CHAPITRE DEUX 2 Ce chapitre examine ce qu’ont signifié les OMD pour quatre pays très différents sur la base d’études de cas originales réalisées par des instituts de recherche nationaux. LA SIGNIFICATION DES OMD POUR LES PAYS PAUVRES – QUATRE ÉTUDES DE CAS B ien que la Déclaration du Millénaire ait été approuvée par 189 États membres de l’ONU, les OMD qui en ont découlé ont signifié des choses différentes selon les pays. Ainsi qu’il a été expliqué dans le chapitre 1, ils ont contribué à mobiliser un soutien international en faveur du développement, en concentrant les efforts sur un nombre limité d’objectifs et de cibles. Pour les pays en développement, les OMD peuvent donc orienter la formulation des politiques nationales et servir de cadre pour gérer l’aide extérieure. Mais un tel cadre, adopté au niveau international, n’est peut-être pas toujours adapté à des priorités et des approches spécifiques dans différents contextes nationaux. Il est interprété et utilisé différemment dans chaque cas. Afin d’élaborer un cadre de développement pour l’après-2015, il est important de bien comprendre ce qui détermine la forme que peut la transposition, comment le cadre des OMD a été utilisé en relation avec les politiques nationales de développement et dans quelle mesure il a facilité, ou dans certains cas peut-être même entravé, leur mise en œuvre. De quelle façon des instruments définis à l’échelle mondiale comme les OMD ontils contribué et sont-ils susceptibles de contribuer à des processus de développement ancrés dans des contextes nationaux spécifiques? Ce chapitre examine ce qu’ont signifié les OMD pour quatre pays très différents, le Népal, le Rwanda, la Côte d’Ivoire et le Pérou, sur la base d’études de cas originales réalisées par des instituts de recherche nationaux pour les besoins du présent rapport12. La première section du chapitre donne un aperçu des analyses des chercheurs. Certaines des principales questions auxquelles ils ont tenté de répondre concernent notamment les effets des OMD en tant qu’instrument sur les choix politiques et leur application au niveau national13. Il est important aussi d’envisager, de manière plus générale, comment fonctionnent les processus politiques nationaux et comment les cadres internationaux comme celui des OMD interagissent avec les politiques nationales. La deuxième partie du chapitre présente donc de récents travaux d’économie 12 Des résumés des études de cas sont annexés au présent rapport et leurs versions complètes sont publiées sur le site web du RED. Les études ont été menées par: • Le SAWTEE et le CESLAM au Népal, sous la direction de Pandey, P.R., Adhikari, R. et Sijapati, B. (2012) • L’IPAR au Rwanda, sous la direction d’Abbott, P., Malunda, D. et Ngamije Festo (2012) • Le CIRES en Côte d’Ivoire, sous la direction de Kouadio, E.K., Ouattara, Y. et Souleymane, S.D. (2013) • Le RIMISP et l’IEP au Pérou, sous la direction de Barrantes, R. et Berdegué, J.A. (2012) 13 Des équipes de chercheurs établis dans les pays concernés on réalisé les études de cas. Elles ont aussi organisé des consultations avec les autorités nationales et des organisations de la société civile afin de discuter de leurs données et de leurs analyses, et de formuler des propositions relatives à un programme de développement pour l’après-2015 dans l’optique de leurs pays respectifs. Ces propositions doivent donc être comprises comme des points de vue qui se dégagent des discussions et des consultations organisées par les chercheurs, mais qui ne prétendent pas représenter les positions d’une organisation ou d’une entité publique quelconque. 24 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE politique en vue d’analyser les processus décisionnels spécifiques aux différents pays et les modalités de mise en œuvre qui sous-tendent les stratégies de lutte contre la pauvreté et, plus largement, les politiques liées au développement. La dernière partie du chapitre analyse les incitants politiques que peuvent apporter les liens économiques mondiaux et les relations internationales, ainsi que l’impact potentiel des instruments mondiaux et régionaux au niveau national. Chaque pays a aussi des caractéristiques uniques susceptibles d’influencer les interactions de son gouvernement avec l’économie mondiale et avec les relations et instruments internationaux. 2.1. Les OMD au niveau national – quatre études de cas Les quatre études de cas commanditées sur le Népal, le Rwanda, la Côte d’Ivoire et le Pérou ont examiné les informations disponibles concernant les effets probables des OMD sur les décisions nationales en matière de lutte contre la pauvreté. Bien que les DÉVELOPPEMENT éléments attestant de l’impact des OMD dans ces pays soient moins concluants, les études ont cependant permis d’identifier certains de leurs effets. Elles nous éclairent aussi sur les perceptions des OMD et sur les raisons qui incitent les gouvernements à utiliser les OMD en tant qu’instrument (objectifs, cibles, indicateurs, mécanismes de suivi, etc.) et à en respecter les engagements politiques. Les quatre pays sont très divers et présentent un large éventail de situations différentes en termes de développement et de relations avec l’UE, comme en attestent les indicateurs de base présentés dans le tableau 2.1. Bien que ces études de cas ne soient pas censées constituer un échantillon représentatif, elles illustrent utilement une série de situations auxquelles ont été confrontés les pays en développement au cours de la décennie écoulée depuis l’adoption de la Déclaration du Millénaire. Les quatre pays ont des niveaux de développement divers et se caractérisent par des tendances et des défis de nature variée en termes de démographie, d’économie et d’environnement, comme le résume le tableau 2.2 Tableau 2.1 Études de cas nationales: Indicateurs choisis Népal Rwanda Côte d’Ivoire Pérou Population en 2011 (en millions d’habitants) 30 mn 11 mn 20 mn 29 mn PIB en 2011 (en Mrd $ courants) 18,9 bn 6,4 bn 24,1 bn 176,7 bn PIB par habitant en 2011 (en $ constants de 2000) 275$ 356$ 549$ 3.364$ Statut de revenu attribué par la Banque mondiale LIC LIC LMIC UMIC Indice de Gini 32,8 (2010) 50,8 (2011) 41,5 (2008) 48,1 (2010) Versements d’APD par l’UE et le CAD/ OCDE en 2010 (en Mio $) 210 mn 308 mn 267 mn 211 mn APD reçue en % du RNB en 2011 4,70% 20,22% 6,24% 0,36% Balance commerciale avec l’UE27 en 2011 (en Mio $) - 26 mn Migrants dans l’UE en proportion du nombre total d’émigrants en 2010 4,1% - 115 mn + 2.401 mn + 4.196 mn 8,9% 9% 29,1% Sources: bases de données statistiques de la Banque mondiale, de l’OCDE, du CCI et de la CNUCED A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 25 CHAPITRE DEUX Table 2.2 Case study countries trends and projections DÉMOGRAPHIE CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE STRUCTURE PAR ÂGE URBANISATION MIGRATION INTERNATIONALE 1,9 % en 2010. FÉCONDITÉ EN DÉCLIN TRÈS JEUNE 0-24 ans TRÈS RURALE Urbaine – 17 % Rurale – 83 % Taux de migration net: -0,6 par 1 000 personnes pour la période 2010-15 1950 NÉPAL 6,1 2,9 ENFANTS PAR FEMME + de 65 ans ENFANTS PAR FEMME 2,9 % en 2010. FÉCONDITÉ EN DÉCLIN 1950 8 5,4 PAR FEMME ENFANTS PAR FEMME 1950 6,8 4,7 ENFANTS PAR FEMME 2010 ENFANTS PAR FEMME 1,1 % en 2010. FÉCONDITÉ EN DÉCLIN 1950 26 6,9 2,6 URBAINE RURALE Âge moyen 21,4 TRÈS JEUNE 0-24 ans 63,4% 33,9% 2,7% + de 65 ans 1,8 % en 2010. FÉCONDITÉ EN DÉCLIN PÉROU Minimale SORTANTE TRÈS RURALE Urbaine – 19.1 % Rurale – 80.9 % URBAINE RURALE TRÈS JEUNE MIXED 0-24 ans Urbaine – 51.3 % Rurale – 48.7 % URBAINE RURALE 0-24 ans 49,1% 44,8% 6,1% PAR FEMME + de 65 ans 2010 ENFANTS PAR FEMME Beaucoup de migrants régionaux et d’origine libanaise dans des emplois peu qualifiés Beaucoup d’Ivoiriens émigrent en France attirés par la langue et par des similitudes culturelles TRÈS RURALE Urbaine – 77.3 % Rurale – 22.7 % Taux de migration net: -2,8 par 1 000 personnes pour la période 2010-15 ENTRANTE 25-64 ans ENFANTS Nouvelles migrations: 0,1 par 1 000 personnes pour la période 2010-15 SORTANTE Âge moyen 19,2 JEUNE SORTANTE Une grande part des migrants rwandais sont des refugiés qui ont fui le génocide ENTRANTE 25-64 ans + de 65 ans Taux de migration net: 0 par 1 000 personnes pour la période 2010-15 Faible migration entrante en provenance d’autres États membres de la CAE Âge moyen 18,7 61,2% 35% 3,8% Principales destinations: Inde et pays du Golfe, les envois de fonds des migrants parviennent à 56 % de l’ensemble des ménages ENTRANTE 25-64 ans ENFANTS 2010 CÔTE D’IVOIRE ENTRANTE 25-64 ans 2010 RWANDA 56,9% 38,9% 4,2% RURALE Âge moyen 25,6 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 URBAINE Récemment, des ressortissants espagnols sont arrivés pour échapper à la crise de l’euro SORTANTE Principales destinations: USA, Espagne, Italie et autres pays de l’UE RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIE CROISSANCE ÉCONOMIQUE 2001 NEPAL Le taux de croissance annuel moyen du PIB entre 2001 et 2011 n’a été que de 2011 2008 ENTRE 2008 ET 2012 LA CROISSANCE DU PIB RÉEL A ÉTÉ DE RWANDA PAR AN EN MOYENNE COMMERCE INTERNATIONAL La croissance des importations est beaucoup plus forte, entraînant des déficits commerciaux constants IMPORTATIONS Principaux partenaires commerciaux: India (far ahead), China, EU, Singapore and USA. DÉFICIT La croissance des importations est beaucoup plus forte, entraînant des déficits commerciaux constants CÔTE D’IVOIRE DÉFICIT 6,4% La Côte d’Ivoire a eu un excédent commercial de 15 % du PIB en 2011. C’est dû en partie à sa position de leader mondial pour les exportations de cacao. CROISSANCE ANNUELLE DU Principal partenaire commercial: UE PIB 2001 Le taux de croissance annuel moyen du PIB a été de 5,8% PÉROU Le Pérou a eu la croissance du PIB la plus forte de la région et l’inflation la plus faible. Aujourd’hui considéré comme un PRITS 2011 FLUX DE CAPITAUX MANQUE DE MAIN-D’ŒUVRE QUALIFIÉE 46% EXCÉDENT Le Pérou a bénéficié d’un excédent dans sa balance commerciale au cours des 8 dernières années La majorité de la population est occupée dans une agriculture de subsistance. EXCÉDENT Les approbations d’IDE ont néanmoins augmenté depuis 2006/07. Le Rwanda est l’un des pays les plus performants selon les indicateurs «Doing Business» de la Banque mondiale, mais il peine encore à attirer l’IDE. Les perspectives pour 2011/12 étaient positives. Le sous-emploi est le problème principal. La main-d’œuvre qualifiée est rare. Chômage en augmentation 6,4% 15,7% Lente croissance des investissements privés 1996-2011: Croissance de l’IDE de 0,47 % 2002 2008 Part des investissements Le chômage des jeunes de l’UE en déclin. (25-34 ans) était de 17,5 % en 2008. La plus grande partie de la population est occupée dans le secteur informel. % TRAVAILLENT DANS LA PRODUCTION DE CACAO TAUX DE CHÔMAGE En baisse, tandis que la population active augmente. IMPORTS Principal partenaire commercial: UE, Chine, USA, Brésil et Chili Le Népal figure parmi les pays qui parviennent le moins à attirer l’IDE. de chômeurs en 2008. Beaucoup de personnes choisissent de chercher du travail à l’étranger. IMPORTATIONS Principaux partenaires commerciaux Chine, Suisse, UE. 2012 2008-2010 EMPLOI 38,71% 17,57% 1996-2003 2003-2011 Ratio investissements / PIB le plus élevé des 7 pays d’AL 1995 2011 71% 2001 54,6% 2010 Le taux de sous-emploi est cependant élevé US$5,05 US$22 milliards milliards Le stock d’IDE représentait 9,8 % du PIB total. L’Espagne, le Royaume-Uni et les USA ont été les principaux investisseurs. