réduire les impacts environnementaux par l`implication des

RÉDUIRE LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX PAR
L’IMPLICATION DES TRAVAILLEURS
Boiral, O. (1998), «Réduire les impacts environnementaux par l’implication des travailleurs», Revue
Internationale de Gestion, vol. 23, no. 2, p. 20-28.
INTRODUCTION
Les questions environnementales représentent aujourd’hui une préoccupation sociale dominante à
laquelle peu d’entreprises peuvent se soustraire. La réduction des impacts environnementaux apparaît
comme un objectif stratégique pour répondre aux normes réglementaires actuelles ou futures et pour
assurer la légitimité sociale de l’entreprise. Dans l’industrie, ces impacts dépendent avant-tout des
équipements de production existants et de considérations techniques qui semblent de prime abord
échapper au contrôle des individus. Ainsi, l’omniprésence de la technologie s’impose d’emblée au
visiteur d’une raffinerie de pétrole, d’une usine d’électrolyse ou d’une affinerie de cuivre par exemple.
La présence humaine semble inféodée à la machine, et les rejets de contaminants dans l’environnement
apparaissent comme la conséquence mécanique et inéluctable du fonctionnement normal des procédés.
Cette hégémonie de la technique appelle en premier lieu la mise en oeuvre de procédés moins polluants
et de systèmes d’épuration en aval des procédés. Outre ces investissements physiques ponctuels, de plus
en plus d’entreprises s’attachent aujourd’hui à promouvoir une gestion environnementale centrée sur
l’implication quotidienne des travailleurs et sur des changements d’ordre qualitatifs : formation,
information, sensibilisation, participation... La gestion environnementale de la firme allemande
Winter par exemple, spécialisée dans la fabrication d’outils diamantés et qui est devenue, à la fin des
années 80, un modèle européen d’entreprise «verte», repose sur la mobilisation de l’ensemble des
employés. Selon le dirigeant de cette entreprise familiale, les améliorations environnementales
dépendraient ainsi directement de l’implication du personnel, ce dernier constituant : «à la fois le plus
grand risque d’entrave et la plus grande chance de réussite» (Winter, 1989, p.101).
Cependant, pour la plupart des responsables, les améliorations environnementales concrètes qu’il est
possible d’atteindre par des changements humains restent très incertaines et, en l’absence d’études
empiriques sur ce thème, les efforts pour impliquer les travailleurs dans la réduction des impacts
écologiques peuvent paraître superflus ou aléatoires. Cet article se propose, à partir d’exemples
concrets1, d’analyser le rôle et la contribution de la dimension humaine dans la réduction à la source
des rejets de contaminants industriels, puis de définir les lignes directrices d’une gestion
environnementale centrée sur la promotion de l’implication des travailleurs.
Dans un premier temps, les principales raisons qui expliquent l’importance et le développement des
aspects humains de la gestion environnementale des entreprises industrielles seront exposées. Dans
un second temps, nous chercherons à évaluer, à partir des entretiens réalisés et d’observations empiriques,
la contribution réelle de ces aspects dans la réduction des rejets de contaminants, en soulignant les
enjeux stratégiques de la participation des travailleurs aux actions environnementales. Dans un dernier
temps, nous décrirons, en les illustrant par divers exemples, les différentes approches généralement
utilisées pour promouvoir l’implication «verte» des travailleurs.
LA DIMENSION HUMAINE DE LA GESTION «VERTE»
Jusqu’à une époque récente, la gestion environnementale des entreprises industrielles était surtout assurée
par des services techniques spécialisés et reposait sur une logique de «projets» caractérisée par
l’intervention fréquente d’ingénieurs et de consultants externes. Depuis la fin des années 80, de plus en
plus d’entreprises s’attachent à promouvoir la participation et la responsabilisation des travailleurs
dans les actions environnementales (Robins, 1992; Frantisak, 1993; Shrivastava, 1995). Les études
empiriques que nous avons menées dans des usines chimiques montrent que le développement de cette
nouvelle approche, davantage centrée sur des aspects humains, répond à plusieurs exigences:
- le développement des approches préventives ;
- la pluralité des sources de pollution ;
- le caractère irrégulier et intermittent des rejets de contaminants ;
- l’interdépendance entre les dimensions humaines et techniques des activités industrielles.
Le développement des approches préventives
Le contrôle de la pollution dans les entreprises industrielles a longtemps reposé sur une démarche
surtout palliative, caractérisée par la «juxtaposition» d’équipements environnementaux n’entraînant pas
de changements majeurs dans les procédés et les habitudes de travail à l’origine des rejets de
contaminants (Bara, 1988). Ces derniers étaient donc traités en aval des procédés, par des systèmes
d’épuration ajoutés aux installations existantes et exigeant le plus souvent de lourds investissements.
