28 DOSSIER PHOMA DU COLZA Stratégies de contrôle 3 L’agronomie en renfort de la génétique Le phoma est aujourd’hui principalement contrôlé par le recours à des variétés résistantes. Néanmoins, différents leviers agronomiques peuvent également être mis en œuvre pour limiter le développement de la maladie et contribuer à la durabilité des résistances génétiques. L © N. Cornec es résidus de récolte ont été soit enfouis, soit suffisamdes années précément dégradés pour que leur rôle dentes, présents en devienne négligeable. surface dans les parcelles du voisinage, constituent une source d’inocuLe rôle clef du travail du sol lum. La maturation des périthèces L’enfouissement des résidus par le s’effectue sur ces résidus. Lorsque travail du sol a donc des effets diles conditions de milieu sont favorects sur la quantité de spores pourables, les ascospores sont émises, vant être disperpuis dispersées sées. Néanmoins, par le vent et La gestion du phoma tous les outils n’ont contaminent les doit être raisonnée à pas les mêmes efnouveaux couverts de colza. l’échelle de groupes fets (figure 1). La conséquence praPlusieurs aude parcelles et pas tique est claireteurs s’accorseulement au niveau ment de procéder dent à dire que à un enfouissement les résidus de la d’une parcelle, une suffisant des résicampagne préannée donnée. dus de récolte des cédente constiparcelles voisines tuent la source avant l’émergence des nouveaux seprincipale des contaminations, mis. Il y a donc là un élément qui ne avec une contribution minoritaire se raisonne pas seulement à la pardes résidus de l’année n-2. Aucelle mais qui intègre un ensemble delà, on considère que les résidus de parcelles, les ascospores se disséminant à plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de mètres. Ce type de mesure, limitant la quantité d’inoculum, peut être extrêmement efficace. Un parfait contre exemple est donné par les systèmes de culture de l’ouest australien dans lesquels le colza revient tous les 2 ans sur de grandes parcelles conduites en semis direct et où les résidus de culture sont laissés en surface. Ceci se traduit par des niveaux d’attaque de phoma particulièrement spectaculaires, rarement vus en Europe. Des feuilles trop développées à l’automne augmentent les surfaces pouvant être potentiellement infectées par les ascospores. Gérer le développement du couvert Un couvert végétal peut être plus ou moins réceptif aux ascospores. À nombre d’ascospores équivalent, un couvert à un stade précoce (avant 6 feuilles) présentera davantage de symptômes foliaires qu’un couvert plus âgé, voire endurci par le froid. Des températures moyennes inférieures à 15 °C et une humidité suffisante consécutive à une pluie sont nécessaires à l’émission des ascospores. L’occurrence de ce type de conditions est en fréquence plus probable au fur et à mesure que l’automne avance. En conséquence, un semis suffisamment précoce doit pouvoir réduire les risques de rencontre entre des ascospores et un couvert sensible. Indépendamment du développement, la croissance du couvert est également importante. Plus les feuilles seront développées, plus les surfaces potentielles d’infection par les ascospores seront grandes. Cette question est en parPERSPECTIVES AGRICOLES - N°366 - AVRIL 2010 DOSSIER PHOMA DU COLZA (Pollen) en jouant sur les dates de semis et la disponibilité en azote. On peut obtenir une plage complète de sensibilité au phoma, de la meilleure note G2 (1,5) à la plus mauvaise qui soit (8), malgré la réputation « peu sensible au phoma » de Pollen. Ces cas extrêmes illustrent la large gamme d’ajustements qu’offre le levier agronomique pour le contrôle du phoma. Le semis précoce permet de limiter l’incidence (% de plantes avec macules) et la disponibilité en azote se traduit par des croissances et des niveaux d’index G2 très différents. © N. Cornec Éviter les semis denses ticulier sensible pour les situations à forte disponibilité en azote dans lesquelles, dès qu’il y aura humidité et températures favorables à la croissance, les surfaces foliaires augmenteront. La gestion de la date de semis pourra alors devenir plus délicate puisqu’il faudra trouver des compromis entre les risques liés au stade, ceux liés à la surface foliaire déployée et éventuellement d’autres aspects comme les stratégies d’implantation et de compétition avec les adventices. Une date de semis précoce limite le risque lié au stade précoce sensible, mais renforce celui lié à des surfaces foliaires trop développées. La gestion du phoma du colza s’inscrit à l’échelle d’un groupe de parcelles. Enfouir les résidus des parcelles voisines avant la levée du colza limite considérablement les risques. Entre le cover-crop, le chisel, la charrue et la houe rotative, cette dernière est l’outil qui enfouit le moins de résidus. Figure 1 : Qualité d’enfouissement des résidus, initialement en surface, offerte par différents outils. 