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 27 CHAPITRE DEUX ENVIRONNEMENT CLIMAT CATASTROPHES NATURELLES, DONT: NÉPAL SÉISMES, TSUNAMIS, INONDATIONS, GLISSEMENTS DE TERRAIN, ACTIVITÉ VOLCANIQUE MODÉRÉE. BIODIVERSITÉ Déforestation (surexploitation forestière pour le bois de chauffage et absence d’alternatives), épuisement des sols; contamination des eaux. TERRES/EAU POLLUTION Potentiel considérable pour la production d’énergie hydroélectrique Les premiers signes du changement climatique sont perceptibles, avec des périodes plus longues de pluie et de sécheresse. Déforestation, épuisement des sols et conservation de la vie sauvage. En raison de la densité de population élevée, les terres sont rares et surexploitées. L’érosion des sols est un problème majeur. Les ressources en eau servent à la production d’énergie hydroélectrique. Saisons des pluies plus courtes et saisons sèches plus longues affectant potentiellement la culture du cacao. Les forêts publiques ont subi des dégradations du fait d’une utilisation illégale aux effets négatifs sur la biodiversité. La quantité des ressources en eau demeure largement suffisante pour couvrir les besoins croissants, malgré des disparités régionales. La pollution et la dégradation des sols dues aux activités humaines menacent les ressources en eau. CATASTROPHES NATURELLES, DONT: Déforestation (résultant en partie de l’abattage illégal); surpâturage dans les zones côtières et la sierra. Désertification, érosion des sols et contamination des eaux Pollution atmosphérique à Lima; pollution des eaux fluviales et côtières par les effluents municipaux et miniers. RWANDA CÔTE D’IVOIRE PÉROU 28 SÉISMES, TSUNAMIS, INONDATIONS, GLISSEMENTS DE TERRAIN, ACTIVITÉ VOLCANIQUE MODÉRÉE RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE • Népal Après plus de 200 ans de monarchie héréditaire et autocratique, le Népal a élu un gouvernement démocratique en 1990. Des divergences politiques sont apparues rapidement et ont conduit à une insurrection maoïste de 1996 à 2006, date à laquelle les rebelles ont uni leurs forces avec les partis d’opposition pour démettre le souverain régnant. Bien que le travail de rédaction d’une nouvelle constitution ait été entamé, de fréquents changements de coalitions au gouvernement en ont empêché l’achèvement jusqu’à présent. La guerre civile et l’instabilité qui s’en est suivie ont privé le Népal d’investissements étrangers de grande ampleur dans les secteurs productifs et l’économie est restée faible. Les bailleurs de fonds se sont également montrés circonspects, en concentrant leurs efforts sur les secteurs sociaux et en gérant souvent leurs propres projets plutôt que de laisser au gouvernement le soin d’administrer l’aide. Les OMD et les préférences des bailleurs de fonds ont contribué à guider la politique de développement au Népal. La coopération Sud-Sud (CSS) et les envois de fonds des migrants ont aussi été des moteurs importants du développement. Au cours de la décennie écoulée, dans ses plans à moyen et long terme, le gouvernement a concentré son attention sur deux priorités: le développement des infrastructures et la réduction de la pauvreté. Les cibles des OMD sont donc intégrées dans ces stratégies, avec une place prépondérante accordée aux infrastructures physiques (production hydroélectrique et réseaux routiers stratégiques, notamment les autoroutes interdistricts) en vue de promouvoir la croissance économique. Avant tout, la stratégie du gouvernement visait à assurer d’abord la croissance et à s’occuper ensuite de la répartition de l’aide. Depuis 2000, les politiques du gouvernement ont été influencées par les bailleurs de fonds. La priorité donnée aux problèmes sociaux s’en est trouvée renforcée, au détriment d’autres secteurs. La dépendance du Népal à l’égard de l’aide et ses flux très faibles d’IDE contribuent à expliquer cette situation. En fait, l’aide étrangère représente environ 25 % du budget national du Népal, dans la mesure où, hormis l’APD du CAD, des montants d’aide considérables entrent aussi dans le pays. La comparaison entre les décaissements récents et ceux antérieurs à 2000 montre clairement que les préférences des donateurs se sont reportées vers les secteurs sociaux, dans la ligne des OMD, au détriment de fonds affectés précédemment aux secteurs productifs (par ex., l’industrie et le commerce, le transport et les communications, l’agriculture). Néanmoins, les partenaires du Sud, en particulier la Chine et l’Inde, ont manifesté de l’intérêt pour le développement du potentiel hydroélectrique du Népal. DÉVELOPPEMENT Les OMD et les préférences des bailleurs de fonds ont contribué à guider la politique de développement au Népal. La coopération Sud-Sud (CSS) et les envois de fonds des migrants ont aussi été des moteurs importants du développement. Les progrès du Népal en termes de développement sont mus également par les envois de fonds des migrants. D’après les estimations, en 2010, ils ont représenté 22,6 % du PIB national. La Banque mondiale (2011) a constaté que près de la moitié des taux de réduction de la pauvreté, entre 1995 et 2004, pouvait être attribuée aux envois de fonds, qui continuent à jouer un rôle important. Près de 80 % de ces envois de fonds servent à la consommation et seule une petite proportion va au secteur productif. Si ces aff lux considérables ont contribué aux avancées des OMD Encadré 2.1 Les résultats du Népal en termes de réalisation des OMD Le Népal a fortement réduit la pauvreté. Selon la Banque mondiale, la proportion des personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour (PPA) est descendue à 24,8 % en 2010, alors qu’elle était de 53,1 % en 2003 et de 68 % en 1995. Le rapport de progrès de 2010 sur les OMD (Commission nationale du plan, 2010) a indiqué que le Népal atteindra probablement certaines cibles. Outre le déclin de la pauvreté, le taux de scolarisation a grimpé à 93,7 % et la parité entre les sexes dans l’enseignement primaire a déjà été atteinte. Les taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans et de mortalité maternelle ont été réduits à 50 pour 1 000 et 229 pour 100 000 naissances vivantes, respectivement. Il est douteux que les cibles des OMD en matière de durabilité environnementale puissent être atteintes. (Étude de cas sur le Népal et base de données en ligne de la Banque mondiale) A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 29 CHAPITRE DEUX Le gouvernement rwandais a eu recours aux OMD pour formuler ses stratégies de développement à moyen terme. (notamment l’OMD 1 et l’OMD 2), il est à craindre que l’émigration puisse affaiblir les incitations qui encouragent le gouvernement à créer des emplois productifs. L’étude de cas fait aussi ressortir les coûts sociaux et financiers associés à l’émigration, en particulier la charge supportée par les femmes. Dans l’ensemble, le Népal a de bonnes chances d’atteindre un nombre appréciable de cibles des OMD (encadré 2.1, ci-dessous), mais des doutes subsistent quant aux autres, notamment les cibles environnementales. • Rwanda Le Rwanda a remarquablement progressé en termes de développement au cours des 12 années passées. Le gouvernement s’est engagé sur une voie de développement qui combine des politiques en faveur de la sécurité, de la croissance et de la réduction de la pauvreté. Ces politiques comprennent des mesures visant à assurer la stabilité, l’organisation sociale et à réduire la dépendance à l’égard de l’aide par une diversification de l’économie, à dominante rurale. Le Rwanda dépend très fortement de l’aide extérieure, dont l’APD qui constitue plus de 40 % du budget national. L’aide a aussi beaucoup augmenté au cours de la décennie passée et certains bailleurs de fonds, comme l’UE, ont souhaité en apporter une part considérable sous la forme d’appui budgétaire. Le gouvernement rwandais a eu recours aux OMD pour formuler ses stratégies de développement à moyen terme. La première Stratégie de développement économique et de réduction de la pauvreté (SDERP) (2008–2013) intégrait des indicateurs et des cibles des OMD dans son cadre politique. La seconde SDERP (2013–2018) était en préparation lors de l’élaboration du présent rapport, mais il est prévu d’en assurer la continuité, avec quelques adaptations des cibles des OMD. Le Rwanda semble en voie de réaliser la plupart des OMD d’ici 2015, avec un taux de croissance de 8 % au cours des 12 années écoulées et un recul de la pauvreté, au point que le Rwanda est désormais revenu à la situation qui était la sienne avant le génocide de 1994 en termes de pauvreté. Les deux priorités de la nouvelle stratégie à moyen terme sont l’accélération de la croissance économique durable (avec une cible de 11,5 % par an (p.a.), largement considérée comme trop ambitieuse) et l’intensification de la lutte contre la pauvreté pour en abaisser le niveau sous la barre des 30 % . Trois des quatre priorités stratégiques thématiques sont la transformation économique, le développement rural et la productivité, ainsi que l’emploi des jeunes. D’autres cadres intégrés par le gouvernement dans ses partenariats de développement adoptent les principes de l’efficacité de l’aide énoncés dans la Déclaration de Paris de 2005. • Côte d’Ivoire Les deux décennies qui ont suivi l’indépendance de la Côte d’Ivoire, en 1960, sont parfois décrites comme la période du «miracle ivoirien». Le pays était considéré comme la «locomotive» de la région ouest-africaine, avec des taux de croissance économique élevés, un secteur du cacao et du café en pleine expansion et des investissements publics considérables. Toutefois, le déclin inéluctable des prix du cacao et l’alourdissement de la charge de la dette à la fin des années 1970 et au Encadré 2.2 Les résultats du Rwanda en termes de réalisation des OMD Depuis 2000, la pauvreté a reculé au Rwanda, aussi bien dans l’absolu qu’en termes relatifs. Des améliorations majeures ont été observées, en particulier au cours des cinq dernières années, qui ont vu la proportion des personnes vivant sous le seuil national de pauvreté passer de 56,7 % en 2005/6 à 44,9 % en 2010/11. La proportion de personnes vivant avec moins de 1,25 $ (PPA) a chuté de 72,1 % en 2000 à 63,2 % en 2010. Les indicateurs de l’éducation et de la santé ont aussi laissé apparaître des progrès remarquables: au cours de la même période, le taux net 30 de scolarisation dans le primaire a grimpé de 72,6 % à 91,7 %, le taux de mortalité infantile a diminué de plus de moitié (de 117,4 pour 1 000 naissances à 50), de même que le taux de mortalité maternelle. Le Rwanda a consacré beaucoup d’efforts en faveur de l’émancipation des femmes, et plus de la moitié des membres du Parlement sont des femmes. Malgré ces avancées, il est peu probable que le Rwanda atteigne toutes les cibles des OMD d’ici 2015. (Étude de cas sur le Rwanda) RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT Encadré 2.3 Les résultats de la Côte d’Ivoire en termes de réalisation des OMD Un taux de croissance constamment élevé, de 7 % p.a. en moyenne entre 1960 et 1978, a placé la Côte d’Ivoire dans le groupe des PRI. Avec les crises économiques et politiques du milieu des années 1980, l’incidence de la pauvreté a grimpé de 10 % (1985) à 35,8 % en 1995 et à 48,9 % en 2008. Durant toute cette période, selon un rapport national de 2010 sur les OMD, les résultats concernant la plupart des autres cibles des OMD se sont dégradés, hormis quelques-uns, dont la réduction du taux de mortalité des moins de cinq début des années 1980 ont débouché sur une crise économique qui, combinée au décès du président Houphouët-Boigny en 1993, a engendré une instabilité politique persistante. En Côte d’Ivoire, la pertinence des OMD doit être envisagée dans le contexte d’instabilité politique et de troubles violents. Après la dévaluation du franc de la communauté financière africaine (franc CFA) en 1994, l’APD a commencé à décliner progressivement, jusqu’à ce que les institutions financières internationales (IFI) et l’UE y mettent spectaculairement fin en 1998 pour cause de mauvaise gouvernance. Le coup d’État de 1999 