Encadré 1. Méthodes alternatives à la trachéotomie.
Dans son Cours d’opérations de chirurgie démontré au Jardin
royal (maintenant Muséum national d’histoire naturelle), après
la description de la technique de la trachéotomie, Pierre Dionis
(1650-1718) signale le risque d’emphysème sous-cutané.
La recherche d’un traitement palliatif pour la laryngite diphté-
rique a entraîné le développement et la diffusion de la trachéo-
tomie, mais aussi d’autres techniques palliatives, à savoir le
tubage et l’intubation (encadré 1). Ce furent d’abord les tra-
vaux du médecin tourangeau Pierre Fidèle Bretonneau (1778-
1862), puis ceux de son élève Armand Trousseau (1801-1867),
qui popularisèrent cette intervention (9). Bretonneau inventa le
premier écarteur à deux branches et un instrument permettant
de nettoyer l’intérieur de la canule sans avoir à la retirer. En
1833, Trousseau avait déjà pratiqué plus de 200 trachéotomies,
avec 25 % de succès (10). Il décrivit la méthode de dissection
plan par plan, et préconisa une incision entre les deuxième et
troisième anneaux de la trachée. Mais d’autres auteurs la pra-
tiquèrent différemment : Porter, Roux et Goodeve incisaient la
trachée verticalement, tandis que Heister incisait verticalement
les deux premiers anneaux, mais aussi le cricoïde.
Trousseau utilisait une canule courbée en quart de cercle, puis
dessina une canule moins courbe pour ne pas ulcérer la paroi anté-
rieure de la trachée. Il se servit de la double canule imaginée par
Martins en 1730 à Londres.
C’est Garengeot qui eut l’idée de mettre un filtre, sous forme
d’une bande de gaze, devant l’ouverture de la canule.
La diphtérie régressera grâce à la vaccination (encadré 2) et, avec
elle, la première des indications de la trachéotomie. C’est alors
que survinrent des épidémies de poliomyélite à forme respira-
toire, en Scandinavie, en Amérique, puis en France. Dès 1932,
un médecin de Boston, Wilson, proposa de trachéotomiser les
patients pour les ventiler plus facilement. Avec la trachéotomie
et le développement des ventilateurs artificiels, la mortalité de la
poliomyélite bulbaire passa de 80 % à 25 % (9).
LA TRACHÉOTOMIE AU XXIESIÈCLE
Actuellement, les indications de la trachéotomie (11)sont les obs-
tructions des voies aériennes supérieures et la ventilation assis-
tée. La première indication tend à devenir moins fréquente du fait
de la disparition des affections causales (la laryngite diphtérique
et l’épiglottite ne se voient plus depuis la généralisation des vac-
HISTOIRE
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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no284 - juin 2003
Certains auteurs ont décrit des méthodes alternatives à la trachéo-
tomie comme :
–l’extraction de quelques dents en cas de tétanos, technique
décrite par Ambroise Paré ;
–la mise en place de tubes laryngés “suspendus”. En 1840, un
médecin parisien, Loiseau, aurait pratiqué le premier tubage laryngé
avec une sonde de Belloc (Hippolyte Belloc, 1779-1853) (2). En 1858,
Eugène Bouchut (1818-1891), pédiatre à Paris, inventa le tubage
laryngé, avec un tube métallique droit et creux. Un fil de rappel faci-
litait l’extraction. Ce tube pouvait être rejeté dans un effort de toux :
il fallait alors le replacer en urgence. Pour éviter qu’il ne soit inhalé, il
avait, à sa partie supérieure, une collerette circulaire. La technique
du tubage fut ensuite abandonnée, car la surveillance était difficile et
le tube s’obstruait facilement. Elle fut remise au goût du jour en 1885
par un chirurgien américain, Joseph O’Dwyer (1841-1898), qui avait
légèrement modifié l’instrumentation (7). Cette technique fut ensuite
diffusée en France par Bonain, en 1894 ;
–la mise en place d’une sonde d’intubation ou équivalent. Hippo-
crate (460-370 av. J.-C.) proposait l’introduction d’une flûte droite
de berger dans la gorge. Vésale, en 1542, réalisa la première intuba-
tion trachéale chez le mouton. Pierre-Joseph Desault (1738-1795)
découvrit l’intubation tout à fait par hasard en tentant de placer une
sonde nasogastrique (2). Après s’être exercé sur des cadavres, il
réussit à la réaliser régulièrement chez des patients adultes. L’intu-
bation se faisait par voie nasale, “à l’oreille”, sans aucune exposi-
tion du larynx. Desault préconisait l’intubation en cas de laryngite
œdémateuse, et la trachéotomie en cas de laryngite diphtérique.
La première intubation trachéale par voie orale chez l’homme fut
rapportée par William Mac Ewen en 1880 (2).
Ce qui a ralenti la diffusion de l’intubation, c’est la difficulté du nur-
sing, en particulier l’absence d’aspiration. Les grandes batailles, au
XIX
e
siècle, entre partisans et détracteurs de la trachéotomie, du
tubage et de l’intubation tournaient autour des risques d’obstruc-
tion ou d’expulsion prématurée de la prothèse inhérents à ces trois
méthodes.
Encadré 2. Petite histoire de la diphtérie.
La diphtérie joua un rôle important dans la mise au point et la
diffusion de la technique de la trachéotomie.
Les premières descriptions de la diphtérie sont celles d’Arétée de
Cappadoce, qui avait eu l’occasion de voir des épidémies en
Égypte et en Syrie. La diphtérie s’étendit ensuite en Europe et en
Amérique, à partir de l’Espagne, semble-t-il, par des vagues pandé-
miques meurtrières qui débutèrent au
XVIII
e
siècle.
C’est seulement au
XIX
e
siècle que le médecin tourangeau Pierre
Fidèle Bretonneau fit progresser nos connaissances sur cette mala-
die à la suite d’observations qu’il fit lors d’une épidémie née dans
une caserne de Tours en 1818 et qui sévit ensuite dans toute la
région (9). Grâce à une soixantaine d’autopsies, il démontra que
l’angine à fausses membranes et la laryngite à fausses membranes
étaient deux localisations de la même maladie. Il fut un des pre-
miers, non pas à remarquer, mais à dire que cette maladie était
hautement contagieuse. De fait, beaucoup de médecins sont décé-
dés quelques jours après avoir examiné ou soigné un diphtérique.
Bretonneau baptisa cette maladie “diphtérite”. C’est un autre
médecin tourangeau, un de ses élèves, Armand Trousseau, qui lui
donna le nom de “diphtérie” qu’elle porte depuis lors.
En 1833, Klebs découvrit des bâtonnets dans les fausses mem-
branes et, l’année suivante, Friedrich Löffler réussit à cultiver le
bacille qui porte leur nom.
En 1888, Émile Roux et Alexandre Yersin montrèrent, par inoculation
chez l’animal, l’existence et le rôle de la toxine diphtérique. En Alle-
magne, Emil Adolf von Behring (1854-1917) et Shibasaburo Kitasato
développèrent la sérothérapie chez l’animal. Celle-ci fut transposée
peu de temps après à l’homme par les Français Émile Roux, Louis
Martin et Auguste Chaillou. Au congrès international d’hygiène tenu
à Budapest en 1894, plusieurs équipes annoncèrent qu’avec la séro-
thérapie, la mortalité de la diphtérie passait de 73 % à 14 %.
En 1922-1924, Ramon isola l’anatoxine diphtérique, qui allait per-
mettre la vaccination.