100 La modélisation en appui de l’expérimentation La gestion du phoma doit s’inscrire dans le temps et dans l’espace. Dans le temps, car la maîtrise quantitative des populations de phoma et la durabilité des résistances génétiques amènent à considérer des pas de temps plus larges que la seule année culturale. Dans l’espace, car le contrôle des pathogènes est forcément en interaction avec différents éléments du milieu, variables d’un lieu à l’autre. Les ascospores contaminent plus facilement des plantes jeunes à des stades antérieurs à 6 feuilles. % de résidus à la surface du sol 80 60 40 20 0 Le tableau 1 illustre des cas extrêmes de variabilité de résultats obtenus pour une même variété La densité de peuplement peut également induire des effets. Un couvert trop dense, en particulier en situation favorable à la croissance, va produire des biomasses importantes et un risque de compétition entre plantes pour la lumière. Cela peut se traduire par des élongations avant hiver et la chute des feuilles les plus âgées. Les portes d’entrée pour les pycniospores issues des macules foliaires sont alors plus nombreuses. Ce cycle secondaire va provoquer une surinfection de la plante. La nuisibilité de la nécrose au collet s’exprime en fin de cycle par une rupture des vaisseaux liberoligneux. Plus le diamètre au collet sera important, plus cette rupture d’alimentation sera tardive. Il y a donc intérêt à générer des pivots larges issus d’un peuplement à faible densité, plutôt que des collets fins issus d’une compétition entre plantes pour les ressources. © J. Palleau, CETIOM 30 Cover-crop Houe rotative Chisel Semis seul Labour Source : Schneider et al, 2006 En conséquence, il est difficile de définir des stratégies agronomiques de contrôle du phoma via la seule expérimentation. Aujourd’hui, avec les moyens ouverts par les progrès de l’informatique, les agronomes investissent dans des outils de modélisation susceptibles d’aider à parcourir et tester des scénarios de gestion difficilement ou non accessibles à l’expérimentation. PERSPECTIVES AGRICOLES - N°366 - AVRIL 2010 32 DOSSIER PHOMA DU COLZA Tableau 1 : Effets de la date de semis et de la disponibilité en azote sur la sensibilité au phoma de la variété Pollen. Années Disponibilité Semis en azote % plante avec % plante avec Indice nutrition Indice foliaire Note G2 macules à macules à azoté fin fin novembre en fin de 6 feuilles 10 feuilles novembre cycle 2000-01 N fort 31 juillet 40 % 63 % 1,5 3 2,5 31 août 83 % 93 % 1,5 3,5 5,5 N faible 31 juillet 17 % 7% 0,6 0,7 1,5 31 août 80 % 43 % 0,6 1,0 2,5 2001-02 N fort 3 août 0% 51 % 1,5 2 5 4 septembre 82 % 80 % 1,5 3,4 8 N faible 3 août 0% 6% 0,7 0,7 2 4 septembre 82 % 92 % 0,7 1,9 4,5 Deux années d’essais avec contaminations d’ascospores importantes et précoces — INRA de Grignon Indice nutrition azoté : indice élevé = statut azoté fort — Indice foliaire : indice élevé = surface foliaire importante — Note G2 : note élevée = nombre de symptômes important Pour une variété, succès commercial de la fin des années 90, réputée peu sensible au phoma, les résultats obtenus en jouant sur la date de semis et la disponibilité en azote vont du meilleur (note G2 de 1,5) au pire (note 8). Le modèle SIPPOM aide à la définition de stratégies Ce type de travail a débuté pour le phoma du colza sous la coordination de l’UMR d’Agronomie de Grignon. Une première étape a été franchie avec la construction d’une première version du modèle SIPPOM. Elle a permis de montrer qu’il est possible, avec ce type d’outil, de classer correctement, conformément aux dires d’experts, différents scénarios de gestion. On a également pu montrer des effets de taille du parcellaire sur les concentrations d’ascospores arrivant sur les feuilles et les notes G2 (index de gravité) engendrées. Ce modèle a montré également lors d’un test avec des données réelles d’un site pilote du CETIOM, une bonne aptitude à prévoir les périodes d’émissions des ascospores. Nous avons également pu simuler rétrospectivement le contournement de la résistance Rlm1 à partir des données climatiques et épidémiologiques des années 90. Néanmoins, le modèle n’intègre pas l’ensemble des connaissances disponibles et il a montré quelques faiblesses, en particulier sur l’aptitude à prévoir le niveau de note G2. Son amélioration est en cours. Cet outil devrait permettre d’optimiser les moyens de lutte contre le phoma aussi bien génétiques qu’agronomiques. Un premier modèle simule les émissions d’ascospores et classe différentes stratégies de gestion du phoma. Xavier Pinochet CETIOM [email protected] Les densités de peuplement trop élevées mettent les plantes en compétition pour leurs ressources et notamment pour la lumière. L’élongation de la tige renforce les risques d’attaque du phoma. © CETIOM Les résultats présentés dans cet article sont issus de travaux menés en collaboration entre le Cetiom et l’Unité Mixte de Recherche Agronomie de l’INRA de Grignon. PERSPECTIVES AGRICOLES - N°366 - AVRIL 2010