Mini-revue Réplication du virus de l’hépatite C dans les cellules immunitaires Cyrille Féray Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Institut des Maladies de l’Appareil Digestif, Hôtel-Dieu, 44 000 Nantes <[email protected]> Le virus de l’hépatite C (VHC) infecte les cellules immunes présentes dans les ganglions et le sang comme l’atteste la présence d’antigènes viraux, d’intermédiaires de réplication et de variants spécifiques dans ces sites extra-hépatiques. Ces variants compartimentés pourraient intervenir dans la réponse à l’interféron et les syndromes lymphoprolifératifs liés au VHC. Etablir les déterminants virologiques du tropisme extra-hépatique du VHC devrait éclairer le mécanisme de son tropisme hépatocytaire. Mots clés : virus de l’hépatite C, tropisme cellulaire L e tropisme cellulaire des virus est rarement unique. Ainsi le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a un tropisme pour les lymphocytes T et pour les macrophages ; le virus de l’hépatite B infecte évidemment les hépatocytes mais aussi les lymphocytes sanguins. En ce qui concerne le virus de l’hépatite C (VHC), la possibilité d’une infection extra-hépatique a été débattue pendant longtemps. Les cellules lymphocytaires et monocytaires ont été de loin les plus étudiées mais d’autres types cellulaires comme les épithéliums digestifs ou biliaires [1] ou les cellules hématopoïétiques ont été impliqués [2]. Il semble certain, à ce jour, qu’il existe une réplication du VHC dans les lymphocytes et les monocytes sanguins périphériques et ganglionnaires [3]. La question essentielle est celle du rôle de cette infection extra-hépatique dans l’histoire naturelle ou thérapeutique du VHC. Problématique globale Tirés à part : C. Féray Le fait de détecter l’acide ribonucléique (ARN) du VHC dans un type cellulaire donné ne signifie pas que la réplication existe dans ce type cellulaire. En effet, les virions présents dans le plasma peuvent être absorbés par les tissus ou les cellules étudiés par des récepteurs plus ou moins spécifiques. La réplication du VHC nécessite la présence d’un ARN viral positif dans le cytosol, la traduction des protéines virales dont la polymérase virale qui permettra la synthèse d’un brin ARN complémentaire (dit brin négatif), matrice obligatoire pour la synthèse d’ARN génomique (brin positif). Enfin, en supposant la réalité de la traduction et de la réplication de l’ARN viral, une question est celle de la production de particules virales complètes ou défectives par ces cellules. Dans tous les Hépato-Gastro, vol. 13, n° 5, septembre-octobre 2006 347 Mini-revue cas, de l’interaction plus ou moins spécifique entre virions et membrane cellulaire jusqu’à l’existence d’un cycle viral complet, toute une série d’interactions peuvent être envisagées. Arguments pour une réplication du VHC dans le système immunitaire Arguments cliniques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Il existe une prévalence accrue de lymphomes non hodgkiniens (LNH) dans certaines populations infectées par le VHC. Une observation majeure [4] est que le traitement par interféron-alpha permet d’obtenir une réponse antitumorale et antivirale chez des patients porteurs de LNH et infectés par le VHC alors qu’il est inefficace pour des LNH similaires survenant chez des patients indemnes d’infection VHC. Cette observation, confirmée ultérieurement, suggère fortement un rôle direct du VHC dans la survenue de certains LNH et donc l’infection de tissus immunitaires par le VHC. Un autre argument est la persistance de l’ARN du VHC dans les lymphocytes et monocytes sanguins (LMS) chez des patients ayant une réponse virologique prolongée après traitement par interféron alpha [5]. Détection extra-hépatique des protéines virales L’immunomarquage des protéines VHC a été peu utilisé en raison de la variabilité des souches VHC et de problèmes de sensibilité, la réplication du VHC étant considérée comme faible même dans le foie [6]. Une étude récente [3] démontre clairement la présence de grandes quantités de protéines virales dans les ganglions lymphatiques du pédicule hépatique. Alors que l’immunomarquage sur les LMS est peu contributif, la concentration des lymphocytes et des monocytes dans ces ganglions drainant la source de réplication virale majeure permet d’obtenir une quantité suffisante de cellules infectées et donc d’antigènes viraux pour une détection