ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS), EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL Emilie BUTTARELLI, Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Lamine GUEYE Mots-clés : alimentation, croissance, jeune enfant, Sénégal FIGURE 1. Mère et enfant, en salle des urgences de l’Hôpital Aristide Le Dantec, Dakar, Sénégal, mai 2009. (Photo Emilie Buttarelli) Problématique > Le contexte sénégalais En Afrique sub-saharienne, la malnutrition constitue un problème persistant qui affecte les jeunes enfants. C’est à partir de trois indicateurs anthropométriques que l’Organisation Mondiale de la Santé a élaboré de nouvelles normes de croissance (MGRS/WHO 2006 ; 2007). Il s’agit du poids-pour-âge (mesure de la norme pondérale), de la taille-pour-âge (mesure spécifique du retard de croissance) et du poids-pour-taille (mesure spécifique de la maigreur ou L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 émaciation). Pour ces indicateurs anthropométriques, une valeur inférieure à moins 2 écarts-type sur les courbes de l’OMS, révèle un état de malnutrition chez l’enfant. Dans certains pays africains (Kenya, Ethiopie, Burkina Faso) des études concernant les pratiques alimentaires ont montré que l’utilisation d’un indice de diversité alimentaire permettait de corréler significativement pratiques alimentaires et mesures anthropométriques - poids, taille, périmètre brachial - (Onyango et al, 1998 ; Arimond, Ruel 2002 ; Sawadogo et al, 2006). Une vaste étude nationale réalisée au Sénégal, l’Enquête Démographique et de Santé 2005 (EDS IV 2005), (Ndiaye, Ayad 2006) a dressé un portrait nutritionnel des enfants sénégalais en définissant la malnutrition en termes anthropométriques et la question de l’alimentation en termes de consommation de groupes d’aliments. Cette étude n’établit cependant pas de lien direct entre malnutrition et pratiques alimentaires et par conséquent ne permet pas de déterminer précisément l’impact de l’alimentation sur la croissance de l’enfant. Par ailleurs, certaines études réalisées au Sénégal détaillent la consommation d’aliments particuliers tels que les produits céréaliers ou le lait caillé (Dillon, 1989). D’autres mettent en évidence l’existence de carences en vitamines dans l’alimentation de l’enfant (Diouf et al, 2002). Cependant, aucune étude systématique sur l’alimentation du jeune enfant dakarois, permettant d’apprécier simultanément qualité du régime et mesures anthropométriques correspondantes, n’a été entreprise. Or la possibilité d’établir des corrélations directes entre croissance (mesures anthropométriques) et alimentation (pratiques et diversité alimentaire) est un outil important dans l’évaluation et la compréhension globale de la persistance de déséquilibres alimentaires. Nécessité d’une étude pluridisciplinaire en milieu urbain La persistance de déséquilibres nutritionnels, en dépit d’une amélioration des conditions de vie en milieu urbain au Sénégal (EDS 58 ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS), EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL IV 2005), doit inciter à étudier l’influence effective des facteurs socioculturels. Etablir un bilan systématique et actualisé de l’alimentation du jeune enfant à Dakar constitue une étape préliminaire indispensable. La ville de Dakar présente aujourd’hui un milieu urbain hétérogène, caractérisé par des écarts socio-économiques entre habitants du centre ville et néo-urbains des banlieues en pleine expansion (Kennedy, Nantel 2006). Réaliser une étude comparative sur l’alimentation et la croissance du jeune enfant dans ce milieu urbain, haut lieu de disparités socioéconomiques, doit permettre de cerner l’importance persistante du facteur socio-économique, mais également de déterminer des invariants culturels. L’analyse des comportements et la mesure quantitative de la diversité alimentaire forment en effet un prisme d’entrée multiple pour la compréhension de la persistance des déséquilibres alimentaires. La principale question auquel doit répondre l’étude est la suivante : existe-t-il aujourd’hui des pratiques alimentaires différentielles urbain/ périurbain ou un « menu » similaire pour tous, en dépit de contrastes économiques ? Cette recherche doit permettre également d’élaborer un référentiel de croissance actualisé, sur la base d’un échantillon de 2200 enfants sains sénégalais, de la naissance à l’âge de 36 mois. Il s’agit d’une étude transversale réalisée selon le protocole de l’OMS (MGRS/ WHO 2006 ; 2007) dont les résultats donneront un aperçu pertinent de la croissance réelle des enfants dakarois. des revenus et