2) les brancardiers étaient surchargés ;
3) c’était bientôt le changement d’équipe et l’équipe de
jour laissait ses tâches pour l’équipe de nuit.
On ramena enfin le patient. Quand la neurologue revint
du box, elle dit qu’il n’y avait pas de réel trouble
neurologique, que l’asymétrie faciale était plutôt
ancienne, et que les troubles actuels du patient étaient
probablement liés à l’hyperglycémie. Il fallait donc
l’hospitaliser et traiter sa tension et sa glycémie. La
neurologue me demanda comment était la bandelette
urinaire. Je vérifiai et remarquai que la bandelette
urinaire n’avait pas été faite. Je le lui expliquai, elle me
re-sourit mi-figue mi-raisin, insista pour que le patient ait
du Loxen
1
et de l’insuline.
Je rappelai donc qu’il manquait toujours la bandelette
urinaire à une première infirmière qui me dit que je
devais m’adresser à sa collègue et non à elle. Je soupirai :
le problème de cette garde était en partie dû au fait que
je ne connaissais pas encore assez bien ce service des
urgences ainsi que l’équipe. L’infirmière m’envoya de
l’autre côté de la salle, où je tombai à nouveau sur un
groupe d’infirmiers et aides-soignants. Je réussis à grand-
peine à demander –au milieu des rires et des blagues –
qui s’occupait de mon patient et demandai enfinà
l’infirmière en question si elle pouvait faire la bandelette
urinaire. J’eus premièrement l’impression que je la gênais
dans une conversation des plus importantes ce qui n’était
clairement pas le cas, et ensuite elle me répondit assez
sèchement qu’elle n’avait pas le temps et que, au pire,
l’équipe de nuit le ferait. J’insistai en lui rappelant que
c’était urgent, elle acquiesça.
Au changement d’infirmiers, je rappelai à la nouvelle
équipe qu’on avait prescrit du Loxen
1
,del’insuline et une
bandelette urinaire pour ce patient. Je revins contrôler
cela 30 minutes plus tard : toujours aucune bandelette
urinaire. J’eus beau insister et réinsister toutes les 30
minutes, en étant envoyée entre les différentes infirmiè-
res entre chaque côté de la salle, je n’eus pas plus de
succès.
Parallèlement à cela, je devais gérer d’autres patients que
mon chef tenait absolument à revoir avec moi alors que je
savais parfaitement quoi faire pour chacun. Pendant trois
heures, je tournais en rond entre mon patient en attente
de sa bandelette urinaire et mes autres patients que je
n’arrivais ni à présenter à mon chef qui était toujours
occupé, ni à les faire sortir des urgences. Je me sentais à
la fois inutile, incompétente et à la fois... rien du tout,
finalement juste fatiguée !
À 1 h 30 du matin, mon chef vint vers moi tranquillement
en me demandant où j’en étais. Il regarda alors les
prescriptions et il constata que ni le Loxen
1
ni l’insuline
n’avaient été faits.
–« Comment ça, m’étonnai-je ? Je l’ai prescrit sur
l’ordinateur ? »
–« Tu les as prescrits oui, mais les infirmières ne les ont
pas faits ».
Je regardai sur l’ordinateur : c’était un logiciel propre
aux urgences que je n’utilisais pas dans les étages.
Je n’avais pas compris que, ce qui s’affichait actuelle-
ment, était des prescriptions non réalisées par les
infirmières.
Cela faisait quatre heures que j’avaisprescritdes
traitements et une bandelette urinaire, quatre heures
que je courais après l’équipe infirmière de jour et de nuit
pour que ce soit fait, je l’avais prescrit sur l’ordinateur
ET répété moult fois oralement, on m’avaitfaitvalser
d’un côté de la salle à l’autre pour chercher la bonne
infirmière sans un seul mot gentil ou d’excuse, et
finalement le traitement que j’avais demandé en
urgence n’avait pas été fait et l’infirmière me disait
seulement maintenant qu’elle avait des difficultés à
effectuer la bandelette urinaire car mon patient avait
uriné sur lui. Ma réaction était probablement exagérée,
mais à ce moment-là, avec la fatigue accumulée, j’eus
l’impression de n’être qu’un ballon de foot qu’on
balançait d’un côté de la salle à l’autre, comme si le
fait que je ne sois pas une interne du service des
urgences rendait mes prescriptions non valables ou
non importantes. Et si ce patient était en ACR, elles
m’auraient laissée toute seule masser ce patient jusqu’à
l’arrivée des réanimateurs ?
Mon chef constata, fort heureusement, que sa glycémie
était revenue toute seule à moins de 2 g/L. On monta
donc le patient dans les étages après lui avoir administré
du Loxen
1
.
Entre fatigue et exaspération, sans oublier ce sentiment
amer de n’avoir rien fait pendant toute cette soirée, je
retournai voir des patients. Heureusement, mon humeur
s’améliora lorsque j’examinais à 3 heures du matin une
patiente âgée de 80 ans, toute souriante, qui me tendit
spontanément sans même que je les lui demande ses
dernières ordonnances et son dernier bilan biologique
effectué en ville « au cas où ça pourrait vous aider »
disait-elle. Quand on rencontre une telle patiente à
3 heures du matin alors qu’on vient de passer 5 heures à
avoir l’impression d’être un mauvais médecin, cela met du
baume au cœur.
structured transmission times and
vigilance of everyone must help to limit
the risk of error.
Key words
medical errors; cooperative behavior.
DOI: 10.1684/med.2016.61
probablement encore au scanner. Je demandai s’il était possible de
ramener le patient vu que la neurologue arriverait sous peu. On me dit
oui, je repartis confiante.
Lorsque le neurologue de garde arriva vers 20 h 40 et me demanda où était
le patient, l’infirmière qui s’en occupait nous informa qu’il était toujours au
scanner, 50 minutes après la fin de son examen.
À cela plusieurs raisons :
1) les infirmiers étaient surchargés ;
MÉDECINE Mai 2016 215
STRATÉGIES
Trace d’apprentissage |Entre médecins
et infirmiers, des risques d’événements indésirables
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