Réponse à l`article « Qu`est-ce que le libéralisme égalitaire

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Réponse à l’article « Qu’est-ce que le
libéralisme égalitaire ? Comprendre la
philosophie de Macron »
Critique rapide de cet article qui semble passionner certaines personnes
cultivées sur un versant plus ou moins socialiste
Olivier Cortès
Table des matières
Un peu de critique sur la forme
4
À propos de Ricœur et des philosophes
5
Les philosophes libéraux égalitaires
6
Quid de la philosophie
7
Macron serait-il anarchiste ?
8
Conclusion
10
2
J’ai réalisé cette analyse initialement sous forme de commentaire sur Facebook. Elle n’avait
pas vocation à devenir un article. Donc cet article est malheureusement trop court, trop peu
sourcé, mal construit, et sera probablement démonté en tant que tel.
Comme de plus en plus de mes amis et connaissances relaient l’article auquel elle répond
(ou celui sur slate.fr), je m’inquiète des proportions de personnes cultivées qui adhèrent si
facilement à une analyse aussi creuse.
J’augmente et j’enrichis cette réponse au fûr et à mesure avec de nouveaux arguments, ou
je précise les arguments déjà avancés au fil de ma réflexion, qui n’est pas figée.
3
Un peu de critique sur la forme
Je trouve la thèse développée dans l’article d’origine tirée par les cheveux. L’auteur ne cite
que certains points bien particuliers du programme, qui vont dans le sens de celle-ci.
Il n’y a pas de recouvrement global entre la thèse du libéralisme égalitaire et le programme
de macron. Beaucoup de ses mesures sont en fait en désaccord avec la thèse1 .
Deux courtes phrases, issues de deux discours sont citées pour étayer la thèse. Sur la totalité de plusieurs discours de plusieurs heures, c’est bien peu pour justifier l’inspiration d’un
programme, voire carrément d’une politique.
L’inspiration des deux philosophes est donc très difficile à remarquer. Elle est subtile. Seul
un expert peut la voir ? Il faut savoir lire entre les lignes, interpréter, recouper. Seuls des
personnes intelligentes et cultivées pourront le faire.
Voilà comment L’auteure flatte subliminalement l’égo des personnes qui se sentent ou se
veulent cultivées. A-t-elle seulement conscience de ce biais ? Fait-elle partie de ces personnes,
elle-même ?
J’ai le sentiment qu’elle veut faire adhérer certaines personnes bien ciblées à sa vision —
pour nous inviter à voter Macron ? — car il y aurait quelque chose de plus profond, de caché,
de philosophique dans son programme. Macron ne serait pas manipulé par les banques et les
oligarques, à leur service, la vérité serait beaucoup plus belle que cela. La philosophie de
Macron serait en fait rassurante, presque humaniste. En plus, c’est une théorie reconnue et
développée par des experts — donc argument d’autorité.
Certes, Macron va améliorer le sort de certains pauvres. Mais globalement le programme
accroît les inégalités, en favorisant les entreprises, les patrons, les très riches, et en renforçant la compétitivité (donc la concurrence, qui mine notre société, et le monde, en tirant les
conditions de travail vers le bas).
1
Voir Macron Président : Quel avenir pour la France ? Solution du désespoir, par Trouble Fait. C’est plus
que génant qu’il ne cite qu’Asselineau sur la critique des régions, je n’adhère pas à son invitation à voter Le Pen,
l’on peut discuter son analyse des points du programme de Macron, mais ce que je retiens, c’est que les points
qu’il surligne dans ledit programme contredisent la thèse du libéralisme égalitaire chère à l’auteur de l’article
auquel je répond.
4
À propos de Ricœur et des philosophes
Le livre de Ricœur est cité comme « dense ». Sous-entendu Macron a fait du gros boulot ?
Il aurait travaillé longtemps dessus ? Aucun détail, nous n’en saurons rien. Tout est dans
l’évocation, la suggestion.
Notons que dans son livre, Ricœur remercie Macron sur la forme, et non sur le fond. Macron a été une sorte de relecteur++1 .
Ça ne fait pas de lui un grand philosophe. Le reste de sa carrière, de ses écrits, de ses prises
de position, en témoignent.
C’était il y a 17 ans, de l’eau a coulé sous les ponts depuis.
Non seulement ça ne donne pas plus de valeur au fond du programme d’E.M, mais ça ne
serait au mieux qu’un autre argument d’autorité, tiré par les cheveux lui aussi.
Objectifs : générer du capital sympathie, et construire de l’autorité pour Emmanuel Macron.
Le sujet du livre de Ricœur n’a strictement rien à voir avec le libéralisme égalitaire.
