Selon la politique de l'AMC, « Les interactions professionnelles entre les médecins et l'industrie doivent viser avant
tout l'amélioration de la santé des Canadiens », et non les intérêts privés des médecins ou de l'industrie1. En
réalité, toutefois, il n'en va pas toujours ainsi. En effet, comme les médecins et l'industrie peuvent tous deux
profiter, directement ou indirectement, de cette relation et que ces gains peuvent influencer la relation médecin-
patient, le risque de conflit d'intérêts est extrêmement élevé.
Les médecins ont pour obligation première d'offrir les meilleurs soins possible à chacun de leurs patients.
Cependant, les médecins ont aussi naturellement des intérêts secondaires, dont ceux de gagner leur vie, de
progresser sur le plan professionnel et de poursuivre leurs intérêts dans le domaine de la recherche et de la
formation. Ces intérêts secondaires sont parfaitement acceptables à la condition qu'ils ne nuisent pas à la primauté
de la relation patient-médecin, sans quoi il y a conflit d'intérêts. Or pour qu'un tel conflit pose problème sur le plan
éthique, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il a une incidence sur le comportement du médecin3-5 : le seul fait
qu'une incidence soit possible constitue en soi un problème d'ordre éthique.
Il est bien connu que les sociétés privées cherchent à faire des gains et, dans la plupart des cas, elles y
parviennent en vendant directement leurs produits aux consommateurs. Dans le cas toutefois des médicaments et
autres instruments médicaux, le patient doit obtenir une ordonnance du médecin. Le marketing de ces produits (et
les millions de dollars qui y sont alloués chaque année) ciblent donc les médecins. Ce marketing peut prendre
diverses formes (publicité, distribution d'échantillons, parrainage de programmes d'éducation médicale continue
[EMC], distribution de matériel didactique et de cadeaux, tenue de conférences, etc.) mais, quelle qu'en soit la
forme, tous ces outils ont pour but d'influencer directement les médecins afin qu'ils prescrivent les produits d'une
société particulière à leurs patients.
Malgré un récent resserrement de certaines lignes directrices qui s'appliquent, ce marketing continue d'avoir cours.
Et contrairement à ce que pensent les médecins qui disent ne pas être influencés, une abondance de preuves
scientifiques montre qu'ils sont influencés. Fait intéressant, la majorité des médecins disent ne pas être influencés
par les largesses de l'industrie, mais estiment en revanche que leurs collègues le sont.
Manifestement, il y a des avantages à encourager une réglementation adéquate des interactions entre les
médecins et l'industrie. En effet, l'État réduit sans cesse le financement public alloué à la recherche et à l'éducation
médicale continue, et les sociétés privées cherchent à combler le manque à gagner, en offrant toutefois des
programmes de recherche et d'enseignement qui ont tendance à être fortement axés sur leurs produits.
Récemment, des associations médicales provinciales ont tenté de régler la question de l'éducation médicale
continue en négociant avec l'État l'octroi de subventions pour permettre aux médecins d'assister à des
conférences. Cependant, il faut également reconnaître que la plupart des découvertes pharmaceutiques des
dernières décennies auraient été impossibles sans la participation financière de l'industrie privée et sans la
participation des médecins à la recherche et au développement de ces produits.
Jusqu'à maintenant, les efforts de réglementation ont été au mieux mitigés. En effet, on laisse essentiellement aux
médecins le soin de déterminer ce qu'est une relation appropriée et ce qui constitue un conflit flagrant. Est il
raisonnable d'accepter un stylo? Dans l'affirmative, pourquoi alors ne pourrait-on pas accepter une piscine ou une
annexe à la maison, deux exemples de cadeaux déjà consentis par des sociétés pharmaceutiques à des médecins.
Où se situe le seuil qui sépare l'acceptable de l'inacceptable? Certains sont d'avis qu'il appartient à chaque médecin
de trancher. Pour d'autres, tous les cadeaux ou incitatifs sont acceptables, car les médecins ne peuvent être
corrompus. D'autres croient au contraire qu'aucun cadeau n'est acceptable, quelle qu'en soit la valeur. Ce dernier
courant de pensée est corroboré par la documentation scientifique sociale et médicale sur les cadeaux et la
réciprocité, qui montre que les personnes qui reçoivent des cadeaux sont plus enclines à avoir une attitude positive
à l'égard de leur donateur et à vouloir, consciemment ou inconsciemment, donner en retour.
Katz et coll. et d'autres auteurs ont examiné l'influence des cadeaux sur le comportement des médecins en matière
d'ordonnances3-5 et ils ont notamment constaté que, quelle que soit la valeur du cadeau reçu, la recherche montre
que le don de cadeaux peut influencer les comportements. De plus, l'échange de cadeaux tend à créer des liens
d'obligation et de réciprocité, propres à la nature humaine.
Les lignes directrices de l'AMC visent à informer et à guider les médecins dans leurs interactions avec les
représentants de l'industrie. Selon ces lignes directrices, l'octroi de subventions pour participer à des événements
d'EMC ne serait pas jugé acceptable, à moins que le médecin ne fasse partie de la faculté organisant l'événement.
Quant à la rémunération offerte dans le cadre de recherches subventionnées par l'industrie, elle ne devrait pas
dépasser le montant que le médecin facturerait normalement pour des services cliniques de même durée, cela afin
de réduire la possibilité que des patients soient inscrits à l'étude même si cela n'est pas dans leur intérêt supérieur
ou que les patients de l'étude soient classés par ordre de priorité.