DP Analyses Économiques N° 42 – Juin 2004 Équilibre épargne-investissement au niveau mondial1 Depuis la récession de 2001 aux États-Unis, le problème des «twin deficits» (déficits jumeaux) est revenu sur le devant de la scène internationale. Le creusement du déficit de la balance courante américaine absorbe toujours davantage l’épargne mondiale et affecte l’équilibre des marchés financiers internationaux. Dans cette étude, une approche historique permet d'identifier les grandes étapes qui ont mené à la constitution du marché financier international actuel ainsi que les transformations ayant affecté les pôles d'alimentation et d'attraction de l'épargne mondiale. • Jusqu'à la fin des années soixante, les flux de capitaux internationaux sont essentiellement des flux de financement public des déséquilibres des paiements internationaux. • Ensuite, ce dispositif subit la concurrence du marché privé des eurodollars, marché qui devient dans les années soixante-dix le foyer de la finance mondiale avec le recyclage des pétrodollars (qualifié de finance «Sud-Sud»), via les banques du «Nord». • Il faut toutefois attendre les années quatre-vingt pour que le marché financier international tel que nous le connaissons aujourd'hui voie le jour avec le triple mouvement de décloisonnement, déréglementation et désintermédiation. Parallèlement, après la crise de la dette des PED, la finance internationale se recentre durant les années quatre-vingt sur les flux financiers «Nord-Nord», principalement entre les États-Unis d'une part, et l'Allemagne Fédérale et le Japon d'autre part. • Depuis les années quatre-vingt-dix, on assiste au retour des pays du Sud sur le marché international, et plus particulièrement des banques centrales asiatiques qui sont aujourd’hui les principaux créanciers de l’État Fédéral américain. Une autre approche consiste à s'intéresser non plus aux flux financiers mais aux prix qui révèlent les désajustements du marché de l'épargne. Il est ainsi possible de construire un taux d'intérêt mondial, composante commune aux taux nationaux, qui reflète les déséquilibres entre épargne et investissement à l'échelle de la planète. L'étude de variations de ce taux permet de caractériser la période récente et soulève le paradoxe suivant : pourquoi les taux sont-ils aujourd'hui si bas alors que l'évolution de l'épargne et de l'investissement aurait dû les tendre ? On propose ici quelques explications possibles : facteurs structurels (gains de crédibilité des politiques monétaires et réduction du risque inflationniste, progrès de l'ingénierie financière) ou plus conjoncturels (politiques monétaires accommodantes dans les pays du G7, comportement des banques centrales asiatiques, désendettement des entreprises). 1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction de la Prévision et de l’analyse économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. 1. Y a-t-il un marché mondial de l’épargne? 1.1 L’émergence d’un marché de financement mondial des années soixante aux années quatre-vingt dix Après la seconde guerre mondiale, le marché financier international s'est constitué lors d'un processus assez long d'intégration financière. Il a eu un précurseur dans les années soixante et soixante-dix avec le marché des eurodollars mais il ne se reconstitue véritablement qu'au cours des années quatre-vingt, renouant en quelque sorte avec la situation qui prévalait avant 1914 sous une autre forme. Jusqu'à la fin des années soixante, les flux de capitaux internationaux sont essentiellement des flux de financement public des déséquilibres des paiements internationaux. En l'absence d'un marché international de capitaux de taille significative, les possibilités de financement extérieur sont limitées et les déficits courants ne peuvent prendre des proportions importantes, restant généralement inférieurs à 1% du PIB. Ce dispositif subit à partir des années soixante la concurrence du marché privé des eurodollars2, marché qui devient dans les années soixante-dix le foyer de la finance mondiale (sa taille passe de 160 milliards de dollars en 1973 à 730 milliards en 1980). L'ajustement de l'épargne et de l'investissement au niveau mondial prend alors la forme originale du «recyclage des pétrodollars» et la finance est qualifiée de «Sud-Sud» : après les chocs pétroliers, les pays exportateurs de pétrole placent leur épargne dans les eurobanques occidentales, qui transforment ces dépôts liquides en crédits aux pays en développement. Entre 1974 et 1981, 40% des excédents courants des pays de l'OPEP sont recyclés par le marché des eurodollars. Il faut toutefois attendre les années quatre-vingt pour que voie le jour le