L`expertise infirmière : une force de changement, un levier

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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2015) 16, 113—115
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
ÉDITORIAL
L’expertise infirmière : une force de
changement, un levier de transformation
The nurse expertise: A force for change, a lever transformation
Valoriser l’expertise infirmière : une tendance internationale
Tous les systèmes de santé du monde sont actuellement à la recherche de nouvelles compétences, façons de faire et collaborations interprofessionnelles pour répondre aux besoins
de santé évolutifs des populations. Cette tendance n’ira pas en diminuant et, dans ce
contexte, le redéploiement des compétences infirmières pose un défi sans précédent. Les
infirmières et les infirmiers représentent le corps professionnel le plus nombreux dans
le champ sanitaire. Un tel potentiel humain, bien formé et adéquatement mobilisé, est
clairement susceptible de faire évoluer positivement les systèmes de santé.
Dans les pays du Nord, on assiste à l’ouverture des champs d’exercice, ce qui va de
pair avec l’autonomie de l’infirmière. Un nouveau découpage des responsabilités entre
les professionnels, notamment par l’introduction de rôles infirmiers avancés, ou à large
spectre, et l’application de protocoles thérapeutiques, maximise la collaboration interprofessionnelle tout en favorisant la capacité d’initiative du corps infirmier et une meilleure
utilisation des médecins. L’efficacité du rôle infirmier en pratique avancée a été démontrée à plusieurs reprises : sur la sécurité et la satisfaction des patients, la prévention de
ruptures de services, l’amélioration de l’accès à des soins de qualité, la réduction des
coûts en écourtant la durée d’hospitalisation et en prévenant les réadmissions.
La pratique avancée prend appui sur une analyse approfondie des besoins
de santé du patient, de la famille ou de la communauté, et intègre les
résultats probants à l’évaluation, à la décision et à l’intervention cliniques.
Loin d’être l’exercice d’une médecine à bon marché, ce rôle d‘expert
clinique a tout le potentiel requis pour répondre à la complexité des besoins
de santé des personnes, des familles et des communautés par le déploiement
des meilleures pratiques et le renforcement de la collaboration
interprofessionnelle [1—4].
Parmi les rôles infirmiers avancés, la coordination des parcours de soins des patients
atteints d’une maladie chronique peut s’avérer une mesure très porteuse tant au plan de
l’efficacité que de l’efficience des soins et services. En 2012, un livre blanc de l’American
Nurses Association [5] décrit les bénéfices associés au processus de coordination des soins
par une infirmière et en démontre l’importance pour l’assurance des soins de grande
qualité, efficaces, efficients et centrés sur le patient.
http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2015.04.007
1624-5687/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Éditorial
En France, également inscrit dans cette tendance, le
développement de la consultation infirmière auprès de
patients aux prises avec des douleurs chroniques est un
exemple concret de l’expertise infirmière au centre de
la coordination des soins offerts aux patients souffrants.
L’évolution des besoins et des attentes de la population en
matière de soins, les progrès de la science médicale et infirmière, la pression économique croissante sont autant de
facteurs qui ont imposé au système de santé de s’engager
dans de profondes mutations afin de préserver l’offre de
soins.
Ancrer la pratique clinique sur la
recherche en sciences infirmières
Le leadership clinique des infirmières et infirmiers dans le
domaine d’évaluation de la douleur est soutenu par de nombreuses recherches infirmières qui ont conduit à des percées
intéressantes. Par exemple, mentionnons les travaux de
chercheures américaines Benoliel et McCorkle (1978) [6,7],
reconnues non seulement pour avoir initié la recherche infirmière sur le soulagement de la douleur, mais également
pour la création du Symptom Distress Scale, encore utilisé aujourd’hui par plusieurs professionnels de la santé de
toutes disciplines.
En d’autres mots, la recherche en sciences infirmières a
permis l’évolution de pratiques davantage tournées vers les
besoins de santé des personnes, des familles, des communautés. L’avancement de la recherche est favorisé, dû à une
tradition, principalement dans les pays anglo-saxons, des
filières universitaires en sciences infirmières de 1er , 2e et 3e
cycles d’études. La profession dispose donc de chercheursinfirmiers qui analysent les résultats de soins et génèrent
de nouvelles connaissances pour le renouvellement des pratiques.
Ainsi, si aujourd’hui, émerge la notion
d’infirmière en pratique avancée ou à large
spectre de responsabilités, il est intéressant de
rappeler que la recherche en sciences infirmières
notamment dans le domaine de la douleur a
permis, depuis plus de trente ans, de remettre
en question les pratiques, d’ajuster les
interventions et d’offrir des soins basés sur des
évidences scientifiques.
