Épidémiologie des troubles bipolaires

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L’Information psychiatrique 2005 ; 81 : 863-8
TROUBLES BIPOLAIRES
Épidémiologie des troubles bipolaires
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Frédéric Rouillon*
RÉSUMÉ
Les troubles bipolaires sont fréquents et très handicapants. Ils sont largement sous-diagnostiqués et insuffisamment traités.
Ils constituent une charge très importante sur le plan de la santé publique. Leurs coûts indirects (emploi et productivité)
pourraient être considérablement réduits en investissant dans l’amélioration des coûts directs (soins).
Mots clés : troubles bipolaires, épidémiologie
ABSTRACT
Epidemiological approach of bipolar disorders. Bipolar disorders have a high incidence and are the source of severe
handicaps. They are largely underdiagnosed and undertreated. They represent a serious burden for public health. Their
indirect costs (employment and productivity) could be dramatically reduced by investing in the improvement of direct costs
(health care).
Key words: bipolar disorders, epidemiology
RESUMEN
Epidemiología de los trantornos bipolares. Los trantornos bipolares son frecuentes y muy invalidantes. Están muy
subdiagnosticados y subtratados. Constituyen una carga importante en lo referente a la salud pública. Su coste indirecto
(empleo y productividad) podrían reducirse considerablemente invirtiendo en la mejora de los costes directos ( tratamiento).
Palabras clave : transtornos bipolares, epidemiologia, costes, salud pùblica
* CHU Henri-Mondor, 51, avenue de Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil Cedex 19. <[email protected]>
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F. Rouillon
Les troubles bipolaires constituent un enjeu important
de santé publique. Cela a été montré dans de nombreuses
études, mais d’une façon particulièrement démonstrative
dans l’étude de santé publique de Harvard, sponsorisée par
la Banque mondiale et l’OMS [25]. Cette étude a montré
que, au « hit-parade » des maladies, les troubles bipolaires
figurent au 6e rang mondial en termes de handicap, toutes
maladies confondues. Le principal critère utilisé pour
effectuer ce classement était le nombre d’années vécues
avec le handicap (DALYs). Les troubles bipolaires constituent à eux seuls 1 % des années vécues avec un handicap
dans la population mondiale. Ces chiffres d’années vécues
avec un handicap orientent les grandes priorités de santé
publique, celles sur lesquelles doivent se concentrer les
moyens sanitaires dans le monde. Leur importance justifie
que l’on concentre des moyens importants sur les troubles
bipolaires.
Épidémiologie descriptive
L’évaluation épidémiologique d’une maladie dépend
très largement de la définition que l’on donne à cette maladie. Un épidémiologiste est quelqu’un qui ne voit pas les
malades et qui doit recevoir des informations sérieuses et
consensuelles pour que les taux qu’il chiffre soient pertinents. L’épidémiologie des troubles bipolaires a largement
bénéficié de l’amélioration des procédures standardisées de
diagnostic. La définition des troubles bipolaires a une histoire qui a commencé au XIXe siècle et, actuellement, la
définition du DSM est celle qui est la plus utilisée dans les
études internationales. Il est important de s’accorder sur la
définition que l’on utilise, parce que les chiffres varient
beaucoup selon les catégories de patients que l’on retient
pour les études, les bipolaires I seuls, les bipolaires I et II
ou encore l’ensemble du spectre de la bipolarité.
Un très grand nombre d’études ont été faites dans le
monde sur l’épidémiologie des troubles bipolaires. Mais
très peu ont été faites en France, ce qui est problématique
pour l’organisation de la santé publique dans notre pays. À
l’étranger, on relève une douzaine d’études faites dans
10 pays (plusieurs aux États-Unis), comparables parce
qu’elles ont utilisé des méthodes et des critères diagnostiques pratiquement identiques. Leurs résultats montrent que
la prévalence des troubles bipolaires sur une année donnée
est en moyenne de 0,5 à 1 % et que la prévalence sur la vie
entière est de 1 à 2 %. Il est intéressant d’observer que,
malgré une méthodologie similaire, les résultats de ces
études sont parfois très variables d’un pays à l’autre. On
retrouve les chiffres les plus élevés dans une étude hongroise, où la prévalence sur la vie entière atteint 5 %, et les
chiffres les plus bas dans les pays asiatiques, à Taïwan et en
Corée, où elle varie de 0,1 à 0,4 %. Ces divergences très
importantes ne sont pas très bien comprises : les chiffres
retrouvés en Hongrie corroborent les taux extrêmement
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élevés de suicide dans ce pays et les taux bas retrouvés en
Asie ont peut-être des explications culturelles.
