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La crise nous invite à repenser le rôle de l’intervention publique dans l’économie. Alors
qu’elle nous proposait de remplacer l’État entrepreneur/opérateur par l’État régulateur,
la vague de libéralisation et de privatisation des années 80 et 90 a d’abord réduit la
capacité de l’État à jouer efficacement son rôle de régulateur. La crise du néo-libéralisme
et du productivisme doit dès lors nous inciter à effectuer un bilan de ce mouvement et à
penser à nouveaux frais le rôle de l’État dans l’économie. Le sauvetage public des
banques privées tout comme la réorientation globale de l’économie dans un sens
écologique nous y contraignent. Mais cette réinvention ne peut se solder par un retour
en arrière et par la relance de l’initiative économique publique dans un cadre national,
telle qu’elle avait été promue au cours des Trente glorieuses. Celle-ci a en effet montré
ses limites tant sur le plan social qu’écologique et démocratique.
Depuis l’éclatement de la bulle immobilière et la crise financière consécutive – dont les
innovations financières étaient censées nous protéger – se sont multipliés les appels,
demeurés essentiellement incantatoires à ce jour, à la régulation d’une série de secteurs
économiques. Sans évidemment renoncer à ce louable objectif, près de trois années de
quasi paralysie en la matière devraient toutefois amener à s’interroger sur les vertus
apparemment très peu productives de ces appels.
L’hypothèse ici formulée est que, dans une série de domaines desquels l’État s’est
progressivement désengagé au cours des dernières décennies sous les coups de butoir
conjoints du New Public Management, des contraintes budgétaires liées à l’entrée dans
l’Euro et de la concurrence des territoires induites par la mondialisation, cette disparition
de l’État comme opérateur a très fortement obéré ses capacités à agir comme un régulateur
efficace et juste, notamment parce qu’il l’a privé des informations économiques que lui
fournissait les entreprises publiques. Ce désengagement de l’État comme producteur l’a
rendu particulièrement vulnérable aux lobbies les mieux organisés – et par conséquent les
mieux financés. La malheureuse saga de l’enlisement de la régulation financière en atteste
de manière presque caricaturale.
Avoir l’ambition de donner à l’État les moyens de jouer un rôle de régulation en matière
économique nécessite de repenser cette division conceptuelle, qui n’est qu’apparemment
évidente, entre État régulateur, d’une part et État opérateur et producteur, d’autre part.
Renoncer à cet élément central du New Public Management et à sa foi dans l’efficacité
intrinsèque des marchés et de l’initiative privée implique de repenser à nouveaux frais le
rôle des politiques publiques, et notamment l’importance de l’État opérateur comme outil
public de connaissance de l’économie.
Ce retour de l’État opérateur, pour des raisons a minima cognitives, c’est-à-dire de
connaissance sur les domaines d’activité qu’il entend continuer – ou plutôt recommencer –
à réguler nécessitera des adaptations massives des outils législatifs – mais aussi des
routines de pensée – qui ont accompagné et scellé la victoire du néolibéralisme. Ce travail
d’ampleur à mener sur des fronts nombreux n’a malheureusement pas été préparé. En
effet, alors même qu’ils claironnaient leur foi dans l’économie de la connaissance, les
thuriféraires de la pensée néolibérale se montraient incapables de prendre acte des
conséquences particulièrement préjudiciables du mouvement d’enclosure (de
privatisation ?) dont cette connaissance était l’objet. Logés au cœur même des secteurs que
les autorités politiques entendent (re)réguler, le savoir et l’expertise pratique
indispensables à une régulation juste et efficace font désormais cruellement défaut à la
puissance publique qui s’est en quelque sorte auto-amputée.