Tel gène, tel fils

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N° 1- 1994
Tel gène, tel fils ?
ADN, sigle magique qui, depuis sa découverte en 1953, a franchi allègrement les limites
du monde scientifique où il semblait devoir rester confiné, pour gagner le domaine public.
Serait-il le révélateur de nos identités, le programmateur de nos comportements, en un
mot, la clé de nos existences ?
D'immenses espoirs gisent au creux du génome, dont les savants nous révèlent la carte
avec une ahurissante rapidité. Espoirs de connaissance, de prévision, de guérison surtout.
Daniel Cohen, généticien de pointe, ne parle-t-il pas de lendemains meilleurs, de
recherches immédiatement utiles qui permettraient de vaincre certaines maladies et
d'éviter des souffrances ? Peut-être. Mais il faudra d'ici l à accumuler bien des découvertes
et résoudre des problèmes dont l'opacité reste encore intacte.
Il est vrai que les progrès accomplis dans ce domaine sont stup éfiants. En France, le
succès rencontré par le Téléthon, op ération médiatique organis ée autour de la myopathie,
une maladie génétique, a permis de collecter des fonds considérables et de créer un
laboratoire , le Généthon.
Avec le Centre d'Étude du Polymorphisme Humain (CEPH), il constitue l'un des
organismes pionniers au monde en matière de recherche et de décryptage génétique.
L'instauration de la carte du génome, actuellement presque terminée, permettra de
localiser sur les chromosomes (génotype) un grand nombre des caractères manifestes de
l'individu (phénotype). Une intervention sur les gènes serait alors envisageable, ouvrant
d'immenses espoirs de thérapie. Pour le plus grand bien des porteurs de maladies
génétiques, comme la mucoviscidose.
Mais l'alcoolisme fait-il partie des maladies génétiques ?
Alcoolisme, maladie génétique ?
Affirmer qu'il existe un gène de l'alcoolisme constitue aujourd'hui une erreur grossière.
Tout au plus peut-on supposer l'existence de caractéristiques fréquemment observées
chez les malades alcooliques et dont la manifestation chez tel ou tel individu pourrait
s'accompagner d'une tendance à l'alcoolisme. Ce n'est pas la même chose.
Jusqu'à présent, les recherches avaient porté sur des individus apparentés dont on avait
tenté de préciser la vulnérabilité par rapport à une population témoin. Ces observations
semblaient conclure pour la plupart à une transmission familiale du risque.
Ainsi les travaux de Cloninger, souvent cités, ont montré que le risque de devenir
alcoolique est trois à quatre fois plus élevé chez les enfants de parents biologiques
alcooliques, qu'ils soient élevés ou non par des parents adoptifs intoxiqués. La tentation
était forte d'extrapoler à une transmission héréditaire.
Aujourd'hui les chercheurs ont tendance à délaisser l'étude des individus dans leur
environnement au profit de l'analyse des marqueurs biologiques, attachés à la maladie
alcoolique : la tolérance à l'éthanol, les variations génétiques de la libération et de la
recapture des neurotransmetteurs, la réactivité des membranes cellulaires à la molécule
alcool, sont autant d'exemples de ces paramètres associés.
Ces caractéristiques souvent retrouv ées chez les membres d'une lignée familiale
rendraient compte des différences individuelles : on est plus ou moins vulnérable à
l'alcool, plus ou moins réceptif à l'euphorie qu'il engendre, plus ou moins lent à l'éliminer.
Mais ces caractères, même accumulés, suffisent-ils à expliquer l'apparition d'une alcoolo
dépendance ? Rien n'est moins sûr aujourd'hui, les marqueurs connus de l'alcoolisme
n'étant d'ailleurs pas très bien identifiés. Aucune étude, menée sur deux ou trois
générations d'une même famille, n'a encore apporté la preuve formelle que ses membres
alcooliques et eux seuls portaient tel ou tel allèle.
Tous les biologistes s'accordent à le reconnaître : un g ène seul ne peut rien. C'est
l'interaction des gènes entre eux qui détermine nos caractères. En ce qui concerne les
conduites complexes comme l'alcoolisme, il faut ajouter qu'elles sont autant le fruit
l'environnement, des normes sociales, de la psychologie... que des acides nucléotidiques.