Si l’on se situe dans une perspective dimensionnelle,
c’est-à-dire si l’on utilise la dimension bipolaire, qui
consiste en un large spectre qui va des bipolaires I aux
hyperthymiques (à la différence des études présentées au
paragraphe précédent, qui étaient catégorielles), les chiffres sont beaucoup plus élevés. Par exemple Angst et al.
[3], utilisant des critères très souples de définition des
formes subsyndromiques de trouble bipolaire (la soft definition appliquée à la Zürich Follow-up Study), ont retrouvé
9,4 % de bipolaires subsyndromiques dans la population
générale. Ces 9,4 %, toujours dans l’étude de Angst, viennent s’ajouter à 3,3 % d’hypomaniaques, 11 % de
bipolaires II et 0,5 % de bipolaires I, ce qui fait un total de
24,2 % de personnes appartenant au spectre de la bipolarité
dans la population générale. Ces estimations particulièrement élevées ne sont pas retrouvées dans d’autres études,
comme celles de Lewinshon et al. [20] et de Hirschfeld et
al. [17], qui situent la prévalence autour de 3 à 7 % de
patients bipolaires dans la population, taux qui n’en sont
pas moins élevés. Ces différents chiffres montrent que la
définition des troubles bipolaires, surtout en ce qui
concerne le spectre de la bipolarité, n’est pas encore appréhendée partout de la même manière. Cela peut fragiliser le
crédit des études épidémiologiques. Des chiffres très élevés
peuvent par exemple décourager les autorités sanitaires et
effrayer les responsables des caisses d’assurance-maladie.
Les troubles bipolaires ne s’analysent pas seulement en
population générale, mais aussi dans les différentes files
actives de patients (files actives de consultations par exemple). Une étude française a montré que 13 % des patients
vus en consultation psychiatrique (public et privé confondus) présentent un trouble bipolaire [35]. Dans une consultation où sont adressés spécifiquement des patients souffrant de troubles de l’humeur, Benazzi [6] a retrouvé 45 %
de bipolaires II et 4 % de bipolaires I (les autres patients,
environ 50 %, étaient des unipolaires). Aux États-Unis,
Pincus et al. [31] ont retrouvé 12 % de bipolaires dans les
consultations de psychiatrie générale ; Das Gupta et Guest
[8], dans le même type de consultation en Angleterre, en
ont retrouvé 13 %. Il existe donc une certaine convergence
des taux de bipolaires dans les consultations psychiatriques
et l’on peut considérer qu’ils constituent 10 à 15 % des files
actives de nos patients.
L’épidémiologie ne consiste pas seulement à étudier la
prévalence d’un trouble, elle étudie aussi la morbidité, ou la
mortalité, liée à ce trouble. Il existe beaucoup d’études
portant sur la mortalité liée aux troubles bipolaires et,
parmi celles-ci, une des plus importantes est celle d’Osby
[28], faite en Suède sur une population de plus de
50 000 patients décédés entre 1973 et 1995. L’analyse du
nombre de suicides montre que l’on a 15 fois plus de
chances de mourir par suicide si l’on souffre d’un trouble
bipolaire et que l’on est un homme, et le chiffre est de 22
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Épidémiologie des troubles bipolaires
fois plus pour les femmes. Les chiffres pour les unipolaires
sont encore plus élevés (21 pour les hommes, 27 pour les
femmes). La maladie bipolaire est donc mortelle, par le
nombre des suicides chez une proportion importante des
malades. Mais sa morbidité n’est pas seulement liée aux
suicides. L’étude d’Osby montre en effet que, en excluant
les morts par suicide, les personnes qui souffrent de troubles bipolaires (ainsi d’ailleurs que celles souffrant de
troubles unipolaires) ont une mortalité en moyenne 1,5 à
2 fois supérieure à celle de la population normale.