et la tentative de prise de pouvoir en 2002 se sont soldés par la partition du pays entre le Nord et le Sud, par des accords de paix et par une relative stabilité en 2007, suivie de nouvelles dissensions postélectorales en 2011. Ces événements forment la toile de fond sur laquelle les bailleurs de fonds, dont l’UE, ont réorienté leur APD vers l’aide humanitaire et les efforts de consolidation de la paix. Durant les intervalles de relative stabilité – en 2002, en 2006 et finalement en 2010 – les OMD ont servi de points de référence aux tentatives visant à relancer les plans de développement, avec des techniciens à la tête des principaux services gouvernementaux pour garantir un certain degré de continuité. En avril 2006, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le gouvernement ont élaboré un programme destiné à intensifier les efforts pour réaliser les OMD, et un processus consultatif ans (de 181 à 125 par 1 000 naissances vivantes) entre 1998 et 2005, et une légère baisse du taux de mortalité maternelle. Ces améliorations reflètent l’intensification des campagnes de vaccination et le pourcentage plus élevé des accouchements assistés par du personnel de santé qualifié. À la suite de son accord sur le cadre d’accélération des OMD en 2010, le gouvernement a accepté de se concentrer sur la réalisation de l’OMD relatif à la santé maternelle. En Côte d’Ivoire, la pertinence des OMD doit être envisagée dans le contexte d’instabilité politique et de troubles violents. a été mis en place afin d’assurer la participation et la sensibilisation des parties prenantes, ainsi que la mobilisation de ressources financières supplémentaires. Mais la reprise des affrontements violents a mis un frein à ces efforts. Depuis 2010, un nouveau programme accéléré portant sur les cibles essentielles des OMD en matière de santé maternelle a été approuvé par les bailleurs de fonds. Des objectifs de développement ont toujours existé sur le papier, comme en attestent les différentes générations de documents de stratégie de réduction de la pauvreté qui intègrent explicitement les OMD. Mais des retards ont été accumulés dans leur mise en œuvre. Cela donne à penser que le gouvernement s’est servi de ces plans pour avoir de nouveau accès à l’aide et pour parvenir au point d’achèvement (atteint en juin 2012) de l’initiative en faveur des «pays pauvres très endettés» (PPTE), ce qui a entraîné l’annulation de 60 % de la dette du pays, et lui a conféré par la même occasion une crédibilité renouvelée auprès des bailleurs de fonds et des investisseurs étrangers. L’importance des OMD en tant que moyen d’obtenir des financements extérieurs est soulignée dans le rapport de l’étude de cas: «Les OMD restent toujours les éléments de référence dans la stratégie de développement, à cause certainement de leurs capacités de mobilisation de financements internationaux.» Pourtant, malgré la présence sousjacente des OMD dans les stratégies du gouvernement et les politiques mises en œuvre par les techniciens, les dépenses publiques ont été dominées par la crise politico-militaire et les efforts de reconstruction. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 31 CHAPITRE DEUX Le Pérou, à l’instar d’autres PRI, reste confronté à d’importants défis en termes de développement. Le Pérou «n’est peut-être pas pauvre, en moyenne, mais il est encore loin d’être développé». • Pérou Comme le souligne le rapport sur l’étude de cas: «Le Pérou illustre très bien le nouveau monde en développement, un monde qui change vite, qui voit son économie continuer à croître même au plus fort de la crise mondiale, qui fait baisser très rapidement la pauvreté et qui surmonte bon nombre des obstacles mis en évidence par les OMD.» Mais le rapport ajoute que le Pérou, à l’instar des autres PRI, reste confronté à d’importants défis en termes de développement. Certains d’entre eux ont trait à des problèmes structurels persistants. Le Pérou «n’est peut-être pas pauvre, en moyenne, mais il est encore loin d’être développé». En 1990, le Pérou était classé parmi les PFR, avec des taux de pauvreté et d’inégalité élevés. Après une période de troubles et de conflits armés internes, qui a duré de la fin des années 1980 au début des années 1990, l’ordre a été rétabli. Ce retour au calme a permis au Pérou, à partir de 1994, et surtout depuis 2001, après la crise financière en Asie, d’accéder à une croissance soutenue, grâce à un secteur minier en plein essor, lui-même alimenté par la croissance spectaculaire de la Chine, dans un contexte de forte continuité de la politique macroéconomique. Si la pauvreté a considérablement baissé au cours de cette période, des inégalités structurelles majeures persistent, malgré certaines améliorations, avec une forte concentration de la pauvreté dans les zones rurales et parmi les populations indigènes. L’étude de cas soutient que le cadre des OMD n’a pas vraiment servi de source d’inspiration, d’orientation ou de référence pour l’obtention d’un consensus national sur le développement ni pour la mobilisation d’un soutien, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Tout au plus le Pérou a-t-il retrouvé ses objectifs existants dans certains des OMD. Par exemple, les réformes économiques ont commencé en 1990, bien avant l’adoption des OMD. Au cours de la dernière décennie, chaque gouvernement successif a formulé ses propres objectifs. Les OMD n’ont eu, dans le meilleur des cas, qu’une influence mineure sur ces plans et n’apparaissent pas dans les politiques ou les débats publics. D’ailleurs, parmi les politiques sociales majeures, les mesures de lutte contre la pauvreté ou les initiatives en faveur de l’égalité, il n’y en a aucune qui soit inspirée par les OMD ni même qui y fasse référence. Il n’est donc pas étonnant que le suivi et la coordination des progrès des OMD au Pérou aient été confiés à un service subalterne du gouvernement. Il y a plusieurs raisons à cela. Bon nombre des priorités et des mesures de protection sociale du pays sont antérieures à la Déclaration du Millénaire et aux OMD. Elles ont été adoptées en partie pour atténuer l’impact des politiques d’ajustement structurel mises en œuvre pour combattre l’inflation rampante et rétablir la stabilité macroéconomique. Encadré 2.4 Les résultats du Pérou en termes de réalisation des OMD Le Pérou a beaucoup progressé dans les domaines liés aux OMD. Par exemple, à partir de 2001, l’économie péruvienne a commencé à croître, ce qui a permis de faire baisser fortement et durablement le taux de pauvreté pour le réduire à près de la moitié des niveaux nationaux de 2001 en 2011. Le Pérou a dépassé les cibles des OMD en ce qui concerne la réduction du nombre de personnes souffrant de la faim, l’éducation primaire pour tous, l’égalité entre les sexes, la mortalité infantile et le VIH/SIDA. Les performances ont été légèrement inférieures au niveau requis en matière de santé maternelle et d’eau potable salubre. 32 La malnutrition chronique des enfants a chuté d’environ 40 % en 1990 à 25,4 % en 2000, pour se situer autour de 18 à 20 % en 2010. Les niveaux de malnutrition sont deux fois plus élevés dans les zones rurales (actuellement de 37 %), mais les zones urbaines et rurales ont présenté des taux de réduction similaires. Une autre indication des inégalités graves et persistantes est perceptible dans l’incidence de la pauvreté monétaire, qui est deux fois plus forte dans la population indigène que dans la population non indigène (45,7 % et 24,1 % respectivement). (Étude de cas sur le Pérou) RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE L’aide ne représente qu’une part mineure des recettes du gouvernement. Les sources d’inspirations politiques les plus importantes en matière de réduction de la pauvreté (par exemple, au travers de politiques de développement social comme des programmes ciblés de transfert d’argent) sont venues d’autres pays d’Amérique latine comme le Brésil et le Mexique, plutôt que des bailleurs de fonds. Enfin, beaucoup de cibles des OMD n’étaient pas particulièrement difficiles à atteindre pour un pays qui affichait déjà un RNB par habitant de 4 790 $ en 2000, et qui a, par la suite, connu des progrès économiques et sociaux rapides. Plus récemment, certaines cibles de l’OMD 7 ont été intégrées dans la politique environnementale du Pérou, notamment dans la Politique nationale pour l’environnement (2009), le Plan d’action environnemental (2010), et le Plan bicentenaire (2011). Même alors, les accords internationaux n’ont joué aucun rôle dans la conception des politiques et de plans d’action du gouvernement. Résumé des expériences des quatre pays concernant les OMD Les quatre études de cas font clairement ressortir les différences majeures dans les manières dont les pays et les gouvernements relèvent les défis des engagements en matière d’OMD et utilisent le soutien extérieur qu’ils apportent. Une première conclusion évidente est qu’il n’existe pas de solution toute faite et que la crédibilité d’un cadre international comme celui des OMD dépend de sa capacité à s’adapter de façon flexible à des contextes très différents. Chaque pays a suivi son propre parcours de développement et a rencontré des problèmes différents dans son modèle de croissance et dans ses efforts de réduction de la pauvreté. Le fait que les quatre pays, au cours des 20 années écoulées, aient tous traversé des périodes de conflit et de fragilité rappelle, si besoin était, qu’il s’agit là d’un obstacle majeur au développement et que même les pays qui progressent rapidement demeurent souvent dangereusement vulnérables à des chocs qui peuvent les ramener des décennies en arrière. DÉVELOPPEMENT Il n’existe pas de solution toute faite et la crédibilité d’un cadre international comme celui des OMD dépend de sa capacité à s’adapter de façon flexible à des contextes très différents. Encadré 2.5 Compromis et dilemmes propres aux environnements complexes et fragiles Les gouvernements nationaux sont souvent confrontés à la nécessité de trouver des compromis ou de faire des choix difficiles, entre des objectifs liés aux OMD et des questions de sécurité, par exemple, ou entre démocratie et stabilité. Ainsi, au Rwanda, la problématique plus large de la sécurité a longtemps compliqué la promotion du développement inclusif et durable (DID). Dans les années 1990, des pays donateurs ont été accusés d’être complices de la «violence structurelle» qui a conduit au génocide (Uvin, 1998). Avec la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), les bailleurs de fonds ont cherché à faciliter une solution politique. Depuis, un soutien considérable a été apporté au programme de développement du gouvernement, qui s’est montré très réceptif aux conditionnalités techniques et autres recommandations des donateurs. Certains bailleurs de fonds ont nourri des préoccupations concernant une gouvernance autoritaire, des violations des droits politiques et les risques associés à l’exclusion politique. Dans le courant de l’année 2012, d’autres donateurs ont fait part de leurs craintes face aux souffrances humaines qui auraient été causées par les politiques nationales appliquées par le Rwanda en matière de sécurité dans la région, et en particulier dans l’est de la RDC. Cette situation a plongé l’UE et d’autres bailleurs de fonds dans un dilemme. L’UE et certains de ses États membres ont dès lors réduit la prévisibilité du financement alloué pour soutenir les efforts de développement du Rwanda dans l’espoir d’inciter le gouvernement à négocier un accord de sécurité avec son principal voisin. