STRATÉGIES Trace d’apprentissage Jane Kenaghan partement universitaire de medecine De gen erale Paris Diderot [email protected] Tir es à part : J. Kenaghan Résumé Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Selon l’OMS, une erreur est définie comme « l’exécution non conforme d’un acte prévu ou l’application d’un plan incorrect ». On préfère à présent parler « d’événement indésirable », soit un incident quel qu’il soit qui porterait atteinte au patient. Les événements indésirables ne sont pas forcément des erreurs individuelles, dues au médecin ou a tel ou tel professionnel, mais aussi des erreurs de système avec un problème dans la prise en charge multiprofessionnelle. Les mauvaises transmissions entre les équipes, l’urgence, la fatigue et le stress sont autant de causes possibles d’erreurs. Il faut donc une réflexion commune, une analyse des problèmes individuels et collectifs. Un travail de collaboration et de concertation au sein des équipes, des temps de transmission structurés et une vigilance de chacun doivent permettre de limiter les risques d’erreur. Mots clés erreurs médicales ; comportement coopératif. Abstract. Between doctors and nurses, possible risks of adverse events. Daily learning journal. Stories of real and complex situations According to WHO, an error is defined as the “improper execution of a planned act or the application of an incorrect plan.” Preference is now for speaking of “adverse event” or an incident of any kind that would impair the patient. Adverse events are not necessarily individual errors, due to a doctor or a particular professional, but also system errors with a problem in care when held by multi-professional actors. The bad transmissions between teams, urgent cases, fatigue and stress are all possible causes. Thus, there needs to be a common reflection, analysis of individual and collective problems. A collaborative and consensus within the teams, ÉDECINE 214 MÉDECINE Mai 2016 Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables La situation clinique et son évolution C’était ma deuxième garde dans ces urgences. Les infirmiers étaient répartis entre les deux côtés de la salle, et personne n’avait pris la peine de m’expliquer où était quel patient et quelle infirmière s’occupait de qui. Mais qu’importe, l’interne est censé se débrouiller n’est-ce pas ? Mon patient arriva à 19 heures Il avait été retrouvé dans la rue par les pompiers qui l’avaient adressé pour « malaise ». Il avait comme antécédents un diabète et une hypertension artérielle ; il ne connaissait pas ses traitements. Il s’était levé ce matin, avait eu l’impression en se réveillant de parler moins bien. J’insistais sur ce détail plusieurs fois et le patient me confirma qu’il ne parlait pas comme cela habituellement. Il avait ressenti un « malaise » dans l’après-midi en marchant et s’était ensuite retrouvé à terre sans trop savoir comment. Mon examen physique retrouva, au niveau neurologique, une sorte d’asymétrie de la face, notamment à l’épreuve du gonflement des joues où la joue gauche ne se gonflait pas, ainsi qu’une langue déviée vers la droite. Je retrouvais des réflexes tendineux uniquement au niveau du membre inférieur gauche. Je sentis en me penchant sur lui que son pantalon était imbibé d’urines encore mouillées. Le reste de l’examen clinique était sans particularité, hormis une plaie au niveau de l’arcade sourcilière gauche. Je revins au poste médical pour rédiger mon observation. Je remarquai que la tension artérielle du patient était à 170/90 et que sa glycémie était audessus de 3,5 g/L. J’en parlai avec mon chef et nous décidâmes de débuter sans tarder du Loxen1 intraveineux et un protocole d’insuline. Je prescrivis le traitement sur l’ordinateur ainsi qu’une bandelette urinaire afin de savoir si le patient était en acidocétose diabétique ou s’il s’agissait « juste » d’une décompensation diabétique. On prévint le neurologue de garde pour qu’il vienne donner un avis et on prescrivit une tomodensitométrie (TDM) cérébrale devant ce tableau de chute avec possible perte de connaissance. Je me demandais s’il fallait que je prévienne oralement les infirmières que nous 1 