marché financier international tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le triple mouvement de décloisonnement, déréglementation et désintermédiation donne naissance au marché actuel avec les innovations financières, la suppression de la majeure partie des contrôles de change, la déspéciali2. Avoirs en dollars déposés dans les banques extérieures aux ÉtatsUnis. sation des activités des agents financiers, la titrisation des créances bancaires… Mais c'est surtout le développement de la finance directe qui caractérise les années quatre-vingt : aux eurocrédits bancaires des années soixante-dix succède un financement par émission de titres sur les marchés financiers (cf. tableau 1). Parallèlement, après la crise de la dette des pays en voie de développement (PVD), la finance internationale se recentre durant les années quatre-vingt sur les flux financiers «Nord-Nord» : les États-Unis voient leur déficit courant se creuser et se substituent aux économies en développement comme premier pôle débiteur sur les marchés financiers mondiaux, tandis que l'Allemagne de l'Ouest et le Japon, qui dégagent des excédents courant élevés, prennent la place de l'OPEP comme pourvoyeurs de fonds (cf. graphique 1). Durant cette décennie, les transferts de capitaux entre pays industrialisés et pays en développement s'inversent même, le paiement au titre du service de la dette étant supérieur aux entrées de capitaux dans les PVD. Graphique 1 : soldes courants des États-Unis, de l’Allemagne et du Japon (% du PIB). 6% % du PIB 5% 4% 3% 2% 1% 0% -1% -2% -3% Etats-Unis -4% 1979 1980 1981 Allemagne 1982 1983 Japon 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 Au total, trois grandes évolutions de l'équilibre épargne-investissement mondial des années soixante au début des années quatre-vingt-dix caractérisent l'émergence d'un marché financier mondial : • la finance publique laisse place à la finance privée ; • à la finance Sud-Sud succède la finance NordNord ; • la finance réglementée et intermédiée perd son rôle central au profit de la finance directe et déréglementée. Tableau 1 : poids des transactions internationales sur titres (en % du PIB) E ta t s - U n is Japon A l le m a g n e F ra n c e 1975 4 ,2 1 ,5 5 ,1 3 ,3 1980 9 7 ,7 7 ,5 8 ,4 1985 35 63 33 21 1990 89 120 57 54 Total des achats et ventes d’actions et d’obligations entre résidents et non résidents. Source : FMI : pour chaque pays, on additionne les achats de titres par les résidents aux non-résidents et les ventes de titres par les résidents aux non-résidents, et l’on rapporte ces flux en pourcentage du PIB ; ces données sont issues de la balance des paiements. 2 1.2 Le paradoxe de Feldstein-Horioka L'existence d'un marché financier intégré au niveau mondial a été mis en doute au début des années quatre-vingt par une étude3 de Feldstein et Horioka. Les deux auteurs mettent en évidence une corrélation de 90% entre le taux d'épargne brute et le taux d'investissement domestique dans les pays industrialisés. Des études relatives aux pays en développement ont également établi des corrélations fortes (quoique moins élevées)4. L'interprétation qu'ont donnée les auteurs à cette forte corrélation est celle d'une insuffisante mobilité internationale du capital. En l'absence de mouvements internationaux de capitaux, l'investissement domestique serait largement contraint par l'épargne nationale. Feldstein a par la suite montré que même en l'absence de barrières à la mobilité du capital, des épargnants averses ou neutres au risque préfèrent investir leur épargne sur le marché national, toutes choses égales par ailleurs. Pourtant le débat n'est pas clos. L'interprétation que donnent les auteurs de la corrélation en termes de mobilité réduite des capitaux a été contestée. La corrélation peut s'expliquer de manière différente, par l'effet des politiques économiques ou par l'existence d'un troisième facteur caché expliquant à la fois l'épargne et l'investissement et qui les ferait bouger parallèlement dans le long terme. De nombreux mécanismes ont été proposés pour expliquer la corrélation en présence d'une forte mobilité des capitaux. En tout état de cause, même si le marché mondial de l'épargne n'est pas parfait, d'importants ajustements entre capacités et besoins de financement nationaux passent par les marchés mondiaux de capitaux. 2. Les formes actuelles de l’ajustement entre épargne et investissement Dans les années quatre-vingt-dix, un nouveau type d'ajustement financier voit le jour, qui marque des continuités avec le passé (poursuite de la ponction américaine sur l'épargne mondiale) ainsi que des ruptures (retour des pays du Sud sur le marché international). 