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 33 CHAPITRE DEUX Les quatre études de cas ont regretté le peu d’attention que portent les OMD aux secteurs productifs, aux investissements dans les infrastructures et à la croissance économique. Au Rwanda et au Népal, les OMD ont été intégrés dans des plans de développement et ont servi de points de repère pour mesurer les progrès dans certains domaines particuliers. Au Rwanda, les OMD s’inscrivent bien dans la ligne du discours et des politiques du gouvernement, fortement axés sur le développement. Le Népal a connu deux décennies d’instabilité politique et de conflits. Les OMD ont contribué à orienter les politiques durant une période de transition et figurent en bonne place dans les plans de développement à moyen et long terme du gouvernement. Le Pérou, à l’inverse, fait à peine référence au cadre des OMD et ne s’en est pratiquement pas servi pour élaborer ses propres politiques de réduction de la pauvreté ou de développement. La Côte d’Ivoire a traversé diverses périodes d’instabilité et de violences depuis 1999. Durant tout ce temps, les pouvoirs publics ont continué à se référer au cadre des OMD, ce qui a aidé le pays à renouer des relations avec la communauté des bailleurs de fonds et à mobiliser de l’aide pour des projets de coopération axés sur la lutte contre la pauvreté. Des obstacles majeurs subsistent dans leur mise en œuvre et, après une décennie, les cibles des OMD que le pays a des chances d’atteindre demeurent peu nombreuses. Certaines critiques ont été formulées à l’encontre des OMD, auxquels il a été reproché de biaiser le soutien des bailleurs de fonds en faveur des secteurs sociaux, alors que les gouvernements nationaux peuvent avoir des préférences et des priorités différentes. L’intérêt des dépenses publiques pour la fourniture de services sociaux ne fait pas de doute. Cependant, les quatre études de cas ont regretté le peu d’attention que portent les OMD aux secteurs productifs, aux investissements nécessaires dans les infrastructures et, plus généralement, à la dimension de la croissance économique. Trois études de cas sur quatre ont aussi exprimé la crainte que les bailleurs de fonds n’honorent pas leurs engagements en termes de volume et d’efficacité de l’aide. 2.2. Expliquer les choix politiques: une perspective d’économie politique Depuis les années 1990, des efforts considérables ont été déployés afin de mieux comprendre les différences dans les choix politiques et les trajectoires des pays en développement. Ces travaux trouvent, en partie, leur origine dans la frustration des bailleurs de fonds à l’égard des «modèles de bonnes pratiques» et de la théorie selon laquelle le «transfert» d’institutions formelles des pays riches vers les pays pauvres pourrait être profitable (Centre for the Future State, 2010). Des évaluations et des études ont mis en évidence le peu de succès du soutien apporté par les bailleurs de fonds à des réformes globales des institutions et de la gouvernance. Souvent, ces efforts bien intentionnés étaient inappropriés dans le contexte du pays concerné parce qu’ils reposaient largement sur des modèles idéalisés inspirés par les institutions et les systèmes de gouvernance des pays de l’OCDE. Pour reprendre la formule de Dani Rodrik, «les innovations institutionnelles voyagent mal» (Rodrik, 2003, p. 17). Cette section s’appuie sur une nouvelle génération d’outils de diagnostic14 et d’analyses d’économie politique parrainés en grande partie par des bailleurs de fonds. Ces travaux examinent les environnements sociaux et politiques dans lesquels s’opèrent les processus de développement, et regardent «derrière la façade» des institutions formelles et des politiques. Il est aussi fait référence aux constatations et aux conclusions de programmes de recherche15 sur le pouvoir et la politique en Afrique, sur la capacité de mobilisation/d’action en matière de développement, sur les relations entre les élites et les secteurs productifs, la politique et le développement agricole, le climat d’investissement et les États fragiles. Structures, institutions et processus politiques Certains bailleurs de fonds commencent à recourir 14 Ces outils d’économie politique sont notamment: DFID, 2008; Banque mondiale, 2010; Ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas, 2009; DEVCO Concept Note, 2011 (Unsworth et Williams, 2011). 15 Les programmes de recherche sont notamment: le programme Afrique: pouvoir et politique (www.institutions-africa.org); le Development Leadership Programme (www.dlprog.org); l’Improving Institutions Pro-poor Growth Programme (www.ippg.org.uk); Future Agricultures (www.future-agricultures.org); l’Elites, Production and Poverty Programme (www.diis.dk/epp); et le Tracking Development Programme (http:// www.institutions-africa.org/trackingdevelopment_archived/home.html). 34 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE davantage à des cadres et des analyses d’économie politique afin de mieux comprendre les acteurs et les facteurs qui interviennent, au niveau national, pour faire avancer ou au contraire pour entraver les choix politiques et les mesures d’application en matière de réduction de la pauvreté ou de développement. La notion d’économie politique renvoie à un vaste ensemble de traditions intellectuelles. En règle générale, on distingue trois niveaux d’outils analytiques applicables aux contextes nationaux et sectoriels: • Les structures: le premier niveau concerne les aspects structurels, «difficiles à changer», comme les ressource naturelles, la structure générale de l’économie, les relations régionales, les sources principales des recettes (potentielles) du gouvernement, etc. La structure de l’économie et les ressources disponibles peuvent, par exemple, influencer la nature des recettes du gouvernement. Ces recettes peuvent être issues du revenu du travail (via la fiscalité) ou de rentes (provenant par exemple des recettes tirées des minerais, de l’APD, etc.). La nature de ces recettes influence souvent les incitations politiques auxquelles sont soumis des groupes particuliers – généralement les élites dirigeantes16 (voir aussi l’encadré 2.6). D’autres aspects importants peuvent inclure l’histoire de la formation de l’État, l’exclusion de régions et de groupes de population, qui peuvent entraîner des clivages sociaux, ethniques et économiques, des menaces pour la légitimité de l’État, des conflits internes et une fragilité. De tels aspects étaient manifestement au cœur des conflits profondément enracinés dans les quatre pays couverts par les études de cas. • Les institutions: À un deuxième niveau, l’analyse d’économie politique s’intéresse au fonctionnement des institutions et à leur influence sur le comportement des acteurs politiques et économiques. Dans tous les pays, des institutions formelles (ancrées dans la constitution, codifiées dans les lois, etc.) interagissent avec des règles du jeu informelles (fondées sur des normes et des croyances sociales, culturelles, ethniques, religieuses) et ces interactions déterminent la distribution du pouvoir, la nature de la compétition politique, le fonctionnement des marchés, etc. Il est souvent difficile pour des intervenants extérieurs, comme les bailleurs de fonds, de comprendre ou même de «percevoir» les institutions informelles, parce que les outils conceptuels dont ils disposent ont été largement conçus pour se concentrer sur la pointe de l’iceberg, c.-à-d. les institutions formelles. La conséquence est que les acteurs externes du développement perdent «leur aptitude à identifier des possibilités de changement et des contraintes, ce qui explique pourquoi les réformes se heurtent à des limites récurrentes» (Andrews, 2013, p. 42). • Les acteurs: Les niveaux structurels et institutionnels façonnent les processus politiques et influencent le comportement et les choix des acteurs-clés. Pour schématiser, on peut distinguer trois groupes d’acteurs (voir la figure 2.1): l’élite politique au pouvoir, les fonctionnaires, et les acteurs sectoriels (société civile, entreprises, exploitations agricoles et ménages). Dans un cas de figure idéal, ces groupes agiraient ensemble efficacement, dans un effort de coopération mutuel et en parfaite synergie, pour engendrer des résultats positifs en termes de développement (A Joint Statement, 2012). Ce n’est pas ainsi que les choses ont tendance à se passer dans les pays en développement. On rencontre plus souvent un modèle de relations dans lequel les élites dirigeantes ou les gouvernements ne prennent pas d’engagements crédibles envers les acteurs sectoriels en ce qui concerne la sécurité et le rendement de leurs investissements. Généralement, ces élites dirigeantes ne donnent pas la priorité à la production de biens publics ou collectifs susceptibles de stimuler les investissements privés, ou elles ne donnent pas la priorité à un engagement constructif entre l’administration et les acteurs sectoriels. DÉVELOPPEMENT Des efforts considérables ont été déployés afin de mieux comprendre les différences dans les choix politiques et les trajectoires des pays en développement. On pourrait se demander pourquoi les bailleurs de fonds et les pays bénéficiaires continuent depuis si longtemps à s’engager dans la logique de scénarios de développement, alors que rien n’indique que l’aide contribue grandement à améliorer la capacité administrative des pays en question. Une réponse tient à ce qu’on appelle l’«isomorphisme mimétique», par lequel les fonctionnaires et les élites des pays bénéficiaires adoptent les apparences et les structures 16 Dans le présent rapport, le terme «élite» désigne les personnes qui exercent de hautes responsabilités au niveau du pouvoir politique, militaire, financier et/ou économique. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 35 CHAPITRE DEUX Un modèle intéressant pour la compréhension des divergences de choix politiques cherche à déterminer quand et pourquoi les élites politiques soutiennent le secteur productif. Les réponses contribuent à expliquer les divergences entre les trajectoires de développement selon les pays et les différences dans l’engagement à l’égard des OMD. Figure 2.1 Acteurs-clés des processus politiques Élites politiques dirigeantes Fonctionnaires Source: A Joint Statement, 2012 (ou formes) institutionnelles appropriées afin de dissimuler ou de camouf ler le fait qu’elles n’ont pas adopté les fonctions institutionnelles. Cela se traduit par des postures politiques vides de sens et des réformes (souvent longues et coûteuses) qui ne sont jamais appliquées. Les réformes adoptées sont de simples «signaux». En négligeant des aspects importants du contexte, les bailleurs de fonds étrangers courent le risque de parier sur un cheval qui n’existe pas (Andrews et al., 2012). Il y a de nombreux exemples de gouvernements qui s’engagent à réaliser les OMD sans prendre les mesures ou les dispositions institutionnelles qui s’imposent pour respecter leurs engagements. Le Rwanda se distingue de ce modèle dans la mesure où le gouvernement agit pour tenir ses engagements en termes de réduction de la pauvreté. Il offre aussi l’exemple d’un gouvernement qui parvient à combiner efficacement des mesures politiques formelles et les institutions informelles de l’imihigo (un contrat de performance qui repose sur des bases traditionnelles solides) pour inciter les acteurs publics à atteindre des objectifs de prestation de services liés à la pauvreté (Booth et Golooba-Mutebi, 2012). Élites dirigeantes et clientélisme Si le débat sur la façon dont s’opère le développement reste très animé, il existe quelques indices permettant de démêler la logique décisionnelle et les variables qui interviennent dans les processus de développement. Des analyses comparatives et d’autres recherches ont été menées sur les relations entre les élites politiques, les fonctionnaires et les acteurs du secteur privé et de la société civile. Un modèle intéressant pour la 36 Acteurs sectoriels (entreprises, exploitations