fiable. Ainsi, l’infection des LMS par le VHC ne reflète qu’une faible partie de l’infection du système immun par ce virus. Détection extra-hépatique du brin négatif La détection usuelle du brin négatif se fait par reversetranscriptase suivie d’une PCR. Elle pose un problème paradoxal : en présence de nombreux brins positifs, la possibilité de détection artefactuelle du brin négatif par amorçage intermoléculaire augmente. Inversement, en présence d’une faible quantité de brins positifs, le nombre de brins négatifs est bas et la détection du brin négatif quoique plus spécifique est plus difficile. Ceci explique les résultats paradoxaux de la littérature, les 348 Tableau 1. Résumé de la littérature concernant la détection du brin négatif de l’ARN VHC dans plus d’un compartiment (sérum, lymphocytes-monocytes sanguins, tissus hématopoïétiques), entre 1992 et 2005 (Gaetana Di Liberto, thèse de Sciences, 2006). Compartiment Nombre de publications Nombre de patients Plasma/sérum Foie LMS Moelle osseuse 74 27 81 21 416 173 652 44 % de cas de détections de brin négatif 18 91 33 28 % % % % brins négatifs pouvant être détectés dans le plasma où ils sont théoriquement absents comme absents de tissus hépatiques où ils sont obligatoires. Ces discordances expliquent pourquoi l’idée d’une réplication extrahépatique du VHC a été longue à s’imposer [6]. En dépit de ces divergences nettes et des très diverses méthodes utilisées, le tableau 1 qui compile tous les cas étudiés dans la littérature montre que le brin négatif est plus souvent détecté dans les LMS que dans le plasma. Une autre méthode est l’hybridation in situ utilisée récemment [3]. Cette approche n’est pas exposée aux artefacts de la PCR et montre que les adénopathies du pédicule hépatique en cas d’hépatite chronique VHC abritent de grandes quantités d’intermédiaires de réplication. Une fois de plus, les résultats sont convaincants en raison de la quantité et de la concentration de génomes viraux. Cultures cellulaires Certaines lignées lymphocytaires semblent pouvoir, in vitro, abriter une réplication virale mais avec une production virale faible et incertaine. Plus intéressante est la possibilité de cultiver des lymphocytes [7], des monocytes, voire des cellules lymphomateuses obtenues de sujets chroniquement infectés. La stimulation des lymphocytes T semble pouvoir autoriser une réplication à long terme et le surnageant pouvoir infecter des cellules naïves d’infection. La compartimentation réplicative du VHC L’ARN polymérase du VHC est incapable de corriger les erreurs de réplication. Chez un sujet infecté par le VHC, il existe un mélange de variants plus ou moins proches définissant la nature « quasi-espèce » de ce virus. Cette distribution de la quasi-espèce a été étudiée essentiellement dans le plasma. Le phénomène de compartimentation virale décrit une composition de la Hépato-Gastro, vol. 13, n° 5, septembre-octobre 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. quasi-espèce différente suivant le site de détection de l’ARN viral. Les premiers papiers utilisant le clonageséquençage des variants et des méthodes statistiques adaptées démontraient que cette répartition n’étaient pas aléatoire entre plasma et lymphocytes sanguins (figure 1) [8]. L’existence de cette compartimentation milite contre l’absorption non spécifique de particules virales circulantes et suggère la réplication, dans ces sites, de variants adaptés. Les différences nucléotidiques de certains variants détectés dans les LMS peuvent être tout à fait importantes. Trois études récentes [9-11] montrent que 10 à 25 % des patients étudiés abritaient dans leurs LMS un génotype indétectable dans le plasma. Cette coinfection particulière, que nous appelons compartimentation génotypique, est plus fréquente chez les ex-usagers de drogue, population connue pour être exposée à des contacts répétés et donc à des souches diverses. Il n’existe pas d’étude de la compartimentation, c’est-àdire de la diversité virale pour d’autre sites potentiels de réplication tels les épithéliums digestifs ou biliaires. Types cellulaires abritant une réplication extra-hépatique in vivo Les travaux utilisant l’approche des brins négatifs et ceux abordant la question de la compartimentation par étude des séquences virales détectées dans différents compartiments pointent clairement vers une infection privilégiée des lymphocytes B et des monocytes/ cellules dendritiques. La charge virale semble plus élevée dans ces deux types cellulaires que dans les CD8 ou les CD4. Dans notre expérience, il peut exister dans les CD8, des variants très distants à la fois des variants plasmatiques et des variants retrouvés dans les lymphocytes B ou les monocytes. L’étude de la compartimentation des régions hypervariables démontre qu’il existe chez tous les patients étudiés (n = 14) des souches spécifiques des lymphocytes B ou des monocytes et parfois des deux types [12]. Le phénomène de compartimentation semble donc général lors de l’infection chronique par le VHC (figure 2). 