De plus en plus, les entreprises s’attachent à intégrer les préoccupations environnementales dans les
activités quotidiennes à l’origine des rejets de contaminants, en amont des procédés et des processus
décisionnels. Dans cette logique, la responsabilité des actions environnementales n’est plus le
monopole de services techniques spécialisés mais la responsabilité de tous et de chacun, en particulier
des superviseurs et des opérateurs de production. Outre un meilleur contrôle des sources de rejets et
des risques liés aux déversements accidentels, la prévention permet souvent de réaliser des économies
substantielles de matière et d’énergie, ou encore de réduire le coût de traitement des polluants
(Cairncross, 1992). Par l’appel à la participation et à la responsabilisation de l’ensemble des employés,
les démarches préventives dans le domaine de l’environnement présentent de nombreuses affinités avec
l’évolution des systèmes de gestion de la qualité. Ces derniers ont en effet longtemps reposé sur une
approche technique et sur des contrôles en fin de processus. De plus en plus, les entreprises
s’attachent à promouvoir une démarche de «qualité totale» qui sollicite l’implication de l’ensemble des
travailleurs pour prévenir à la source l’occurrence de défauts ou d’erreurs. Certains groupes industriels,
comme Rhône-Poulenc, Rank-Xerox ou 3M ont d’ailleurs intégré les politiques d’environnement et
de qualité2 dans une démarche globale visant à faire de ces questions une préoccupation dominante de
la gestion quotidienne.
La pluralité des sources de contaminants
Le rôle des aspects humains dans la réduction des impacts environnementaux des entreprises
industrielles s’explique également par la pluralité des sources de pollution. Les rejets de contaminants
proviennent en effet rarement d’un centre unique mais d’une multitude d’activités et de procédés dans
lesquels les comportements humains jouent un rôle plus ou moins important. La complexité et la
diversité des opérations pouvant contribuer aux rejets dans le milieu naturel appellent l’intervention de
nombreux employés qui, auparavant, considéraient souvent les questions environnementales comme
des problèmes strictement techniques dont les ingénieurs et les techniciens avaient l’entière
responsabilité. Par exemple, dans les usines de production d’aluminium primaire, les émissions
atmosphériques de poussières et de fluorures, qui constituent les principaux polluants de cette
industrie, proviennent, à la source, de plusieurs centaines cuves d’électrolyse disposées en série et sur
lesquelles s’effectuent de nombreuses opérations pouvant avoir un impact significatif sur les
contaminants rejetés. Ces cuves, qui constituent le coeur du processus d’électrolyse, sont reliées aux
épurateurs d’air et aux cheminées d’usine par un système de ventilation qui aspire les fumées et les
contaminants. Des observations que nous avons menées dans plusieurs alumineries québécoises ont
montré que de nombreuses procédures et de nombreux comportements pouvaient avoir un impact
significatif sur les émissions atmosphériques rejetées en aval des procédés. Par exemple, les «effets
anodiques»3, qui se traduisent par une augmentation brutale de la température des cuves d’électrolyse
et par une «pointe» importante des émissions de fluorures et de carbone, peuvent être réduits de façon
significative par le respect, par les travailleurs, de certaines procédures liées en particulier à l’alimentation
en alumine de chaque cuve.
Le caractère irrégulier des rejets de contaminants et l’occurrence de déversements accidentels
Outre la pluralité des sources de contaminants, la pollution industrielle se caractérise par des
fluctuations de la charge polluante et par l’occurrence de déversements accidentels dont la prévention
est essentielle pour assurer la protection des écosystèmes et le respect des normes réglementaires.
Même dans des conditions normales d’opération, les rejets de contaminants sont en effet rarement
stables et linéaires en raison des cycles de production, des opérations de maintenance (lavages,
vidanges...), des pannes, du respect plus ou moins strict des procédures, ou encore des erreurs
pouvant occasionner, de façon ponctuelle, des niveaux inhabituels de pollution. Par leur proximité
physique avec les procédés et leur implication dans les opérations pouvant occasionner des
déversements, les opérateurs jouent souvent un rôle fondamental dans la détection de ces
dysfonctionnements et la mise en oeuvre de procédures d’urgences. Le rôle de la dimension humaine
dans la prévention des accidents industriels montre l’importance de la sensibilisation et de la formation
des individus. Ainsi, selon une étude réalisée dans la région Rhône-Alpes, qui regroupe de nombreuses
entreprises chimiques, l’erreur humaine serait à l’origine de plus de 40% des accidents industriels
survenus dans cette région entre 1971 et 19904. Les aspects humains jouent également un rôle central
dans la prévention des déversements mineurs et ponctuels, lesquels peuvent cependant entraîner, à long
terme, une forme de pollution chronique. Par exemple, à la raffinerie que nous avons étudiée, la
formation des opérateurs et la réduction des délais d’intervention en cas d’incident ont permis une
amélioration significative de la qualité des sols et de la nappe phréatique, lesquels avaient été contaminés
par l’accumulation, durant de nombreuses années, de petits déversements accidentels.
L’interdépendance entre les dimensions
humaines et techniques des activités
industrielles
Dans les entreprises industrielles,
caractérisées par un contexte de travail très
technique et souvent fortement
automatisé, les aspects humains de la
gestion environnementale dépendent de
l’autonomie, de la marge de liberté et du
pouvoir des travailleurs dans le
déroulement des opérations de production
à l’origine des rejets de contaminants.