avions prescrit du Loxen , de l’insuline et une bandelette urinaire (BU). Je me rappelai qu’on m’avait dit lors de ma garde précédente que les infirmiers du service étaient efficaces et qu’il était inutile de leur répéter quelque chose qui était écrit. Faisant confiance à mes chefs, je ne dis donc rien aux infirmiers. Après tout, il faut toujours écouter ses chefs, n’est-ce pas ? Le scanner cérébral du patient se révéla normal. Sachant que la neurologue arriverait bientôt, je demandai à une première infirmière dans quel box était le patient. On me dit qu’il était encore au scanner. Je n’insistai pas, pensant que le patient serait ramené sous peu. Quand je cherchai à savoir ce qu’il en était 15 minutes plus tard, l’infirmière à qui je posai la question me dit que le patient n’était pas de son côté donc m’envoya de l’autre côté de la salle. De l’autre côté de la salle, on me dit la même chose en me faisant remarquer que le patient était en fait très STRATÉGIES Trace d’apprentissage | Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables structured transmission times and vigilance of everyone must help to limit the risk of error. Key words medical errors; cooperative behavior. DOI: 10.1684/med.2016.61 probablement encore au scanner. Je demandai s’il était possible de ramener le patient vu que la neurologue arriverait sous peu. On me dit oui, je repartis confiante. Lorsque le neurologue de garde arriva vers 20 h 40 et me demanda où était le patient, l’infirmière qui s’en occupait nous informa qu’il était toujours au scanner, 50 minutes après la fin de son examen. À cela plusieurs raisons : 1) les infirmiers étaient surchargés ; 2) les brancardiers étaient surchargés ; Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. 3) c’était bientôt le changement d’équipe et l’équipe de jour laissait ses tâches pour l’équipe de nuit. On ramena enfin le patient. Quand la neurologue revint du box, elle dit qu’il n’y avait pas de réel trouble neurologique, que l’asymétrie faciale était plutôt ancienne, et que les troubles actuels du patient étaient probablement liés à l’hyperglycémie. Il fallait donc l’hospitaliser et traiter sa tension et sa glycémie. La neurologue me demanda comment était la bandelette urinaire. Je vérifiai et remarquai que la bandelette urinaire n’avait pas été faite. Je le lui expliquai, elle me re-sourit mi-figue mi-raisin, insista pour que le patient ait 1 du Loxen et de l’insuline. Je rappelai donc qu’il manquait toujours la bandelette urinaire à une première infirmière qui me dit que je devais m’adresser à sa collègue et non à elle. Je soupirai : le problème de cette garde était en partie dû au fait que je ne connaissais pas encore assez bien ce service des urgences ainsi que l’équipe. L’infirmière m’envoya de l’autre côté de la salle, où je tombai à nouveau sur un groupe d’infirmiers et aides-soignants. Je réussis à grandpeine à demander – au milieu des rires et des blagues – qui s’occupait de mon patient et demandai enfin à l’infirmière en question si elle pouvait faire la bandelette urinaire. J’eus premièrement l’impression que je la gênais dans une conversation des plus importantes ce qui n’était clairement pas le cas, et ensuite elle me répondit assez sèchement qu’elle n’avait pas le temps et que, au pire, l’équipe de nuit le ferait. J’insistai en lui rappelant que c’était urgent, elle acquiesça. Au changement d’infirmiers, je rappelai à la nouvelle 1 équipe qu’on avait prescrit du Loxen , de l’insuline et une bandelette urinaire pour ce patient. Je revins contrôler cela 30 minutes plus tard : toujours aucune bandelette urinaire. J’eus beau insister et réinsister toutes les 30 minutes, en étant envoyée entre les différentes infirmières entre chaque côté de la salle, je n’eus pas plus de succès. Parallèlement à cela, je devais gérer d’autres patients que mon chef tenait absolument à revoir avec moi alors que je savais parfaitement quoi faire pour chacun. Pendant trois heures, je tournais en rond entre mon patient en attente de sa bandelette urinaire et mes autres patients que je n’arrivais ni à présenter à mon chef qui était toujours occupé, ni à les faire sortir des urgences. Je