Redéployer les compétences infirmières
pour une véritable réorganisation des
systèmes de santé : vers une volonté
politique
Si la pratique infirmière avancée est bien implantée dans
plusieurs pays anglo-saxons, la francophonie tarde toutefois à l’intégrer. Par exemple, elle en est à ses débuts au
Québec et ce, malgré la présence de faculté de sciences
infirmières depuis des décennies. La France quant à elle,
vient d’adopter, le 9 avril 2015, un projet de loi de santé qui
crée un exercice en pratique avancée pour les professions
paramédicales, créant ainsi le métier d’infirmier clinicien.
Ces transformations amènent à revisiter les champs
d’exercice professionnel et nécessitent de bien saisir les
responsabilités spécifiques à chaque groupe. Le transfert
des responsabilités entre médecins et infirmières, porteur
d’une meilleure réponse aux besoins des patients, est vu
comme un facteur d’amélioration et de productivité des
services [8]. Trop souvent, les médecins effectuent des
soins pouvant clairement être prodigués par les infirmières
et infirmiers ; aussi faut-il systématiquement procéder à
une redéfinition efficiente, profitant de l’offre d’un redéploiement des compétences infirmières. Une telle approche
requiert d’être fondée à la fois sur la collaboration, sur les
résultats probants et sur la maîtrise de savoirs spécifiques.
La collaboration interprofessionnelle ne peut se réaliser que
si tous les acteurs peuvent dialoguer et agir en collégialité.
L’évolution de la pratique avancée est donc inéluctable ;
elle requiert cependant la mise en place d’une filière universitaire complète allant du 1er au 3e cycle d’études en
sciences infirmières. Par conséquent, la véritable mise en
œuvre de ce rôle d’expert demeure tributaire des politiques
publiques en matière de santé [3].
Dans le contexte de réorganisation des
systèmes de santé, le redéploiement des
compétences professionnelles est une
opportunité pour la profession infirmière : sa
proximité des patients et des familles et sa
compréhension des enjeux lui permettent de
porter le point de vue du citoyen aux niveaux
décisionnel et politique afin de contribuer à la
restructuration des soins et services ainsi qu’à
l’avenir des soins de santé.
Grâce à la recherche en sciences infirmières, la profession a démontré depuis des décennies, sa volonté manifeste
de contribuer, en collaboration avec les autres professionnels de la santé, à l’avancement des connaissances,
à l’amélioration des pratiques et à la santé des populations.
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références
[1] LaSala CA, Connors PM, Pedro JT, Phipps M. The role of the clinical nurse specialist in promoting EBP and effecting positive
patient outcomes. J Contin Educ Nurs 2007;38(6):262—70.
[2] AIIC. Énoncé de position : l’infirmière clinicienne spécialisée;
2009 http://www.cna-aiic.ca/cna/
[3] DiCenso A, Bryant-Lukosius D. Infirmières cliniciennes spécialisées et infirmières praticiennes au Canada : synthèse d’aide à la
décision. Rapport de recherche commandée. Ottawa: Fondation
canadienne de la recherche sur les services de santé. (FCRSS);
2010 http://www.chsrf.ca
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[4] Desrosiers G. La pratique avancée, un avenir, une nouvelle formation pour les infirmières. Info Nurs 2009;150:4—11.
[5] The value of nursing care coordination: a white paper. American
Nurses Association; 2012. p. 1—24. http://www.nursingworld.
org/carecoordinationwhitepaper
[6] Benoliel JQ, Mc Corkle R. The patient in pain: new concepts.
Nursing Digest 1977;5:41—8.
[7] Benoliel JQ, Mc Corkle R. A holistic approach to terminal illness.
Cancer Nurs 1978;1:143—9.
[8] OECD. Les personnels de la santé dans les pays de l’OCDE :
comment répondre à la crise imminente. Rapport conjoint
OCDE-OMS; 2008, http://dx.doi.org/10.1787/9789264050792-fr
http://www.sourceocde.org/questionssociales/9789264050778
Secrétaire générale du SIDIIEF
Hélène Salette 1
SIDIIEF, 4200, rue Molson, bureau 142, H1Y 4V4
Montréal, Québec, Canada
Adresse e-mail : [email protected]
1
En tant que réseau mondial d’infirmières et
d’infirmiers de langue française, le
Secrétariat international des infirmières et
infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF) a
pour mission de faciliter la mise en réseau de
la communauté infirmière dans tout le
monde francophone, de mettre en valeur le
savoir et le leadership clinique infirmiers
ainsi que de promouvoir la contribution de la
profession à la santé des populations. Le
SIDIIEF tiendra son 6e Congrès mondial sur le
thème « Défi des maladies chroniques : un
appel à l’expertise infirmière » du 31 mai au
5 juin 2015 à Montréal (Québec) :
http://congres-sidiief.org/.
Reçu le 21 avril 2015 ; accepté le 21 avril 2015
Disponible sur Internet le 1er juin 2015
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