En fait, cet argument (citer le livre de Ricur) me semble même un paralogisme dit du ”hareng fumé” : créer un faux argument qui vient en apparence nourrir le débat, mais qui en
fait n’a rien à voir. Le lecteur trop rapide associera Macron au travail de Ricœur, qui sert de
moyen légitimant.
Bien joué ! Mais l’auteure a-t-elle seulement conscience de tout cela ?2
1
Ceci est corroboré dans le film documentaire Emmanuel Macron, la stratégie du météore de Pierre Hurel.
Si vous ne pouvez pas le visionner, lisez-en une critique sur RTL, et visionnez un autre extrait, citant un de ses
anciens patrons, euphémiste à couvert qui titube devant la caméra.
2
Au sujet de la conscience de soi, de ses écrits, de ses prises de position, voir le documentaire Chomsky et
compagnie réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet. Voir aussi David Pujadas, le journaliste, d’Usul.
5
Les philosophes libéraux égalitaires
Quand aux deux autres philosophes cités, on parle de leurs titres. Pour justifier encore un
argument d’autorité ?
Macron « s’en inspire ». Certes. Peut-être. Ça reste à démontrer. Lui ne s’en vante pas.
Pourquoi ?
À quel point s’en inspire-t-il ? Éventuellement 4 points du programme sur la totalité ?
Ça me semble bien peu pour en faire une source d’inspiration essentielle.
Dans ses discours, Emmanuel Macron utilise aussi des mots et des idées tirés de tous les
courants politiques.
Ça rassemble, ça peut éventuellement convaincre. Mais ça n’en fait pas pour autant un
humaniste…
On cite beaucoup la pauvreté dans l’article et le programme d’« en marche ! » à ce sujet,
mais celle-ci n’est pas définie sur la page en question (plusieurs tentatives non-recouvrantes
cohabitent).
Macron n’indique pas travailler avec des experts dans le domaine de la pauvreté (ATD
Quart-Monde, par exemple).
Nulle trace de l’inscription dans la loi de la discrimination sur critère de précarité sociale1 ,
qui est pourtant une réalité en France (entérinée par la justice, pratiquée par au moins un
J.A.F).
Inscrire ce critère de discrimination me semble un pré-requis à toutes les mesures qui sont
présentées. Sans ça, la définition de « pauvre » reste vague, Macron peut continuer à aider
en apparence « les pauvres », alors qu’il ne pallie que des problèmes particuliers, dans un
court-termisme qu’il peine à cacher.
1
cf. le livre blanc « discrimination et pauvreté », par ATD Quart-Monde.
6
Quid de la philosophie
Quelques questions : alors comme ça, maintenant, Macron serait aussi philosophe, et ça
ferait de lui un bon président ? Ou plutôt, un président bon ? Juste ? Qu’essaie-t-on de gommer, de cacher, ou de montrer, à travers l’appel à la philosophie en tant que discipline d’autorité ?
Nous pensons que le fait d’aborder le programme de Macron par l’angle de la philosophie permet de contourner — ou d’ignorer — les questions posées dans les autres domaines,
comme par exemple le fait que son programme ne tient économiquement pas debout (le budget n’est pas finançable, donc une partie de ce qu’il prétend faire n’est mécaniquement pas
possible).
Justifier le programme par le point de vue philosophique permet donc de ne pas avoir à répondre à la question économique, et de déléguer la réponse à la question de la justice sociale
aux philosophes. Philosophiquement parlant, le programme tient la route. Donc économiquement et du point de vue des choix opérés, il n’est pas criticable, puisque toutes les critiques
ont déjà été résolues par théorie philosophique dont le programme s’inspire.
Note : cette section mériterait d’être creusée et reformulée. L’angle d’approche du programme et du candidat par la philosophie est amusant.
7
Macron serait-il anarchiste ?
La question est rhétorique, mais pas tant que ça : creusons un peu le raisonnement de ce
libéralisme égalitaire.
Dressons tout d’abord le parallèle avec l’anachisme : l’ultime objectif de celui-ci est d’obtenir l’équilibre entre la plus grande liberté et la plus grande égalité1 .
Macron et ses philosophes inspirants seraient donc anarchistes ? À l’évidence non, ils sont
bien libéraux.
Leur liberté prime, et de loin, sur l’égalité. En effet, l’égalité qu’ils défendent est relative
à la situation de départ des individus. Un pauvre restera pauvre, un riche restera riche. Ce
libéralisme est donc bien inégalitaire. Éventuellement tend il à réduire les inégalités selon
l’auteure, mais les points cités en2 s’y opposent, de manière directe ou indirecte.