me sentais à la fois inutile, incompétente et à la fois. . . rien du tout, finalement juste fatiguée ! À 1 h 30 du matin, mon chef vint vers moi tranquillement en me demandant où j’en étais. Il regarda alors les 1 prescriptions et il constata que ni le Loxen ni l’insuline n’avaient été faits. – « Comment ça, m’étonnai-je ? Je l’ai prescrit sur l’ordinateur ? » – « Tu les as prescrits oui, mais les infirmières ne les ont pas faits ». Je regardai sur l’ordinateur : c’était un logiciel propre aux urgences que je n’utilisais pas dans les étages. Je n’avais pas compris que, ce qui s’affichait actuellement, était des prescriptions non réalisées par les infirmières. Cela faisait quatre heures que j’avais prescrit des traitements et une bandelette urinaire, quatre heures que je courais après l’équipe infirmière de jour et de nuit pour que ce soit fait, je l’avais prescrit sur l’ordinateur ET répété moult fois oralement, on m’avait fait valser d’un côté de la salle à l’autre pour chercher la bonne infirmière sans un seul mot gentil ou d’excuse, et finalement le traitement que j’avais demandé en urgence n’avait pas été fait et l’infirmière me disait seulement maintenant qu’elle avait des difficultés à effectuer la bandelette urinaire car mon patient avait uriné sur lui. Ma réaction était probablement exagérée, mais à ce moment-là, avec la fatigue accumulée, j’eus l’impression de n’être qu’un ballon de foot qu’on balançait d’un côté de la salle à l’autre, comme si le fait que je ne sois pas une interne du service des urgences rendait mes prescriptions non valables ou non importantes. Et si ce patient était en ACR, elles m’auraient laissée toute seule masser ce patient jusqu’à l’arrivée des réanimateurs ? Mon chef constata, fort heureusement, que sa glycémie était revenue toute seule à moins de 2 g/L. On monta donc le patient dans les étages après lui avoir administré 1 du Loxen . Entre fatigue et exaspération, sans oublier ce sentiment amer de n’avoir rien fait pendant toute cette soirée, je retournai voir des patients. Heureusement, mon humeur s’améliora lorsque j’examinais à 3 heures du matin une patiente âgée de 80 ans, toute souriante, qui me tendit spontanément sans même que je les lui demande ses dernières ordonnances et son dernier bilan biologique effectué en ville « au cas où ça pourrait vous aider » disait-elle. Quand on rencontre une telle patiente à 3 heures du matin alors qu’on vient de passer 5 heures à avoir l’impression d’être un mauvais médecin, cela met du baume au cœur. MÉDECINE Mai 2016 215 STRATÉGIES Trace d’apprentissage | Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables Identification des problématiques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Première problématique : les mauvaises transmissions entre l’équipe de jour et de nuit Les infirmières de jour me disaient qu’elles transmettraient aux infirmières de nuit, et celles de nuit me disaient qu’elles n’étaient pas au courant. Il y a donc un réel problème d’écoute dans l’équipe. À moins que le réel problème ne soit le nombre de personnels aux urgences. Comment se fait-il que les infirmiers étaient débordés 1 au point qu’ils n’aient pas le temps de passer du Loxen et de l’insuline à un patient ? Comment se fait-il que les brancardiers étaient débordés au point qu’ils n’aient pas le temps de ramener un patient du scanner ? Deuxième problématique : la fatigue et le stress des urgences Plus le temps passait, plus il fallait être rapide et efficace. Et plus le temps passait, plus on était tous fatigués. Or, mon patient me trottait dans la tête et je n’arrivais pas à être plus rapide et plus efficace comme je l’aurais voulu. J’étais comme parasitée par ce patient qui restait dans ma tête. Pour moi, il n’avait besoin que d’une bandelette urinaire pour monter, et ça lui a pris 5 heures avant d’enfin libérer les urgences, physiquement et mentalement pour ma part. Est-on réellement efficace aux urgences ? Notre médecine n’est-elle pas dangereuse dans de telles conditions ? Troisième problématique : le sentiment de ne pas être un bon médecin J’ai eu ce sentiment, en ayant l’impression d’être l’interne « en plus », d’être