En termes de prévalence, une méta-analyse de Goodwin
et Jamison [16], portant sur 29 études, a montré que 19 %
des patients souffrant de troubles bipolaires meurent par
suicide, ce qui fait environ 1 bipolaire sur 5, et 1 sur 2 fait
au moins une tentative de suicide dans son existence. Les
facteurs de risque de suicide (analysés par Rihmer et Kiss
en 2002 [32]) sont les suivants : 1) souffrir d’un trouble
bipolaire II (plutôt que d’un trouble bipolaire I) ; 2) avoir
des antécédents personnels de tentative de suicide ; 3) souffrir de comorbidités (addiction, personnalité impulsive,
etc.) ; 4) présenter une manie dysphorique ou un état
mixte ; 5) avoir des antécédents familiaux de suicide ; 6)
avoir vécu des événements de vie stressants (pertes) ; 7)
une absence de traitement (pour la phase aiguë et à long
terme). On doit insister sur l’importance du traitement, qui
est susceptible de diminuer de façon importante la mortalité. Ainsi, Tondo et Baldessarini [37] ont montré qu’un
traitement par un thymorégulateur baisse très significativement la mortalité des malades bipolaires. Le trouble bipolaire est probablement la maladie mentale où un traitement
(le lithium) est le plus susceptible de prévenir la mortalité
(un tel effet préventif n’est d’ailleurs pas retrouvé dans la
schizophrénie ni dans les dépressions unipolaires). Il existe
donc une vraie spécificité protectrice du lithium sur la
mortalité dans les troubles bipolaires.
Retentissement social et accès
aux soins
Les troubles bipolaires affectent les malades toute leur
vie. La maladie débute en général entre 17 et 27 ans, les
épisodes (maniaques ou dépressifs) durent entre 4 et
13 mois et les épisodes surviennent en moyenne 0,6 fois
par an, c’est-à-dire à peu près un an sur deux. Chez 63 %
des sujets atteints, il existe un handicap social moyen ou
sévère [36]. Le premier type de retentissement est socioprofessionnel. Plusieurs grandes études internationales ont
été consacrées à ce sujet. Selon Dion et al. [9] et McPherson et al. [24], 41 à 43 % des patients travaillent (contre
75 % dans la population générale), avec seulement 21 %
des sujets qui fonctionnent au mieux de leurs compétences
professionnelles. Selon la National Comorbidity Survey de
Kessler et al. [18], les troubles bipolaires font perdre
12 journées par mois pour 100 personnes qui travaillent.
L’étude anglaise de Das Gupta et Guest, déjà citée [8], a
retrouvé 46 % des patients bipolaires sans travail, alors que
60 % d’entre eux seraient aptes à travailler (leur absence de
travail ne serait pas due à une incapacité à travailler, mais
aux difficultés d’insertion dans le monde du travail).
La maladie a aussi un grave retentissement familial.
Quand, dans un couple, un des deux conjoints est malade, il
n’y a qu’un couple sur cinq qui est préservé ; autrement dit,
dans 4 cas sur 5, il y a séparation ou divorce [7, 12], sachant
que, dans la population générale, un couple sur trois
divorce (un sur deux dans la région parisienne). Il a aussi
été montré que les conflits familiaux et interpersonnels
augmentent considérablement les risques de suicide [38].
Les malades sont toujours une charge pour l’entourage et,
selon Perlick et al. [29], 93 % de membres des familles
concernées rapportent une « détresse moyenne ou
majeure ». Les difficultés ressenties par les familles ont
plusieurs origines, qui sont les comportements des patients,
les comorbidités (addictions par exemple), ainsi que la
stigmatisation dont le patient est l’objet et qui retentit sur
ses proches. Les familles se sentent facilement désignées à
la vindicte du public quand un membre est atteint par la
maladie.
La maladie a des conséquences sociales importantes.
Utilisant des modèles statistiques de régression multivariée, des études ont montré que certains facteurs sont particulièrement handicapants sur les plans social et familial [2,
4]. Il apparaît que ce sont les symptômes dépressifs qui sont
les plus invalidants en termes de conséquences sociales et
de coût global (alors que, cliniquement, on aurait plutôt
l’impression que ce sont les symptômes maniaques qui
portent le plus à conséquence).
Un autre aspect important de la question est celui du
délai de l’accès aux soins. Plusieurs études ont montré que
le retard dans la prise en charge des patients a pour conséquences d’augmenter le risque suicidaire, de diminuer
l’adaptation sociale et d’augmenter le nombre des hospitalisations. Dans l’étude de Lish et al. [22], le délai entre la
première consultation et le diagnostic de la maladie était de
8 ans, autrement dit les psychiatres étaient très souvent
passés à côté du diagnostic. Goldberg et Ernst [13] retrouvent un délai de près de 10 ans entre les premiers symptômes et la mise en route d’un traitement thymorégulateur. Il
y a donc certainement encore un important travail à faire
pour raccourcir le délai entre le diagnostic et le traitement.
