illustres

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Ephrem-Isa Yousif
Les figures
illustres
de la
Mésopotamie
PEUPLES ET CULTURES
DE
L ’ O R I E N T
LES FIGURES ILLUSTRES
DE LA MÉSOPOTAMIE
Peuples et cultures de l’Orient
Collection dirigée par Ephrem-Isa Yousif
Il y a au Proche-Orient des peuples, porteurs d’un riche
patrimoine culturel, qui ont joué un rôle important dans
l’histoire de la civilisation : les Arméniens, les AssyroChaldéens, les Coptes, les Géorgiens, les Maronites, les
Melchites et les Syriaques occidentaux. Hélas,
aujourd’hui, ils sont peu connus en Occident. Les Éditions
L’Harmattan ouvrent encore plus largement leurs portes à
tous ces peuples, communautés, pour que leur patrimoine
soit valorisé.
Déjà parus
Ephrem-Isa YOUSIF, Saladin et l’épopée des Ayyoubides.
Chroniques syriaques, 2010.
Saywan BARZANI, Le Kurdistan d’Irak, 2009.
Sylvie CHABERT D’HYÈRES, L’Évangile de Luc et les
Actes des Apôtres selon le Codex Bezæ Cantabrigiensis,
2009.
Ephrem-Isa YOUSIF, Les Villes étoiles de la Haute
Mésopotamie, 2009.
F. HELLOT-BELLIER et I. NATCHKEBIA (dir.), La
Géorgie entre Perse et Europe, 2008.
P. G. BORBONE, Un ambassadeur du Khan Argun en
Occident. Histoire de Mar Yahballaha III et de Rabban
Sauma, 2008.
G. H. GUARCH, Le legs kurde, 2007.
Ephrem-Isa Yousif
LES FIGURES ILLUSTRES
DE LA MÉSOPOTAMIE
L’Harmattan
© L'HARMATTAN, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-99432-4
EAN : 9782296994324
« Peut-être notre civilisation, que
Nous croyons fulgurante, n’est-elle
qu’une décadence profonde, n’ayant
même plus le souvenir historique
des gigantesques sociétés disparues ».
« Les saisons et les hommes coulent
comme un seul fleuve
Interminable sous les arches des siècles,
vers le centre vivant de l’origine,
au-delà de la fin et du commencement ».
Liberté sur parole,
Octavio Paz
Avec mes remerciements à Monique Le Guillou qui a
collaboré avec moi à la réalisation de cet ouvrage.
INTRODUCTION
Les historiens grecs appelèrent Mésopotamie le pays
entre les fleuves, le Tigre et l’Euphrate. Je suis né sur ce
vaste territoire qui déborde l’Irak actuel. Je suis un enfant
des montagnes du nord, des premiers villages, des bateaux
sur les fleuves, des fleurs dans les vallées, un enfant d’Ur,
d’Assur, de Ninive et de Babylone.
Plus tard, au cours de mes études universitaires, j’ai découvert la civilisation mésopotamienne, l’une des plus anciennes et brillantes du monde, sa richesse et sa grandeur.
J’ai pu, lors de mes conférences, faire partager mon admiration pour ses fiers monarques, son clergé, ses scribes, ses
artistes, ses commerçants, ses artisans.
Au pays de Sumer et d’Akkad, région de basse Mésopotamie, située entre Bagdad et le Golfe, la civilisation s’était
développée très tôt, bien avant la Grèce et Rome. C’était une
terre alluviale, aride mais fertile, austère, brûlée de soleil, une
terre aux villes nombreuses, précaires à cause du déplacement des fleuves.
Les anciens Mésopotamiens excellèrent dans la créativité,
ils inventèrent la roue, l’irrigation, la ville, l’organisation étatique et les premiers systèmes administratifs. Par l’écriture
vers 3300 av. J.-C., ils firent entrer l’homme dans l’histoire.
Ils développèrent le commerce, les techniques et les arts. Ils
recoururent aux premiers codes de lois, rédigèrent mythes,
prières, poèmes épiques et lyriques, textes de sagesse. Ils
découvrirent l’astronomie, l’astrologie, la médecine.
