judaïsme, cette "religion méprisée". Parmi les merveilleux exemples de cette
collaboration, on peut citer un livre d'Averroès – ses commentaires sur
la République de Platon – qui avait disparu dans sa langue d'origine, l'arabe, et
qui nous est parvenu... en hébreu ! Mais ce n'est pas tout : c'est un professeur
de l'université de Rabat qui, en transposant cette traduction hébraïque vers
l'arabe, a bouclé la boucle ! Ce "sauvetage" est d'autant plus précieux que ce
que dit Averroès sur les femmes, ou sur l'enseignement, pourrait inspirer bien
des musulmans contemporains par son progressisme…
Souvenons-nous surtout qu'aussi imparfaite soit-elle, cette société dans
laquelle juifs et musulmans se mêlaient a bel et bien existé. Elle est révélatrice
de la richesse des discussions qu'on peut avoir dans le frottement et le
croisement. Elle montre aussi la capacité des juifs à s'intégrer à la culture
dominante, en Andalousie comme à Bagdad au Xe siècle, où tout l'esprit de
l'humanisme était déjà présent. »
La rupture des temps modernes
« Avec l'entrée des idées – et des armées – européennes dans le monde arabe
depuis l'expédition de Bonaparte en Egypte, à la fin du XVIIIe siècle, les juifs
voient le cadre politique et culturel changer autour d'eux. Le principe
d'affranchissement politique qui se répand dans le monde ottoman pourrait
signifier pour eux la sortie de la dhimmitude et l'entrée dans l'égalité
citoyenne. L'exemple le plus frappant de ce changement de statut sera le décret
Crémieux, en 1870, qui donne la citoyenneté française aux trente-cinq mille
juifs d'Algérie (et seulement à eux…). Les musulmans vivront cet épisode
comme une trahison. Mais comment reprocher aux juifs de préférer l'égalité
citoyenne à leur statut de dhimmis ? Comment leur reprocher, aussi, de se
tourner vers ceux qui représentent, à l'époque, l'épanouissement de l'esprit
face à un monde musulman en déclin depuis plusieurs siècles ?
Les juifs saisissent leur chance. Et c'est un choc pour les musulmans, qui
prennent conscience que le train de la civilisation est en train de passer, qu'ils
sont largués (l'élite musulmane opte d'ailleurs aussi pour l'Occident). Dès lors,
la fissure ne va plus cesser de s'élargir. Et les relations entre juifs et
musulmans vont encore se durcir avec la montée du projet sioniste de création
d'un foyer national juif en Palestine. Pour les Arabes, le sionisme est un projet
colonial d'autant plus intempestif qu'il est contemporain de la décolonisation.
Il est donc à la fois irritant et intolérable. A quoi s'ajoute la frustration de voir
ceux qu'on a connu inférieurs et humiliés devenir souverains et vainqueurs.
Cette blessure-là semble inguérissable. »
Les ambiguïtés du Coran envers les Juifs
« Certains versets du Coran reflètent brutalement la déception de Muhammad
après le refus par les juifs de le suivre. La cinquième sourate, qui porte le
message ultime du Coran, affirme dans un verset qu'il ne faut pas avoir pour
alliés des juifs (ni des chrétiens). Dans un autre verset de la même sourate,
pourtant, il est dit que les musulmans peuvent partager la table des juifs et des
chrétiens. Cette ambivalence – ou cette contradiction, qui irrita Tocqueville
lorsqu'il lut cette sourate – s'avère riche théologiquement si l'on hiérarchise le
sens selon le degré d'intensité rhétorique : ainsi, les versets positifs prennent le