7 Origine des variants plasmatiques 75 LMS plasma .1.1.1.01 Figure 1. Arbre phylogénétique des variants définis dans la région hypervariable du VHC et détectés dans les LMS et le plasma. Le foie est un compartiment paradoxalement assez peu étudié. Il apparaît que la quasi-espèce trouvée dans le foie et celle détectée dans le plasma sont différentes. Néanmoins, les études ayant abordé ce type d’étude phylogénétique ne démontrent pas que ces différences sont significatives. D’autre part, lors de l’hépatite C, il existe une importante infiltration lymphocytaire et monocytaire du foie qui complique la question. Enfin, la comparaison entre ARN viral hépatique et ARN viral circulant n’est pas réellement correcte. L’ARN contenu dans le plasma est celui de virions soumis à des pressions de sélection autres que l’ARN viral infectant des tissus. Ces derniers peuvent abriter, en théorie, des variants défectifs incapables d’un site réplicatif complet. La durée de vie des hépatocytes permettrait de détecter ces variants indétectables dans le plasma. Dans quelques cas de compartimentation génotypique, nous avons pu étudier plasma, LMS et foie et avons observé que les génotypes plasmatiques et hépatiques étaient identiques et que l’on pouvait retrouver des traces de génotypes lymphocytaires dans le foie, peut-être en raison de l’infiltration du foie par les LMS [10]. Dans ce type de situation, les variants plasmatiques sont beaucoup plus proches des variants hépatiques que des variants lymphocytaires suggérant que les souches plasmatiques sont très majoritairement d’origine hépatocytaires. Hépato-Gastro, vol. 13, n° 5, septembre-octobre 2006 349 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. CD 8 CD 14 CD 19 CD 4 4 LM S # Pl as m a Mini-revue virale pouvant conditionner le tropisme cellulaire. Une seconde étape est l’adaptation de la région non traduite ou zone d’entrée du ribosome (IRES) présente à l’extrémité non-codante du génome viral. Une seule mutation de l’IRES virale peut modifier l’efficacité traductionnelle dans un type cellulaire donné et une observation suggère que l’IRES des variants présents dans les cellules dendritiques a une efficacité traductionnelle basse [14]. Enfin, la réponse immune, humorale ou cellulaire, pourrait exercer une pression de sélection différente suivant les types cellulaires exprimant les antigènes viraux. C’est ce que suggère l’étude des pressions de sélection déduites de l’analyse des séquences de l’enveloppe qui indique des ratios mutations synonymes/mutations non synonymes significativement plus bas pour les variants infectant les LMS que pour ceux détectés dans le plasma [12]. Les conséquences de la réplication extra-hépatique Figure 2. Analyse par single strand conformational polymorphism (SSCP) du site interne d’entrée du ribosome (IRES) du VHC isolé dans différents compartiments : lymphocytes et monocytes sanguins non triés, lymphocytes CD4 et CD8 et les monocytes (CD14). La région encadrée est celle des simples brins. Le profil observé dans les LMS est la sommation des profils observés dans les sous-types cellulaires. Enfin, lors de l’hépatectomie totale obligatoire pendant une transplantation hépatique, il existe une diminution très forte de la charge virale plasmatique. Néanmoins, dans cette situation, les modèles de cinétique virale prédisent, l’existence d’un compartiment extrahépatique contribuant à près de 4 % de la charge virale plasmatique [13]. Les mécanismes de la compartimentation L’adaptation d’une souche virale à un type cellulaire peut faire intervenir théoriquement différentes étapes (figure 3). La première est celle des récepteurs membranaires, comme CD81 ou DC-SIGN qui sont exprimés à la surface de la plupart des cellules lymphocytaires ou monocytaires. Il