celle qui était inutile, non connue ni écoutée par l’équipe infirmière et mon chef, celle à qui personne n’avait adressé la parole alors que j’étais venue me présenter à tous dès le début en souriant et alors que tout le reste de l’équipe se parlait gentiment en blaguant. J’ai eu ce sentiment en découvrant que ce que je prescrivais n’a jamais été fait, comme si mes prescriptions, c’est-à-dire mes connaissances médicales et donc mon rôle de médecin, n’étaient absolument pas reconnus par l’équipe soignante. J’ai eu ce sentiment en ayant l’impression de dépendre d’un chef dans tout ce que je faisais, que je ne pouvais pas avancer seule, que même dans les plus simples cas, on ne me faisait pas confiance, que je n’étais en fait encore et toujours qu’une interne et que je ne servais donc à rien ce soir-là aux urgences. J’ai eu ce sentiment quand je dis, toute penaude, à la neurologue que mon patient était au scanner alors que j’avais expressément demandé plusieurs fois qu’on le ramène pour qu’elle l’examine lorsqu’elle arriverait. J’ai eu ce sentiment lorsque, à deux reprises, cette même 216 MÉDECINE Mai 2016 neurologue m’a accordé son sourire mi-figue mi-raisin. Oui, ce soir-là, pendant de longues heures, j’ai eu ce sentiment de ne pas être un bon médecin, ou ne pas être un médecin tout court. Ce sentiment est faux, je le sais, mais l’impression que j’ai eue au milieu de cette multitude d’inconvénients ce soir-là, en plus de la fatigue et du stress, était très réel et extrêmement intense à 2 heures du matin, comme un sentiment d’abandon au milieu du métier que j’aimais. Quatrième problématique : l’erreur médicale et le risque pour le patient lié à ce défaut de prise en charge Le patient a été « laissé » aux urgences avec une tension artérielle et une glycémie très élevées. La chance a fait que la glycémie s’est régulée toute seule et que le patient ne s’est pas aggravé du fait de ce délai de soins. Cependant, en médecine, nous n’avons pas le droit de laisser la chance agir à notre place. Le fait que ce patient n’ait pas été soigné correctement en temps et en heure est un énorme manque professionnel. Il y a eu une énorme erreur qu’on ne peut attribuer ni aux médecins – dont moi – qui ont fait la prescription mais n’ont pas été assez vigilants pour que le patient soit traité correctement rapidement, ni aux infirmiers de jour qui étaient débordés mais qui auraient dû se débrouiller pour faire ce qui était prescrit, ni aux infirmiers de nuit qui ont probablement eu une mauvaise transmission de la part des infirmiers de jour mais qui auraient dû par la suite rectifier le tir. Ce scénario a été un énorme magma de petits problèmes, en partie accentués par le stress et la fatigue dus aux urgences mêmes. Analyse des problématiques Événement indésirable et erreur médicale Selon l’OMS, une erreur est définie comme « l’exécution non conforme d’un acte prévu ou l’application d’un plan incorrect ». On préfère à présent parler d’événement indésirable, soit un incident quel qu’il soit qui porterait atteinte au patient [1, 2]. On peut également parler d’événement grave si la gravité du cas est sujet à discussion. L’aléa thérapeutique est à distinguer de l’événement indésirable, car résultant de faits et de circonstances particulières où l’événement est survenu sans faute médicale préjudiciable [3] (figure 1). L’événement indésirable est à double tranchant. Il est non seulement source de danger pour le patient, mais le médecin en est la seconde victime. L’erreur est ressentie par le médecin comme une souffrance. En effet, cette erreur atteint ses connaissances et son amour-propre. Le médecin a déjà peur pour son patient, puis il se remet STRATÉGIES Trace d’apprentissage | Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables Axe juridique Évènement indésirable évitable Faute ce schéma que l’erreur peut émerger de partout et être due à n’importe qui. L’important est d’avoir conscience du problème, d’effectuer un travail d’équipe et un travail de collaboration et de concertation pour les éviter au mieux. Défaut de transmission et gestion du temps aux urgences Erreur Les situations avec défaut ou rupture de transmission de l’information sont des risques d’erreurs et donc d’événements indésirables. Chez les Anglo-Saxons, on parle de « gap », c’est-à-dire un fossé de sécurité. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Évènement indésirable Axe nosologique Figure 1. Les ensembles d’événements indésirables. L’erreur médicale participe à l’événement indésirable qu’elle ne recoupe qu’en partie. L’ensemble des trois cercles, une fois déduit celui de la faute, correspond à l’aléa thérapeutique (d’après [3]). en cause lui-même sur le comment et le pourquoi il a fait une telle erreur, et enfin sur quand est-ce qu’il aurait pu faire d’autres erreurs potentiellement graves qu’il n’aurait pas détectées, du moins pas encore. En principe, un événement indésirable peut être dû au médecin, mais également aux médicaments ou à d’autres personnels de la santé. Les événements indésirables ne sont pas forcément des erreurs individuelles mais aussi des erreurs de système avec un problème dans la prise en charge multiprofessionnelle. Il faut donc une réflexion commune, une analyse des problèmes individuels et collectifs [4, 5]. Selon le modèle de Reason, on peut modéliser un événement indésirable par le modèle du fromage suisse. Ce modèle décrit plusieurs couches de défense, la première étant les acteurs principaux du travail quotidien soit les médecins et autres personnes de l’équipe médicale et paramédicale, puis les couches plus en profondeur sont d’autres types possibles de barrières, par exemple un oubli de rendez-vous par la secrétaire, un oubli de contrôle de médicament par le pharmacien, etc. [6] (figure 2). On peut donc retrouver la cause de cet événement à plusieurs niveaux, à différents endroits, à différents moments, et donc impliquant de multiples personnes. L’erreur médicale devient donc une erreur collective du fait du cran de sécurité qui a été forcé par de petits détails ou négligences minimes qui ont conduit à cet événement indésirable [6, 7]. La figure 3 schématise toutes les étapes où un médicament pourrait être prescrit et comment, et donc où une erreur pourrait survenir. On se rend compte par Le problème est dû à un défaut de communication, et ce défaut de communication peut être dû notamment aux difficultés des gens à parler avec les uns et les autres et au temps limité imparti à chacun pour ses tâches hospitalières. On entre dans une dynamique hospitalière où il faut tout faire vite, parfois au détriment du patient [8]. Cet effet est d’autant plus ressenti aux urgences où il est parfois recommandé un temps d’examen maximal, par exemple cinq minutes, afin de soulager le turn-over des urgences. Mais défaut de temps signifie également défaut d’information établie avec le patient ou avec le reste de l’équipe. Quels moyens permettraient d’améliorer les transmissions entre soignants pouvant être source de graves erreurs ? Voici quelques pistes de réflexion qui auraient pu m’aider lors de ma garde [8, 9] : – effectuer des transmissions écrites, ainsi qu’une transmission verbale en face à face. Cela a été mon cas aux urgences et, malheureusement, cela n’a pas semblé suffire. Le contexte global des urgences a dû y être pour quelque chose ; – les informations lors de relèves ou de changements d’équipes devraient être répétées pas seulement par les infirmiers mais par les médecins également. En effet, si j’avais retransmis plus rapidement l’information moimême à l’équipe de nuit, peut-être que la situation n’aurait pas dégénéré de la sorte ; – limiter les interruptions et les interférences lors des transmissions en se réunissant au calme dans un lieu à part. L’ambiance des urgences est un torrent de bruits et d’interruptions, qu’elles soient dues aux patients qui réclament quelque chose, aux médecins qui demandent des examens ou des traitements supplémentaires, ou aux infirmiers eux-mêmes qui se saluent les uns les autres en riant pour détendre l’atmosphère. Les transmissions se faisaient dans une salle entre deux couloirs, il est impossible dans de telles conditions de faire des transmissions correctes avec une concentration posée sur les dossiers des patients ; – décaler les activités lorsque