Cette expression libéralisme égalitaire est donc similaire à celles de démocratie représentative ou de développement durable :
• la démocratie représentative n’est pas une démocratie. Du tout. Elle est même son antithèse, dans nos sociétés actuelles3 ;
• le développement étant le mot de langue de bois désignant le capitalisme4 , celui-ci ne
peut pas être durable, par définition, puisque l’accroissement du capital est illimité,
dans un monde aux ressources finies.
Ce libéralisme égalitaire est en fait un magnifique oxymore. Nous venons d’assister à la
tentative de démonstration d’un nouveau mot de langue de bois.
Le libéralisme égalitaire est bien un libéralisme d’abord et surtout. En tant que libéralisme,
il ne peut pas être égalitaire. Vouloir le rendre égalitaire, c’est impossible. Vouloir nous faire
croire que c’est possible, c’est tenter de nous manipuler pour nous faire croire que Macron
veut plus d’égalité.
Si le libéralisme était égalitaire, ça ne serait plus du libéralisme. Celui-ci implique les inégalités5 .
1
cf. le documentaire Ni Dieu ni Maître, une histoire de l’anarchisme.
Voir Macron Président : Quel avenir pour la France ? Solution du désespoir, par Trouble Fait. C’est plus
que génant qu’il ne cite qu’Asselineau sur la critique des régions, je n’adhère pas à son invitation à voter Le Pen,
l’on peut discuter son analyse des points du programme de Macron, mais ce que je retiens, c’est que les points
qu’il surligne dans ledit programme contredisent la thèse du libéralisme égalitaire chère à l’auteur de l’article
auquel je répond.
3
cf. La France est un état de droit, pas une démocratie et Doxa 19 — la démocratie.
4
cf. Le nouvel esprit du capitalisme, de Luc Boltanski, Ève Chiapello, à travers une des conférences gesticulées inculture(s) de Franck Lepage.
5
cf. Libéralisme et lutte contre les inégalités sur Contrepoints. L’article en lui-même est auto-référençant, ce
qui permet de justifier le libéralisme et les inégalités qu’il implique. L’auto-référencement est un paralogisme
2
8
Donc non, Macron n’est pas anarchiste ;-)
En revanche, l’auteure, comme les deux prétendus philosophes cités en référence, maîtrisent bien les constructions de langue de bois, et la manipulation nécessaire à leur démonstration.
couramment utilisé par les idéologies pour s’auto-justifier. Par exemple, « la possession est légitime si elle
respecte le critère d’acquisition : le premier à revendiquer la propriété d’un bien est habilité à le posséder » ; donc
ceux qui possèdent déjà (par héritage, par oppression historique) revendiquent de fait ce qu’ielles possèdent
déjà, et le tour et joué, l’inégalité est parfaitement légitime. Cet article mériterait un débunkage complet, mais
ce n’est pas l’objet de notre présente critique.
9
Conclusion
Cet article me semble taillé sur mesure pour rallier certains « intellectuels modestes ».
Ceux que Lepage appelle les petits intellectuels de gauche. L’adjectif « petit » n’étant pas
péjoratif, mais désignant plutôt des intellectuels cultivés non reconnus en tant qu’experts
officiels (ceux-ci seraient dits « grands », par opposition).
Si l’on s’en réfère au documentaire Chomsky et compagnie1 , ces intellectuels, plus ou
moins inscrits dans le système sans en avoir conscience, cultivés sur le plan historique, politique et philosophique, sont faciles à convaincre avec des arguments bien ciblés, car leur
érudition, censée être un moyen de défense, est exploitée comme une faille, et auto-entraine
le système.
L’auteure de l’article semble être la première convaincue par ce qu’elle avance, et ne semble
même pas avoir conscience de l’oxymore qu’elle emploie. Visiblement, elle n’a même pas
questionné le sens de l’expression libéralisme égalitaire. Cette absence de lucidité de la part
d’une Maitresse de Conférences en Science Politique me préocupe. Ou je suis complètement
con, ou bien il y a un problème plus large.
Nul doute que l’immense majorité concluera à la première proposition ;-)
1
Au sujet de la conscience de soi, de ses écrits, de ses prises de position, voir le documentaire Chomsky et
compagnie réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet. Voir aussi David Pujadas, le journaliste, d’Usul.
10
au cœur des relations
Olivier Cortès
Réponse à l’article « Qu’est-ce que le libéralisme égalitaire ? Comprendre la philosophie de
Macron »
Critique rapide de cet article qui semble passionner certaines personnes cultivées sur un
versant plus ou moins socialiste
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