Fiche n°31
APPRIVOISER L'INEVITABLE INCERTITUDE
Le médecin généraliste est confronté dans son exercice à lincertitude, entre autre du fait de
sa position comme premier intervenant dans le système de soins, ce qui le contraint à agir
au stade précoce et indifférencié des maladies [1]. Dailleurs la gestion de lincertitude fait
partie des compétences à acquérir par le futur médecin généraliste : il doit apprendre à
?tolérer lincertitude? [25].
Lincertitude est constitutive de lexercice de la médecine générale
Elle tient au moins à deux éléments caractéristiques : le rapport de lomnipraticien au savoir
médical, dune part, et les rapports sociaux dans lesquels sinscrit lexercice libéral des soins
primaires en France, dautre part [96].
Concernant la question du rapport au savoir, Fox a montré quil y a trois niveaux
dincertitude : un niveau 1 qui ?résulte dune maîtrise incomplète ou imparfaite du savoir
disponible?, un niveau 2 qui ?dépend des limites propres à la connaissance médicale? du
moment, et un niveau 3 qui tient à la difficulté pour un praticien donné de faire la part entre le
premier et le deuxième niveau [96,97]. Les incertitudes de niveau 1 et 3 ont un caractère
particulièrement aigu en médecine générale. Le généraliste est le médecin dont le champ
des connaissances nécessaires à son exercice est potentiellement le plus étendu, sa
spécialité nétant pas limitée à un organe ou une fonction. Quels que soient ses efforts pour
augmenter ses connaissances, il restera celui qui sait ?un peu de tout?.
Les rapports sociaux du médecin exerçant dans le cadre des soins primaires sont également
sources dincertitude. Il est exposé à la plus grande variété de motifs de consultation, qui se
présentent à lui comme une matière profane, ?brute?, sans mise en forme préalable par un
autre professionnel, et volontiers mêlée de considérations qui débordent le registre
biomédical. La demande et lopinion du patient sont aussi des sources dincertitude
importantes car ce dernier est libre, à chaque consultation, de consulter ailleurs sil nest pas
satisfait, sans perdre le bénéfice de lassurance maladie.
Biehn décrit dautres sources dincertitude que sont lincertitude du diagnostic (qui est en fait
en lien avec les 3 niveaux dincertitude de Fox et la question des plaintes mal définies),
lincertitude du traitement (en partie en lien avec lincertitude de diagnostic), la variabilité de
réponse du patient incluant notamment sa compliance [97].
Le rapport du médecin généraliste à lincertitude
Chaque praticien doit avoir conscience de son propre niveau de tolérance et de sa façon de
gérer lincertitude, qui dépend de sa manière daborder les risques et de sa crainte de
commettre une faute professionnelle [98]. La sociologue Bloy a ainsi décrit quatre façons de
saccommoder de lincertitude qui sont figurés sur le schéma suivant (figure n°10) [96] :
Figure n°10 : Positionnement par rapport à l'incertitude en médecine générale [96][avant3]
- "Lincertitude prégnante" est caractérisée par une considération importante accordée à la
plainte profane, associée à un grand souci de tenir compte des recommandations et
dexercer une médecine ?EBM? quand cest possible. Les médecins sont souvent investis
dans des groupes de pairs, de la FMC (formation médicale continue). Le niveau dincertitude
y est de ce fait maximal et ces médecins sont en permanence en tension entre les deux
axes : prise en compte de la plainte du patient et souhait de garder une vigilance
scientifique.
- "Lincertitude balisée" correspond à une stratégie de maîtrise de la dimension profane de la
plainte par des éléments connus, appuyée sur les standards scientifiques dominants. La
prise en charge fait ainsi référence aux savoirs médicaux spécialisés qui font autorité, par
opposition à lexpérience ou aux pratiques empiriques moins établies. Ce type dexercice de
la médecine va à lencontre dune proximité durable avec le patient. Les médecins adoptant
cette ?démarche de réduction de la complexité? risquent dêtre insatisfaits par la médecine
générale et sont plus volontiers attirés par un exercice en service durgence.