Les bilans faits par les grands systèmes d’assurancemaladie montrent qu’un très grand nombre – une large
majorité – de patients bipolaires ne sont pas pris en charge
par une filière de soins psychiatrique, mais par un milieu
médical non psychiatrique. Ainsi, selon Weissman et al.
[39], 38,5 % des patients bipolaires sont pris en charge en
psychiatrie (dont 9,6 % hospitalisés), alors que 79,2 % sont
pris en charge par des filières de soins non psychiatriques.
Autrement dit, la majorité des patients (de l’ordre de
2 patients sur 3) s’adressent à des services de médecine
générale ou à d’autres formes de prise en charge, induisant
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des erreurs de diagnostic qui retardent les traitements
appropriés. Aux États-Unis, il y a environ 1 million de
patients bipolaires traités, avec 16 millions de consultations par an (une moyenne de 14,7 consultations par patient
et par an). Lish et al. [22] ont retrouvé que 88 % des
patients ont au moins une hospitalisation en psychiatrie
dans leur vie et 66 % en ont 2 ou plus. Les patients bipolaires sont donc de grands consommateurs de soins. Souvent,
les troubles bipolaires ne sont pas diagnostiqués, surtout les
bipolaires II. Mais les résultats des études varient beaucoup. Ainsi, Manning et al. [23] retrouvent 26 % de
patients bipolaires II non diagnostiqués en médecine générale, alors que Perugi et al. [30] retrouvent 72 % de patients
non diagnostiqués (dont 50 % de bipolaires II) dans un
hôpital de jour pour déprimés atypiques. Gaemi et al. [11]
ont retrouvé 36 % de bipolaires non diagnostiqués dans une
consultation spécialisée pour déprimés, Goldberg et al.
[14] 45 % de bipolaires non diagnostiqués dans une population de déprimés hospitalisés. Beaucoup d’efforts restent
donc à faire pour repérer correctement les bipolaires.
Évaluation des coûts directs et indirects
Les retards diagnostiques et d’accès aux soins ont des
conséquences économiques. Il existe des risques d’accélération des cycles de la maladie du fait de prescriptions
inappropriées, en particulier d’antidépresseurs. Par exemple, Altshuler et al. [1] ont retrouvé 30 à 40 % d’inductions
de manies ou de cycles rapides chez les patients bipolaires
traités par les antidépresseurs. Il a aussi été montré que le
lithium est moins efficace s’il est commencé 5 ans après les
premiers symptômes de la maladie [10]. La diminution de
l’espérance de vie a été évaluée à 9 ans (principalement par
suicide) en l’absence de traitement, et à 6,5 ans avec traitement thymorégulateur (autrement dit, un traitement ferait
gagner 3,5 années d’espérance de vie chez les bipolaires).
Un autre aspect de la question est l’augmentation de la
criminalité chez les patients ni diagnostiqués ni traités : il y
a environ 10 % de troubles bipolaires chez les détenus,
dans leur grande majorité non diagnostiqués [15]. La criminalité chez les bipolaires se situe, en général, entre le
moment où apparaissent les premiers symptômes et le
moment où les patients sont soignés. De telles observations
pourraient donc avoir des conséquences sur la prévention
de la criminalité.
D’après Rice et Miller [34], les troubles bipolaires
représentent 21 % des dépenses pour troubles mentaux
dans leur ensemble. Avec une répartition des coûts qui se
ferait de la façon suivante : 58,4 % de coûts directs des
traitements, 8,1 % de coûts induits par la morbidité, 28,9 %
de coûts liés à la mortalité et 4,6 % d’autres coûts (crimes,
perte de productivité, etc.). Les Américains Wyatt et Henter
[40] ont séparé les coûts directs et indirects des troubles
bipolaires. Ils ont retrouvé que les coûts directs des troubles
bipolaires s’élèvent à 7,54 milliards de dollars par an aux
866
États-Unis (35,8 % pour les hospitalisations, 45,4 % pour
les soins à domicile et institution, 4,6 % pour les soins
ambulatoires, 11 % pour la prise en charge des addictions,
1,9 % pour les médicaments et 1,3 % pour les autres soins).