Cette grande civilisation mésopotamienne « fit rage »
pendant des millénaires, selon l’expression de l’archéologue
français André Parrot. Elle garda jalousement ses modes de
pensée, ses mœurs, ses coutumes jusqu’à l’arrivée du perse
9
Cyrus en 539 av. J.-C. et surtout d’Alexandre le Grand deux
siècles plus tard. Elle survécut jusqu’au début de notre ère.
Elle marqua le Proche-Orient et parvint d’abord en Occident par les canaux de la culture grecque et de la Bible.
D’après la tradition sumérienne, la royauté descendit du
ciel sur la terre, à l’initiative des dieux qui la donnèrent aux
hommes pour le pastorat du pays, seul modèle de gouvernement imaginable. Le Pouvoir royal, le Trône, le Sceptre
faisaient partie des Me détenus par les dieux, mot-clef qu’on
peut traduire par puissances, lois, règlements, éléments constitutifs de la civilisation sumérienne, puis mésopotamienne.
Le roi n’était pas dieu, comme le pharaon d’Égypte, mais
l’intermédiaire entre la divinité et les hommes, le berger de
son peuple qu’il faisait paître et conduisait sur le bon chemin. Il assurait ainsi son bonheur et sa prospérité et le protégeait de ses ennemis.
Dirigés par un souverain choisi par les dieux, les Sumériens ou Têtes noires évitèrent ainsi que l’anarchie ne régnât
dans leurs cités-États qui se partageaient le territoire et constituèrent des royaumes.
La taille de ces royaumes et la conception de la royauté
varièrent au cours des ans. Vers 2335 avant J.-C., Sargon
arriva d’Akkad, au nord-ouest de Sumer. Il unifia la basse
Mésopotamie et créa un premier empire qui dura jusqu’en
2193 environ. Une nouvelle dynastie, celle d’Ur III, reprit
ensuite cette politique impériale et gouverna le pays de Sumer, la Babylonie, une partie du Zagros et de l’Elam. Cet
empire disparut brusquement en 2004.
Les us et coutumes de Sumer et d’Akkad se perpétuèrent
pourtant en Assyrie et en Babylonie où les rois voulurent
maintenir une tradition religieuse et littéraire. Affranchis de
la tutelle des Mitanniens, installés en haute Mésopotamie,
des Cassites, venus des monts Zagros, puis des Araméens
issus du nord du désert de Syrie, ces souverains se lancèrent
vers la fin du deuxième millénaire dans une politique de
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conquête et d’expansion, gouvernant des empires de plus en
plus vastes, qui s’étendirent sur tout le Proche-Orient.
Depuis un siècle et demi, les archéologues, les savants, les
historiens, travaillant avec ardeur, ont ressuscité le fabuleux
passé de la Mésopotamie. Ils ont découvert des tessons de
poteries, des reliefs, des œuvres d’art, déchiffré des milliers
de tablettes d’argile couvertes d’inscriptions cunéiformes,
des documents d’archives, des textes épiques et lyriques.
S’il existe des représentations plus ou moins « réalistes »
de certains monarques qui firent exécuter par les sculpteurs
leurs images sur les sceaux, les stèles, les reliefs, rien n’a été
conservé des visages d’autres rois et leurs traits ont été mutilés par l’ennemi victorieux ou se sont perdus dans les
brumes de l’histoire.
Comment accéder à ces hommes si éloignés de nous,
« fils de leurs temps et du temps de leurs pères », selon la
formule de l’historien français contemporain Jacques Le
Goff ? Ils héritèrent de leurs pères leurs royaumes, mais courageux, intrépides et pieux, ils prirent leurs destins en main et
allèrent de l’avant. Ils contribuèrent à construire une grande
civilisation.
Aujourd’hui, avec quelle fierté, quelle émotion, je pense à
la Mésopotamie si lointaine et si proche, pays des dieux, des
héros et des rois qui portaient les armes et le bouclier du
monde antique! Sur ces terres fertiles ondulaient le blé et
l’orge, coulaient la bière, l’huile et le miel, tandis que le vent
jouait de la harpe. Comme le taureau et l’épi, le roseau et le
palmier, l’aventure côtoyait la tragédie, et le rêve, la réalité.