2.1 Le creusement du déficit courant américain Les États-Unis ont connu une sensible dégradation de leur compte courant au début des années quatre-vingt puis, après une période de rétablissement, un creusement encore plus marqué depuis le début 1992. Bien plus, la tendance baissière qui s'est amorcée depuis douze ans n’a qu’à peine été interrompue par le ralentissement conjoncturel des années 2001-2002. L’analyse des causes internes de ce déficit a fait l’objet du DP-AE numéro 38 : «États-Unis : les origines inter3. Feldstein, M. and Horioka, C. (1980) : «Domestic Saving and International Capital Flows», Economic Journal. 4. Pour une revue de cette littérature, voir Obstfeld (1994) : «International Capital Mobility in the 1990’s». nes du déficit courant» (avril 2004). Notamment, on y montrait que la dégradation de la situation depuis 2000 résultait en partie du creusement puis de la persistence d’un déficit public élevé, largement responsable de l’insuffisance d’épargne dans un contexte de vigueur de l’investissement, ce phénomène étant encore aggravé par la faiblesse du taux d’épargne des ménages. Le taux d’épargne net dans l’ensemble de l’économie qui était de 4% en 1991 est tombé à 2,4% en 2002, tandis que dans le même temps le taux d’investissement net passait de 5% à 6,1%. Le déficit courant est financé par des apports massifs de capitaux du reste du monde, les entrées brutes de capitaux étrangers aux États-Unis ont été multipliées par 7 durant les années quatre-vingt-dix pour atteindre 1000 milliards de dollars en 2000. Durant les années quatre-vingt dix, ces entrées ont surtout été constituées d'achats de titres privés par des agents non résidents privés, notamment européens (l'Europe de l'Ouest a contribué pour plus de 70% aux achats d'obligations, actions et IDE). Les investisseurs de la zone euro se sont tournés vers des actifs risqués (actions et IDE), alors que les investisseurs japonais ont continué d'acheter des titres du Trésor. Le développement du marché obligataire privé américain dans la seconde moitié des années quatre-vingt et de ses produits dérivés, offrant des espérances de rendement élevés au prix d’un risque accru, explique enfin que les institutions financières de la place de Londres se sont davantage portées sur les obligations du secteur privé. L'année 2000 a marqué une rupture. Depuis 2001, le déficit courant n'est plus couvert par les entrées de capitaux privés à long terme : les entrées de capitaux sur des actifs risqués, qui représentaient en 2000 la moitié des capitaux investis aux États-Unis par les non-résidents, se sont effondrées, n'en représentant plus que 13% en 2002. Cette chute des flux d'IDE, d'actions et d’obligations privées s'explique du côté de l’offre de titres par le processus de désendettement des entreprises américaines, et du côté de la demande par le revirement des investisseurs européens, notamment après la forte augmentation des défauts sur les obligations du secteur privé au moment de la récession. Néanmoins, le creusement du déficit budgétaire a conduit à une reprise des émissions d’obligations du Trésor qui ont trouvé preneur auprès des agents publics non résidents asiatiques (le Japon a réalisé 48% et la Chine 18% des achats nets de titres du Trésor entre 2001 et 2003). Le dollar en tant que monnaie de réserve a joué ici un rôle primordial. Les banques centrales asiatiques ont encore dans la plupart des cas un objectif de taux de change vis-à-vis du dollar, du moins au sens large : les fluctuations du taux de change yen/dollar ont par exemple fortement influencé les achats de titres en dollars par la Banque du Japon. 3 Graphique 2 : balance courante et entrée nette de capitaux en % du PIB. 6 5 % du PIB 4 Après la crise de 1997-1998, la balance des paiements courants de cette région a affiché une forte amélioration et l'Asie participe désormais à la couverture des besoins de financement des États-Unis (cf. graphique 3). 3 3. Déséquilibre du marché de l’épargne et évolution du taux d’intérêt mondial 2 1 0 -1 -2 -3 -4 -5 capitaux privés entrants non risqués : titres du Trésor capitaux publics entrants : titres sur le gouvernement américain (dont titres du Trésor) balance courante capitaux privés entrants risqués : actions et IDE -6 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Avec l'émergence d'un marché mondial de l'épargne, les taux d'intérêt nationaux devraient converger en terme réel vers un taux mondial, dont les évolutions révèlent les tensions entre épargne et investissement à l'échelle de la planète. Graphique 3a : balance des paiements de l’Asie du Sud-Est 2.2 La Finance Nord-Sud 120 Parallèlement, un nouveau