Les uns ne peuvent être envisagés sans les autres. La carte du génome la plus affinée ne
pourra jamais " expliquer " un comportement dans lequel entrent des paramètres aussi
différents que le métabolisme, l'appétence, mais aussi les pressions de l'entourage, la
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publicité, les croyances attribuées à l'alcool, la d épression, le chômage...
Chronique d'un risque annonc é
A supposer que dans les prochaines années on puisse resserrer le faisceau des
présomptions tournant autour de la maladie alcoolique, faudrait -il alors en alerter les
personnes concernées, comme on le fait dès à présent pour les sujets atteints de la
chorée d'Huntington (l'une des plus graves maladies dégénératives) ? Encore faut -il
préciser que cette information n'est délivrée qu'aux personnes qui se sont pr éalablement
déclarées volontaires.
On peut très bien imaginer aussi que la révélation d'une tendance alcoolique potentielle
prendrait, chez une personne fragile mal pr éparée, les couleurs de la fatalité.
L'avertissement risquerait d'être plus d éstabilisant, voire dangereux, que pr éventif.
Nous nous appuierons pour finir sur la réflexion menée par Isabelle Vacarie dans son
article sur " Examens génétiques et médecine prédictive " (Revue de droit sanitaire et
social, n° 3, 1993). Pour l'auteur, la prédiction à partir du génotype individuel ne serait
légitimé qu'à la condition d'être nécessaire et non excessive. Nécessaire, c'est-à-dire que
le dépistage soit pertinent au regard de l'objectif de prévention, mais aussi que la
prévention ne puisse être mise en place sans cet examen : un sujet sensible à tel
composant chimique évitera naturellement ce composant : point n'est besoin d'un
dépistage sophistiqué. Non excessive : l'examen scientifique n'est légitime que s'il existe
un rapport de proportionnalité entre l'atteinte à la vie priv ée qu'il induit et l'int érêt sanitaire
qu'il pr ésente.
Vis -à-vis du probl ème qui nous préoccupe, on voit bien que la détection de l'alcoolisme ne
répondrait à aucun de ces critères : un individu sensible à l'alcool connaît en principe sa
vulnérabilité. S'il persiste à boire, c'est probablement du fait d'un enchaînement de raisons
complexes et personnelles. Un simple résultat de laboratoire aurait-il plus de chances de
réussir là où tous les avertissements ou mises en garde ont échoué ? Il est vrai, dira-t-on,
que certains individus n'ont pas conscience de leur vulnérabilité individuelle et que c'est
même en raison de leur résistance exceptionnelle à l'alcool qu'ils persistent à boire. Selon
toute probabilité, la délivrance d'un test ne changerait rien à leur comportement. Mieux
vaut renforcer les dispositifs actuels de pr évention primaire pour toucher un nombre
toujours plus grand de personnes, avec une fréquence accrue.
Quant au critère de non excessivité, on voit bien que même à l'intérieur des familles dites
alcooliques, les probabilités d'apparition de la maladie restent extrêmement floues. Selon
les études elles varieraient de 5 à 50 %. Par ailleurs tous les malades alcooliques n'ayant
pas un parent alcoolique, c'est la population entière qu'il faudrait tester: raisonnement par
l'absurde !
Nous sommes tout à fait conscients que les raisonnements tenus à l'heure actuelle
peuvent être bousculés à tout instant par une découverte révolutionnaire en biologie. Mais
nous savons aussi que les révolutions n'éclatent pas tous les jours et que le chemin
séparant le diagnostic de la mise en oeuvre d'une prévention efficace est
malheureusement souvent très long.
N° 1 - 1994
Génétique et alcoolisme
DUMONT-DAMIEN (Évelyne), DUYME (Michel).- Génétique et alcoolisme. Paris,
INSERM, 1993. 312 p.
L'alcoolisme est-il héréditaire ? En dépit du titre de l'ouvrage, " Génétique et alcoolisme ",
ceux qui attendraient une réponse définitive et tranchée seront déçus. Car dans un
domaine aussi complexe que celui qui nous occupe, il ne peut être question d'un
déterminisme simple.
L'auteur a recensé plus de 300 études parues dans le monde depuis cinquante ans et
susceptibles d'apporter un éclairage à cette difficile question. Elle les a groupées par
catégories (mode d'approche, type de population étudiée...) et en a consigné les
principaux résultats, dont elle critique le cas échéant les insuffisances et les limites.
