Maux des mots en français colonial
mettre en cause aujourd’hui, relèverait pour
beaucoup de l’insolence. Prenons par exemple un
thème aussi courant que l’idée de la domination
arabe en Afrique du Nord. Depuis Ernest Renan
(1873),1 les écrits des savants français
rapportent que les Arabes s’y sont installés
par la force des armes, se sont emparés du
pouvoir et ont dominé les populations “les
groupes Berbères” qui, contraints, se sont
repliés vers les montagnes et les déserts.2
Fidèle à cette vision, les écrits des savants
français ont reproduit grosso modo l’idée d’un
asservissement éternel des autochtones nord-
africains à tous les conquérants. Le découpage
historique respecte les histoires des
conquêtes, même les plus éphémères. On parle
ainsi d’une époque phénicienne, une autre
romaine, hellénique, vandale, byzantine, arabe,
turc, italienne, française ou espagnole comme
si les autochtones n’arrivaient jamais à se
constituer en force capable de repousser tous
les conquérants énumérés. Il résulte de tout
cela que la tentative coloniale des Français
s’inscrit dans cette “logique” de succession
d’occupations. La France se croyait, ou faisait
croire, mettre un terme par la prise d’Alger à
cette conquête et initier le processus de
l’édification d’une Algérie devenue française.
La France est allée même jusqu’à s’approprier
Rome antique, à l’instar de l’Italie en Libye
1 E. Renan, 1873, “Exploration scientifique de
l’Algérie. La société berbère”, Revue des Deux Mondes,
T. 107, sep., Paris.
2 Il s’agit là de l’une des grandes aberrations
dupliquées à profusion. Jamais Imazighen n’ont été
repoussés vers là où ils se trouvent actuellement, et
surtout, ils ont toujours réussi à assimiler à leur
culture, les différents groupes qui se sont succédés
comme conquérants, réfugiés ou exilés. Des études
sérieuses proposent de lire le peuplement de l’Afrique
du Nord dans un courant de peuplement du Sud vers le
Nord, et non l’inverse.