LOGISTIQUE & MANAGEMENT vol 2 n° 1 - 1994
POUR UNE STRATÉGIE LOGISTIQUE
ORIENTÉE CLIENT
L’élaboration et le développement d’une
stratégie logistique a pour point de départ
une analyse aussi précise que complète des
exigences de la clientèle. Ce n’est qu’à
cette condition qu’il est possible de déter-
miner la performance exigible des entre-
prises, en amont et en aval de la chaîne
logistique. Les systèmes d’informations in-
tégrés ainsi que les alliances/partenariats
stratégiques assureront un rôle majeur
dans la réalisation effective des niveaux
souhaités de performance du service. A
mesure que les marchés se fractionnent, il
sera désormais crucial de parvenir à iden-
tifier la rentabilité du rapport service clien-
tèle/produits, de même qu’il sera capital de
pouvoir cerner avec précision et fiabilité
la manière dont des stratégies logistiques
alternatives influent sur la rentabilité de ces
segments.
"Le service client doit être intégré
aux composants du marketing mix."
la logistique aval (le marketing, les ventes
et le service à moindre coût), afin de s’as-
surer un avantage concurrentiel, non seu-
lement en terme de maîtrise des coûts, mais
également en terme de compétitivité de prix
(1). Cependant, pour survivre de manière
durable, la plupart des industriels devront
sans doute s’imposer à l’avenir comme à
la fois des producteurs à moindre coût et
des créateurs de «valeur ajoutée». En réa-
lité, trois des cinq activités primaires per-
mettant de générer de la valeur ajoutée, à
savoir la logistique en amont, la logistique
en aval et le service, ont tendance à être
négligées par la plupart des professionnels
du marketing, quand bien même ce do-
maine fut conçu à l’origine, comme recou-
vrant à la fois les contraintes de la demande
(vente directe, publicité, promotion) et cel-
les de la production (distribution physi-
que)(2). Tandis que les professionnels du
marketing ont préféré concentrer leurs ef-
forts dans les secteurs associés à la de-
mande, tels que le comportement des
clients, la publicité, la promotion et la vente
directe, un champ nouveau, dénommé «lo-
gistique», s’est consacré quant à lui à la
distribution physique. La logistique est une
méthode de planification, d’exécution et de
contrôle du flux total des matières (matiè-
res premières, en-cours de stocks et pro-
duits finis) au sein d’une entreprise don-
née. Une gestion logistique efficace vise à
L’impératif de survie dans le contexte d’une
économie globale, a mis les industriels en
demeure de développer plusieurs alternati-
ves visant à dégager de la valeur-ajoutée.
A cet effet, ils ont pris en compte tantôt la
logistique en amont (les opérations), tantôt
Douglas M. Lambert
Prime F. Osborn III eminent scholar in
transportation
Professor of marketing & logistics
University of North Florida
Traduction
Frances Ash
59
LOGISTIQUE & MANAGEMENT vol 2 n° 1 - 1994
livrer les matières de manière précise, en
temps et lieu voulus, en quantités et quali-
tés adéquates et ceci, au moindre coût lo-
gistique total.
Le «Council of Logistics Management»
définit la logistique comme: «Le proces-
sus de planification, de mise en oeuvre et
de contrôle de l’efficacité et de la rentabi-
lité des flux comme de l’entreposage des
matières, des en-cours de stocks, des pro-
duits finis, des informations du point d’ori-
gine au point de vente et ce, dans le souci
de se conformer au mieux aux exigences
du client» (3).
Au cours de la dernière décennie, la logis-
tique s’est développée au point de devenir
une fonction majeure de l’entreprise, dis-
tincte du marketing et de la production.
L’importance de la logistique a été recon-
nue par de nombreuses entreprises, qui ont
délégué dans leur organigramme des res-
ponsabilités logistiques au niveau de la
Direction. D’un point de vue macro-éco-
nomique, les dépenses en logistique furent
estimées à 600 milliards de dollars en 1990
pour l’ensemble des États-Unis, ce qui cor-
respondait alors à près de 11% du Produit
National Brut (PNB). Afin de mettre cette
donnée en perspective, il convient de pré-
ciser que les coûts logistiques étaient équi-
valents pour cette même période à dix fois
les dépenses en publicité, à près de deux
fois les dépenses nationales pour la Dé-
fense, et quasiment identiques aux dépen-
ses de santé. Les composantes du coût lo-
gistique pour 1990 se répartissaient donc
comme suit (4) :
Frais de gestion des stocks
..............................221 milliards de dollars
Frais de transports routiers
............................277 milliards de dollars
Autres frais de transports
..................................75 milliards de dollars
Frais chargeurs, et frais administratifs de
distribution .........................27 milliards de
dollars
En 1981, les coûts logistiques représentaient
14,7% du PNB. La réduction de ces coûts
durant les années 1980 fut un atout déter-
minant de la baisse de l’inflation. Par con-
tre, ce n’est que très récemment que les con-
ditions visant à l’amélioration potentielle de
la productivité ont été amorcées.
