des erreurs de diagnostic qui retardent les traitements
appropriés. Aux États-Unis, ilyaenviron 1 million de
patients bipolaires traités, avec 16 millions de consulta-
tions par an (une moyenne de 14,7 consultations par patient
et par an). Lish et al. [22] ont retrouvé que 88 % des
patients ont au moins une hospitalisation en psychiatrie
dans leur vie et 66 % en ont 2 ou plus. Les patients bipolai-
res sont donc de grands consommateurs de soins. Souvent,
les troubles bipolaires ne sont pas diagnostiqués, surtout les
bipolaires II. Mais les résultats des études varient beau-
coup. Ainsi, Manning et al. [23] retrouvent 26 % de
patients bipolaires II non diagnostiqués en médecine géné-
rale, alors que Perugi et al. [30] retrouvent 72 % de patients
non diagnostiqués (dont 50 % de bipolaires II) dans un
hôpital de jour pour déprimés atypiques. Gaemi et al. [11]
ont retrouvé 36 % de bipolaires non diagnostiqués dans une
consultation spécialisée pour déprimés, Goldberg et al.
[14] 45 % de bipolaires non diagnostiqués dans une popu-
lation de déprimés hospitalisés. Beaucoup d’efforts restent
donc à faire pour repérer correctement les bipolaires.
Évaluation des coûts directs et indirects
Les retards diagnostiques et d’accès aux soins ont des
conséquences économiques. Il existe des risques d’accélé-
ration des cycles de la maladie du fait de prescriptions
inappropriées, en particulier d’antidépresseurs. Par exem-
ple, Altshuler et al. [1] ont retrouvé 30 à 40 % d’inductions
de manies ou de cycles rapides chez les patients bipolaires
traités par les antidépresseurs. Il a aussi été montré que le
lithium est moins efficace s’il est commencé 5 ans après les
premiers symptômes de la maladie [10]. La diminution de
l’espérance de vie a été évaluée à 9 ans (principalement par
suicide) en l’absence de traitement, et à 6,5 ans avec traite-
ment thymorégulateur (autrement dit, un traitement ferait
gagner 3,5 années d’espérance de vie chez les bipolaires).
Un autre aspect de la question est l’augmentation de la
criminalité chez les patients ni diagnostiqués ni traités : il y
a environ 10 % de troubles bipolaires chez les détenus,
dans leur grande majorité non diagnostiqués [15]. La cri-
minalité chez les bipolaires se situe, en général, entre le
moment où apparaissent les premiers symptômes et le
moment où les patients sont soignés. De telles observations
pourraient donc avoir des conséquences sur la prévention
de la criminalité.
D’après Rice et Miller [34], les troubles bipolaires
représentent 21 % des dépenses pour troubles mentaux
dans leur ensemble. Avec une répartition des coûts qui se
ferait de la façon suivante : 58,4 % de coûts directs des
traitements, 8,1 % de coûts induits par la morbidité, 28,9 %
de coûts liés à la mortalité et 4,6 % d’autres coûts (crimes,
perte de productivité, etc.). Les Américains Wyatt et Henter
[40] ont séparé les coûts directs et indirects des troubles
bipolaires. Ils ont retrouvé que les coûts directs des troubles
bipolaires s’élèvent à 7,54 milliards de dollars par an aux
États-Unis (35,8 % pour les hospitalisations, 45,4 % pour
les soins à domicile et institution, 4,6 % pour les soins
ambulatoires, 11 % pour la prise en charge des addictions,
1,9 % pour les médicaments et 1,3 % pour les autres soins).
Ils ont évalué à 37,63 milliards de dollars les coûts indirects
(20,8 % pour la perte de productivité par suicide, 16,5 %
pour la perte de productivité liée à la famille, 46,7 % pour
la perte de salaire et d’emploi, 16 % pour les autres coûts
indirects). Au total, les troubles bipolaires coûtent 46 mil-
liards de dollars par an aux États-Unis (en France, ce coût
est évalué à 10 milliards d’euros). Ces chiffres montrent
que les troubles bipolaires sont beaucoup plus coûteux
indirectement que directement, les pertes de productivité et
d’emploi constituant le coût indirect le plus élevé. Concer-
nant les coûts directs, ce sont les soins à domicile, en
institution et à l’hôpital qui coûtent le plus cher. On note
que les médicaments ne constituent que 1,9 % des coûts.
En France, Olié et Lévy [27] ont étudié le coût d’un épisode
maniaque (137 patients étudiés, avec une moyenne d’hos-
pitalisation de 47 jours). Ils ont évalué à 22 297 euros en
moyenne le coût d’un épisode maniaque suivi pendant
3 mois (dont 98,6 % pour l’hospitalisation). Le coût moyen
annuel des troubles bipolaires en Grande-Bretagne serait
de 2 milliards d’euros (bien inférieur à celui de la France),
dont 87 % en coûts indirects [8].
Aux États-Unis, 95 296 nouveaux cas de troubles bipo-
laires ont été diagnostiqués en 1998. Begley et al. [5] ont
groupé et analysé ces malades en fonction de six données
évolutives : groupe n° 1, un épisode unique (7,5 % des cas),
groupe n° 2, épisodes récidivants avec de longues rémis-
sions intercritiques (56 % des cas), groupes n° 3 à 6, trou-
bles chroniques et épisodes fluctuants répondant peu ou pas
au traitement (42 % des cas). Les groupes3à6,quicons-
tituent une minorité de malades, ont induit 72,5 % du coût
global. Ce ne sont donc pas les troubles bipolaires eux-
mêmes qui coûtent cher, ce sont certains sous-groupes,
notamment les patients chroniques et résistants aux traite-
ments. Ces études de coût-cas incidents faites aux États-
Unis montrent qu’un patient du groupe 1 coûte environ
12 000 dollars par an, alors qu’un patient des groupes 3 à 6
peut coûter jusqu’à 625 000 dollars par an. En moyenne, un
patient coûte 252 000 dollars par an. En termes de santé
publique, il est nécessaire d’avoir un bon système d’infor-
mation pour qualifier les groupes (des erreurs de qualifica-
tion peuvent conduire à des coupes sombres dans les bud-
gets).
Le fait de disposer de traitements efficaces, qui permet-
tent de réduire les cas de patients chroniques et résistants au
traitement, a des incidences médico-économiques impor-
tantes.
Une étude californienne, portant sur 3 349 patients bipo-
laires, a montré que les patients traités par des thymorégu-
lateurs coûtent beaucoup moins cher que ceux non traités
[21]. Le traitement augmente le coût en médicaments, mais
cette augmentation est largement compensée par la diminu-
F. Rouillon
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 81, N° 10 - DE
´CEMBRE 2005866
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