Dossier thématique
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La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 9 - novembre-décembre 2007
l’objet de très nombreuses recherches au cours de ces quarante
dernières années. La consolidation correspond à une phase
qui s’étend sur quelques heures et dont le but est d’assurer
la stabilisation postacquisition de la trace mnésique (1). On
sait maintenant que la traduction d’un épisode en une trace
mnésique à long terme nécessite la mise en jeu de nombreuses
cascades moléculaires qui conduisent à des modifications de
l’expression génique des neurones impliqués et à l’élaboration de
nouvelles protéines qui modifieront les connexions synaptiques
et permettront ainsi le stockage de la trace mnésique. On sait
que l’application de nombreux agents qui altèrent le fonction-
nement cérébral pendant cette phase crée une perturbation
de la rétention à long terme de l’épisode concerné. Dans les
années 1960, les traitements utilisés étaient des chocs élec-
troconvulsifs, des anesthésiques, des inhibiteurs de synthèse
protéique. Actuellement, on utilise des substances qui perturbent
spécifiquement les différentes cascades moléculaires mises en
jeu lors de la consolidation, et qui peuvent être délivrées au
sein d’une structure cérébrale impliquée dans le traitement de
l’information à mémoriser. Pour être actives, ces substances
doivent être administrées alors que la trace mnésique est en
cours de traitement. Délivrées après cette fenêtre temporelle,
elles sont sans effet sur le souvenir. Lors de sa formation, la
trace mnésique est donc dans un état particulier la rendant
sensible à un certain nombre de substances qui vont perturber
son rappel ultérieur.
LE SOUVENIR PEUT REDEVENIR FRAGILE
Dans les années 1970, des études ont montré que des souvenirs
consolidés pouvaient redevenir fragiles. Il suffisait pour cela
d’exposer l’animal à un indice de rappel spécifique de l’épisode
concerné et de délivrer peu après un traitement perturbant le
fonctionnement cérébral. Ces travaux ont conduit D.J. Lewis (2)
à postuler que la trace mnésique pouvait exister dans deux
états différents : un état actif prenant place soit au moment de
la formation de la trace, soit lors de sa réactivation, se caracté-
risant par une susceptibilité à un certain nombre d’agents, et
un état passif au cours duquel la trace est latente et insensible
à ces mêmes traitements. Ces travaux oubliés pendant plus de
trente ans ont ressurgi en 2000 lors de la parution de l’article de
K. Nader, G.E. Schafe et J.E. Le Doux qui redécouvrent qu’une
trace consolidée peut être altérée, non sans affiner cependant
le protocole expérimental. Ces auteurs utilisent un protocole de
peur conditionnée chez le rat. L’animal apprend qu’un son est
suivi d’un choc électrique aux pattes. Plusieurs études avaient
montré qu’un antibiotique, inhibiteur de synthèse protéique,
l’anisomycine, délivré en systémique ou localement dans l’amyg-
dale (structure cérébrale impliquée dans les processus émotion-
nels et, en particulier, dans la peur conditionnée) induisait une
perturbation de la rétention à long terme. Dans cette étude, les
auteurs montrent que si, 48 heures après la fin de l’apprentissage,
les rats sont exposés au son qui a été préalablement associé au
choc, l’administration d’anisomycine dans l’amygdale perturbe
la rétention (l’animal n’a plus de réaction de peur au son), alors
qu’un tel effet n’est pas obtenu si le traitement est appliqué sans
qu’il y ait eu exposition préalable au son qui sert d’indice de
rappel. Ce travail, contemporain de la publication de l’article
de S.J. Sara (4), qui rappelait fort à propos que ces données
n’étaient que des réplications de données bien antérieures, a eu
une portée considérable et a donné lieu au concept de recon-
solidation, caractérisant les processus qui prennent place après
la réactivation d’un souvenir. De nombreux chercheurs se sont
alors lancés dans la caractérisation des cascades moléculaires
impliquées pendant la reconsolidation afin de définir si ces
processus étaient ou non identiques à ceux mis en jeu lors de
la consolidation. Ce débat comparatif sur la consolidation et la
reconsolidation et sur leurs rôles respectifs n’est toujours pas
clos, mais l’intérêt de la reconsolidation semble dépasser large-
ment le cadre de ces querelles. En effet, ces travaux indiquent
qu’il est possible de fragiliser une trace mnésique longtemps
après sa formation et d’induire une perturbation sélective d’une
trace mnésique particulière. On voit bien l’intérêt qu’une telle
découverte, ou plutôt redécouverte, peut avoir en ce qui concerne
les souvenirs pathologiques.
INTÉRÊT DE LA RECONSOLIDATION
DANS LA PATHOLOGIE
Le rôle probable de la reconsolidation est de réactualiser les
souvenirs et d’ajouter des informations nouvelles à des connais-
sances plus anciennes. Les travaux expérimentaux l’ont mis en
évidence en perturbant cette étape. Ainsi, altérer la reconsoli-
dation d’une trace peut créer une amnésie sélective. Cependant,
la fonction de la reconsolidation n’est pas d’effacer les souvenirs.
Dans les conditions naturelles, des perturbations de ce type
n’interviennent généralement pas, tant il est rare d’évoquer un
souvenir puis de se précipiter immédiatement après sur une boîte
d’antibiotiques. Ces travaux montrent toutefois qu’un “oubli”
sélectif peut être artificiellement obtenu en jouant sur la réacti-
vation mnésique et en prenant un traitement pharmacologique,
et ils ouvrent des perspectives nouvelles dans les traitements
des souvenirs pathologiques, et tout particulièrement pour le
traitement de l’ESPT.
La première étape consiste à vérifier si les processus de reconso-
lidation, qui ont été mis en évidence dans de nombreuses espèces
animales, peuvent l’être également chez l’homme. C’est en 2003
que M.P. Walker et al. (5) apportèrent des données montrant
l’existence d’une reconsolidation chez l’homme, en utilisant
comme traitement perturbateur un apprentissage fondé sur des
séquences de mouvements des doigts et des tâches interférentes.
Cette première étude a été suivie de plusieurs autres attestant
de processus de reconsolidation chez l’homme.
La seconde étape consiste à trouver une molécule non toxique
pour l’organisme humain et capable de perturber la reconso-
lidation. L’intensité des souvenirs est modulée par un certain
nombre de facteurs naturels comme le stress et l’émotion. On
sait depuis longtemps que les souvenirs ayant une certaine