Offrir du théâtre… « Madame, vos amis ils vont au théâtre ? » Oui, ils y vont, mais pourquoi les vôtres n'iraient-ils pas aussi ? Chaque jour, les mots parlent du fossé qui nous sépare. Chaque jour, la violence diffuse de l'incompréhension. Et puis à la radio, à la télévision, on le sait, leurs mots hachés, biffés, caricaturés. Leurs expressions réduites à des borborygmes incompréhensibles. Et pourtant, la « diversité » est à la mode, l'égalité des chances, la discrimination positive, formules récurrentes. La Seine Saint-Denis, notamment, est une vitrine de l'initiative généreuse, un endroit branché dans les dîners en ville... Un label ? Les élèves le savent, et jouent de cette identité paradoxale : ils revendiquent le « ghetto », tout en le désignant comme tel. Ils stigmatisent le reste de la société, tout en rêvant d'y entrer. Que reçoivent-ils en face ? Au mieux, de bons sentiments. Des formules politiques, des volontés naïves. Tout cela est bien connu... Au sein de ce partenariat, savent-ils seulement qu'un homme s'intéresse à eux ? Qu'il souhaite faire du « mécénat social » ? Ils en seraient sans doute flattés... mais justement, l'homme en question a choisi le filtre d'une institution culturelle, pour mener sa démarche de solidarité. Ils ne connaissent pas les rouages de la Fondation, les intentions qu'elle recèle, mais ils en ont pleinement conscience. Ils le sentent très bien... Ici, on ne leur propose pas un atelier d'écriture de rap, ni une pièce sur la banlieue, ni une rencontre avec un footballeur. On les invite à aller vers la démarche artistique, parce qu'ils le peuvent, parce qu'ils y trouveront une partie de ce qu'ils cherchent. Que cette expérience recouvre des réalités sociales, géographiques, politiques, cela restera implicite... Et d'autant plus efficace. Que cette rencontre soit une victoire, une ébauche pour retisser le lien social si largement distendu, qu'elle crée des possibles, c'est une évidence... mais personne n'a l'intention de le crier haut et fort, il faut rester discret, modeste, s'éloigner de la prétention à changer le monde, rêve d'un autre âge. L'initiative de la Fondation opte pour la preuve par l'exemple : tant de lignes à faire bouger, tant d'échanges à inventer, que cette première année amorce. Le jour de la représentation de Mes Gaillards au Théâtre du Rond-Point, le 23 avril, les élèves étaient en costume, leur proviseur en costume, le Président de la Fondation en costume, le directeur du Théâtre en costume, l’auteur de la pièce en costume, les parents d'élèves en costume, les comédiens en costume... Chacun avait son habit et son rôle à jouer. A croire que le théâtre, rituel politique et exutoire de la société antique, n'est pas mort... Sur les Champs-Elysées, dans une communion silencieuse, culture et diversité redevenaient enfin synonymes!