Je désire apporter mon humble brique à la connaissance
de la culture mésopotamienne, si originale, et me baigner
dans ses fleuves, à l’aube des temps.
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PREMIÈRE PARTIE
SUMER, AKKAD ET BABYLONE
En ce jour encore, je rêve à Sumer, terre des commencements, à ses matins lumineux, à ses hommes épris de vie et
de savoir qui développèrent les techniques et les arts,
l’irrigation. Ils inventèrent la poterie, la roue, l’araire, la voile,
et surtout, à la fin du IVeme millénaire avant notre ère,
l’écriture pour exprimer leur langue.
Les Sumériens vécurent dans la région méridionale de la
Mésopotamie, limon et argile, face au désert et à la steppe.
Ils organisèrent, près de l’Euphrate ou de canaux, les villes
fondées par les dieux, Kish au nord du pays, puis Nippur,
Umma au centre, Uruk, Lagash, Girsu, Ur, Eridu, au sud.
C’étaient des centres politiques, des lieux d’échange et de
commerce. Là, ils bâtirent une civilisation féconde.
Tout cela se perd dans la nuit des temps. Mais comme
l’affirme le grand écrivain portugais José Sarramago : « Les
temps ont cessé d’être leur propre nuit quand les humains
ont commencé à écrire…» 1
Je pars découvrir Sumer, Akkad et Babylone, leur lumière
indéfectible, leurs couleurs d’azur et d’ocre brûlé, leurs héros
et leurs rois aux lances qui fascinaient de mille feux, leurs
royaumes, leur musique.
Quel chemin prendre pour arriver à ce Pays, proche autrefois du Paradis terrestre, et qui me semble si lointain ?
Aurai-je le pouvoir de me plonger dans un monde chargé
1
José Sarramago, Le siège de Lisbonne.
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d’aventures, d’errances, de conquêtes, de violences, mais
aussi de justice, de compassion, de ferveur, de tremblement
et d’extase ? Toute chose, avec la grâce des millénaires, y
parle au cœur, aux sens, répercute des échos humains et divins.
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Gilgamesh, roi d’Uruk
CHAPITRE I
I
Gilgamesh, roi d’Uruk
Gilgamesh, le premier héros sumérien, qui combattit
l’ogre monstrueux, terrassa le taureau, parvint au bout du
monde, à l’île sans crépuscule, et rêva, en vain, d’être immortel, a-t-il existé ? S’agit-il du roi mythique de la plus ancienne
geste connue au monde, d’un géant barbu, sculpté dans
l’albâtre, qui tient serré contre lui un lionceau2 ou d’un héros
littéraire inventé par la détresse des hommes voués au trépas?
«La désolation
de Gilgamesh quand il revenait
du Pays sans crépuscule :
ma désolation»3
Il semble que Gilgamesh ait bel et bien été un personnage
historique, un roi exceptionnel. Selon la fameuse Liste royale
sumérienne4, vers 2650 avant notre ère, il aurait régné cent
vingt-six ans à Uruk, une importante cité située au sud de
l’Irak (aujourd’hui Warka). Son palais n’a cependant pu être
retrouvé par les archéologues lors des fouilles.
Des scribes sumériens, à la cour des souverains de la
Troisième dynastie d’Ur (2112-2004 av. J.-C.) originaires
d’Uruk, rédigèrent cinq récits plus ou moins légendaires,
concernant les exploits de ce monarque ; récits pleins de
dieux et de démons, de héros éblouissants, d’êtres hybrides,
Aujourd’hui au musée du Louvre, Khorsabad, VIIIeme siècle, avant J.-C.
Octavio Paz, L’arbre parle, éd. Gallimard, 1987, p. 76 .
4 La Liste royale sumérienne, qui recense les dynasties, compilée autour de
1850 avant J. -C.