n’existe pas de données actuellement en faveur de mutations dans le gène de l’enveloppe 350 La première question est celle d’un réservoir de variants pouvant induire une pathologie hépatique. Récemment, la présence d’ARN VHC dans les LMS, en l’absence d’ARN viral plasmatique a été rapportée chez des patients avec une réponse virologique prolongée obtenue après thérapie [5]. Chez ces patients en rémission prolongée, l’infection ne semble pas récidiver à partir d’un site de réplication extra-hépatique. Dans l’expérience du service d’Hépatologie de l’hôpital Beaujon et portant sur de nombreux sujets ayant une réponse virologique prolongée ancienne, la prévalence de cette infection extra-hépatique dite résiduelle est extrêmement basse. Enfin, lors de la transplantation hépatique, ce sont les souches plasmatiques qui sont responsables de la réinfection du greffon. Les patients en rémission thérapeutique avant transplantation ne semblent pas récidiver. Ceci renforce l’hypothèse que les souches lymphotropes sont probablement peu adaptées aux hépatocytes et que leur réplication est probablement négligeable en cas de réponse virologique prolongée induite par le traitement. Une autre observation récente rapporte que les patients présentant une infection des lymphocytes par les génotypes 2 ou 3 (sensibles à l’interféron) ont une bonne réponse au traitement indépendamment de la présence du génotype 1 (peu sensible à l’interféron) dans le plasma, de la sévérité de la fibrose hépatique ou de la durée de l’infection [11]. Un statut immunitaire particulier contre le VHC, particulier aux sujets ayant ce type de coinfection pourrait favoriser une réponse virologique. Une autre hypothèse est celle d’une action directe du VHC au sein des tissus immunitaires favorisant la persistance virale. L’inhibition de la réplication Hépato-Gastro, vol. 13, n° 5, septembre-octobre 2006 Récepteurs Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Réponse immune ITAF IRE 5 C miRNA E E N N N N N NS 3 Protéines virales Figure 3. Mécanismes potentiels de l’adaptation du VHC à un type cellulaire : par la sélection de récepteurs spécifiques, par l’action de protéines virales (ITAF) ou de microRNA spécifiques sur l’IRES virale, par l’interaction entre protéines cellulaires et virales et par la sélection immune des variants. virale induite par le traitement dans ces cellules pourrait lever l’action putative du VHC sur elles et favoriser la réponse thérapeutique. Rappelons que dans le cas des LNH cités plus haut [4], la réponse tumorale était corrélée à la réponse virologique. Ces deux observations cliniques pointent vers un rôle direct de l’infection VHC sur la fonction des cellules immunes. Conclusion celle-ci permet de mettre à jour une population de sujets coinfectés par des souches distinctes et spécifiques, absentes du plasma ou du sérum. Cette population majoritairement contaminée par toxicomanie est probablement importante et mérite des études complémentaires. En résumé L’infection des cellules immunes par des variants spécifiques du VHC est à présent une certitude. Les souches qui y sont présentes sont probablement impliquées dans le phénomène de persistance virale ou de lympho-carcinogenèse mais ne semblent pas l’être significativement dans des phénomènes de récidive de l’infection après traitement par interféron-alpha ou transplantation hépatique. Quels que soient les mécanismes et conséquences de l’infection extra-hépatique, • La compartimentation réplicative d’un virus est l’existence de variants différents suivant les types cellulaires infectés par un virus. • Elle reflète l’adaptation de ce virus à différents types cellulaires que cela soit au niveau du (des) récepteur(s) membranaire(s), des molécules intracellulaires intervenant dans son cycle (décapsidation, traduction, réplication, assemblage, sortie) ou de la réponse immune dirigée contre les cellules infectées. • Ce phénomène pourrait avoir un rôle majeur dans la persistance d’une infection virale. Hépato-Gastro, vol. 13, n° 5, septembre-octobre 2006 351 Mini-revue Références 1. Loriot MA, Bronowicki JP, Lagorce D, Lakehal F, Persico T, Barba G, et al. Permissiveness of human biliary epithelial cells to infection by hepatitis C virus. Hepatology 1999 ; 29 : 1587-95. 2. Lerat H, Berby F, Trabaud MA, Vidalin O, Major M, Trepo C, et al. 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