URGENCES EN MILIEU MARITIME : ACCIDENT DE PLONGEE M. Coulange, A. Barthélémy (Marseille) La plongée sous-marine de loisir est responsable, chaque année, d’environ 350 accidents en France. Cette faible incidence associée à un polymorphisme clinique et à de nombreux diagnostics possibles impose une prise en charge préhospitalière standardisée avec transfert systématique vers un centre référent pour bénéficier d’un avis spécialisé et d’une oxygénothérapie hyperbare en urgence lorsqu’elle est nécessaire. 1. TYPOLOGIE 1.1. Accident de désaturation (ADD) Lors de la plongée en scaphandre autonome, l’augmentation de la pression hydrostatique est responsable d’une dissolution des gaz dans le sang et les tissus (lois de Dalton et de Henry). L’oxygène est alors métabolisé dans les cellules tandis que l’azote, gaz neutre, est stocké dans les tissus. Lors de la remontée, l’inversion du gradient de pression entraîne un relargage d’azote dans la circulation veineuse sous forme de microbulles qui vont être filtrées par le poumon. En cas de non respect des procédures de désaturation ou de facteurs favorisants, la dénitrogénation va être brutale et entraîner un afflux massif de bulles circulantes responsable d’un ralentissement circulatoire dans les veines péri et épidurales aboutissant à un infarcissement médullaire (ADD médullaire). Elles peuvent également emboliser la circulation pulmonaire, réduisant les échanges alvéolo-capillaires et entraîner un œdème pulmonaire lésionnel (chokes). Parfois, les bulles d’azote passent sur le versant artériel par forçage du filtre pulmonaire avec ouverture de shunts intra-pulmonaires ou par perméabilisation d’un foramen ovale pour aller se bloquer dans l’une des branches de l’artère cochléo-vestibulaire (ADD vestibulaire) ou dans la circulation cérébrale (ADD cérébral). Au niveau de ces différentes localisations, le manchon gazeux va alors interagir avec la paroi vasculaire entraînant une cascade de réactions responsable d’une hypercoagulation et d’une altération de la perméabilité vasculaire appelée « maladie de désaturation ». Il existe également des bulles extra-vasculaires non circulantes qui peuvent comprimer les terminaisons nerveuses proprioceptives de la peau (ADD cutanée), distendre les insertions tendineuses ou les capsules articulaires des épaules, hanches et genoux (ADD ostéoarthro-musculaire) ou détruire les structures sensorielles de l’oreille interne (ADD vestibulaire) (fig. 1). TISSUS Désaturation GAZ DANS LES CAPILLAIRES Bulles extra vasculaires (peau, articulations, liq. labyrinthiques) Bulles intra vasculaires Circulantes Stationnaires (A long terme : ostéonécrose ) Peu abondantes Abondantes Blocage retour veineux (épidural ++) Signes neurologiques médullaires (filtrées par le poumon) Passage artériel (shunt D-G, FOP) Collapsus, Signes neuro. centraux, Sd vestibulaire Figure N°1 : Mécanismes physiopathologiques de l’accident de désaturation L’âge moyen de survenue de l’ADD est de 38 ans avec des extrêmes de 12 à 68 ans. Il concerne principalement le plongeur autonome évoluant dans la zone des 20 à 40 mètres. Dans 30% des cas, aucune erreur de procédure (profil yo-yo, remontée rapide, palier écourté, effort excessif…) ou facteurs favorisants (surpoids, fatigue, sédentarité, stress, déshydratation…) ne sont rapportés. Les premiers signes apparaissent généralement au cours des 30 premières minutes après la sortie de l’eau. Cependant, certains peuvent se manifester plus de 20 heures après. Bien que la symptomatologie initiale soit souvent peu spécifique, le caractère inhabituel doit motiver le plongeur à déclencher une alerte sans délai afin de bénéficier d’une oxygénothérapie hyperbare en urgence. 