Il s'agit donc essentiellement d'un ouvrage de repérage dans le magasin des études
existantes, nombreuses mais, pour des raisons tenant le plus souvent à la méthodologie,
rarement cohérentes entre elles et encore moins généralisables. Il suffit de penser que la
définition de l'alcoolisme prête déjà à divergence, certains auteurs ayant retenu le critère
de l'abus de consommation, tandis que d'autres s'attachaient à la dépendance.
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Principaux résultats
Voici, relev ées au fil des études recens ées, les conclusions qui pourraient être retenues
avec le moins de risques d'erreur, étant bien entendu qu'elles s'apparentent davantage à
des hypothèses ou des présomptions qu'à des affirmations, aucune étude n'offrant des
conditions de garanties suffisantes.
Les études dites classiques sont fondées sur l'observation de l'alcoolisation de
populations particulières fratries, jumeaux, enfants adoptés... Même si leurs résultats sont
souvent contradictoires et embrouillés, certaines caractéristiques méritent probablement
d'être signalées.
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Les sujets alcooliques ont plus souvent que les autres des parents (proches ou
éloignés) alcooliques. L'alcoolisme paternel est plus souvent repéré que
l'alcoolisme maternel.
En corollaire, les histoires familiales d'alcoolisme (vécu avec un parent alcoolique)
sont également fréquentes. Elles sont alors li ées, au niveau du descendant, à un
alcoolisme généralement précoce et sévère.
Les hommes plus que les femmes seraient touchés par la transmission du
caractère alcoolique familial (surtout en ce qui concerne la d épendance).
Une personne élevée en milieu alcoolique aura tendance à épouser un conjoint
également alcoolique. Cette remarque est particulièrement importante dans
l'hypothèse qui nous intéresse, la probabilité d'homozygotie entre allèles paternel
et maternel étant augmentée chez le descendant d'un couple alcoolique. Mais les
risques de confusion sont importants entre effet génétique (paternel - maternel les deux -) et facteurs biologiques, psychologiques ou sociaux.
Les sujets alcooliques ont souvent été des enfants impulsifs, hyperactifs, instables,
irritables, voire antisociaux. A tel point que ces traits de caractère (éventuellement
génétiques) pourraient être considérés comme des indicateurs d'une future
conduite alcoolique.
L'étiologie génétique serait plus évidente dans certains pays, comme les États?
Unis ou la Suède, alors que les facteurs d'environnement sembleraient plus
déterminants dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne.
Les études portant sur les enfants séparés de leurs parents biologiques et élevés
dans une famille d'adoption laissent supposer un lien entre caractéristiques
d'alcoolisation du père biologique et de son fils adopté par d'autres parents. Ce qui
privilégierait l'hypothèse spécifique d'une transmission génétique père-fils... mais
beaucoup d'ambiguïtés doivent encore être levées.
Les études les plus récentes portent sur les marqueurs génétiques. Pas plus que les
autres, peut?être moins encore d'ailleurs, elles n'apportent d'éléments directement
utilisables. Les pr ésomptions abondent, mais en aucun cas les d émonstrations !
Il faut néanmoins souligner l'intérêt que devraient présenter dans l'avenir les études de
liaison (par opposition aux études d'association entre deux groupes de population, l'un
alcoolique et l'autre non alcooliques) chez des apparentés alcooliques, entre deux gènes
situés sur le même chromosome : celui du marqueur et un autre, dont on suppose qu'il
concerne le caractère étudi é. Si une telle liaison existe, les deux gènes ont une chance de
rester groupés au moment de la transmission g énétique. Ces études, très récentes, sont
malheureusement trop peu nombreuses et contradictoires.
Parmi les quelque 50 marqueurs étudi és, certains sembleraient plus prometteurs. Il s'agit
(pour les études d'association), du récepteur D2 de la dopamine (entrant dans un schéma
explicatif du " système de récompense du cerveau "), et de certains marqueurs liés au
métabolisme de l'alcool (ADH, ALDH...), à l'immunité, ou encore au métabolisme des
neuro?transmetteurs.