La définition de la logistique avancée par
le «Council of Logistics Management» in-
clut les circuits de distribution ou la chaîne
d’approvisionnement, «du point d’origine
au point de vente». L’un des meilleurs
exemples relève de l’industrie du vêtement.
Les dispositifs de réponse rapide dans le
domaine vestimentaire permettent de lier
efficacement la séquence des opérations à
réaliser entre le client, le détaillant, le fa-
bricant et l’usine de filature, grâce à l’in-
formatique de pointe. En mettant en phase
les différents membres de la chaîne d’ap-
provisionnement, le temps écoulé entre
l’usine de filature et le détaillant est passé
de 9 mois à 6 semaines (l’objectif à attein-
dre étant de 2 semaines). De façon conco-
mitante, ce gain a induit un accroissement
de la gamme des marchandises chez le dé-
taillant ainsi que la diminution du nombre
de démarques; la part des stocks et des in-
ventaires dans le dispositif logistique s’en
est trouvée par ailleurs singulièrement ré-
duite . Des effets positifs semblables ont été
également observés dans les réseaux d’en-
treprise-à-entreprise où des systèmes de
gestion en juste-à-temps ont été mis en
place.
La gestion de l’attribution des ressources
disponibles aux divers composants du mar-
keting mix, (i.e le Produit, le Prix, la Pro-
motion et la Place), joue un rôle décisif en
ce qui concerne la satisfaction du client,
INTÉGRATION
MARKETING ET LOGISTIQUE
ainsi que la part de marché et de profit d’une
entreprise donnée. Cette gestion peut avoir
une incidence positive et améliorer la posi-
tion concurrentielle d’une entreprise en af-
fectant les moyens mobilisés de manière
plus efficace aux différents éléments du
marketing mix pris isolément, et/ou en ap-
portant des modifications ciblées sur l’un
d’entre eux.
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LOGISTIQUE & MANAGEMENT vol 2 n° 1 - 1994
Le schéma 1 résume les
échanges de coûts au
sein du marketing mix
(5). Ceux-ci concou-
rent au même objectif:
répartir les ressources
entre les composantes
«Produit», «Prix,» et
«Promotion» afin de les
placer dans une situa-
tion leur permettant de
dégager les meilleurs
profits à long-terme. La
satisfaction du client est
le dernier maillon des
efforts de marketing
déployés par l’entre-
prise, tout comme le
domaine «service-
client» correspond au
dernier maillon du
champ «logistique» (cf.
schéma 1). Le service
client constitue donc
une interface aux fonc-
tions de marketing et de
logistique, et s’impose
dès lors comme un sec-
teur-clé autorisant à l’évidence l’imbrica-
tion étroite entre opérations commerciales
et actions logistiques.
Le service-client est un indice de mesure
quant à l’efficacité du système logistique,
en ce qu’il détermine les services attenant
à un produit donné, en un temps et un lieu
précis. Pour de nombreuses entreprises, le
service-client permet de remporter un
«plus» concurrentiel (6). L’entreprise est
à même d’améliorer de manière significa-
tive sa part de marché et son profit, en in-
vestissant davantage que ses concurrents
dans le domaine du service à la clientèle.
En outre, en procédant à des ajustements
systématiques du service-client, l’entreprise
sera en mesure d’améliorer ce service tout
en réduisant la totalité des dépenses logis-
tiques. En règle générale, le service-client
comprend tout ou partie des éléments sui-
vants: les cycles et la périodicité des com-
mandes; la disponibilité du produit; le sys-
tème d’enlèvement; la précision de l’étique-
tage, du conditionnement et de l’emballage;
les moyens d’expédition; les possibilités de
substitution; les informations commande;
la viabilité de la commande; les dispositifs
après-vente attachés au produit; le suivi du
produit; le traitement des réclamations et
des invendus. L’importance stratégique
accordée à chacun des éléments peut va-
rier d’un marché à l’autre, en fonction des
besoins du client. Dans cette évaluation, la
finalité du management tend à l’optimisa-
tion maximale de la rentabilité à longue
échéance.