un accès élargi à la consommation) et d’une connaissance certaine du message bio-médical actuel. D’autre part, le fait socio-économique est peut-être à l’origine de la persistance du fait culturel : les « interdits » alimentaires reposent souvent sur des denrées rares ou chères (viande, œufs…). Nous supposons qu’une redéfinition précise et très détaillée du statut socio-économique d’une famille sénégalaise permettrait de mieux saisir l’impact direct du facteur socio-économique. Un interdit (ou une restriction) alimentaire n’est-elle pas le fait d’une adaptation culturelle à une contrainte environnementale et socio-économique ? FIGURE 2. Plat traditionnel sénégalais : ceebu jën (bu xonq) ou riz (rouge) au poisson frais. Dakar, Sénégal, décembre 2008. (Photo Emilie Buttarelli) Problématique Concernant les comportements et pratiques alimentaires Les représentations relatives à l’alimentation et aux aliments (proscriptions/prescriptions alimentaires, croyances, traditions culinaires) ont toujours un impact important sur les pratiques alimentaires et par conséquent sur la persistance de déséquilibres. D’une part, fait culturel et tradition continuent d’exercer une influence déterminante sur la consommation, en dépit d’une urbanisation croissante (caractérisée par une augmentation L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 59 ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS), EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL > Concernant le lien entre alimentation et croissance de l’enfant Un indice synthétique des pratiques alimentaires (indice de diversité et de variété alimentaire) est un moyen simple de mesurer la qualité globale du régime de l’enfant. On peut supposer l’existence d’une corrélation positive de cet indice avec le statut nutritionnel de l’enfant, exprimé en indicateurs anthropométriques. Méthodes Dans le cadre de cette recherche sur la croissance et l’alimentation du jeune enfant de la naissance à 3 ans, nous avons opté pour la combinaison de trois méthodes : quantitative, semi-quantitative et qualitative. Une première étape est constituée par la prise de mesures anthropométriques chez la mère (poids et taille) et chez l’enfant (poids, taille, périmètre brachial et périmètre crânien). L’évaluation du statut nutritionnel de l’enfant s’effectue par les indices Taille-Âge (TA), PoidsTaille (PT) et Poids-Âge (P-A) exprimés en z-scores. Des données socio-démographiques, socio-économiques et familiales (conditions de vie et type d’habitat, niveau d’éducation des parents et suivi sanitaire) sont recueillies par questionnaire en face à face. Ce questionnaire comporte également un volet alimentaire : pratiques d’allaitement et de sevrage, fréquence de consommation de groupes d’aliments, perceptions et représentations autour de l’alimentation de l’enfant. Nous avons également choisi d’élaborer un indice des pratiques alimentaires du jeune enfant sénégalais intégrant des variables sur les pratiques de nutrition de l’enfant (pratiques d’allaitement, utilisation d’un biberon…) ainsi que des scores de variété alimentaire (SVA) et de diversité alimentaire (SDA). Cette approche des pratiques alimentaires en terme de scoring est complétée par une phase qualitative d’observation participante au sein de familles d’enfants sélectionnés en fonction de leur statut nutritionnel et/ou socio-économique afin d’observer en temps réel l’alimentation effective du jeune enfant sur une journée. L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 Zones d’intervention et population d’étude L’enquête se déroule dans la ville de Dakar, sur deux sites, d’une part en centre urbain « ancien » au sein du Centre de Protection Maternelle et Infantile de Médina (commune de Dakar) et d’autre part, au Centre de Santé Dominique, en milieu périurbain (commune de Pikine-Guédiawaye). L’échantillon d’étude est constitué de 2 200 individus : 1100 filles et 1100 garçons répartis en 22 classes d’âge comprenant 50 individus par classe d’âge (25 filles/25 garçons). FIGURE 3. Grand, petit, rond : les enfants de Dakar (Photo Nicole Chapuis-Lucciani) Résultats attendus Cette étude permettra d’établir un bilan systématique et actualisé des pratiques alimentaires du jeune enfant à Dakar. Elle permettra de déterminer l’impact relatif des facteurs culturels, 60 ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS), EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL religieux, socio-démographiques et environnementaux sur les pratiques alimentaires. Nous validerons l’indice synthétique des pratiques alimentaires du jeune enfant estimant la qualité globale