agricoles et ménages) compréhension des divergences de choix politiques qui affectent la pauvreté, la croissance et les processus de transformation ou de développement cherche, plus largement, à déterminer quand et pourquoi les élites politiques soutiennent le secteur productif. Les réponses à ces questions contribuent aussi à expliquer les divergences entre les trajectoires de développement selon les pays, et se révèlent pertinentes pour éclairer les différences dans l’engagement à l’égard des OMD dans les quatre pays couverts par les études de cas («Elites, Production and Poverty programme», DISS, 2012). Plutôt que de parler des gouvernements, ce cadre invite les utilisateurs à cibler et spécifier les rôles et les comportements des élites dirigeantes et des coalitions au pouvoir (groupes et individus qui aident les élites dirigeantes à se hisser ou à rester au pouvoir). Le modèle suppose que, dans les régimes autoritaires comme dans les pays démocratiques, la survie politique est la principale motivation des élites dirigeantes. Pour survivre, les élites dirigeantes vont probablement devoir résister à deux types de pression – la concurrence ou l’opposition. La première tient au fait que les élites dirigeantes peuvent être vulnérables et exposées aux pressions des groupes exclus. Plus leur vulnérabilité est grande, plus les élites dirigeantes sont susceptibles de se concentrer sur des résultats rapides ou sur des avantages immédiats pour gagner des électeurs (dans une démocratie). Cela se traduit par une vision à court terme. La seconde tient au fait que les coalitions au pouvoir peuvent être fragmentées en raison de rivalités internes. Ordinairement, cette RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE situation implique une combinaison de rapports de force horizontaux entre les factions des élites au plus haut niveau et de luttes pour le pouvoir verticales entre les factions des niveaux supérieur et inférieur ou leurs partisans. Soucieuses d’assurer leur survie politique et confrontées à ces pressions, les élites dirigeantes tenteront de cimenter les relations internes, de gagner ou d’acheter le soutien d’électorats cruciaux. La nature et les combinaisons de ces luttes de pouvoir et rapports de forces s’ajoutent aux institutions politiques formelles et informelles pour influencer les préférences et la mise en œuvre des politiques dans des domaines comme la production de biens publics, la réglementation du marché et les interventions économiques (Moore et Schmitz 2008; Leftwich, 2011; Kahn, 2010; Whitfield et Therkildsen, 2011). Les élites dirigeantes doivent avoir accès au financement, aux emplois ou à d’autres faveurs afin d’obtenir en échange le soutien dont elles ont besoin pour la coalition au pouvoir. Ces relations patron-client tendent à dominer la politique dans les pays en développement (Kahn, 2010; Whitfield et Therkildsen, 2011). Le clientélisme concurrentiel est une forme de relation patron-client où l’élite politique est confrontée à une forte opposition des groupes exclus et des factions internes. C’est la situation ou l’équilibre politique qui prévaut le plus souvent dans beaucoup de pays en développement (Kahn, 2010; Kahn, 2012). Ces pressions, combinées à un système de compétition électorale, engendrent rarement les types d’incitants politiques susceptibles de favoriser les biens publics, les capacités de production ou la croissance durable. Généralement, dans un contexte de clientélisme concurrentiel, les élites dirigeantes ne disposent pas de l’horizon temporel, de la possibilité de mobiliser des ressources et des capacités d’exécution dont elles auraient besoin pour s’engager sur des voies de croissance ou de développement durables. Rentes, croissance économique et transformation Les élites dirigeantes ont besoin de différentes sources de financement pour maintenir leurs coalitions et remporter les élections (dans les démocraties). Elles ont besoin de recettes publiques pour mettre en œuvre leurs politiques et préserver la stabilité macroéconomique. Elles ont besoin d’investissements privés pour alimenter l’économie formelle, assurer la sécurité et faire fonctionner l’appareil de l’État, au sens large, etc. Elles ont aussi besoin de fonds qui peuvent servir à l’organisation de la coalition au pouvoir. Ces rentrées peuvent être légales (dons, cotisations, etc.) ou illégales. L’ampleur et le type de financement auquel les élites dirigeantes ont accès créent aussi des incitants politiques qui déterminent les choix et les mesures. Pour mieux apprécier la nature de ces incitants et si les politiques reflètent vraiment un engagement des dirigeants ou sont seulement destinées à servir de signaux sans substance, il faut s’intéresser aux sources des recettes et des rentes. Les rentes peuvent être comprises comme des f lux de revenus qui s’ajoutent aux bénéfices provenant du marché et aux salaires. Il peut s’agir de profits tirés de l’exploitation d’un monopole, de subventions, de la possession de ressources rares, de la corruption et de l’aide. Certaines de ces rentes sont performantes du point de vue économique, tandis que d’autres ne le sont pas. Moore préfère parler de «recettes politiques», soit les revenus que les gouvernements et les élites politiques tirent de l’exercice du pouvoir (Moore, 2011, p. 7). Dans ces recettes politiques, il distingue encore deux catégories: les recettes publiques (provenant des taxes, des recettes non fiscales et des subventions allouées par d’autres États ou organisations internationales) et les recettes de l’élite politique (revenus que des politiciens, militaires ou fonctionnaires corrompus, etc., obtiennent par un abus d’autorité ou par le contrôle de certains pans de l’économie). Les limites entre ces catégories sont souvent floues17. DÉVELOPPEMENT Généralement, dans un contexte de clientélisme concurrentiel, les élites dirigeantes ne disposent pas de l’horizon temporel, de la possibilité de mobiliser des ressources et des capacités d’exécution dont elles auraient besoin pour s’engager sur des voies de croissance ou de développement durables. Les autorités publiques qui ont accès à des recettes qu’elles ne doivent pas «gagner» par leur travail politique risquent davantage d’abuser de leur pouvoir (Moore, 1998). Autrement dit: «L’accès à des niveaux élevés de rentes et autres revenus du même type peut réduire les incitations à transiger avec les citoyens et encourager la prédation des élites» (OCDE, 2011:26). Cet accès aisé à des rentes peut être opposé à la réalité d’une économie plus diversifiée. La diversification peut apporter une assiette fiscale plus large, avec des perspectives de négociation effectives entre les autorités publiques et les groupes qui procurent ces recettes à l’État au sein de la société. Cependant, 17 Une autre distinction porte sur les revenus du travail et les rentes, les premiers se rapportant à la fiscalité en général, tandis que les secondes correspondent aux revenus tirés de l’aide, de l’exportation des ressources naturelles, etc. (Moore, 1998). A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 37 CHAPITRE DEUX Encadré 2.6 Rentes et développement en Côte d’Ivoire et au Rwanda Un réexamen de la situation dans sept pays africains a mis en évidence certaines caractéristiques frappantes de régimes très performants. Ces caractéristiques incluaient un pouvoir fort (personnalisé), des processus de rentes centralisés, et des horizons à long terme qui laissent suffisamment de temps pour concevoir, tester et réorienter les politiques. En Côte d’Ivoire, au cours de la période 1960–1978, l’économie a connu une croissance moyenne de 7 % par an, qui a stimulé la migration vers la capitale Abidjan. Un système présidentiel fort dans un régime à parti unique a redistribué les rentes basées sur une économie de plantation essentiellement cacaoyère et, dans une moindre mesure, caféière. Il a organisé un habile système de quotas afin d’équilibrer les intérêts de divers groupes ethniques et de distribuer les investissements publics dans les régions mal desservies. Le clientélisme politique dans un contexte de prix élevé des matières premières a favorisé la croissance économique et la stabilité. La politique de migration faisait partie intégrante de cette économie politique. En outre, le gouvernement Houphouët-Boigny est parvenu à tirer des rentes du cacao par le biais du marché. Il a utilisé ces ressources, à côté d’emprunts extérieurs, pour des investissements productifs, mais les a aussi redistribuées dans tout le pays pour payer l’armée et engranger un soutien politique, assurant ainsi une certaine stabilité sociale. Les 15 premières années de l’indépendance sont associées à ce qu’on a appelé le «patrimonialisme de développement». Les chocs extérieurs (crise pétrolière, crise de la dette et dégradation des termes de l’échange dans les années 1980), le manque d’innovation (avec l’épuisement des terres vierges pour la culture et la baisse de productivité des cacaoyers à la fin d’un cycle de plantation de 30 ans), et les pressions extérieures appelant à la tenue d’élections multipartites ont fini par faire s’écrouler la «grande coalition» d’Houphouët-Boigny, juste avant sa mort en 1993, et par planter le décor de la politique de division ethnique qui marquera les années suivantes. La distribution centralisée de la rente du cacao avait favorisé la stabilité politique quand les prix des matières premières étaient élevés. Mais le déclin du marché a miné à la fois l’économie et la stabilité politique. Les politiques de libéralisation appliquées à partir du milieu des années 1980 n’ont fait que renforcer davantage la décentralisation des rentes (McGovern, 2011). L’importance de ce système de rente pour la survie politique de l’élite dirigeante trouve une illustration spectaculaire dans la crise post-électorale de 2010. Au plus fort de cette crise, des instances régionales comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’UE ont imposé des mesures restrictives à l’encontre du président 38 Gbagbo en raison de son refus de respecter les résultats des élections. Ces mesures visaient à priver le président en exercice de l’accès aux rentes des exportations de cacao et à tarir le financement de son armée. Au Rwanda, la situation politique après le génocide a été marquée par une victoire militaire initiale du Front patriotique rwandais (FPR) et caractérisée par un contrôle centralisé des rentes économiques, un système qui restreint clairement la compétition politique et donne la priorité à la production de biens publics (y compris la sécurité nationale), aux mesures visant à réduire la pauvreté et à l’engagement en faveur d’une transformation économique. Le contrôle des sources de rentes économiques paraît effectivement être centralisé et déployé d’une façon qui correspond à une vision du développement à long terme privilégiant la fourniture de biens et de services publics. Au cours de la dernière décennie, l’élite politique dirigeante a cherché à élargir sa base en démontrant son aptitude à combattre la pauvreté et en s’attelant à la transformation économique. Elle a augmenté les recettes nationales, lutté contre la corruption, amélioré la coordination de l’aide, rejoint un groupe de partenaires du Sud en pleine expansion et poursuivi activement une politique d’intégration économique régionale au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). À l’instar de certaines stratégies de développement adoptées par des gouvernements d’Asie de l’Est et du Sud-Est (voir l’encadré 2.7), la politique rwandaise est dictée par la conviction que des efforts de développement et de transformation en matière économique et sociale sont indispensables pour éviter que se répète une «catastrophe nationale encore dans les