Que l'alcoolisme soit défini comme abus d'alcool ou comme d épendance à l'alcool, les
traits sont suffisamment complexes pour laisser soupçonner une transmission génétique
multiforme. Il conviendrait de mesurer l'expressivité et la pénétrance des différents gènes
mis en cause, ainsi que les inévitables interactions avec l'environnement. Appr éciation
dont on comprendra la complexité et la finesse, posant actuellement plus de problèmes
qu'elles n'apportent de certitudes. Mais il faut se rappeler que l'alcoolisme n'est pas à cet
égard un cas isolé, puisqu'on pourrait en dire autant de la psychose maniaco?dépressive
ou de la schizophrénie.
De sérieuses limites
Les études recens ées sont d'une valeur scientifique très inégale et se révèlent à plus d'un
égard très décevantes. Rappelons qu'elles ont été menées par des équipes différentes,
dans des pays différents... et sur une cinquantaine d'années, ce qui peut expliquer la
multiplicité des méthodes employées, comme des d éfinitions retenues. Mais l'absence de
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rigueur n'est-elle pas le lot de bien des études prétendues scientifiques ? L'auteur le
rappelle abondamment tout au long de son ouvrage.
Indépendamment des incohérences liées à la méthodologie proprement dite (introduction
de biais, études non dupliquées, insuffisances des groupes-contrôle...), certains
arguments limitent d'emblée la portée de plusieurs études. Citons, en vrac et par
exemple : dans les études portant sur les enfants adoptés, comment peut-on être sûr que
l'enfant adopté n'a pas eu connaissance de l'alcoolisme d'un de ses deux parents
biologiques ? Cette simple information pourrait être de nature à influencer un
comportement, indépendamment de toute action chromosomique. L'adoption elle -même
n'est-elle pas facteur de fragilisation, ce qui pourrait rendre compte d'un alcoolisme
ultérieur? Dans les enquêtes sur les jumeaux, l'influence de la cohabitation n'est pas
toujours pr écis ée par les auteurs. Autre exemple : l'alcoolisme féminin est bien moins
cerné que l'alcoolisme masculin. Est-ce à dire qu'il serait étranger à la transmission
génétique, ou alors que, plus rare, il a été moins étudi é par les auteurs ? Qu'en est-il par
ailleurs des influences prénatales (hormonales par exemple), pendant la grossesse,
susceptibles de se combiner avec des tendances génétiques ?
Beaucoup de bruit pour rien !
Comme on vient de le voir, aucun résultat probant ne peut être annonc é à l'heure actuelle.
L'auteur de " Génétique et alcoolisme " le souligne avec beaucoup d'honnêteté et insiste
sur les détournements médiatiques particulièrement dommageables auxquels nous
n'avons pas échappé ces dernières années. L'annonce prématur ée, en 1990, de la
découverte du " g ène de l'alcoolisme " n'a -t-elle pas été démentie quelques mois après
par une contre-étude radicale ?
A supposer même que le risque d'alcoolisme puisse un jour être précis é par le dépistage
des porteurs de tel ou tel allèle, il ne serait jamais pr évisible avec certitude, pour les
raisons que nous avons vues plus haut, et tenant notamment aux pressions de
l'environnement : familial, social, économique, moral... Il y a loin du génome au
comportement.
Même si l'on pouvait réellement décrypter le secret des gènes, un dépistage systématique
devrait-il être envisagé de manière à prévenir les risques sociaux occasionnés par les
abus d'alcool ? En aucun cas, répond Évelyne Dumont-Damien, qui estime qu'un
programme de prévention digne de ce nom ne peut se baser sur des facteurs génétiques,
dont la manifestation phénotypique reste trop aléatoire. Tout au plus un dépistage
pourrait-il être envisagé sur la base du volontariat : il s'agirait alors d'une possibilité offerte
à un individu, s'il le désire, de mieux se connaître, mieux se situer par rapport à un risque
éventuel de comportement dangereux. Mme Dumont-Damien cite à cet égard l'exemple "
très positif " d'un registre écossais de porteurs d'all èles à risque auxquels seuls les
intéressés et certains chercheurs peuvent avoir accès, dans des conditions bien
détermin ées pour éviter les d érapages.
Nous retiendrons en conclusion la remarque de Michel Duyme lors de sa pr ésentation de
l'ouvrage au Palais de la Découverte, à Paris : il n'est pas nécessaire de tout connaître de
l'alcoolisme pour engager des actions de prévention, a-t-il dit en substance. La gravité du
problème ne n écessite pas de démonstration scientifique.
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