a aussi une réflexion sur ce qui différencie
l’homme des dieux, et c’est précisément la mort, le second thème majeur de l’épopée. Après la mort
d’Enkidu, Gilgamesh est terrorisé par l’idée de mourir à son tour, il se découvre mortel. La mort de l’ami,
la disparition définitive de l’être aimé, représente en quelque sorte le stade le plus poussé de la prise de
conscience par l’homme de son destin. C’est ce que lui révèle les deux personnages qu’il va rencontrer
aux confins du monde, dans deux textes qui sont probablement parmi les plus beaux de l’Antiquité sur
la mort et la condition humaine. La cabaretière Siduri (« elle est mon rempart ») est peut-être une
manifestation de la déesse Ishtar.
« La cabaretière répondit à Gilgamesh en ces termes : "[…]. Gilgamesh, où donc cours-tu ? La vie que
tu poursuis, tu ne la trouveras pas. Quand les dieux ont créé l’humanité, c’est la mort qu’ils ont
réservée à l’humanité ; la vie, ils l’ont retenue pour eux, entre leurs mains. Toi, Gilgamesh, que ton
ventre soit repu, jour et nuit, réjouis-toi, chaque jour, fais la fête jour et nuit, danse et joue de la
musique ; que tes vêtements soient immaculés, la tête bien lavée, baigne-toi à grande eau ; contemple
le petit qui te tient par la main, que la bien-aimée se réjouisse en ton sein ! Cela, c’est l’occupation de
l’humanité" » (tablette X).
Ce poème est repris dans le Bible, dans le livre du Qohéleth, au chapitre 9.
Et Utanapishtim tient exactement le même discours à Gilgamesh.
« Quand les dieux ont créé l’humanité, c’est la mort qu’ils ont réservée à l’humanité ; la vie éternelle,
ils l’ont obtenue pour leur destinée… Tu erres sans cesse, qu’as-tu obtenu ? En errant ainsi, tu
t’épuises toi-même, tu remplis tes muscles d’angoisse, la longueur de tes jours, tu en rapproches la
fin. L’être humain, il est fauché comme un roseau de cannaie, quel qu’il soit ! Le beau jeune homme, la
belle jeune fille, en faisant l’amour, s’affrontent ensemble à la mort. Non, personne ne peut voir la
mort, non, personne ne peut voir le visage de la mort, non, personne ne peut entendre la voix de la
mort » (tablette X).
C’est donc la mort qui différencie les hommes et les dieux. Gilgamesh, l’ancêtre fondateur, se trouve à
cet égard dans une situation intermédiaire, puisqu’il est à la fois dieu et homme. C’est pourquoi il va
plus loin qu’aucun autre homme dans sa quête de l’immortalité. Il échoue de justesse, par la faute du
serpent (comme dans le récit de Genèse 3), mais son échec est définitif. Ni lui, ni aucun homme après
lui, n’aura l’immortalité. Comme l’ancêtre Gilgamesh qui retourne à Uruk après avoir échoué dans sa
quête, l’homme de la cité doit se résigner à son statut mortel. Restent alors d’une part le conseil de la
cabaretière : profiter de la vie présente avec sa femme, ses enfants, ses amis ; et d’autre part, la
possibilité d’accéder à une autre forme d’immortalité, en laissant son nom gravé dans la mémoire de la
Cité.
Les dieux mésopotamiens
La civilisation mésopotamienne vénère de nombreuses divinités; ces dieux interviennent
continuellement dans la vie des hommes, leur existence est une évidence absolue, et ils sont donc
logiquement au centre de la plupart des mythes mésopotamiens.
Comme dans tout système polythéiste, chaque divinité a des fonctions et des compétences propres. La
structure du panthéon reflète ainsi celle de la société. Tout comme la société a différentes fonctions
spécialisées, le panthéon est organisé et différencié selon les fonctions propres à chaque dieu ; et tout
comme la structure de la société est hiérarchique, il existe une hiérarchie des dieux selon leurs
fonctions et leurs compétences. D’ailleurs, plus une société est importante, plus son organisation
sociale, politique et économique est différenciée, et plus son panthéon tend en général à être complexe.
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Voici les quatre dieux les plus importants 3 :
Anu : dieu suprême, ancêtre de tous les dieux. Il est source de toute autorité terrestre. Son épouse est Ki, la
terre. A Uruk (lieu principal de son culte), c’est la déesse Inanna qui devient sa compagne ou parèdre.
Inanna (Ishtar) : déesse tutélaire d’Uruk, considérée comme la déesse la plus puissante. Déesse de l’amour et
de la sexualité, elle n’est jamais mère et n’est pas soumise à l’autorité d’un dieu-mari. Elle a le pouvoir d’inverser
les choses (obscurité en clarté, sommet de la montagne en creux d’un vallon, homme en femme, etc.). Elle est
aussi déesse de la guerre. Elle a à son service des assinu, des travestis, qui symbolisent la confusion des rôles.
Enlil : Créateur de la terre, « dieu de tous les pays ». C’est le dieu qui sépare le ciel de la terre. Dieu du vent, il
est bénéfique et maléfique à la fois, il peut en effet provoquer l’intempérie destructrice qu’est le déluge.
Enki (Ea). « Seigneur de la terre », il incarne les eaux douces et fertilisantes ; c’est le dieu de la sagesse,
promoteurs des arts et des métiers, il est l’ami des hommes, le conseiller, le porteur de civilisation.
Les grands dieux sont en règle général représentés à l’aide de statues anthropomorphiques. Mais les
Mésopotamiens n’identifient pas la statue au dieu qu’elle représente. Le dieu peut habiter sa statue,
notamment lors des cultes qu’on lui rend, mais il n’est pas identifié à elle, et peut être présent sous
d’autres formes ou symboles. On notera également que, comme en Grèce, le culte des dieux
mésopotamiens varie selon les sanctuaires et les modes d’apparition du divin ; on vénère ainsi non pas
Inanna (Ishtar) en général, mais Inanna d’Adab, de Nippur, d’Ur, etc.
3 Se référer aussi au panthéon babylonien donné dans la brochure, p. 8. Les nom sumériens figurent en premier, les noms
akkadiens entre parenthèses.
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