2
3
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mi hommes, mi scorpions, de monstres, de parcs fabuleux,
de trésors.
Récit, épopée, tragédie, le poème de Gilgamesh fut copié,
diffusé en premières versions babyloniennes dès le deuxième
quart du deuxième millénaire dans tout le Proche-Orient
ancien.
À Babylone, vers 1300-1200*, ces récits d’aventures furent rassemblés en un long et riche poème plein de souffle et
de lyrisme, rédigé en akkadien par un lettré nommé Sin-leqeounninni.
À Ninive, capitale de l’empire assyrien, les archéologues
modernes découvrirent une version de l’épopée, composée
de 11 tablettes, parmi les ruines de la bibliothèque du roi
Assourbanipal (668-627 av.-J.-C.) Une douzième tablette
racontait la descente aux enfers de Gilgamesh.
Ce chef-d’œuvre connut une immense diffusion.
La vie civilisée
L’Épopée, tel un fier coursier, nous transporte en des
temps lointains, mal définis. Au cœur de la cité d’Uruk règne
Gilgamesh, un géant doté d’une généalogie fabuleuse,
puisqu’il est le fils du roi Lougalbanda et de la déesse Ninsoun, pour deux tiers divin, pour un tiers humain. Arrogant,
terrible comme un buffle, il jouit d’un pouvoir tyrannique. Il
emploie les hommes à la construction des murs de la ville et
passe la nuit de noces avec les jeunes mariées.
Pour répondre à la demande des habitants d’Uruk, las de
ses excès, les dieux créent un autre colosse au corps velu, à la
musculature puissante. Enkidu vit en pleine steppe dans
l’intimité des animaux sauvages, il broute l’herbe comme
eux, s’abreuve à leur source.
Par les bons soins d’une courtisane venue d’Uruk, le
géant des bois est initié aux plaisirs de l’amour, l’amour libre
et raffiné, nourriture divine fort appréciée à Sumer. Il apprend à manger, à boire, à se vêtir, il passe de la vie sauvage
à la vie civilisée. Le progrès est une idée mésopotamienne.
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Aussitôt les animaux se détachent de lui car il n’appartient
plus comme avant à l’ordre de la nature.
La courtisane introduit Enkidu dans la cité où il découvre
encore le pain, la bière, les robes, la musique. Il apprend
l’esprit à travers le corps.
Cet homme aux mœurs simples, justes et innocentes
s’oppose, au cours d’une bagarre, au despotisme de Gilgamesh qui se situe au-delà des lois. Après un échange de
forces, le roi doit céder. Une amitié admirable et nécessaire
naît entre les rivaux, si ressemblants et si différents à la fois.
Elle vient pour le roi après une longue attente. Être, c’est
aimer et pour la première fois Gilgamesh aime vraiment. Il
détourne son énergie vers d’autres objectifs que l’oppression
de ses sujets et le débordement amoureux. Il va se réaliser
dans cette marche à deux, consacrée par le temps.
«Une vie sans gloire vaut-elle plus que la mort ? » se demande une pièce littéraire, la Ballade des héros du temps jadis.
Gilgamesh veut se faire un renom éternel.
Le voyage lointain
Il part combattre avec Enkidu le féroce gardien de la Forêt des Cèdres, le géant Humbaba qui vomit le feu, lui
tranche la tête. Il rentre à Uruk comme un héros, rapporte
un arbre géant qui servira de bois de construction. Il a
l’audace de refuser les faveurs de la déesse Ishtar. Humiliée,
celle-ci se venge en envoyant contre lui et son compagnon le
colossal Taureau-céleste qui commence à ravager Uruk. Le
roi en vient à bout et toute la ville célèbre ses exploits.
Indisposés par ce meurtre, les dieux, tenant déjà Enkidu
pour responsable de la fin d’Humbaba, le condamnent à
mort. N’a t-il pas succombé à l’orgueil, à l’ingratitude ? Le
bon géant tombe malade, il maudit la courtisane qui l’a amené à la société urbaine dont il a attrapé les maux. Il s’éteint,
retourne à l’argile et au silence.
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