du régime alimentaire, indice déjà utilisé dans d’autres pays d’Afrique comme par exemple au Burkina Faso (Sawadogo et al, 2006). Une corrélation positive de cet indice au statut nutritionnel de l’enfant (mesuré anthropométriquement) est attendue. Une base de données pluridisciplinaires sur l’alimentation et la croissance du jeune enfant, de la naissance à l’âge de 3 ans, sera mise en place. Cette étude donnera également la situation actuelle de la croissance d’un vaste échantillon d’enfants dakarois en bonne santé. FIGURE 4. Réunions d’enfants au village de Dougar (Photo Nicole Chapuis-Lucciani) L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 Références bibliographiques ARIMOND (M.), RUEL (T.) 2002, Progress in developing an infant and child feeding index: an example using the Ethiopia Demographic and Health Survey 2000, Food Consumption and Nutrition Division Discussion paper n°143, International Food Policy Research Institute, Washington, USA. DILLON (J.C.) 1989, « Les produits céréaliers dans l’alimentation de sevrage du jeune enfant en Afrique », Céréales en régions chaudes, AUPELF-UREF, Ed. John Libbey Eurotext, Paris. DIOUF S., DIAGNE I., MOREIRA C., SIGNATE SY., FAYE O., NDIAYE O., SYLLA A., DIALLO I., THIAM D., DIOP B., THIAM I., GAYE I., SARR M., FALL M. 2002, «Integrated treatment of iron deficiency, vitamin A deficiency and intestinal parasitic diseases: impact on Senegalese children’s growth », Archives Pédiatriques, 2002, 9 (1):102-103. KENNEDY (G.), NANTEL (G.) 2006, Analysis of disparities in nutritional status by wealth and residence : examples from Angola, Central African Republic and Senegal, Rapport du Nutrition Planning, Assessment and Evaluation Service, Food and Nutrition Division, Food and Agriculture organization of the United Nations, Rome. NDIAYE (S.), AYAD (M.) 2006, Enquête Démographique et de Santé au Sénégal (EDS-IV) 2005, Ministère de la Santé et de la Prévention Médicale, Centre de Recherche pour le Développement Humain Dakar, Macro International Incorporation, Maryland, U.S.A. ONYANGO (A.), KOSKI (K.G.), TUCKER (K.L) 1998, Food diversity versus breastfeeding choice in determining anthropometric status in rural Kenyan toddlers, International Journal of Epidemiology, 27: 484-489. SAWADOGO (P.S), MARTIN-PREVEL (Y.), SAVY (M.), KAMELI (Y.), TRAISSAC (P.), TRAORE (A.S), DELPEUCH (F.) 2006, An infant and child feeding index is associated with the nutritional status of 6- to 23-moth-old children in rural Burkina Faso, Journal of Nutrition, 136 (3): 656-663. 61 ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS), EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL WHO Multicentre Growth Reference Study Group. WHO Child Growth Standards: Length/height-for-age, weight-for-age, weight-forlength, weight-for-height and body mass index-for-age: Methods and development. Geneva: World Health Organization, 2006. WHO Multicentre Growth Reference Study Group. WHO Child Growth Standards: Head circumference-for-age, arm circumference-for-age, triceps skinfold-for-age and subscapular skinfold-for-age: Methods and development. Geneva: World Health Organization, 2007. Note : cette étude est soutenue par la Fondation Nestlé (bourse de recherche 2010-2011 obtenue par Emilie Buttarelli) Les auteurs Emilie BUTTARELLI Doctorante à l’Université de la Méditerranée (Marseille, France) UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» CNRS (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - CNRST (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali) courriel : [email protected] Nicole CHAPUIS-LUCCIANI Directeur de Recherche au CNRS Directeur - adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés» UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» CNRS (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - CNRST (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali) courriel : [email protected] Lamine GUEYE Professeur des Universités Praticien Hospitalier Responsable de l’Unité de Neurophysiologie clinique, Service de Neurologie CHU Fann Dakar Directeur par intérim de l’UFR Sciences de la Santé UGB Saint-Louis (Sénégal) Directeur-Adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés» - UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» CNRS (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - CNRST (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali) - Laboratoire de Physiologie et d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine, Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) courriel : [email protected] L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 62