1.2. Accident Barotraumatique Lors de la descente, l’élévation de la pression hydrostatique entraîne une diminution des volumes gazeux selon la loi de Boyle Mariotte (Pression x Volume = constante) et inversement lors de la remontée (fig. 2). Ainsi, toutes les cavités aériques du corps humain (naturelles ; sinus, oreille moyenne, poumon, estomac, intestin ou pathologiques ; carrie dentaire, laryngocèle, emphysème…) en contact avec la pression ambiante vont être concernées lors des variations de profondeur et ce d’autant plus que le plongeur se trouve proche de la surface (fig. 3). Par conséquent, l’accident barotraumatique est possible y compris dans des faibles profondeurs ou en piscine. Il concerne principalement les plongeurs débutants et survient immédiatement lors des changements de pressions. Profondeur surface Volume 100 % (Placage) (Barotraum.) V (Rupture) (Otite barotraum.) -10 m. 50 % 1/2 V -20 m. 33 % 1/3 V -30 m. 25 % 1/4 V Loi de B-Mariotte = PxV = Cte Figure N°2 : Schématisation de la loi de Boyle-Mariotte (Surpression P.) (Fissure, rupture) (Colique du scaphandrier) Figure N°3 : Localisation des barotraumatismes Lors de la descente, la diminution du volume d’air dans l’oreille moyenne va entraîner une gêne, secondaire à la mise en tension du tympan. Le plongeur doit effectuer des manœuvres d’équilibration spécifiques afin d’éviter une otite barotraumatique. Il doit également souffler de l’air par le nez dans son masque afin de prévenir un placage de masque, responsable d’hématome périorbitaire, d’hémorragie sous conjonctivale voire de lésion du nerf optique. Lors de la remontée, un blocage expiratoire peut aboutir à une surpression pulmonaire avec pneumothorax, pneumomédiastin, emphysème sous-cutanée et dans le cas le plus grave ; embolie gazeuse cérébrale. Le plongeur peut également être victime d’un barotraumatisme sinusien, dentaire ou digestif voire de barotraumatisme de l’oreille interne en cas de manœuvres de Valsalva intempestives. L’oxygénothérapie hyperbare sera discutée uniquement en cas de barotraumatisme thoracique compliqué d’embolie gazeuse cérébrale. 1.3. Accident biochimique Lorsque la pression hydrostatique augmente, les pressions partielles des gaz constituant le mélange gazeux respiré vont se majorer dans les mêmes proportions (loi de Dalton). A partir d’une certaine profondeur, les gaz deviennent alors toxiques bien que leur pourcentage ne varie pas. Ainsi, l’hyperoxie peut déclencher une crise convulsive à partir de 70 mètres (crise hyperoxique ou effet Paul Bert) ou des lésions pulmonaires (effet Lorrain Smith), tandis que l’azote entraîne une narcose ou ivresse des profondeurs dès 30 mètres pour certains plongeurs. D’autres gaz pourront devenir pathogènes comme le CO2, le CO, les vapeurs d’huile… . 1.4. Autres pathologies Lors de l’immersion, la pression hydrostatique restreint la distensibilité des vaisseaux à paroi souple des tissus mous et provoque ainsi une redistribution préférentielle des volumes sanguins périphériques vers la cage thoraciques plus rigide. Cette augmentation de pression intra-thoracique est majorée par le froid et l’exercice. L’hyperoxie entraîne une bradycardie par augmentation du tonus parasympathique, un inotropisme négatif et une élévation des résistances vasculaires systémiques. Ces contraintes environnementales augmentent la PVC d’au moins 10mmHg et peuvent faciliter une décompensation cardiaque chez un hypertendu instable ou une nécrose myocardique chez un coronarien mal traité. De plus, la ventilation en charge irrégulière d’air froid entraîne des lésions mécaniques et inflammatoires de la membrane alvéolaire. Lors de la remontée, la dénitrogénation majore ces phénomènes inflammatoires et la chute des pressions alvéolaires facilite la transsudation. Ces mécanismes peuvent aboutir à un œdème pulmonaire. L’environnement hostile est également à l’origine de traumatologie, d’accident toxico-allergique, de noyade ou d’hypothermie. Ainsi, l’accident de plongée regroupe un nombre important de pathologies spécifiques. Le polymorphisme clinique et la contrainte du terrain imposent une prise en charge préhospitalière simple et rapide associée à un transfert adapté, vers un centre de référence. 