les transmissions se font. Cela semble difficile aux urgences, mais si l’équipe infirmière faisait un relais de transmission pour que la moitié de l’équipe fasse ses transmissions puis la seconde moitié fasse de même, cela permettrait peut-être de MÉDECINE Mai 2016 217 STRATÉGIES Trace d’apprentissage | Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables ERREURS LATENTES Pression à l’erreur par défaut d’organisation, de communication ou de conception sûre des matériaux et interfaces ERREURS PATENTES DÉFENSES EN PROFONDEUR Erreurs et violation des acteurs médicaux... Dont certaines sont érodées par la routine, le manque de moyens, etc. Auto-détection et récupération Évènement indésirable EXEMPLES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Arrêt de progression par une barrière efficace Pression à la production Plateau technique incomplet Fatigue Mauvaise Personnel manquant organisation des interfaces Distractions Figure 2. Perception par des médecins généralistes français des évènements indésirables associés aux soins en médecine générale : définition et typologie par la méthode des focus groups. D’après : https ://hal-descartes.archives-ouvertes.fr/dumas01150618/document. cadrer le moment des transmissions et d’éviter les interruptions ; – ne pas prendre de retard et demander de l’aide à ses collègues si besoin. Le fait que les infirmières reportent mes prescriptions en déléguant la tâche les unes aux autres notamment à cause du changement d’équipe a été ici le plus gros problème et a expliqué cette mauvaise prise en charge de ce patient ; – utiliser des moyens papier ou informatique pour ne rien oublier et organiser le travail fait ou non fait. L’informatisation des prescriptions avait initialement pour but de faciliter ce travail. Le manque de connaissance du système informatique actuel, notamment en France, rend malheureusement parfois l’utilisation des programmes informatiques hospitaliers plus compliqués que cela ne le devrait, et donc serait parfois à risque d’événements indésirables. Synthèse Les événements indésirables sont graves pour le patient et affectent également, en tant que seconde victime, le médecin sur plusieurs points. La grande souffrance du médecin est surtout due à cette remise en cause de son savoir. Le médecin, dans l’idéalisation même de la profession, est parfait, doit tout savoir et ne peut commettre aucune erreur. Cependant, il faut se souvenir que tout le monde fait des erreurs, plusieurs fois par jour. Que ce soit médecin, infirmier ou toute autre personne du corps médical et paramédical, « Errare humanum est ». 218 MÉDECINE Mai 2016 Les solutions pour éviter les événements indésirables, notamment le temps et la communication entre équipe, sans oublier la vigilance de chacun, doivent être rappelées et devraient modifier nos pratiques. Cependant, cette idéalisation de la prise en charge des patients doit être remise dans un contexte hospitalier qui peut être difficile et stressant, comme les urgences et services de réanimation. Il faudrait trouver des moyens de sécurisation des services applicables selon les activités et le temps de disponibilité du personnel soignant, y compris les services d’urgences. Si tout cela remet en question les conditions de travail aux urgences où temps et disponibilité sont le contraire même de ce qu’il faudrait faire dans un monde idéal, il n’empêche que rien n’excuse nos erreurs car mettant en jeu la vie d’autrui. Tout événement indésirable ou erreur nécessite une remise en question personnelle, mais également une remise en question du travail collectif avec l’équipe médicale et paramédicale, d’où l’intérêt de staffs et réunions d’équipe pour parler des dossiers des patients, des difficultés rencontrées lors de la gestion des lits et des pathologies, ainsi que des difficultés personnelles à gérer les situations. Si je devais me remettre en question sur la situation que j’ai vécu cette nuit-là, ce serait ma mauvaise connaissance de la salle des urgences. Ce n’était que ma deuxième garde et je ne connaissais donc pas toutes les infirmières et, surtout, personne n’avait jamais pris la peine de m’expliquer quelles