cycle de financement Nord-Sud s'est ouvert. Ce cycle s'est amorcé au début des années quatre-vingt-dix dans un contexte de récession des pays industrialisés. L'excès de l'épargne privée et la détente des taux d'intérêt ont encouragé la recherche de placements mieux rémunérés dans d'autres parties du monde, d'autant que les obstacles à la mobilité des capitaux avaient été fortement réduits dans les années quatre-vingt. La croissance exceptionnelle des pays d'Extrême Orient, et tout particulièrement de la Chine, et les rendements élevés des placements à court terme en Amérique Latine, où les programmes de stabilisation ont porté les taux d'intérêt réels à des niveaux très élevés, ont fortement contribué à une inversion spectaculaire des transferts financiers entre le Nord et le Sud. À elles seules, ces deux régions ont absorbé les trois quarts des apports nets de capitaux privés aux pays en développement de 1990 à 1996. Plus du tiers de ce flux est concentré sur deux pays : la Chine et le Mexique. L'une des caractéristiques du nouveau cycle financier Nord-Sud est la place limitée prise par l'intermédiation bancaire (en comparaison des investissements directs et des investissements de portefeuille). Ce phénomène, qui marque un changement radical avec les années soixante-dix a été stimulé par les mesures de libéralisation des changes et d'ouverture des marchés financiers prises par un nombre croissant de pays émergents. La seconde moitié des années quatre-vingt-dix a été caractérisée par une instabilité financière accrue dans les pays en développement, comme en témoignent les crises financières ayant touché les pays émergents depuis 1995 (crise mexicaine, crise asiatique, crise argentine…). Ces crises ont engendré d'importants reflux des capitaux vers les pays occidentaux moins risqués (phénomène dit de «fuite vers la qualité»). Depuis ces crises, les économies émergentes sont devenues pourvoyeuses nets d'épargne, le changement étant particulièrement spectaculaire en Asie. 100 80 60 40 20 0 -20 -40 -60 Solde transactions courantes Solde des investis. directs Solde des inv. de portefeuille 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 source : CHELEM, en Mds de dollars. Graphique 3b : balance des paiements de l’Amérique Latine 100 80 60 40 20 0 -20 -40 -60 -80 Solde transactions courantes Solde des investis. directs Solde des inv. de portefeuille -100 1967 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 source : CHELEM, en Mds de dollars. 3.1 La convergence des taux nationaux au cours des années quatre-vingt-dix Le taux qui équilibre le marché de l'épargne et l'investissement est le taux d'intérêt réel ex ante, c'est-à-dire celui qui intègre les anticipations d'inflation prises en compte par l'épargnant. Dans le graphique 4, on a porté l'évolution pour les principaux acteurs sur les marchés financiers internationaux des taux nominaux à 10 ans diminués des anticipations d'inflation approximées par l'inflation courante nationale (ce qui tend probablement à surestimer l'inflation anticipée dans les années soixante-dix et à sous-estimer le niveau des taux d'intérêt réels sur cette période). 4 On observe des écarts parfois considérables entre les taux longs réels nationaux, notamment au cours des années soixante-dix pour les taux américains et japonais. Ces écarts sont liés à l'existence de primes de risque pays, aux primes sur l'inflation (quand la politique monétaire est peu crédible, l'incertitude sur les tendances inflationnistes augmente et les agents exigent un rendement nominal de l'épargne élevé) et aux anticipations de variation de change (phénomène dit de parité des taux d'intérêt non couverte). La préférence pour les actifs nationaux, notamment dans les pays où l’épargne est excédentaire comme au Japon, joue aussi un rôle important. Graphique 5 : taux d’intérêt réel mondial de long terme. 102 8 101 6 100 4 99 2 98 0 97 -2 Analyse factorielle (à gauche) 96 -4 95 -6 1967 Ces écarts semblent se réduire avec le temps et durant les années quatre-vingt-dix on observe une nette convergence des taux (à l'exception du taux japonais). L'écart entre le taux maximal et le taux minimal qui était de 4 à 5 points au début des années quatre-vingt dix est passé de 1 à 2 points en fin de décennie. Le facteur principal de convergence a été le déclin des taux italien, espagnol et suédois. La forte réduction des écarts de taux entre les pays européens résulte principalement de la convergence des taux d’inflation qui a précédé la mise en place de l’euro puis de la disparition du risque de change, qui a affecté ausi les pays restés en dehors de la zone euro pour lesquels la stabilisation du taux de