Le service client doit être intégré aux autres
éléments du marketing mix (Produit, Pro-
motion, Prix) afin de déterminer un mar-
ché susceptible de convenir au mieux aux
clients-cibles, et contribuer ainsi aux ob-
jectifs de profits à long-terme. De la qua-
lité du service client proposé par une en-
treprise donnée dépend sa capacité à fidé-
liser les clients, tout comme à en attirer de
nouveaux. De fait, l’effort de marketing
dans son ensemble demeure totalement vain
et ne peut qu’entacher la performance com-
merciale de l’entreprise, si la politique re-
lative au service-client reste pauvre ou né-
gligée. Par exemple, un produit bien étu-
dié, accompagné d’un bon support promo-
frais de gestion
de stocks
objectif marketing : répartir les ressources afin de déterminer les meilleurs profits à long terme
objectif logistique : réduire le coûtcomplet dans le cadre de l'objectif service client
total des coûts : frais transport entreposage traitement de commande information
frais quantité
lot
coûts du traitement
de commande et
information
Prix
Produit
Lieu
service client
niveaux
Promotion
coût
d'entreprosage
frais de transport
logistique
marketing
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LOGISTIQUE & MANAGEMENT vol 2 n° 1 - 1994
tionnel, et pour lequel la demande est forte
ne se vendra pas en dépit d’un prix concur-
rentiel, s’il n’est agrémenté d’un service
client adéquat. Dès lors, il est essentiel que
le management concerné adopte une poli-
tique qui prenne en compte les besoins réels
des clients, afin que le service à la clientèle
soit ainsi en parfaite synergie avec la stra-
tégie commerciale de l’entreprise.
Dans le dessein d’améliorer la qualité du
service client chez Wal-Mart, Procter &
Gamble avait détaché un groupe d’inter-
vention de douze personnes auprès de la
direction de Wal-Mart afin d’élaborer en
commun une stratégie palliative. Or les
résultats de cette démarche font valoir sans
équivoque aucune, les avantages d’une in-
tégration de la logistique à la stratégie de
marketing de l’entreprise:
«A ce jour, P&G reçoit par satellite des
données quotidiennes relatives aux ventes
de Pampers chez Wal-Mart, planifie et ex-
pédie les commandes automatiquement. En
retour, Wal-Mart a pu diminuer ses stocks
et réduire la fréquence des ruptures de stock
de Pampers. P&G a augmenté la propor-
tion des livraisons en temps de 99,6% par
rapport à 94% antérieurement. «P&G a
assuré la transformation d’un vendeur en
position du moins convoité à celle du plus
convoité» selon Shewmaker, l’ancien pré-
sident à la retraite de Wal-Mart.
Les résultats se sont révélés concluants. Le
volume de Proctor à Wal-Mart a augmenté
de plus de 40%, soit plus de 200 millions
de dollars au 30 Juin, date clôture de l’an-
née fiscale (7).
Une stratégie de marketing efficace impli-
que que le management intègre complète-
ment la logistique et le marketing au sein
du processus de planification stratégique,
en acceptant que le service client soit par-
tie intégrante de la culture de l’entreprise.
Si une entreprise se donne pour préoccu-
pation majeure de concentrer ses efforts de
manière à satisfaire le client, la direction
générale prend dès lors une part active à la
définition des objectifs et de la politique
du service client. Par voie de conséquence,
les objectifs de logistique et de marketing
au niveau de la société peuvent être imbri-
qués, de sorte que les directeurs du marke-
ting puissent consacrer toute leur attention
au service client dans le cadre de la planifi-
cation stratégique commerciale.
L’intégration du marketing et de la logisti-
que passe par l’élimination des obstacles liés
à la communication interdépartementale.
Elle favorise ainsi le contact direct entre les
directeurs, les groupes de mission ponctuels,
les équipes permanentes. Elle implique en
outre une meilleure définition des rôles à
l’intersection des champs de la logistique
et du marketing (e.g.»Directeur de produit»
par exemple). Alors que plusieurs de ces
mécanismes pourraient être utilisés simul-
tanément en logistique et en planification
commerciale, rares sont ceux néanmoins qui
trouvent une application à l’échelon supé-
rieur de la Direction, où la planification
commerciale stratégique a pourtant lieu.
D’où la nécessaire mise en place d’une
structure qui aurait à charge d’intégrer les
fonctions à ce niveau.
En d’autres termes, il conviendrait donc
d’institutionnaliser une cellule permanente
de planification stratégique comprenant des
représentants des hautes instances décision-
nelles relevant tant du champ de la logisti-
que que du marketing. Cette équipe serait
tenue d’en référer au même supérieur hié-
rarchique, susceptible de gérer les divergen-
ces de points de vue et d’opinions qui peu-
vent émerger dans le cadre du processus de
planification. Afin de minimiser les con-
flits, ce supérieur doit être perçu par cha-
cun comme l’autorité légitime et l’ultime
instance décisionnelle. On aboutit ainsi à
une intégration toujours plus poussée des
champs logistique-marketing, si l’équipe de
planification prend en compte les considé-
rations relatives au service client, dans cha-
cune des étapes du processus de la stratégie
commerciale:
Étude de l’environnement
(analyse des risques et des opportunités)
Évaluation du client et identification des
marchés-cibles potentiels
Établissement des buts et des objectifs
commerciaux
Évaluation et sélection des marchés-cibles
Formulation de la stratégie commerciale
Programmation du marketing mix
Mesure et évaluation des résultats.