mémoires» (Booth et Golooba-Mutebi, 2011; 2012). Le génocide et ses séquelles contribuent aussi à expliquer la situation unique, en termes d’économie politique, de la formulation et de l’application des politiques au Rwanda. Le caractère très restreint de la compétition politique (par peur d’une résurgence de la politisation des clivages ethniques) et le contrôle strict de l’armée et des forces de sécurité (garantes du pouvoir) doivent être envisagés en tenant compte des accords politiques qui visent à partager le pouvoir avec des groupes non majoritaires (FPR) et de la mise en place d’incitants pour encourager les politiques sociales économiques. RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE toutes les régions moins développées se caractérisent par des secteurs capitalistes formels qui ne sont pas suffisamment grands pour produire assez de recettes publiques. C’est pourquoi, dans les processus politiques plus larges où les élites s’efforcent de garder ou de reconquérir le contrôle du gouvernement, elles dépendront de diverses formes de recettes de l’élite politique. L’orthodoxie des bailleurs de fonds suppose généralement que les rentes provenant de la corruption et le clientélisme sont préjudiciables au développement économique. Toutefois, des recherches indiquent que des succès en termes de croissance et de transformation ont été, et peuvent encore être, associés à des politiques hétérodoxes en ce qui concerne l’utilisation productive de rentes (Kahn, 2007; Booth, 2012). Un réexamen de la situation dans sept pays africains, dont le Rwanda et la Côte d’Ivoire (voir aussi l’encadré 2.6), a mis en évidence certaines caractéristiques frappantes de régimes très performants (Kelsall, 2011; Kelsall et al., 2010). Ces caractéristiques incluaient un pouvoir fort (personnalisé), des processus de rentes centralisés, et des horizons à long terme qui laissent suffisamment de temps pour concevoir, tester et réorienter les politiques. La centralisation permet, par exemple, aux dirigeants d’aiguiller la création de rentes vers des domaines présentant un potentiel économique, de financer des biens publics essentiels et d’assurer la stabilité politique. Autrement dit, des pays caractérisés par le clientélisme, la corruption et la recherche de rentes substantielles peuvent réussir à surmonter certaines lacunes de coordination, à centraliser les rentes et à investir dans les biens publics, en voyant plus loin que le court terme et en se tournant vers l’expérimentation et l’apprentissage. Les quatre études de cas, avec leurs différents parcours de développement, et surtout les trois exemples de la Côte d’Ivoire, du Rwanda et du Pérou, qui ont le plus progressé au cours de la dernière décennie, démontrent l’importance de la croissance et de la transformation économique pour la durabilité future. Généralement, le succès de la transformation économique s’explique par une combinaison d’institutions, d’acteurs et de facteurs, tels qu’un État central cohérent, une vision axée sur le développement, l’engagement des dirigeants et les liens entre l’État et les groupes qui composent la société. Cette combinaison naît d’interactions dynamiques et de compromis entre les élites dirigeantes, l’administration et les multiples groupes de la société civile qui interviennent au niveau sectoriel. Il faut pour cela que les gouvernements s’emploient à garantir de façon crédible que les profits tirés des investissements ne seront pas perdus, à produire des biens publics essentiels, à investir dans l’apprentissage et l’expérimentation, et à relever les multiples défis de la coordination. Les pouvoirs publics des pays en développement se heurtent souvent à des difficultés décourageantes quand ils essaient de promouvoir le type de transformation économique dont ils auraient besoin pour assurer durablement la réduction de la pauvreté et le développement, l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets, etc. Ces difficultés ont trait principalement aux problèmes à surmonter dans le domaine de l’action collective et de la coordination pour construire des secteurs productifs compétitifs. Dans la pratique, les élites dirigeantes opteront généralement pour la voie de la moindre résistance. Au lieu de créer de nouveaux secteurs productifs ou de moderniser les secteurs existants, elles se rabattront sur d’autres solutions, s’il en existe, qui leur évitent de s’atteler «à la tâche difficile d’aider les entrepreneurs locaux à renforcer leurs capacités technologiques et de créer de nouvelles institutions pour mettre en œuvre des politiques industrielles. Ces alternatives incluent les ressources naturelles extractives (par ex., les minerais et le pétrole), l’aide publique étrangère au gouvernement et les exportations de matières premières agricoles» (Whitfield et Therkildsen, 2011, p. 25). Cette section visait à proposer une série de modèles théoriques qui peuvent contribuer à expliquer pourquoi différents pays adoptent des trajectoires et des politiques de développement particulières. Comme nous le verrons dans la section suivante, les facteurs extérieurs – qu’il s’agisse de cadres politiques comme les OMD ou des systèmes économiques et financiers mondiaux – jouent un rôle dans ces processus politiques nationaux. Leur impact peut être important. Une meilleure compréhension des interactions entre ces deux sphères – les moteurs mondiaux et régionaux, d’une part, et l’économie politique intérieure de l’autre – permettra d’apprécier la «marge de manœuvre» dans un contexte national particulier. DÉVELOPPEMENT Les quatre études de cas démontrent l’importance de la croissance et de la transformation économique pour la durabilité future. Généralement, le succès de la transformation économique s’explique par une combinaison d’institutions, d’acteurs et de facteurs, tels qu’un État central cohérent, une vision axée sur le développement, l’engagement des dirigeants et les liens entre l’État et les groupes qui composent la société. Cet aperçu sommaire ne peut évidemment pas prétendre à l’exhaustivité et ne traite pas de plusieurs autres dimensions importantes, souvent négligées ou moins visibles, qui favorisent les réformes et changent A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 39 CHAPITRE DEUX Encadré 2.7 Expliquer les différences politiques – Asie du Sud-Est et Afrique subsaharienne Le programme de recherche Tracking Development a étudié les facteurs qui contribuent à expliquer les divergences dans les trajectoires de développement en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne au cours des 50 dernières années. Le clientélisme omniprésent en Afrique subsaharienne ne peut expliquer, en soi, le manque relatif de progrès et de transformation économique, dès lors que la corruption et le clientélisme caractérisaient aussi les pays d’Asie du Sud-Est lors de leur essor économique. Au travers de comparaisons de pays par paires (le Kenya avec la Malaisie, le Nigéria avec l’Indonésie, la Tanzanie avec le Vietnam, et l’Ouganda avec le Cambodge) Tracking Development formule trois conditions politiques préalables à une croissance et une réduction de la pauvreté durables. La réunion de ces trois conditions permet d’atteindre un «tournant du développement»: a) une saine gestion macroéconomique; b) un niveau de vie meilleur dans le secteur rural combiné à une productivité agricole accrue et à la sécurité alimentaire; et c) la libéralisation économique et la création des conditions nécessaires à la liberté économique, en particulier pour les agriculteurs et les petits entrepreneurs. Si les quatre pays africains ont, dans l’ensemble, affiché de bons niveaux de croissance économique, il n’y a pas eu de véritable percée dans la productivité des petits exploitants agricoles. «En conséquence, l’impact de la croissance économique les processus, notamment la capacité d’action et de mobilisation, l’organisation des populations pauvres et les multiples formes d’actions menées par la société civile pour surmonter les difficultés de l’action collective et améliorer les relations entre gouvernance et responsabilité. En fait, le passage du domaine de l’analyse du contexte à celui de la praxis du développement représente aussi un changement d’attitude, en ce que les réformateurs et les acteurs extérieurs sont amenés à laisser derrière eux les modèles de «bonnes pratiques» pour s’adapter aux circonstances (Booth, 2011), en tirant parti des connaissances et des capacités de résolutions des problèmes adaptées à l’échelon local. 40 africaine sur la pauvreté reste faible, et son avenir incertain, face à la montée des inégalités, à la croissance limitée du marché intérieur et à l’insécurité alimentaire persistante. Il n’y a pas eu non plus en Afrique de signe de la transformation industrielle qui a suivi la révolution agricole en Asie du Sud-Est» (Developmental Regimes in Africa, 2012). Les motivations et les incitations étaient variables. Dans certains pays d’Asie du Sud-Est, les élites dirigeantes redoutaient une opposition radicale ou communiste, ou la menace d’un soulèvement rural massif. Pour garantir leur survie, les élites ont adopté une trajectoire de développement qui vise à garantir des avantages matériels directs au plus grand nombre possible. Cela a renforcé l’impact des politiques, sans qu’il soit nécessaire d’accorder beaucoup d’attention au respect des principes juridiques, des procédures administratives, ou des droits et des libertés politiques (van Donge et al., 2012). Ces fortes pressions – impossibles à reproduire et à bien des égards exceptionnelles – ont beaucoup incité les gouvernements à consolider leur légitimité en produisant des biens publics, plutôt que de courir les risques associés à de simples simulacres de réformes. Programme Tracking Development http://www.institutions-africa.org/ trackingdevelopment_archived/home.html 2.3. Les moteurs internationaux, les OMD et l’économie politique intérieure Certains facteurs dans l’économie mondiale et les relations internationales affectent la gouvernance, les institutions et les processus politiques au niveau national. Ces «moteurs internationaux», ou facteurs mondiaux et régionaux qui ont un impact sur l’économie politique intérieure, peuvent changer les structures du pouvoir et des incitations au sein desquelles opèrent les élites économiques et politiques. Le propos de cette section n’est pas de présenter tous les moteurs internationaux qui interagissent avec RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE l’économie politique intérieure et les incitations économiques et politiques possibles ou probables qu’ils engendrent. Il s’agit avant tout d’attirer l’attention sur l’importance de cette dimension dans la réflexion sur un programme de développement pour l’après-2015, car l’intérêt des débats dépendra non seulement du contenu d’un nouveau programme, mais aussi des processus au moyen desquels de nombreux intervenants, anciens, émergents ou nouveaux, peuvent chercher à codéterminer la nature des résultats. L’analyse des effets des facteurs internationaux sur les processus économiques et politiques intérieurs comporte des aspects très complexes, dans la mesure où bon nombre de ces facteurs peuvent agir simultanément. Leur importance relative varie et il peut s’avérer particulièrement difficile d’attribuer des résultats observés à certains moteurs en particulier. Ces influences s’exercent sur de longues périodes et les processus ne sont généralement pas linéaires, avec à la fois des effets immédiats et des répercussions à différents niveaux. L’OCDE a mis au point une méthodologie analytique qui distingue sept catégories de moteurs internationaux, en retraçant certains de leurs effets probables sur les rapports de force et sur les processus politiques de contestation