change a été néanmoins renforcée (exemple de la Suède). Graphique 4 : taux longs réels nationaux 10 5 0 France -5 Etats-Unis Italie 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 source : Datastream, DP. Durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les taux ont été beaucoup plus élevés qu'au cours des années soixante et soixante-dix. On a pu y voir la marque d'une tension sur le marché mondial de l'épargne, tension qui pourrait se transformer à l'avenir en une «pénurie d'épargne» (c'est la thèse du «capital shortage»). En effet, les pays du Sud auront des besoins en capital croissants tandis que les pays du Nord, où les déficits publics sont importants et où les populations vieillissent, pourraient voir leurs taux d'épargne baisser. Mais, si on observe uniquement les 20 dernières années, les taux longs réels sont en décroissance et le niveau actuel semble bas au regard des pics atteints au début des années quatre-vingt. Cette baisse peut s'expliquer à la fois par l'évolution des anticipations d'inflation (mouvement de désinflation, crédibilité des politiques monétaires), et par des comportements de fuite vers la qualité après le dégonflement de la bulle sur les marchés actions. Depuis le début des années deux mille, les taux sont descendus en dessous du seuil de 3% et ont rejoint leur niveau du début des années soixante. Japon -10 3.3 Déterminants du taux d’intérêt mondial Royaume-Uni Allemagne -15 Pondération (à droite) 1960 1963 1966 1969 1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1993 1996 1999 2002 Taux des obligations à 10 ans déflatés par l’inflation. source : DMI, DP. 3.2 Le taux mondial depuis les années soixantedix À partir de ces taux nationaux, il est possible de construire un taux d'intérêt mondial, qui en est la composante commune ; deux méthodes sont utilisées : une méthode de pondération par les PIB en parité des pouvoir d'achat5 et une méthode d'analyse factorielle. Les résultats de ces constructions sont portés sur le graphique 5 ; on y retrouve largement les évolutions qui transparaissent dans le graphique 4. 5. La méthode des pondérations prend en compte l’Allemagne, les États-Unis, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et le Japon. Pour expliquer ces évolutions, deux cadres explicatifs peuvent être mobilisés : soit le taux d'intérêt réel est vu comme le prix qui équilibre le marché des biens (vision néoclassique) et dans ce cas son évolution dépend des comportements d'épargne et d'investissement, soit le taux d'intérêt est fixé sur les marchés financiers par l'équilibre entre offre et demande de monnaie (vision keynesienne), et dans ce cas la politique monétaire est un déterminant des taux longs réels. –Barro6, dans un travail précurseur, s'inscrit dans la première approche. Son modèle comporte deux équations, une équation de taux d'investissement et une équation de taux d'épargne ; Barro en déduit une formule du taux d'intérêt mondial, qui est estimée écono6. «World real interest rates» Barro-Martin et «World interest rates and investment» Barro (NBER working papers 1990 et 1991). 5 métriquement sur les taux courts réels (en considérant qu'ils constituent une bonne approximation sur longue période des taux longs, plus difficilement mesurables). Cette méthode a été ensuite étendue aux taux longs réels mais les résultats divergent selon les études : –Smith7 confirme que les déterminants de l'épargne et de l'investissement expliquent le niveau élevé du taux long réel mondial au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt dix. La hausse de la profitabilité aurait stimulé l'investissement et la hausse de la dette publique aurait alors déprimé l'épargne. Les variations du ratio dette publique sur PIB expliqueraient 45% de la baisse des taux longs réels durant les années soixante-dix et 60% de leur remontée depuis les années quatre-vingt. –Dubois8 tient compte de l'effet de la politique monétaire sur les taux longs réels. Il ajoute au modèle épargne–investissement la variable des taux courts réels qui influerait sur les taux longs réels dès lors que la politique monétaire manque de crédibilité. Il rejoint les études précédentes en trouvant un effet fort de la profitabilité de l'investissement ainsi qu'un effet important des taux courts, mais ne trouve pas d'impact significatif des variables fiscales (dette et déficit). 