infirmières avaient en charge quel patient entre l’un et l’autre bout de la salle. Le système en soi ne devait pas être compliqué, mais les infirmières m’ont envoyé d’un côté à l’autre toute la soirée, ce qui s’est révélé relativement exaspérant à 1 heure du matin. STRATÉGIES Trace d’apprentissage | Entre médecins et infirmiers, des risques d’événements indésirables Prescription Dispensation » Pharmacien » Preparateur en pharmacie » Médecin » Autre prescripteur Anamnèse du patient et examen clinique Prescription d’examens complémentaires Rédaction de l’ordonnance Prescription d’examens complémentaires Information du patient Connaissance du contexte médical et de l’historique médicamenteux Analyse de la prescription de l’ensemble des traitements Délivrance des médicaments Préparation galénique des doses pharm prêtes a l’emploi Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Patient Suivi et réévaluation » Médecin » Pharmacien » Soigant » Patient Éducation du patient Administration » Soignant » Médecin » Patient Suivi biologique et clinique Suivi des actes de soins Préparation extemporanée du médicament selon RCP* Contrôle préalable produit/patient/ prescription Observance du traitement médicamenteux Évaluation de la balance bénéfices/risques Enregistrement de l’administration Administration proprement dite du médicament *RCP : Résumé des caractéristiques du produit - © Société française de pharmacie clinique 2005 Figure 3. Haute Autorité de Santé - Outils de sécurisation et d’autoévaluation de l’administration des médicaments. http:// www.has-sante.fr/portail/jcms/c_946211/fr/outils-de-securisation-et-d-autoevaluation-de-l-administration-des-medicaments? cid=c_1770169 Mais je suis interne, je suis médecin, je dois faire face à des situations bien pires que celle-là, je dois apprendre à surmonter les difficultés des services, même si les lieux ou contextes de travail sont différents. Il faut savoir s’adapter et rester efficace, toujours. Je suis interne, l’erreur est humaine. Oui. . . À condition de ne plus refaire les mêmes ! ~Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article RÉFÉRENCES 1. Brami J, Amalberti R. La sécurité du patient en médecine générale. Springer Paris, 2010. 2. Lafont M, Oriol JM. Compte-rendu Expérimentation RMM PPa. RMM Pluriprofessionnelles ambulatoires 8 points clés. HAS 2013. 3. Giorgio MT. Erreur médicale : patients, médecins, nous sommes tous concernés ! AtouSante. La santé au travail. http://www.atousante.com/actualites/erreur-medicale-patients-medecins/. 4. Robert de Saint Vincent - de Metz C. Le vécu par les médecins généralistes d’un contentieux en responsabilité médicale. [Thèse de doctorat. Médecine]. Paris : Université Paris Descartes ; 2013. Entre médecins et infirmiers, risques d’événements indésirables – Pour la pratique Les événements indésirables ne sont pas forcément des erreurs individuelles mais aussi des erreurs de système en rapport avec la prise en charge multiprofessionnelle. Les situations avec défaut ou rupture de transmission de l’information sont des risques d’erreurs et donc d’événements indésirables. Un travail de collaboration et de concertation au sein des équipes, des temps de transmission structurés et une vigilance de chacun doivent permettre de limiter les risques d’erreur. 6. Larrieu Maradan C. Perception par des médecins généralistes français des évènements indésirables associés aux soins en médecine générale : définition et typologie par la méthode des focus groups. Médecine humaine et pathologie. 2015. <dumas-01150618>. 7. HAS. Mettre en œuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé. Guide destiné aux professionnels en charge de la sécurité des soins en établissement de santé. 2012. 8. Latil F. Place de l’erreur médicale dans le système de soins. Synthèse. Pratiques et Organisation des Soins 2007 ; 38 : 69-77. 9. HAS. Outils de Sécurisation et d’auto évaluation de l’administration des médicaments. 2016. 5. Amalberti R. De la faute professionnelle déstabilisante à l’analyse restructurante de l’erreur médicale http://www.ordmed31.org/IMG/pdf/LES_DIFFICULTES_PROFESSIONNELLES_DR_AMALBERTI_.pdf. MÉDECINE Mai 2016 219