et négociation entre les groupes d’intérêts au niveau national (OCDE, 2011). Les sept catégories les plus pertinentes sont: a) les sources de rentes (qui englobent l’aide); b) les opportunités et les contraintes liées à la dissimulation et au transfert d’actifs illicites; c) les investissements étrangers; d) les menaces pour la sécurité mondiale et régionale et les réactions; e) les mesures juridiques et les sanctions internationales contre les élites nationales; f) les pressions sur les élites politiques, en termes de réputation, de la part des acteurs régionaux et internationaux; et g) les idées et compétences externes, y compris les effets des diasporas. Ces catégories sont potentiellement susceptibles d’orienter les efforts dans des directions qui aboutissent à des résultats positifs en termes de développement. On peut citer par exemple la pression des consommateurs et des médias dans les pays développés qui favorise les marchandises certifiées et produites dans le respect de la légalité ou qui menace la réputation de certains profiteurs. Les organisations de la société civile et les ONG peuvent mobiliser l’opinion et créer des pressions qui incitent les autorités à améliorer leur gouvernance économique et politique. Mais ces moteurs internationaux peuvent aussi renforcer la mauvaise gouvernance et même engendrer ou prolonger une fragilité (voir aussi l’encadré 2.8). Les sources de rentes constituent une catégorie qui illustre bien ce problème. Les sources de rentes et de recettes publiques ont été fortement altérées du fait de la nature changeante de l’économie mondiale (Moore et al., 2009; Moore 2011). La mondialisation récente a augmenté la proportion de recettes publiques non fiscales et a aussi renforcé les revenus (illégaux) des élites politiques, par rapport aux recettes publiques (légales). L’accroissement substantiel de la demande pour les (rares) ressources naturelles a créé des opportunités sans précédent pour les élites politiques intéressées par les rentes qu’elles peuvent tirer de leurs exportations. Les pouvoirs publics peuvent ainsi être moins enclins à chercher des revenus plus fiables en négociant avec des groupes d’acteurs de la société qui réclament des investissements dans la recherche et l’innovation ou, plus généralement, des institutions publiques responsables et efficaces. Combinées aux opportunités qu’ont les élites de dissimuler, blanchir et transférer des actifs financiers (la deuxième catégorie de moteurs), ces rentes provenant des ressources naturelles peuvent devenir un véritable fléau, car elles sont susceptibles d’alimenter des conflits violents, des guerres civiles et une fragilité prolongée (OCDE, 2011; OCDE, 2012; Centre for the Future State, 2010). DÉVELOPPEMENT La mondialisation récente a augmenté la proportion de recettes publiques non fiscales et a aussi renforcé les revenus (illégaux) des élites politiques, par rapport aux recettes publiques (légales). L’accroissement substantiel de la demande pour les (rares) ressources naturelles a créé des opportunités sans précédent pour les élites politiques intéressées par les rentes qu’elles peuvent tirer de leurs exportations. 2.4. Les enseignements à tirer de la situation au niveau national Ce chapitre a proposé une triple «confrontation à la réalité» depuis la perspective des pays concernés. La première consistait à apprécier dans quelle mesure les OMD ont été utiles au Népal, à la Côte d’Ivoire, au Rwanda et au Pérou pour atteindre leurs cibles et progresser dans la réalisation de leurs objectifs. Si 18 Les OMD devraient être considérés comme un instrument mondial, plutôt que comme un moteur mondial, à côté d’autres instruments et mesures réglementaires déployés à l’échelle mondiale et régionale comme l’Initiative pour la transparence des industries extractives, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, l’initiative sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux, la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption, etc. L’outil mis au point par l’OCDE évalue la pertinence de ces instruments mondiaux et régionaux en termes d’effets probables sur les sept moteurs internationaux. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 41 CHAPITRE DEUX Encadré 2.8 Rentes, paradis fiscaux et fragilité Ce chapitre a proposé une triple «confrontation à la réalité» depuis la perspective des pays concernés. La première consistait à apprécier dans quelle mesure les OMD ont été utiles. La perspective d’économie politique constitue la deuxième confrontation. La troisième confrontation à la réalité se rapporte à la compréhension de la qualité et des conséquences des relations entre les moteurs et instruments mondiaux, l’économie politique intérieure et les résultats en termes de développement. 42 Comme l’a observé Moore (2011), la récente phase de mondialisation a débouché sur «des augmentations des recettes publiques non fiscales par rapport aux recettes fiscales et des recettes de l’élite politique par rapport aux recettes publiques». Ce renforcement des rentes par la mondialisation peut expliquer en partie le «phénomène contemporain des États faibles, fragiles ou défaillants. Dans les régimes où les recettes de l’élite politique sont relativement abondantes, le pouvoir est entre les mains d’individus que rien n’incite à renforcer l’État: construire ou consolider des institutions qui pourraient mobiliser de nombreux citoyens et les amener à participer à la vie politique (partis politiques), encourager le dialogue politique entre différents groupes d’intérêt (pouvoir législatif), percevoir des recettes à des fins publiques (administration fiscale), prendre des décisions politiques bien informées et les appliquer de façon cohérente (fonction publique), protéger les citoyens contre la criminalité et l’usage illégitime de la force (police, justice, système carcéral) ou mettre en place les moyens techniques nécessaires pour que le gouvernement ait à rendre compte de l’utilisation de l’argent public (cours des comptes). La mondialisation qui a marqué la fin du vingtième siècle a non seulement conduit certains États les quatre pays ont envoyé le signal d’un engagement à l’égard des OMD et de leur réalisation, la mise en pratique a varié entre un niveau plutôt bas et une haute intensité. Les principaux déterminants du degré et de l’orientation de la mise en œuvre se situent dans l’économie politique intérieure, c.-à-d. dans l’interaction entre les aspects structurels, les institutions formelles et informelles, et les acteurs ou les facteurs qui interviennent au quotidien dans les processus politiques. La perspective d’économie politique constitue la deuxième confrontation. Les quatre pays en développement se sont aussi intégrés davantage dans l’économie mondiale par des liens qui relèvent, entre autres, du commerce, de l’aide au développement, de la mobilité internationale de la main-d’œuvre et de l’intégration financière. La troisième confrontation à la réalité se rapporte à la compréhension de la qualité et des conséquences des relations entre les moteurs et instruments mondiaux périphériques à tirer leurs sources de financement non plus des recettes fiscales générales, mais de ce que Schumpeter aurait pu appeler des recettes domaniales, mais elle a aussi créé, pour les élites politiques, de nombreuses opportunités et tentations de récolter des revenus illicites – en pratiquant ou en facilitant la production et le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent sale, l’évasion fiscale, la corruption dans l’attribution de marchés publics, ou même simplement en allégeant les formalités administratives pour les bailleurs de fonds et leurs projets en échange de missions de consultance lucratives. Du fait de la mondialisation, ces sources de revenus sont plus abondantes. La libéralisation des finances internationales, notamment sous la forme des paradis fiscaux, a permis de dissimuler plus facilement et à moindre coût les revenus illicites et a donc renforcé les incitations à en gagner» (Moore, 2011, p. 12). (comme les OMD), l’économie politique intérieure et les résultats en termes de développement. Dans la réf lexion sur un nouveau cadre pour l’après-2015, ces trois confrontations à la réalité peuvent nous aider à repenser son contenu et le processus qui aboutit à un tel accord à l’échelle mondiale. Les défis du développement vont probablement devenir plus complexes, le paysage de l’aide va encore changer, avec de «nouveaux venus» qui gagnent en puissance ou en influence et qui ont aussi leur rôle à jouer, tandis que d’autres opportunités se feront jour puisque «nous sommes maintenant bien mieux placés pour comprendre ces processus et éviter les angles morts qui nous ont gênés dans le passé» (Rodrik et Rosenzweig, 2009, p. 5). Il subsiste néanmoins certaines zones d’ombre. Un aspect dont ce chapitre n’a pas traité, par exemple, tient RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE à l’économie politique des partenaires internationaux: leurs capacités en tant que bailleurs de fonds19, en tant que partenaires commerciaux et économiques, les obstacles auxquels ils sont confrontés et les incitations qui influencent leurs choix politiques et leurs actions dans différents contextes régionaux et internationaux, et qui déterminent leurs préférences dans l’application des principes convenus et des engagements pris, comme le soutien à la cohérence des politiques pour le développement. Une telle analyse permettrait de mieux discerner les marges de manœuvre des partenaires internationaux dans le respect de leurs engagements, ce qui pourrait contribuer à éclairer le processus de mise en place des partenariats et à en définir les priorités dans la formulation d’un éventuel programme de développement pour l’après-2015, de sa substance et de son architecture institutionnelle. Sans perdre de vue les défis qui restent à relever, il est possible de tirer de ce chapitre et des études de cas nationales plusieurs enseignements préliminaires intéressants dans la perspective d’un programme pour l’après-2015 et de son processus d’élaboration: • La diversité est le maître-mot. Trois des quatre études de cas confirment que l’instrument des OMD a contribué d’une manière ou d’une autre à améliorer la conception des politiques, à mobiliser des ressources extérieures, à faciliter le dialogue et peut avoir eu une inf luence sur les choix politiques et leur mise en œuvre dans certains domaines relevant des OMD. Mais les études de cas nationales confirment aussi l’importance centrale des processus politiques et économiques intérieurs dans le choix des modes d’action ou d’inaction, ainsi que le rôle déterminant des élites dirigeantes ou des coalitions au pouvoir. • La «volonté politique» affirmée qui sous-tend les objectifs de développement et la «capacité de l’État» au niveau national ne peuvent être tenues pour acquises. L’«orthodoxie des bonnes pratiques» inhérentes à la plupart des modèles de développement de l’OCDE peut donner une idée de ce qui est souhaitable, mais il faut tenir compte des réalités et des limites de ce qui est applicable. • Les efforts – notamment ceux de certains bailleurs de fonds – visant à appréhender le contexte sous des angles divers (dont celui de l’économie politique) peuvent être utiles. Il est indispensable d ’exploiter systématiquement la nouvelle génération d’outils de diagnostic plus fins, par exemple en matière d’analyses des conflits et de l’économie politique, pour mieux comprendre: a) comment les institutions politiques et économiques fonctionnent et interagissent dans les pays en développement; b) comment recourir à des instruments externes en vue de créer une adéquation avec les efforts de réforme ou de consolidation de la paix; c) comment les effets des moteurs internationaux sur l’économie politique intérieure peuvent contribuer à éclairer des stratégies de développement ou d’autres réponses qui tiennent compte des conflits et du contexte; et d) comment interviennent les dimensions des incitations et de l’économie politique chez les partenaires internationaux, ce qui peut aider à tirer parti d’un potentiel inexploité pour élaborer des stratégies participatives adaptées qui combinent des points d’entrée ciblés avec des partenariats multilatéraux crédibles et efficaces au niveau mondial, régional et national. DÉVELOPPEMENT Les études de cas nationales confirment aussi l’importance centrale des processus politiques et économiques intérieurs dans le choix des modes d’action ou d’inaction. • Une caractéristique frappante dans les quatre études de cas a trait au rôle joué par les conflits violents dans l’histoire récente de ces pays. Dans chaque cas, les circonstances politiques ont été façonnées par les différentes stratégies que les élites ont adoptées pour réprimer ou employer la violence, et qui ont influencé – et continuent d’influencer à des degrés divers – la stabilité ou la fragilité. Selon les estimations, la moitié de la population pauvre du monde vit ou vivra dans des États fragiles (OCDE, 2012). Une compréhension approfondie des effets et des incitations que les moteurs internationaux créent en termes de mauvaise gouvernance, de recherche de rentes par les élites économiques et dirigeantes, etc., peut aider les partenaires de développement extérieurs, comme l’UE, à donner la priorité aux domaines où leur action a le plus d’impact. 