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qu'il ressentait comme un mal, une maladie. Ce cadre traditionnel de la médecine
occidentale s'appelle, dans le jargon des textes français traitant de ce sujet, le
colloque singulier. Il privilégie un rapport interpersonnel entre médecin et patient,
"la rencontre d'une confiance et d'une conscience" pour reprendre une expression
célèbre. Je vous avoue volontiers que je me suis senti àl'aise dans ce cadre
traditionnel. J'y ai trouvé, comme tant d'autres, une manière simple, peut-être
simpliste, de donner un sens et une orientation aux divers aspects de mon activité.
Le but était de répondre le mieux possible àune demande, explicite ou implicite.
Bien sûr, cette demande est souvent complexe, exige réflexion et analyse, elle n'est
jamais parfaitement satisfaite et, du fait même de cette imperfection, elle est la
référence exclusive de la critique que le médecin fait de son action, de ses résultats
et des techniques qu'il emploie. C'est l'incapacitéàrépondre correctement àla
demande du patient qui était, jusqu'àmaintenant, le principal moteur de progrès. Je
sais, bien sûr, que ce primat de la personne n'est pas universel. Je ne parle pas ici
de pays pratiquant des médecines traditionnelles non occidentales mais de pays de
traditions plus proches de la nôtre. Par exemple, le premier code de l'American
Medical Association affirmait, en 1847 : "le premier objectif de la profession
médicale est de rendre service àl'humanité, en respectant pleinement la dignitéde
l'homme et les droits des patients". C'est un monde de différence avec notre
tradition ! Il me semble cependant qu'il persiste, en France, un attachement profond
àce type de relation médecin/patient. J'en veux pour preuve l'affirmation répétée
par le code de déontologie, dans ses versions les plus récentes, du primat de cette
relation. Et pour illustration, une anecdote survenue pendant que je préparais cet
exposé. J'ai opéré, il y a une dizaine d'années, la petite fille d'un des plus célèbres
réalisateurs français de cinéma. Je l'avais, àcette occasion, rencontréquelques
minutes, pendant lesquelles il m'avait paru àla fois indifférent et distant. A ma
grande surprise, il vient de publier, dans une rubrique de Paris-Match, un article
déclarant que cette rencontre avait étéun des évènements les plus importants de sa
vie. Bel exemple de l'attachement àl'image, au mythe si vous voulez, du "bon
docteur" !