construit par l’homme. A titre de comparaison, les plus
puissants des accélérateurs de particules actuellement en
service, peuvent explorer des distances de l’ordre de
10−16 cm.
D’après la théorie des cordes, à des distances de l’ordre
de 10−33 cm la géométrie de l’espace-temps change. Tous
les processus, qui dans le cadre théorique du Modèle Stan-
dard étaient ponctuels, acquièrent une extension spatio-tem-
porelle.
La théorie des cordes en est encore au stade de la
recherche et n’a reçu aucune confirmation expérimentale.
Même au plan théorique, nombreux sont les problèmes qui
ne sont pas encore élucidés, mais il y a déjà plusieurs résul-
tats importants. Certains peuvent être mis à l’épreuve expé-
rimentale avec la nouvelle génération d’accélérateurs qui
sont en construction. Ici je me limiterai à une courte liste
parmi les plus significatifs.
(i) La théorie quantique des cordes contient la gravitation
quantique. Dans la limite classique elle reproduit la
théorie de la relativité générale d’Einstein.
(ii) C’est le seul cadre théorique connu qui offre un
schéma cohérent à toutes les distances, aussi bien
grandes (région infrarouge), que courtes (région ultra-
violette), et qui englobe la mécanique quantique et la
gravitation.
(iii) Dans ce cadre, les particules correspondent aux modes
de vibration d’une corde. Ainsi, à chaque particule
connue, décrite par le mode fondamental, correspon-
drait une « tour » d’états associés aux modes excités.
Dans l’état actuel de notre compréhension de la théo-
rie, nous ne pouvons pas prédire la valeur de l’espace-
ment des niveaux.
(iv) Pour sa formulation cohérente, la théorie des cordes
nécessite l’introduction de la supersymétrie. Par exten-
sion, elle s’appelle théorie des supercordes.
(v) La corde se déplace dans un espace-temps ambiant. Au
niveau classique cet espace peut avoir n’importe quel
nombre de dimensions. Un des résultats les plus inat-
tendus de la théorie est que la cohérence au niveau
quantique impose à l’espace ambiant une dimension-
nalité fixe. Une super-corde quantique ne peut évoluer
que dans un espace-temps à dix dimensions, neuf
dimensions d’espace et une de temps. Dans un instant
j’expliquerai comment un tel résultat peut être compa-
tible avec notre expérience quotidienne.
(vi) Il n’existe que cinq théories des supercordes.
(vii) Elles sont toutes des manifestations différentes d’une
seule théorie fondamentale qui est formulée dans un
espace-temps à onze dimensions (10 +1). Nous ne
savons pas grand chose sur cette mystérieuse théorie,
ni ses équations de mouvement, ni même les variables
dynamiques en termes desquelles elles seraient écrites.
Nous savons seulement que, dans la limite classique,
elle donne la relativité générale supersymétrique à
onze dimensions et, pour certains choix d’une des
dimensions d’espace, les théories des supercordes. En
l’absence d’un terme plus approprié, nous l’avons
appelée Théorie M.
Si l’espace a vraiment dix ou onze dimensions, comment
se fait-il qu’on n’en aperçoive que quatre ? La réponse pour-
rait être contenue dans un travail de T. Kaluza qui date des
premières années de la relativité générale. L’idée en est très
simple : la surface d’une sphère, celle d’un cylindre, ou un
plan, sont tous des espaces bidimensionnels. Pour la sphère
les deux dimensions sont compactes, pour le cylindre l’une
est compacte et l’autre non compacte, qui s’étend de −∞ à
+∞. Pour le plan les deux sont non-compactes. Un obser-
vateur qui regarde de loin, avec un pouvoir de résolution
insuffisant, voit toujours le plan correctement, mais il
confond le cylindre avec une ligne et la sphère avec un
point. Cette idée fut exploitée par Kaluza dès 1919. Il consi-
déra un espace-temps à cinq dimensions (quatre d’espace et
une de temps) et il y écrivit la relativité générale, i.e. la force
de gravitation à cinq dimensions. Il montra que cette théorie
admet une solution décrivant un espace-temps avec la géo-
métrie suivante : un espace-temps quadridimensionnel avec
trois directions d’espace non compactes, et une cinquième
dimension compacte ayant la topologie d’un cercle. En
d’autres termes, l’espace devient un espace-temps ordinaire
quadridimensionnel à chaque point duquel est attaché un
cercle. Dans la limite où le rayon du cercle devient très petit,
seules les quatre dimensions restent « visibles ». Le plus
intéressant est le sort du groupe d’invariance de la relativité
générale à cinq dimensions. Kaluza montra que, comme
attendu, les quatre dimensions donnent la théorie d’Ein-
stein, mais la partie qui correspond à la cinquième dimen-
sion apparaît, à l’observateur quadridimensionnel, comme
une symétrie de jauge interne qui n’est autre que celle décri-
vant les interactions électromagnétiques. C’était la première
tentative d’unifier les interactions électromagnétiques et
gravitationnelles.
Si ce mécanisme se généralise et s’applique aux théories
actuelles, le nombre de dimensions compactes doit être égal
à six, pour les théories des cordes, ou sept, pour la théorie
M. Quel sera l’ordre de grandeur de l’échelle de compacti-
fication ? Peut-on imaginer que la prochaine génération
d’accélérateurs, en affinant notre pouvoir de résolution,
découvre des dimensions supplémentaires d’espace ?
Quelle sera la topologie de l’espace compact ? Quelle sera
sa relation avec les symétries du Modèle Standard ?
Toutes ces questions montrent que notre conception de
l’espace est en train de subir une évolution qu’aujourd’hui
nous ne maîtrisons que très partiellement. Chaque jour
apporte son lot de nouvelles questions. Mais la Physique est
une science expérimentale. Nous sentons tous le besoin
urgent de nouveaux résultats expérimentaux pour nous aider
à trouver notre chemin dans la pléthore de questions et de
nouvelles idées théoriques pour pouvoir formuler de nou-
velles questions.
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Relativité et interactions fondamentales