19 Les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux façons dont les politiques et les institutions des gouvernements donateurs et des agences d’aide au développement affectent la fourniture de l’aide (par ex., Martens et al., 2002; Gibson et al., 2005; Knack et Rahman, 2007; Faust, 2011). Ces travaux portant sur les règles du jeu formelles et informelles des bailleurs de fonds, sur les incitations engendrées par leurs interactions et sur leur influence en termes de choix politiques et de préférences des principaux acteurs jettent un éclairage sur les incohérences des politiques et sur les difficultés de mise en œuvre au niveau national, régional et mondial. La compréhension de la logique qui motive la prise des décisions et des défis à relever dans leur application pourrait contribuer à l’adoption de stratégies plus efficaces à l’avenir. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 43 CHAPITRE DEUX Même si un cadre pour l’après-2015 peut faciliter la formation des partenariats en faveur du développement national, il ne peut déterminer comment ces partenariats seront utilisés dans chaque cas. • Avec la multiplication des canaux de l’aide et l’augmentation des frais de transaction pour les pays bénéficiaires, les bailleurs de fonds doivent coopérer avec leurs principaux partenaires pour transposer et traduire les principes d’efficacité de l’aide approuvés à l’échelle internationale en fonction des besoins et du potentiel du pays concerné. • C’est là l’aspect le plus urgent, dans la mesure où les pays en développement devront renforcer – notamment en termes de responsabilité – les capacités institutionnelles dans lesquelles viendront s’ancrer des sources de financement innovantes pour relever les nouveaux défis mondiaux (changement climatique, etc.). En ce qui concerne plus spécifiquement l’UE, ses caractéristiques uniques et les relations qu’elle a nouées avec de multiples intervenants à divers niveaux de gouvernance (du mondial au local) et dans divers domaines politiques en font un partenaire de premier plan. Outre les éléments mentionnés ci-dessus, l’UE est bien placée pour: • encourager, faciliter et guider la coordination et l’harmonisation des actions des bailleurs de fonds au niveau national, en collaboration avec les pays partenaires; • contribuer, surtout dans les environnements fragiles, à la formulation de réponses des bailleurs de fond qui tiennent compte des situations de conf lit et qui combinent l’APD avec d’autres domaines d’intervention comme le commerce, les sanctions ciblées à l’encontre des représentants des élites, la saisie d’actifs, la lutte contre l’évasion fiscale au niveau mondial et régional, etc.; • promouvoir, auprès des acteurs externes, une meilleure gestion des connaissances concernant les situations spécifiques au pays concerné, en faisant usage d’outils de diagnostic perfectionnés, en intégrant les idées et les enseignements tirés, et en formulant des approches plus spécifiques pour accroître l’efficacité de l’aide; • jouer un rôle déterminant au niveau international pour encourager une action collective en faveur des biens publics mondiaux. Compte tenu de la multiplication et de la fragmentation des sources de financement (du développement) – mais aussi des rentes –, il est probable que le renforcement de 44 la transparence et l’amélioration de la gouvernance financière mondiale s’imposeront comme les deux domaines prioritaires pour l’action de l’UE. Cependant, ce chapitre a surtout démontré l’importance vitale de disposer d’un cadre pour l’après-2015 qui soit suffisamment f lexible pour s’adapter à l’immense diversité des situations et des trajectoires de développement dont il devra tenir compte pour se révéler un outil d’orientation utile pour les différents partenaires du développement. Les études de cas ont montré qu’un cadre international comme celui des OMD peut aider à plusieurs égards aussi bien les acteurs des pays en développement que les partenaires internationaux. Mais en définitive, la question de savoir qui relèvera les défis du développement et comment dépend de l’économie politique intérieure et de l’interaction des acteurs et des facteurs nationaux avec ceux qui interviennent au niveau régional et mondial. C’est pourquoi, même si un cadre pour l’après-2015 peut faciliter la formation des partenariats mondiaux et autres en faveur du développement national, il ne peut déterminer comment ces partenariats seront utilisés dans chaque cas. Au niveau national, le cadre s’intégrera dans l’économie politique intérieure comme l’un des instruments dont peuvent se servir les acteurs locaux pour progresser dans la réalisation de leurs objectifs et comme une plateforme de négociation avec les acteurs externes. La volonté politique, la bonne gouvernance et les capacités adéquates au niveau national sont, de toute évidence, des éléments essentiels qui ne peuvent être tenus pour acquis. Pourtant, comme l’a aussi montré ce chapitre, les acteurs externes, les régimes internationaux, les flux des ressources financières, le commerce et la migration de la main-d’œuvre ont des impacts considérables sur les processus locaux et peuvent être mis à profit, de diverses façons, par les acteurs locaux. L’élaboration d’un cadre pour l’après-2015 ne devrait donc pas être axée sur la seule coopération au développement, en tant que vecteur de l’aide aux processus de développement intérieur, mais devrait aussi inclure ces autres facteurs. C’est pourquoi, sans exagérer l’impact d’un cadre mondial sur l’économie politique intérieure, son importance est souvent bien réelle, et la mise en place d’un environnement international propice est donc une tâche essentielle à laquelle il faudra s’atteler dans un cadre pour l’après-2015. Ce n’en est que plus vrai dans les situations fragiles, où le rôle des acteurs et RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT 2013 RAPPORT EUROPÉEN SUR LE DÉVELOPPEMENT Encadré 2.9 Fragilité – exemples de réponses de l’UE dans les pays couverts par les études de cas Au moins trois pays – la Côte d’Ivoire, le Népal et le Rwanda – peuvent encore être qualifiés de «fragiles», bien que seul le premier ait fait la démarche de rejoindre le g7+, un groupe de 17 pays en développement que se décrivent eux-mêmes comme «fragiles»20. Les réponses de l’UE aux situations de conflits violents et de fragilité ont initialement été réactives plutôt que proactives. Les changements de stratégies en Côte d’Ivoire, au Népal et au Rwanda donnent à penser qu’ils ont été décidés en réaction aux événements dramatiques survenus dans ces pays: le refus du président Gbagbo d’accepter sa défaite électorale (au risque de provoquer une guerre civile), le génocide qui s’est soldé par la victoire du FPR au Rwanda, et le régime monarchique de plus en plus répressif au Népal au début des années 2000. La réponse des bailleurs de fonds à la situation du Népal illustre l’utilité d’un diagnostic fiable et indépendant qui se concentre non pas tant sur l’aspect formel des institutions politiques et économiques, mais sur leur mode de fonctionnement. Une étude parrainée par le DFID a analysé comment les facteurs externes tels que l’aide ont contribué à la dynamique du conflit et au développement. Putzel et des facteurs externes peut se révéler crucial pour contrecarrer certaines des filières qui permettent aux élites de perpétuer des régimes politiques (souvent violents) et pour créer des conditions favorables dans lesquelles les acteurs locaux ont les moyens d’agir efficacement et de faire progresser le développement. En résumé, si les acteurs nationaux ont besoin d’une marge de manœuvre suffisante pour formuler leurs propres priorités et leurs propres parcours de développement, l’usage qu’ils font de cette latitude Di John (2012) insistent sur l’importance des acteurs externes pour identifier et soutenir les groupes sociaux indépendants des élites qui sont en mesure de proposer des réformes inclusives et de s’engager dans la lutte politique pour les mener à bien. Le Népal et la Côte d’Ivoire illustrent aussi le potentiel de l’UE en termes de contribution aux efforts de consolidation de la paix dans les environnements fragiles ou en situation de conflit, grâce à une combinaison judicieuse d’instruments politiques. En fait, les deux pays offrent de bons exemples des moyens dont disposent les bailleurs de fonds pour encourager des solutions politiques plus inclusives. Dans le cas du Népal, cela s’est fait en permettant l’inclusion et la légitimation de groupes précédemment exclus du processus de paix. En Côte d’Ivoire, ce sont les sanctions financières, combinées aux mesures adoptées par d’autres acteurs régionaux comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ont réduit l’emprise du président Gbagbo et ont contrecarré son intention de résoudre le conflit par des moyens militaires. Si les acteurs nationaux ont besoin d’une marge de manœuvre suffisante pour formuler leurs propres priorités et leurs propres parcours de développement, l’usage qu’ils font de cette latitude est soumis à des contraintes exercées par les acteurs et les facteurs qui interviennent tant au niveau local qu’à l’échelle internationale. Source: Rapports des études de cas est soumis à des contraintes très diverses exercées par les acteurs et les facteurs qui interviennent tant au niveau local qu’à l’échelle internationale. Le cadre pour l’après-2015 doit donc être suffisamment flexible pour respecter cette diversité nationale et cette marge d’action et doit avoir, en même temps, l’envergure nécessaire pour couvrir un large spectre de moteurs externes, tout en restant spécifique dans chaque cas, de façon à guider efficacement l’action internationale dans son soutien aux efforts locaux en faveur d’un développement inclusif et durable. 20 Les membres du g7+ se sont regroupés autour de demandes de réponses appropriées, qui tiennent compte des situations de conflits, de la part de la communauté internationale, et ont activement plaidé en faveur d’une «Nouvelle donne» au FHN de Busan en novembre 2011. A P R È S 2 0 1 5 : U N E A C T I O N M O N D I A L E P O U R U N AV E N I R I N C L U S I F E T D U R A B L E 45