Ils ont évalué à 37,63 milliards de dollars les coûts indirects
(20,8 % pour la perte de productivité par suicide, 16,5 %
pour la perte de productivité liée à la famille, 46,7 % pour
la perte de salaire et d’emploi, 16 % pour les autres coûts
indirects). Au total, les troubles bipolaires coûtent 46 milliards de dollars par an aux États-Unis (en France, ce coût
est évalué à 10 milliards d’euros). Ces chiffres montrent
que les troubles bipolaires sont beaucoup plus coûteux
indirectement que directement, les pertes de productivité et
d’emploi constituant le coût indirect le plus élevé. Concernant les coûts directs, ce sont les soins à domicile, en
institution et à l’hôpital qui coûtent le plus cher. On note
que les médicaments ne constituent que 1,9 % des coûts.
En France, Olié et Lévy [27] ont étudié le coût d’un épisode
maniaque (137 patients étudiés, avec une moyenne d’hospitalisation de 47 jours). Ils ont évalué à 22 297 euros en
moyenne le coût d’un épisode maniaque suivi pendant
3 mois (dont 98,6 % pour l’hospitalisation). Le coût moyen
annuel des troubles bipolaires en Grande-Bretagne serait
de 2 milliards d’euros (bien inférieur à celui de la France),
dont 87 % en coûts indirects [8].
Aux États-Unis, 95 296 nouveaux cas de troubles bipolaires ont été diagnostiqués en 1998. Begley et al. [5] ont
groupé et analysé ces malades en fonction de six données
évolutives : groupe n° 1, un épisode unique (7,5 % des cas),
groupe n° 2, épisodes récidivants avec de longues rémissions intercritiques (56 % des cas), groupes n° 3 à 6, troubles chroniques et épisodes fluctuants répondant peu ou pas
au traitement (42 % des cas). Les groupes 3 à 6, qui constituent une minorité de malades, ont induit 72,5 % du coût
global. Ce ne sont donc pas les troubles bipolaires euxmêmes qui coûtent cher, ce sont certains sous-groupes,
notamment les patients chroniques et résistants aux traitements. Ces études de coût-cas incidents faites aux ÉtatsUnis montrent qu’un patient du groupe 1 coûte environ
12 000 dollars par an, alors qu’un patient des groupes 3 à 6
peut coûter jusqu’à 625 000 dollars par an. En moyenne, un
patient coûte 252 000 dollars par an. En termes de santé
publique, il est nécessaire d’avoir un bon système d’information pour qualifier les groupes (des erreurs de qualification peuvent conduire à des coupes sombres dans les budgets).
Le fait de disposer de traitements efficaces, qui permettent de réduire les cas de patients chroniques et résistants au
traitement, a des incidences médico-économiques importantes.
Une étude californienne, portant sur 3 349 patients bipolaires, a montré que les patients traités par des thymorégulateurs coûtent beaucoup moins cher que ceux non traités
[21]. Le traitement augmente le coût en médicaments, mais
cette augmentation est largement compensée par la diminu-
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Épidémiologie des troubles bipolaires
tion des consultations et des hospitalisations (qui peuvent
être psychiatriques et non psychiatriques). L’étude montre
aussi que le délai de mise en route du traitement a un coût
très élevé en consultations et hospitalisations non psychiatriques. Traiter les personnes de façon adéquate coûte un
peu, mais peut rapporter beaucoup. Il existe aussi des
traitements qui coûtent moins cher que d’autres, les électrochocs par exemple peuvent être très avantageux. Une
étude d’Okasha et Ramy [26], chez 60 maniaques hospitalisés, montre que les électrochocs diminuent de moitié la
durée d’hospitalisation et le coût général du traitement.
Une autre étude a montré que l’arrivée des traitements par
le lithium a fait faire des économies très importantes dans le
traitement des troubles bipolaires, largement du fait de la
diminution des hospitalisations [33]. Les psychothérapies
elles aussi, tout comme les programmes psycho-éducatifs,
font faire des économies, en diminuant les récidives, les
hospitalisations et les arrêts de travail [19].
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
Conclusion
Les troubles bipolaires sont fréquents, ils ont un risque
suicidaire élevé, sont très handicapants, sousdiagnostiqués, sous-soignés et extrêmement coûteux.
Leurs coûts indirects (emploi et productivité) pourraient
être considérablement réduits en investissant dans l’amélioration des coûts directs (soins).
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