Roger Penrose appelle l’ensemble des rayons lumineux l’« espace des twisteurs » : chaque
rayon lumineux, qui correspond à une géodésique de lumière dans l’espace-temps, est représenté
par un simple point dans l’espace des twisteurs ; et réciproquement, chaque point de l’espace-temps
peut être reconsidéré comme l’ensemble des rayons lumineux passant par lui, c’est-à-dire comme
un ensemble de points dans l’espace des twisteurs 1. S’établit ainsi une relation de correspondance
entre l’espace des twisteurs et l’espace-temps, relation qui invite à considérer que le second est…
secondaire, c’est-à-dire qu’il dérive du premier. De là à penser que l’espace des twisteurs est une
entité plus fondamentale que l’espace-temps, et que c’est à partir de lui qu’il faudrait reformuler les
lois de la physique, il n’y a qu’un pas, que Roger Penrose n’a pas hésité à franchir.
Pendant les vingt années qui ont suivi la proposition initiale de Penrose, la « théorie des
twisteurs 2 » s’est rapidement développée. À la surprise quasi-générale des physiciens, on s’est
aperçu que de nombreuses équations pouvaient être reformulées dans l’espace des twisteurs. Cette
possibilité de réécriture militait à elle seule pour qu’on admît de considérer effectivement les rayons
de lumière, c’est-à-dire les propagateurs de la causalité, comme des entités vraiment fondamentales,
voire fondatrices, l’espace-temps n’étant plus qu’un aspect secondaire exprimant les relations
mutuelles de ces rayons. En vertu d’un argument esthétique, elle semblait également marquer une
étape vers l’unification des quatre interactions fondamentales car, reformulées au sein de l’espace
des twisteurs, les équations décrivant les divers types de particules prennent une même forme, qui
plus est, simple 3.
Cette nouvelle théorie paraissait surtout donner corps à l’idée que l’espace-temps de la relativité
générale pourrait émerger d’une autre structure plus profonde : il deviendrait en quelque sorte le
« fils » de la lumière. Mais cette représentation de l’univers n’est pas sans poser quelques
problèmes. Et le principal d’entre eux pourrait être rédhibitoire : l’espace des twisteurs ne serait
encore concevable qu’en dehors du cadre de la physique quantique. Bien qu’il soit structurellement
très différent de l’espace-temps, il correspond, comme lui, à une structure géométrique lisse.
Personne ne sait encore à quoi pourrait ressembler un espace des twisteurs qui serait de nature
quantique. Cette théorie n’a peut-être pas dit son dernier mot, mais, à ce jour, elle n’unifie pas la
physique quantique et la relativité générale.
1. Les mathématiciens savent que les nombres complexes peuvent être représentés dans un plan (le plan
complexe) ou bien, si l’on ajoute un point à l’infini, sur une sphère, la sphère de Riemann. Cette sphère peut
tourner sur elle-même, et ainsi devenir un twisteur (un torseur en français). Dans l’espace-temps, les rayons
de lumière sont des géodésiques. Dans l’espace des twisteurs, chaque point de l’espace-temps, c’est-à-dire
chaque événement, est représenté par une sphère de Riemann, qui correspond à l’ensemble des rayons
lumineux passant par lui.
2. Une présentation relativement accessible de cette théorie est donnée par Roger Penrose lui-même dans
un livre écrit en collaboration avec Stephen Hawking : La Nature de l’espace…, op. cit.
3. Les équations différentielles par lesquelles on décrit d’ordinaire les différents types de particules
deviennent en effet de simples équations algébriques.