- "Lincertitude explorée" correspond à une prise de distance vis-à-vis des standards
scientifiques, soit par esprit revendicatif (rejet du modèle hospitalier biomédical), soit par
démission face à des protocoles jugés inopérants pour décrypter et soulager les plaintes
entendues. Ceci se fait au profit dune plus grande écoute et proximité, et dun
accompagnement individualisé. Ces médecins sont plus volontiers intéressés par les
sciences humaines, la psychologie
- "Lincertitude contenue" ou tenue à distance est une pratique où cest la minimisation des
efforts et/ou la maximisation des gains qui est moteur. Il y a ainsi plusieurs manières de
?régler? la question de lincertitude : multiplication des examens complémentaires pour pallier
un interrogatoire et examen physique insuffisants, orientation vers des confrères
spécialistes
Pistes pour mieux gérer lincertitude
La fiche n°29 : Gestion du risque : Diagnostic Etiologique Critique est une première piste de
gestion de lincertitude concernant le risque de ?passer à côté? dune pathologie grave
devant le tableau présenté par le patient.
Plusieurs auteurs ont proposés différentes étapes pour mieux tolérer lincertitude [96,97,99].
1. Connaître/établir son propre niveau de tolérance à lincertitude ;
2. Connaître les attentes du patient, sa raison de consulter ainsi que son rapport à
lincertitude :
Une bonne compréhension des raisons de consulter du patient est primordiale dans le
traitement de l'incertitude. La raison de consulter du patient et ses préoccupations sous-
jacentes doivent donc être identifiées (voir fiche n°21 : Loffre du malade). Le médecin doit
pouvoir répondre aux questions suivantes : Pourquoi le patient vient-il maintenant ? Quelles
sont ses craintes et ses attentes ? Quelle est sa compréhension des symptômes ? Il doit
aussi savoir quel niveau dincertitude il est prêt à supporter : Quelle est sa tolérance à
labsence de diagnostic précis ? Quel degré de risque est-il prêt à assumer, avec le médecin,
en ce qui a trait à son état de santé ?
3. Renforcer la relation médecin-patient :
Une relation médecin-patient de qualité, basée sur une histoire commune, est un atout
incontestable pour gérer lincertitude. Cette ?compagnie dinvestissement mutuel? permet au
patient daccepter plus facilement lincertitude car il a acquis une confiance dans la
compétence de son médecin. Cependant, dans un certain nombre de cas (nouveau patient,
patient consultant de façon très occasionnelle, médecin remplaçant ou en début dexercice)
la gestion de lincertitude devra se passer de cet acquis. Une façon de créer une bonne
qualité de relation passe alors entre autre par la reconnaissance de la légitimité de la
démarche du patient de venir consulter et par lexpression par le médecin du désir de laider.
4. Evaluer le problème de façon approfondie :
Il sagit deffectuer une anamnèse et un examen minutieux. Cette minutie est dautant plus
importante que le tableau est complexe, et les symptômes vagues. Cette attention
particulière manifestée par lécoute et lexamen attentif peut permettre de rassurer le patient,
lui donner le sentiment que ses plaintes et craintes ont été entendues et faire naître en lui un
sentiment de confiance qui pourra résister à labsence de diagnostic précis. Cependant le
patient peut être insatisfait et ne pas comprendre que lévaluation approfondie de son
problème ne passe pas (dans un premier temps) par la réalisation dexamens
complémentaires. Il peut même penser que lincertitude vient de cette absence
dinvestigations paracliniques. Il peut alors être important pour le médecin dexpliquer à son
patient que dans certains cas, les procédures denquêtes complémentaires ne sont pas
forcément utiles pour délimiter davantage le problème, voire peuvent être néfastes.