3.4 Comment expliquer le niveau actuel du taux d’intérêt mondial Depuis que ces estimations ont été réalisées, les taux d'intérêt réels de long terme ont encore diminué alors que l'évolution de l'épargne et de l'investissement auraient dû les tendre. Notamment, le ratio dette publique sur PIB a continué à augmenter dans les pays du G7, la croissance de l'investissement est forte dans les pays émergents... Ce paradoxe peut d'abord s'expliquer dans le cadre du modèle de Dubois par le fait que les politiques monétaires ont été accomodantes9 depuis 2001 aux États7. «Real interest rates, saving and investment» (Bank of England, 1996). 8. «Taux d'intérêt réels élevés dans le monde et crédibilité des autorités monétaires» (Revue Française d'Économie, volume 13,1, hiver 1998). Unis, au Japon et dans la zone euro. Les taux directeurs des banques centrales sont aujourd'hui à des niveaux historiquement bas : le taux target des fed funds est à 1% et la politique monétaire américaine est exceptionnellement accommodante. Ces politiques monétaires expansionnistes ont pu jusqu'à présent être menées sans qu'apparaissent de pressions inflationnistes. Mais il existe d'autres facteurs explicatifs du bas niveau des taux aujourd'hui : –Ce dernier peut résulter d'une évolution structurelle, qui aurait modifié les conditions d'équilibre du marché financier mondial. En particulier, le gain en crédibilité de la politique monétaire depuis les années quatrevingt aurait permis de limiter les primes de risque inflationnistes incorporées dans les taux longs tandis que les progrès de l'ingénierie financière réduiraient les risques systémiques et baisseraient également les primes. –D'autres facteurs conjoncturels et temporaires contribuent à la baisse des taux : les achats de titres du Trésor américain par les banques centrales asiatiques (les réserves asiatiques valaient 767 milliards de dollars en 1998 et ont dépassé aujourd'hui les 2000 milliards), le désendettement des entreprises depuis la fin 2000 et les fortes primes de risque sur les actifs risqués qui ont engendré un mouvement de «fuite vers la qualité» sans doute excessif. Luc EYRAUD Directeur de la Publication : Jean-Luc TAVERNIER Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.53.18.56.69) 9. La règle de Taylor propose une formule simple décrivant le comportement optimal d'une banque centrale ayant pour objectif de lisser les fluctuations de l'activité et de l'inflation. Une telle règle permet de définir grossièrement la frontière entre une politique monétaire accommodante ou restrictive. Selon ce critère, la politique monétaire américaine est accommodante depuis 2002. 6 Annexe : l’équilibre épargne-investissement L'équilibre épargne-investissement se présente d'abord comme une égalité comptable qui est satisfaite au niveau mondial à chaque instant. Deux difficultés d'interprétation peuvent être soulignées : la distinction entre équilibre comptable et équilibre économique, ainsi que celle entre économie fermée et ouverte. Égalité en économie fermée Le calcul de l'égalité est trivial en économie fermée. L'épargne (S) est par définition la part du revenu (Y) qui n'est pas consommée (Y=C+S) ; le revenu est la contrepartie de la production, qui est formée de biens de consommation et de biens d'investissement (ceux-ci étant par définition les biens qui ne sont pas consommés). L'égalité Y=C+I ⇔ S=I découle de ces définitions. Toutefois, cette égalité est purement comptable : toute production qui n'a pas trouvé preneur apparaît comme un «investissement» mais ce dernier n'est autre qu'un stock d'invendus dont «l'investisseur» se serait bien passé ; de même, celui qui ne peut acheter avec son revenu les biens qu'il désire est à l'origine d'une «épargne» non voulue. Au total, cet équilibre comptable décrit des comportements d'investissement et d'épargne volontaires et involontaires et ne dit pas grand chose de l'équilibre économique sous-jacent. Ce qui intéresse l'économiste, ce n'est pas cette égalité comptable ex post mais l'équilibre économique, qui découle de la confrontation sur le marché d'offres et de demandes éventuellement incompatibles ex ante. Égalité en économie ouverte Les choses sont plus complexes en économie ouverte. L'ouverture aux flux de capitaux explique que subsiste un déséquilibre ex post entre épargne domestique et investissement domestique. En effet, l'épargne nationale n'est pas nécessairement utilisée pour financer l'investissement intérieur mais peut être placée à l'étranger ; inversement, l'investissement domestique n'est pas contraint par le volume d'épargne domestique et peut être financé par l'étranger. L'équation précédente devient S-I=X-M. Une forte épargne domestique se traduit par la détention par les agents privés de créances sur l'étranger, ce qui correspond à un excédent courant. A contrario, si un pays investit plus qu'il n'épargne, il doit emprunter la différence au reste du monde et pour cela, il doit avoir un excédent commercial. 7