Chaîne de fabrication de la Trabant a Zwickau
secteur à l'autre. Il y a, c'est vrai, des secteurs où
la RDA n'est pas ridicule. Mais dans un grand
nombre d'activités, les machines et les biens
produits sont vétustes : peut-on vraiment évaluer
la valeur d'une Trabant ou d'un frigo antédilu-
vien ? A l'Ouest ils sont invendables !
Ensuite, on ne sait pas ce que feront les salariés
est-allemands de leur salaire. Même s'il est bas, il
est probable qu'ils souhaiteront en dépenser une
partie sur le marché ouest-allemand. Une
Fiat
Panda est beaucoup plus chère qu'une Trabant,
mais il ne faut pas des années d'attente pour
l'obtenir. Il est vrai qu'«
on pourrait instaurer des
barrières protectionnistes provisoires, par exem-
ple pour les produits manufacturés, qui représen-
tent le tiers de l'économie de la
RDA », comme le
suggère un expert, à Bruxelles.
Enfin, il faudra immédiatement et simultané-
ment réformer le système des prix : comment une
brasserie est-allemande pourra-t-elle payer son
personnel en monnaie noble si ses profits sont
nuls ? Actuellement, la bière est-allemande étant
classée dans la catégorie des biens populaires, son
prix subventionné par l'Etat, est dérisoire. Il
faudr
a instaurer un système de prix fixés par le
marché. C'est de toute façon inévitable, mais on
devra le faire immédiatement, union monétaire
oblige. Difficile. «
On dit qu'on va rétablir le
marché, mais il n'y a pas de marchands»,
rappelle
Brender. L'exemple de la Pologne, qui s'est
brutalement convertie aux prix du marché, est
souvent évoqué. « Les Polonais n'ont pas une
"Pologne de l'Ouest"
soit ils retroussent leurs
manches, soit ils coulent
», souligne Thierry
Daieff, au siège de la
Commerzbank, à Francfort.
On comprend mieux l'hostilité que rencontre,
dans les milieux économiques, le projet d'une
union monétaire en 1990. Les « Cinq Sages », un
grotipe d'experts ouest-allemands qui publie
chaque année un rapport très écouté, sont même
allés jusqu'à envoyer une lettre ouverte au chance-
lier Kohl : la rapide introduction du deutsche-
mark comme moyen de paiement est «
un faux
moyen pour stopper le flux de réfugiés
est-alle-
mands
écrivent-ils.
«Le
temps de l'économie, ce
n'est pas le temps de la politique,
affirme Jean-
Paul Betbeze, directeur des études économiques
et financières au Crédit lyonnais.
On ne peut pas
faire marcher un système à la vitesse du plus
rapide, et on ne peut pas demander à une monnaie
de tout faire
:
soutien à l'investissement, forma-
tion, retraites, etc. Il faut donc un calendrier pour
opérer correctement les aménagements, il faut
calmer le jeu.
»
Mais la machine est lancée.
Helmut
Kohl, qui
était politiquement fini il y a un an, joue son
va-tout sur le pari de l'union monétaire. Et même
s'il se ravisait, il n'est pas sûr qu'il pourrait faire
machine arrière.
((
Maintenant qu'on a annoncé la
disparition du
mark-est,
il va falloir aller très vite,
s'inquiète-t-on à la
Commerzbank.
Pour prendre
une image
:
le paysan qui vend
es
poules au
marché risque d'attendre, s'il sait qu'il obtiendra
en échange une monnaie de singe. La machine
économique se grippe, elle est en train de se
transformer en économie de troc.
»
L'Allemagne
aura-t-elle les moyens d'amortir le choc de l'union
monétaire ? Elle s'accompagnera d'un chômage
massif en RDA, et il faudra également renflouer
le système des retraites à l'Est. Chômage et
retraites pourraient coûter une cinquantaine de
milliards de DM dès la première année, selon les
premières estimations. Le reste, c'est-à.-dire tou-
tes les dépenses d'infrastructures, de transports,
de communications, de formation, est une oeuvre
de plus longue haleine. Ordre de grandeur
avancé : une centaine de milliards de DM. Les
besoins d'investissements des entreprises, enfin,
sont évalués à 300 milliards de DM. L'ensemble
représenterait 400 à 500 milliards de DM sur cinq
à dix années.
Ce prix, la prospère Allemagne de l'Ouest peut
le payer. La difficulté, ce sera les hommes
L'union monétaire express suppose un change-
ment radical de leur part. Si l'on peut violer ceux
qui détiennent aujourd'hui les leviers de l'écono-
mie, il n'est pas sûr qu'on les convertira pour
autant au marché.
PHILIPPE BOULET-GER
COURT
(1)1
DM
—3,40
francs.
(2) Centre d'Etudes prospectives et d'Informations
internationales.
européens ne doivent pas pour autant demeu-
rer « inertes ».
N.O. —
Pratiquement, que faire
?
M. Vauzelle.—
Travailler la main dans la main
avec l'Allemagne pour qu'elle reste étroitement
imbriquée dans l'Europe de l'Ouest. Il n'y a pas
d'alternative àla Fédération européenne pro-
posée par Jacques Delors et àla Confédération
proposée par François Mitterrand même si,
selon moi, ces perspectives demeurent incer-
taines tant que ne sera pas débattu du problème
de la préservation des langues et des identités
culturelles.
N.O. —
Il est quand même difficile de nier
qu'une Allemagne de plus de
80
millions
d'habitants va déséquilibrer l'Europe des
Douze
!
M. Vauzelle. —
Il faut en parler. Il ne doit pas
y avoir de sujet tabou. Comment les 80 millions
d'Allemands vont-ils percevoir eux-mêmes
leur force nouvelle dans la Communauté euro-
péenne et dans le monde, et comment leurs
partenaires vont-ils percevoir cette nouvelle
Allemagne ? Le plus important, à mes yeux, est
qu'au-delà des frontières de l'Allemagne unie
existe la frontière du grand bassin linguistique
et culturel germanophone qui englobe notam-
ment l'Autriche, une partie de la Suisse, le
Luxembourg et, ici ou là, quelques régions.
Plus important encore est qu'au-delà du bassin
germanophone, existe une autre frontière, celle
plus vaste encore du bassin économique qui
regroupe avec l'Allemagne, la Pologne, la
Boheme, la Hongrie, des regions comme celles
de Trieste ou la Slovénie. Les responsables de
l'Europe de l'Est invités au récent colloque
organisé par Laurent Fabius l'ont dit claire-
ment : ils espèrent former avec l'Allemagne des
ensembles économiques régionaux cohérents
au coeur de l'Europe.
L'épine dorsale de l'Europe était aux marches
de la francophonie. Elle passait par une ligne
Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg. Demain,
elle sera germanophone et passera par une ligne
Berlin-Vienne-Trieste. La France reste ce-
pendant à une charnière de l'Europe. Sur nos
frontières nord-est une grande puissance éco-
nomique allemande, sur nos frontières sud, le
Maghreb, qui formera "de facto" avec l'Espa-
gne, l'Italie etla France un seul et unique bassin
d'emploi. Il faut créer au Maghreb des pôles de
développement pour y retenir une population
ardente et intelligente. Entre l'Allemagne et le
Maghreb, la France doit veiller plus que jamais
A l'équilibre Nord-Sud de l'Europe.
Propos recueillis par Robert Schneider
22-28FEVRIER1990/53
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