Pour certains penseurs critiques
(Friedmann, 1963, 1964; Marglin, 1970),
les progrès du machinisme industriel se
traduisent par une substitution
progressive de la technique à l’effort humain et par une dépendance accrue, voire une aliénation de
l’homme par rapport à la machine. Des recherches plus récentes montrent cependant que les opérateurs
ne sont pas des surveillants passifs des processus automatisés mais qu’ils jouent au contraire un rôle
actif qui exige des interventions qualifiées et souvent imprévues (Malaise, 1991; Mazeau, 1993; Coriat
et Terssac, 1984). Par ailleurs, la complexité croissante des technologies tend à rendre les entreprises
industrielles très vulnérables aux erreurs humaines ou aux perturbations techniques mineures,
lesquelles peuvent avoir des conséquences environnementales et sociales dramatiques, comme l’ont
montré par exemple les catastrophes de l’Exxon Valdez ou de Bhopal (Lagadec, 1981; 1991; Perrow,
1984). Dans ce contexte, l’automatisation des procédés ne réduit pas les aspects humains de la gestion
environnementale à une dimension subalterne et passive par rapport aux questions techniques. Elle
implique au contraire une plus grande responsabilité des individus travaillant sur des équipements très
automatisés et pouvant représenter des risques technologiques majeurs. Des études réalisées dans des
centrales nucléaires françaises ont par exemple montré que la sécurité de ces installations, en particulier
par rapport aux risques de fuites de produits radioactifs en dehors des enceintes, n’était pas seulement
tributaire de la technologie existante et de l’intervention de services spécialisés mais dépendait aussi
largement de l’engagement et de la responsabilisation des opérateurs (Dejours, 1990).
LA CONTRIBUTION RELATIVE DES ASPECTS HUMAINS : DES ATTITUDES
CONTRASTÉES
Le développement des approches préventives et la reconnaissance du rôle des comportements dans
les programmes environnementaux ne sauraient faire de la dimension humaine une sorte de panacée
ou de «recette de gestion» pouvant se substituer à toute intervention technique. Quels que soient les
secteurs d’activités, la pollution industrielle dépend en effet d’abord et avant tout des procédés utilisés et
du type de production considéré. Pour les dirigeants, évaluer la contribution relative des aspects humains
par rapport à la pollution globale d’une usine a une importance fondamentale pour déterminer
l’efficacité et la pertinence du développement d’actions centrées par exemple sur la formation,
l’information ou encore sur des changements de comportements des travailleurs. Interrogés sur cette
question, des responsables et des opérateurs de trois usines chimiques québécoises (une raffinerie, une
aluminerie et une affinerie de cuivre)5 ont exprimé des attitudes très contrastées qui révèlent les
incertitudes et les ambiguïtés de l’appréciation du poids relatif des aspects humains dans les
«performances environnementales» de l’entreprise (voir figure 1).
L’attitude «indécise»
Près de 40% des personnes interrogées n’ont pu formuler d’opinion précise sur la contribution possible
du «facteur humain» ni donner d’évaluation quantitative à ce sujet. Les raisons généralement invoquées
pour expliquer cette indécision sont l’interdépendance entre les aspects humains et techniques de la
gestion environnementale et la difficulté de mesurer de façon isolée les résultats de changements ou
d’actions dont les effets se font souvent sentir seulement à long terme. Les programmes de formation
environnementale par exemple, donnent rarement des résultats immédiats et mesurables. Et lorsque
ces programmes sont mis en oeuvre sur une longue période, il est difficile d’établir si les améliorations
environnementales observées sont liées à la meilleure formation des travailleurs ou à des changements
techniques intervenus durant la même période.
L’attitude «humaniste»
Pour environ 25% des personnes interrogées, les aspects humains ont une importance majeure dans
la réduction à la source des rejets de contaminants. Ces derniers peuvent ainsi être réduits, suivant ces
répondants, dans une proportion généralement comprise entre 25 et 50%, parfois davantage pour
certains types de rejets (en particulier les déchets). Une spécialiste des questions d’environnement et
d’hygiène industrielle d’une des aluminerie étudiées déclarait ainsi, en 1991, dans le journal interne de
l’établissement : «Vous pouvez, vous, travailleurs et contremaîtres des opérations et de la
maintenance, contrôler 30 à 40% de la pollution de l’usine, par la qualité de votre travail.»
Il convient de noter que ce type d’attitude est plus fréquent dans les deux usines dont les programmes
environnementaux font le plus appel à la participation des travailleurs, en l’occurrence l’aluminerie
et la raffinerie6. Il semble donc exister une corrélation entre les politiques mises en oeuvre et les
perceptions des employés sur l’importance de la dimension humaine dans les progrès qui peuvent être
réalisés dans le domaine de l’environnement.
L’attitude «modérée»
1 / 16 100%

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