2. PRISE EN CHARGE PRE-HOSPITALIERE 2.1. Alerte et déclenchement des secours Tout plongeur doit signaler immédiatement toute sensation anormale ou toute erreur de procédure de désaturation y compris en l’absence de signe clinique, afin d’obtenir au plus vite un avis spécialisé. En cas d’accident survenant en mer, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) de la région concernée est alerté par appel VHF (canal 16). Il coordonne le sauvetage et doit systématiquement contacter le SAMU pour la régulation médicale. Pour l’évacuation, le choix du vecteur est fonction de la symptomatologie du patient et de la proximité du service receveur. L’hélicoptère, par sa rapidité d’intervention notamment en mer, semble être le moyen le mieux adapté, en particulier si le navire est non manœuvrant (palanquée à l’eau), à plus de 25 minutes d’un port d’autant plus s’il y a une décision de médicalisation urgente. Le vol doit se faire à l’altitude la plus basse possible (<300 mètres) pour éviter une dépressurisation supplémentaire qui aggraverait un ADD ou un barotraumatisme pulmonaire. Cependant, du fait de l’étroitesse, du bruit et des vibrations de la cabine, il est parfois préférable, particulièrement en cas de patient instable, d’utiliser les voies nautiques et terrestres à condition qu’elles ne majorent pas le temps d’évacuation. De plus, la présence du matériel d’oxygénation sur la plupart des bateaux de plongée et la formation des encadrants incitent à se limiter à une jonction au port. Si par contre les signes n’apparaissent qu’après retour à terre, l’alerte sera donnée par appel téléphonique direct au SAMU (n° d’appel : 15, 18 ou 112). Le médecin régulateur devra évaluer la victime avec ses critères habituels et ne médicaliser qu’en cas de détresse vitale. En effet, bien que la médicalisation pré-hospitalière systématique permette d’obtenir un bilan clinique précis, elle augmente de façon non négligeable les délais d’évacuation. 2.2. Prise en charge initiale sans présence médicale Un plongeur accidenté ne doit jamais être ré-immergé. Après le déclenchement de l’alerte, les gestes élémentaires de survie priment sur tout le reste, avec mise au repos total, déséquipement, mesures de protection thermique et position adaptée à l’état de conscience. De façon consensuelle, un traitement associant une oxygénothérapie au masque à haute concentration (15 L.min-1) et une réhydratation orale (0,5 à 1 L. d’eau) doit être entrepris sans délai. La prise de 250 à 500 mg d’acide acétylsalicylique dans les 30 premières minutes après l’accident peut être discutée en l’absence d’allergie ou de barotraumatisme (fig. 4). Une surveillance étroite du sujet doit être réalisée et retranscrite avec notamment les paramètres de plongée, l’heure de sortie, la chronologie des premiers signes et leurs évolutions (fig. 5). Figure N°4 : Procédure de prise en charge sans présence médicale Figure N°5 : Fiche d’évacuation (http://www.ffessm.fr) 2.3. Prise en charge préhospitalière médicalisée et orientation L’équipe médicale, lorsque sa présence est nécessaire, doit effectuer les gestes imposés par l’état des fonctions vitales du plongeur. Elle réalise ensuite un bilan lésionnel et un diagnostic initial avec instauration d’un traitement symptomatique. Classiquement le protocole suivant est appliqué : a) Oxygénothérapie Si la ventilation spontanée est conservée : oxygène au MHC FiO2=100% et débit = 15L.min-1. En cas de détresse vitale : intubation (ballonnet gonflé à l’eau en cas de transfert héliporté ou de recompression thérapeutique) et ventilation contrôlée avec des réglages limitant le volume courant et les pressions de crête afin de minimiser le risque de lésion pulmonaire. La FiO2 est maintenue à 100%. S’il existe un pneumothorax suffoquant : drainage de sauvetage à l’aiguille. La mise en place d’un pleurocath ou d’un drain est préférée à chaque fois qu’elle est possible. b) Remplissage vasculaire On utilise de préférence des cristalloïdes (sérum salé isotonique) IV lorsque la réhydratation per os est contre indiquée. Le remplissage doit être systématique, tout en étant adapté à l’état respiratoire. Un volume de 500 mL dans la première heure est conseillé. En cas de choc hypovolémique, les colloïdes types hydroxyéthylamidon