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LOGISTIQUE & MANAGEMENT vol 2 n° 1 - 1994
profonde que rigoureuse des exigences du
client. Aussi, pour définir et développer
une stratégie logistique, il apparaît néces-
saire de recenser auprès des clients eux-
mêmes l’ensemble des données concernant
l’importance de certaines qualités spécifi-
ques au fournisseur, ainsi que leur perfor-
mance établie à partir de ces critères. Or si
la majorité des experts en stratégie souli-
gnent bien l’importance de l’intelligence
concurrentielle comme élément-clé des
stratégies génériques, ils négligent néan-
moins l’importance des évaluations impu-
tables au client (8). Attendu que le service
client est peut-être le meilleur outil dont
dispose une entreprise pour remporter un
avantage concurrentiel durable, l’intelli-
gence concurrentielle rapportée aux capa-
cités logistiques reste de toute première
importance dans le domaine de la planifi-
cation stratégique.
Le recueil et l’analyse de données relatives
au client dans le domaine de l’intelligence
concurrentielle bute sur certaines difficul-
tés. D’abord, peu d’entreprises rassemblent
les informations de manière systématique,
l’analyse des données étant en outre pour
la plupart, un tant soit peu superficielle.
Ensuite, les données obtenues restent trop
générales pour pouvoir être utiles aux diri-
geants d’entreprises, lorsque ceux-ci doi-
vent décider de l’affectation des ressour-
ces. Enfin, même si les données concur-
rentielles ont été réunies dans le but d’être
utilisées en phase de planification stratégi-
que, encore faut-il disposer d’une méthode
susceptible d’aider les managers dans l’ana-
lyse et la présentation de l’information. Il
faut également noter le point suivant: quand
bien même la valeur du «benchmarking»
(ndt1) a fait l’objet de nombreuses discus-
sions, il n’en demeure pas moins que, pra-
tiqué à l’encontre de la concurrence, ce pro-
cessus soulève un certain nombre de pro-
blèmes non négligeables:
«D’une part, les comparaisons avec les
concurrents peuvent révéler des pratiques
peu dignes d’émulation. D’autre part,
quand bien même le repérage concurren-
63
(ndt 1):
Le terme
de benchmarking
étant passé
dans le vocabulaire courant
de l’entreprise,
nous l’utilisons tel quel.
tiel peut vous aider à rivaliser avec les per-
formances de vos concurrents, il ne sau-
rait faire émerger des techniques aptes à
vous en faire triompher. De plus, il est
manifestement difficile d’avoir accès à des
informations relatives aux concurrents.
Enfin, nous avons observé que les gens sont
plus réceptifs aux nouvelles idées prove-
nant de secteurs professionnels autres que
celles issues de leur propre domaine. La
démarche de benchmarking qui ne con-
cerne pas le concurrent immédiat est donc
une méthode de choix» (9).
Le «benchmarking» concurrentiel le plus
probant repose sur la comparaison de deux
classes de données, issues toutes deux des
évaluations faites par le client: le premier
ensemble porte sur la comparaison des per-
formances relatives des concurrents les
unes par rapport aux autres; le second en-
semble a trait à l’importance des spécifici-
tés du fournisseur. Une fois cette analyse
effectuée, le management se doit de défi-
nir les outils et démarches permettant de
remporter un avantage concurrentiel. Tous
les efforts du management tendent à défi-
nir la meilleure stratégie, ce qui implique
l’utilisation rationnelle et la plus rentable
possible des opportunités offertes par la
technologie (informatique, moyens de com-
munication), sans se soucier pour autant du
type d’industrie où cette technologie aura
été mise en oeuvre avec succès. En effet,
les non-concurrents sont davantage dispo-
sés à partager leurs acquis, ce qui permet
de dégager un savoir nouveau donnant un
avantage concurrentiel par rapport aux ri-
vaux.
Une stratégie service client peut être mise
en pratique à partir de la méthodologie sui-
vante:
(1) audit externe
(2) audit interne
(3) évaluation des points de vue client
(4) identification des opportunités (10).
STRATÉGIE LOGISTIQUE/SERVICE
CLIENT: MÉTHODOLOGIE
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