5. Expliciter son analyse :
Après une bonne évaluation du problème, le médecin doit expliquer au patient ce quil en
est : il est plus sage à ce stade dexpliquer sa caractérisation du problème plutôt que de
vouloir à tout prix donner un diagnostic (voir fiche n°27 : Le diagnostic : une difficulté
surmontable). Le médecin doit aussi exclure les diagnostics improbables. Enfin, il est bon
quil prenne le temps de répondre aux inquiétudes du patient, quil exprime sa propre
incertitude, et quil implique le patient dans la gestion de celle-ci pour le rendre actif.
6. Convenir ensemble dun plan dévaluation et de traitement :
Ensemble le médecin et le patient doivent décider dune conduite à tenir face au problème
mis en évidence. Le médecin va expliquer les options dévaluation et de traitement et
sassurer de la compréhension du patient.
7. Sengager à réévaluer le problème :
Ce point est essentiel pour que lincertitude puisse être acceptée par le patient. Il passe par
lexplication de ce que serait une évolution inquiétante, létablissement dune limite de
tolérance à lincertitude et la formulation de consignes claires de réévaluation.
Discussion
Le vécu de lincertitude naît très tôt chez létudiant en médecine, lorsquil se sent dépassé
par la quantité de connaissances médicales quil est censé intégrer. Il fait lexpérience dun
sentiment dinsuffisance personnelle, renforcée par le contraste quil établit entre ses
connaissances et celles quil attribue à ses maîtres. Ce sentiment crée un doute, une
incertitude sur sa capacité à exercer la médecine. Ceci ne sera dépassé que lorsquil se rend
compte que lincertitude est inévitable dans la pratique médicale [97]. Cette question de
lincertitude reste peu abordée aujourdhui dans la formation des médecins. Ainsi, les
étudiants en stage à lhôpital sont davantage marqués par la figure du chef de clinique qui
semble avoir des connaissances larges et approfondies et ne pas être sujet au doute, que
par un jeune interne, peu sûr de lui et exprimant ses incertitudes. Le doute est alors associé
à linsuffisance de connaissances et non intégré comme une caractéristique inévitable de
lexercice de la médecine. La gestion de lincertitude ne fait pas partie des apprentissages
des futurs médecins car elle nest pas reconnue.
Le contexte dexercice de la médecine générale en France élève le degré et multiplie les
sources dincertitude dont les généralistes doivent saccommoder : travail solitaire, plateau
technique réduit, échanges limités avec des confrères [96]. Ainsi le travail en cabinet de
groupe et la participation à des groupes de pairs sont des moyens de saider à gérer
lincertitude. Ceci est d'autant plus important que les références scientifiques sont encore
trop peu adaptées à lexercice de la médecine générale, car souvent limitées à une
pathologie et hors du contexte global du patient (polypathologie, émergence de la
pathologie).
Face à lincertitude, il existe deux pièges courants [98]
- prescrire des examens complémentaires non pour confirmer ou infirmer un diagnostic
présumé, mais plutôt pour le découvrir fortuitement en "allant à la pêche". Cette
démarche nest pas judicieuse car des résultats faussement négatifs ou positifs peuvent
rassurer à tort ou entraîner des examens supplémentaires inutiles, voire nuisibles. Il est
communément dit qu'en médecine générale, le temps est le premier examen
complémentaire. Impliquer le patient dans la surveillance de son trouble, s'il n'existe pas
de signe de gravité, est très opérant et évite une surmédicalisation inutile au patient.
- se dégager de sa responsabilité médicale en ne faisant quexposer au patient les
différentes options thérapeutique sans prendre réellement de décision médicale.
Face à cette incertitude à multiples facettes, qui intervient à toutes les étapes de la
consultation, le patient doit être considéré comme un partenaire, dans une authentique
alliance pour cerner le problème à prendre en charge et le traiter. Il peut arriver au médecin
de penser à la fin d'une consultation que le patient "n'avait rien", qu'il est venu "pour rien?.
Arriver à cette conclusion signifie que le médecin na pas su discerner les raisons du
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