sont préférés. La quantité est adaptée en fonction des paramètres cliniques et doit être inférieure à 33 ml/kg/j. L’usage de poches souples est préconisé du fait d’une évacuation aérienne possible et d’un traitement hyperbare futur, afin d’éviter la survenue d’une embolie gazeuse iatrogène. c) Traitement pharmacologique Compte tenu de l’état actuel des connaissances, aucun médicament n’est formellement recommandé. Cependant, l’acide acétylsalicylique est couramment utilisé dans les 30 premières minutes à une dose maximale de 250 à 500 mg en IV ou PO, parfois associé à une corticothérapie (ex. : méthylprednisolone IV, 1 à 2 mg/kg). La prise en charge préhospitalière doit être la plus brève possible. L’accident de plongée est une urgence vraie quelle que soit la gravité des signes initiaux. Ainsi, tout accident en plongée doit être dirigé systématiquement vers un hôpital référent, proche d’un centre hyperbare pour bénéficier d’une thérapeutique adaptée. 3. PRISE EN CHARGE HOSPITALIERE Le passage par un service d’accueil des urgences nous semble indispensable pour optimiser le conditionnement et réaliser le bilan préthérapeutique (biologie standard +/- bilan cardiaque et radiographie thoracique de face), à condition qu’il ne soit pas à l’origine d’une perte de temps supplémentaire. Il n’y a pas d’indication de gazométrie en dehors d’une détresse vitale ou d’une suspicion d’intoxication au monoxyde de carbone. Au moindre doute, la tomodensitométrie thoracique doit être effectuée en urgence afin d’éliminer un barotraumatisme pulmonaire (fig. 6). Elle peut être complétée par des coupes cérébrales en cas de suspicion d’embolie gazeuse cérébrale. Le drainage thoracique doit être envisagé en cas d’oxygénothérapie hyperbare ou de mauvaise tolérance clinique. Le patient doit être en permanence oxygéné y compris en cas de régression des signes. Il bénéficie systématiquement d’un avis spécialisé afin d’orienter le diagnostic et évaluer l’intérêt d’une oxygénothérapie hyperbare complémentaire. Au décours de la recompression thérapeutique, le patient est hospitalisé pendant 24 heures pour surveillance. Une éventuelle reprise de l’oxygénothérapie hyperbare est discutée en fonction de son état. En cas de troubles neurologiques, le patient bénéficie dans les 24 heures d’une IRM cérébro-médullaire avec séquences diffusions (fig. 7) et de mesures associées (sondage urinaire, régulateurs du transit, rééducation fonctionnelle, prévention anti-escarre, anticoagulation préventive…). En cas d’hypoacousie ou de vertige, une audiovestibulométrie avec tympanométrie est effectuée dans la semaine qui suit. Toute douleur articulaire impose une IRM à 6 semaines (fig. 8). Figure N°6 : TDM thoracique d’un barotraumatisme avec pneumomédiastin, pneumothorax et emphysème diffus Figure N°7 : ADD médullaire cervical haut Figure N°8 : ADD osseux huméral 4. CONCLUSION Une plongée non pathogène ne met pas à l’abri d’un accident. A contrario, une erreur de procédure de désaturation sans signe clinique doit être considérée comme un accident de plongée potentiel et bénéficier d’une prise en charge identique. De plus, le polymorphisme clinique et l’absence de corrélation entre la clinique et la gravité potentielle imposent une prise en charge standardisée avec oxygénation, réhydratation voire acide acétylasalicylique et surtout transfert rapide vers un centre référent. L’Aide Médicale Urgente (AMU) occupe une place importante dans cette prise en charge car elle permet d’optimiser le traitement pré-hospitalier tout en assurant un délai de recompression inférieur à 3 heures. La médicalisation pré-hospitalière doit se limiter aux détresses vitales afin de ne pas allonger les délais. Depuis 10 ans, l’amélioration de l’alerte par les plongeurs, la réduction du nombre de médicalisations et la limitation des temps de conditionnement sur place par les secouristes ont permis un traitement optimum dans plus de 80% des accidents de plongée. L’objectif de notre communication est d’illustrer cette problématique à travers trois cas cliniques.